(Delkhir) Se perdre dans les steppes - PV Naransetseg

Pour voyager jusqu'à Delkhir depuis New Cresthill, il fallait compter au moins 18 jours par beau temps ! Si les vents de la déesse n'étaient pas favorables, la durée du voyage s'allongeait considérablement. Le champion avait payé pour son passage à bord à lui et à sa monture favorite. Alizée au caractère ombrageux. Celle avec qui il avait partagé les honneurs qui allait avec la gloire de remporter une course inter-cités de griffons. La caravelle l'avait mené à bon port avec un peu de retard. Presque un mois.

Sa venue sur ce bloc était motivée par les élevages de griffons pour lequel la cité libre est également réputée. Le paysage, très différent des prairies et des forêts de New Cresthill, l'en avait quelque peu dérouté. Ce détour avait usé son matériel, épuisé autant lui-même que sa monture. Il était temps de s'arrêter à l'écurie la plus proche.

"Il est temps de nous reposer, Alizée. Encore un petit effort, j'aperçois déjà la bâtisse."

Pour toute réponse, Alizée répliqua par un cri strident et d'un coup puissant d'ailes, fondit sur ce que son griffonnier avait désigné comme objectif. Malgré son âge, c'est une bête puissante taillée pour la vitesse. Le vent fouette le visage rougi d'Escanor qui portait des lunettes spéciales pour éviter d'être aveuglé. La moindre particule pourrait le déconcentrer.

Alizée se pose royalement sur l'aire d'arrêt de l'écurie, permet à son cavalier de démonter rapidement. Elle se tourne rapidement pour réclamer des petites attentions de son griffonnier. Escanor, dans un grand éclat de rire, ôte ses gants pour que ses mains puissent sentir le plumage. Un contact dont il ne se lassait jamais.

"Merci Alizée, comme toujours. C'était un vol merveilleux."

Qui s'occupait des griffons dans cette écurie ? Il était curieux de découvrir leurs têtes.

Narantsetseg était en train de guider son invité à l'auberge lorsqu'un griffon atterrit sur l'aire d'arrêt de la ferme. Elle s'excusa auprès de Monsieur Galloway pour aller à la rencontre du nouveau venu. Décidément la journée était bien remplie, un nouveau visiteur qui semblait venir d'un autre bloc lui aussi arrivait dans sa petite ferme.

Son griffon semblait plus âgé que Sylphide mais elle reconnut rapidement qu'ils venaient tous les deux du même endroit. L'homme était en train de flatter le flan de l'animal. Elle s'approcha de l'homme pour se présenter et le décharger.

"Bonjour Monsieur, permettez-moi de m'occuper de votre griffon, je suis Narantsetseg et je travaille ici. Si vous le souhaitez, vous pouvez aller vous reposer à l'auberge. Je vais l'installer dans un box pour qu'elle ait tout le nécessaire pour passer une bonne nuit."

Elle se tourna vers Monsieur Galloway et lui souria :

"Je vous rejoins après avoir soigné cette jolie demoiselle !"

Attendant l'accord de son maître, Narantsetseg s'approcha de l'animal en la regardant dans les yeux puis posa sa main sur son flanc. Puis, de l'autre main elle attrapa sa longe.

"Ne vous inquiétez pas, dit-elle au maître du griffon, elle sera bien ici. Comment s'appelle-t-elle ?"

Le champion alryonais de la dernière décennie ne se préoccupe que de récompenser son animal qui l'a bien porté jusque là. Ôtant ses lunettes de griffonniers, il se tourne vers la palefrenière qui vient prendre les rênes de la situation. Un sourire large, bienveillant se lit sur son visage. Escanor a une tendresse particulière pour les jeunes qui font ce métier. Prendre soin des griffons et de l'écurie.

"Salut ! Je t'en remercie, petite. Je suis Escanor et voici Alizée. Ma compagnie de plus de dix ans. Alizée, je te présente celle qui va s'occuper de toi pour ce séjour. Naransetseg."

Alizée regarde la jeune delkhirienne qui lui est présentée. Approche la tête pour renifler les odeurs de griffons que la palfrenière porte sur elle. Émet une trille appréciatrice.

"Est-ce qu'il est possible de dormir dans les stalles ? Y-a-t-il d'autres voyageurs dans l'auberge ?", demande Escanor en récupérant ses effets et en dessellant par acquis de conscience Alizée. Il flatte de nouveau l'encolure du griffon.

"Il est temps que tu te fasse choyer ma chère. Oui.Tu l'as bien méritée, Alizée. Sois prudente, je lui ai peut-être appris à ne plus avoir peur de ses ombres mais on ne sait jamais. "

Le manège de Alizée l'amuse. Selles et effets qu'il jette par-dessus ses épaules tel un poids qui ne le gène nullement. C'est à regret que le champion fait quelques pas en avant s'éloignant de sa monture. Il constate la présence la présence d'un autre voyageur. Il ne sera pas tout seul avec le personnel de l'auberge visiblement.

"Salut, puis-je connaître votre nom ? Je suis Escanor Eventide de New Cresthill !"

L'homme était familier mais pas méchant, il semblait juste à l'aise et Narantsetseg ne releva pas. Les coutumes des uns sont différentes de celles des autres. Elle sourit humblement alors que le griffon s'intéresse à elle, humant les odeurs sur ses vêtements. Elle devait sentir tous ceux dont la jeune femme s'était occupée dans la journée. Celle-ci la caressa sur le dessus de la tête avant de répondre à la question du prénommé Escanor Eventide.

"Eh bien, on ne m'a jamais posé la question mais les boxes des visiteurs sont toujours ouvertes pour que vous puissiez repartir quand vous voulez, hésita-t-elle. Sinon on a des chambres qui seront peut-être plus confortables pour vous à l'auberge."

Narantsetseg fut rassurée quand Monsieur Galloway vint à sa rescousse, entamant la discussion avec cet homme. Elle le remercia d'un hochement de tête et le gratifia d'un sourire quand il prit la relève et lui dit qu'il prendrait une table pour eux. La soirée risquait d'être mouvementée, la jeune femme entendait les deux hommes partir en discutant alors qu'elle allait de l'autre côté avec Alizée.

Le griffon regarda son maitre partir mais suivit la jeune femme sans broncher. Narantsetseg l'amena dans le box juxtaposant celui de Sylphide. Celui-ci s'était couché dans la paille. La jeune femme ouvrit la porte et débarrassa Alizée du reste de son équipement, le rangeant dans l'étagère prévue à cet effet. Elle remplit l'eau et la nourriture du griffon avant de lui passer un coup de brosse. Narantsetseg savait que les griffons aimaient se faire brosser, cela les détendaient avec un bonne nuit de sommeil. En fait cela la détendait, elle aussi. Cela la faisait sentir proche de l'animal.

Une fois le griffon soigné, Narantsetseg se dirigea vers l'auberge. C'est qu'elle commençait avoir faim avec tout ça. Le soleil était bien couché et son ventre grognait. Et puis elle savait que les discussions risquaient d'être intéressantes ce soir.

"Vous savez ce qu'on dit Monsieur Galloway. Quand on parle du griffon, on en voit la queue. Les griffons de par chez moi... En voilà un sacré sujet ! Il y en a beaucoup à dire. Puis-je connaître où s'est exactement arrêté la conversation ? Peut-être pourrai-je vous apporter des informations supplémentaires."

C'est une longue tirade qu'il déclame en serrant l'autre voyageur qui bénéfie de l'hospitalité de l'auberge. Son nom lui évoque une consonnance alryonaise. Intéressant. Un compatriote ? En tout cas, il est bien au fait de sa réputation de champion de course bien connue dans les Cinq Cités. Et au-delà ? Escanor en est moins sûr.

"Un verre ? J'en serai plus que ravi, ma foi ! Ah ! J'étais venu pour des affaires - les griffons et le matériel - mais le paysage ici... Vaut le détour. C'est fascinant combien Delkhir est un bloc très différent de New Cresthill tout en élevant aussi des griffons. Des montagnes et des steppes pour l'un, des prairies, des étangs et des forêts pour l'autre."

Il s'exprime tout en avançant vers les locaux, se fiant aux connaissances de Alexander qui a déjà repéré les lieux un peu plus tôt. Les voyageurs étrangers ne sont pas légions dans ce pays qui, par le passé, avait eu une politique protectionniste jusqu'à cette famine fatidique. Le champion prend spontanément place à une table et dépose à côté de lui ses effets personnels.

"Les nouvelles de New Creshill, hein ? Le bon vieux roi a encore bon oeil et bon pied. Il pense toujours à panser une jambe de bois pour guérir la colère qui y gronde. Nous n'avons toujours aucune représentation au Parlement. Toujours aucune écoute. Je suis persuadé que le gouverneur se moque de nos doléances. Et personne n'a oublié ce qui s'est passé il y a vingt ans. Ils n'en pipent mot mais l'idée est là. Dans les têtes."

Lui, le premier, pour en avoir été témoin, victime et acteur. Il ne s'étend pas plus sur la référence au soulèvement de la colonie puisqu'il a d'autres choses à dire.

"On continue de vendre nos bois et nos griffons principalement à destination d'Alryon mais aussi à d'autres blocs en quantité beaucoup moindre. Depuis mes victoires dans les courses, beaucoup de griffonniers rêvent d'un griffon comme Alizée. Ils veulent le résultat sans les efforts pour y parvenir. Que les vents les emportent !"

Lorsqu'elle ouvrit la porte de l'auberge, Narantsetseg vit tout de suite Monsieur Galloway lui faire signe. Il était en train de discuter avec Monsieur Eventide autour d'une table, un bol chaud devant eux. A côté, quelques tables étaient prises, la jeune fille remarqua des habitués et quelques clients qui étaient là pour plusieurs jours.

La tenancière s'approcha d'elle un grand sourire aux lèvres. Narantsetseg lui souria en retour, elle appréciait beaucoup celle qu'elle appelait Emee affectueusement, c'était une petite femme rondelette offrant de l'amour à tous ceux qu'elle croisait. Elle désigna Monsieur Galloway.

"Tu as bien de la chance, Nana, aujourd'hui ! Cet homme a tenu absolument à ce que je ramène un plat pour toi pour que tu n'aies plus que les pieds à mettre sous la table quand tu arriveras."

Narantsetseg avait eu une bonne première impression à propos de cet homme et elle ne semblait pas s'être trompée. Elle s'avança vers ceux qui l'attendaient et prit place sur la chaise vide devant lequel fumait un ragoût.

"Merci, dit elle à Monsieur Galloway, Emee m'a dit que vous aviez tenu à ce que je sois servie avant que j'arrive. Les griffons vont bien, Sylphide dormait quand je suis passée, il semblait fatigué de son voyage, et Alizée a bien mangé et a apprécié le brossage !"

Elle saisit la cuillère et se mit à avaler rapidement son repas. Les deux hommes avaient déjà commencé alors autant les rattraper. Il faisait froid dehors et manger du chaud lui fit un bien terrible. Elle hésita avant de poser une question à l'homme en face d'elle.

"Monsieur Eventide, j'ai cru comprendre que vous veniez du même endroit que Sylphide ? Comment sont les élevages la base ? Excusez mon ignorance, je ne suis jamais partie loin d'ici. Comment est... New Cresthill c'est bien ça ?"

Elle hésita et eut du mal à sortir le nom de New Cresthill, ça ne ressemblait à aucun mot qu'elle connaissait et son accent delkhirien ressortait grandement sur des mots qu'elle ne connaissait pas. Narantsetseg regardait les deux hommes, les yeux avides de connaissance, et un peu désolés de ne pas savoir ce qu'il se passait ailleurs.

La semi-liberté ? UN système à observer de plus près !

"Ils viennent pour l'honneur. Pas pour changer les choses.", conclut le champion New Cresthillois qui se régale du service préparé par l'auberge.

Il apprécie de pouvoir manger comme son griffon. Delkhir sait s'y prendre pour accueillir ses invités ! Escanor est prêt à revenir ici juste pour avoir un tel plat !

"Alizée... Je crois qu'elle vient de l'élevage Silverfeather qui a produit Zéphyr, Aquilée, Typhon et Éole. Elle est passée de propriétaire en propriétaire à un prix plus bas qu'elle ne l'aurait dû parce qu'elle était réputée indomptable. Elle faisait mordre la poussière à tous ceux qui essayaient de la monter. C'est comme ça qu'un ami de mon père a pu l'acquérir. En l'observant, je me suis rendu compte qu'elle avait peur de ses ombres. Par Aelia ! J'ai trouvé une solution pour bâtir la relation que j'ai avec elle maintenant mais ça n'a pas été simple."

"Bellflower. Bellflower.... Une bonne écurie appréciée de la cour alryonaise si j'ai bonne mémoire. Vous en avez de la chance Monsieur Galloway. J'ai entendu dire que son fils avait eu quelques pépins avant que je ne parte."

Rien de précis. Il semble y avoir eu des arrangements pour éviter que cela se répande par les bouches et oreilles. Satisfait de la réponse à la question qu'il n'a pas pu poser lui-même, le champion new cresthillois sort une pièce d'argent alryonaise de sa bourse. Appprendre le bien-être de son griffon rend Escanor d'humeur particulièrement généreuse. Il pousse la pièce en direction de la jeune fille.
"Voilà pour ta peine, un gage de mon appréciation. Je te remercie d'avoir pris soin d'Alizée ainsi."
La jeune fille commence à lui poser des questions sur New Cresthill. Qui change beaucoup du sujet précédent sur la colonie : la politique et l'économie.

"Oui. Comme Sylphide. Comme Alizée. Pour bien comprendre ce que sont les élevages sur New Cresthill, il faut commencer par les saillies des griffons. On sélectionne des mâles et des femelles pour leurs qualités physiques et esthétiques pour essayer d'obtenir une descendance qui aura les qualités de ses parents. Si l'accouplement réussit, on obtient le griffonneau espéré. Par exemple, les traits les plus recherchés pour les courses de griffons sont la vitesse de l'animal, une meilleure pénétration du vent entre autre. On les entraîne ensuite. Tout est alors fait pour obtenir le meilleur d'eux dans les compétitions. Il arrive qu'ils soient vendus si l'éleveur a besoin d'argent pour maintenir son élevage. Dans ce cas, le prix dépend comment il a été élevé."

Il sait qu'il parle là de la race la mieux connue et la plus populaire auprès des habitants des blocs. L'exemple qui aide les néophytes à comprendre la difficulté d'élever un griffon pour un besoin précis.

"Mon bloc est constitué essentiellement de prairies verdoyantes abreuvés par des étangs poissonneux et qui s'arrêtent là où commence les forêts d'arbres solidement enracinés. À dos de griffons, on peut voir les pâtures des pégases dans lesquels ces animaux paissent paisiblement, les écuries de griffons et leurs clôtures, les scieries où ils taillent le bois avant de les amener vers le port de caravelles."

Toute la subtilité de ne pas dire colonie passe en un seul mot. C'est son bloc. Point.

Monsieur Eventide fit rouler une pièce jusqu'à Narantsetseg en la remerciant des bons soins offerts à Alizée. Elle regarda cette pièce un instant. Ce n'était pas une pièce de Delkhir, elle ne connaissait pas forcément sa valeur. Elle hésita un peu avant de la prendre, la jeune femme ne faisait que son travail, pas plus, pas moins, elle n'avait pas besoin de cet argent. Mais refuser un cadeau ne se faisait pas, et elle avait peur de causer de la gêne à son interlocuteur.

"Eh bien, merci mais je ne fais que mon travail, je ne saurais si je puis accepter cette pièce !"

Puis il se lança sur une explication de l'élevage des griffons à New Cresthill. Narantsetseg écouta avec attention ce qu'il lui racontait. L'élevage était si différent qu'à Delkhir. Elle eut un peu de mal à comprendre l'intérêt des courses, mais cela devait être beau à voir. Les griffons sont pour la plupart assez fiers d'eux, ils doivent avoir envie de gagner si course il y a. Puis Narantsetseg tiqua quand l'homme lui parla de pégases. Elle n'en avait jamais vu, juste entendu et lu quelques informations sur ces animaux, rien de plus.

"C'est tellement différent d'ici, répondit-elle. Ici les griffons ne sont pas sélectionnés. Ils font juste leur vie et nous les accompagnons. Mais cela doit être très spectaculaire une course de griffons."

Elle fit une pause pour reprendre une bouchée de ragoût puis reprit :

"Et les pégases, comment sont-elles ? J'aimerai tellement en voir une en vraie, ici on n'en trouve pas du tout. Sont-elles comme dans les livres que j'ai lu ? De grands chevaux blancs à la crinière longues et aux plumes légères ?"

Puis Monsieur Galloway posa une question sur Alizée. Il était vrai que Monsieur Eventide avait évoqué sa peur de son ombre, comment un griffon, animal fier qu'il était pouvait en avoir peur ? Narantsetseg n'avait rien remarqué lorsqu'elle s'en était occupé mais il faisait déjà noir. Elle posa sa cuillère après avoir terminé son repas pour écouter plus attentivement la réponse de Monsieur Eventide.

Escanor Eventide accueille bien volontiers les questions qui portent sur le dressage et les écuries quels que soient les animaux qui y sont soignés. Travailler sur la peur de son ombre de son griffon répresente pour lui l'une des premières étapes vers le succès qu'il connaît aujourd'hui. Un détail de l'histoire est qu'il l'a fait sans la permission du propriétaire. Qui en a d'abord été furieux.

"Non, non, cela ne me dérange pas du tout d'en parler. Je l'ai dressée en tenant compte de la position des soleils. De sorte qu'elle soit toujours face à leur éclat. Je lui ai laissé laissé le temps de se calmer avant d'essayer de la monter. Il y en a qui pensent que je suis une sorte d'élu vu le nombre de griffonniers qui ont essayés et échoués avant moi. Non mais. Simplement, J'ai appris à connaître les griffons, j'ai vu qu'elle avait peur et j'ai trouvé la source de cette peur.  Une fois en l'air, il n'y a pas de raisons qu'elle voit son ombre et donc d'avoir peur."

Avec le temps, elle a fini par en avoir moins peur et à faire confiance au champion New Cresthillois. Il marque une pause.

"Le propriétaire était furieux quand il l'a découvert. Je n'étais pas supposé essayer de la dresser. Mais il m'a quand même donné ma chance. À l'époque, je n'avais pas encore l'argent pour la lui racheter."

"Ah par Aelia ! Spectaculaire, ça l'est ! Rien que l'organisation de la course exige de mobiliser de nombreuses caravelles placées à des endroits stratégiques pour voir la course. Voir tous ces gens massés sur les caravelles dans un seul but : vous regarder offrir le spectacle trépidant d'une compétition qui se remporte parfois à un battement d'ailes de près. Ça donne le sentiment de participer à quelque chose qui te dépasse. De plus vaste. Monté sur ton griffon, tu t'alignes avec tes concurrents, tu pars au top départ et tu vois leur élan absolument magnifique. L'excitation bout dans ton corps. Tu as envie de l'emporter. Et cette félicité infinie d'entendre la foule scander ton nom au moment de ta victoire, c'est juste incroyable."

"Quand j'étais gosse, je rêvais rien qu'une fois de connaître ça. Je n'aurais imaginé qu'il y aurait plus au-delà. D'autres victoires remportées contre les plus grands griffonniers des autres cités. Quand l'euphorie est retombé, j'ai compris que le gamin en moi aurait été plus que comblé de savoir que j'ai accompli plus qu'il ne le rêvait."

Et un nom gravé dans la légende des courses de griffons. Voilà ce qu'il représente aujourd'hui.

"Aheum ! Je m'égare. Les pégases. Les pégases. Voyons. Je n'ai jamais eu l'occasion d'en monter ni d'en approcher de bien près, ils sentent l'odeur de griffon. L'odeur du danger. Ils ont des des crinières, des robes très variées, de l'isabelle, du gris, du bai, du noir. Souvent, il y a des mélanges ce qui donne une incroyable variété de couleurs et de marques. Le blanc que tu décris est la couleur idéalisée. La plus recherchée par les acheteurs. J'ai entendu dire que la tradition veut que leur ancêtre n'avait pas d'ailes avant l'éclatement de Sopiria. Aëlia leur a fait don d'ailes pour pouvoir continuer à courir après ses vents."

Alors les pégases étaient différentes de ce que les livres disaient. Narantsetseg avait envie de découvrir ce monde, voir ces animaux de ses propres yeux. Leur histoire était belle et la jeune femme voulait en apprendre plus sur elles. Les approcher, les toucher, et peut-être voler avec l'une d'entre elle un jour ? Les griffons étaient ses premiers amours mais le ciel l'appelait, il était certain. Monsieur Galloway confirma ses pensées en racontant son premier vol. Narantsetseg vit dans son œil la joie que lui procurait cette évocation. Cela devait être un souvenir qu'il chérissait au plus profond de son cœur.

Ces deux hommes qui dînaient là avec elle avaient la même passion qui les animaient. Ils aimaient voler et avaient tout le loisir de le faire. L'un dans une course spectaculaire. L'autre, elle ne savait pas trop mais le ciel l'appelait. Et il l'appelait elle aussi.

Et la question qu'elle appréhendait tomba. Ses lèvres firent un sourire gêné alors qu'elle n'osait plus regarder les deux hommes dans les yeux. Pour qui la prendraient-elle si ils savait qu'elle n'avait pas encore côtoyé le ciel ? Elle ne voulait pas perdre cette discussion qui semblait si intéressante mais il ne fallait pas mentir. Ils lui avaient confié leurs histoires, à elle de confier la sienne, même si elle est courte.

"A vrai dire, commença-t-elle en balbutiant légèrement, je... Je n'ai jamais pris encore mon envol. Les griffons sont dangereux pour les enfants, ils sont trop imprévisibles, alors je n'avais pas le droit de m'en approcher avant la majorité. J'attends juste de pouvoir avoir les moyens de m'occuper de mon propre ami avant de pouvoir toucher le ciel."

Sa voix n'était pas aussi sûre qu'elle ne l'aurait voulu. Elle trifouillait ses cheveux et était clairement mal à l'aise. Elle espérait juste qu'ils ne se moquent pas d'elle.

"Les pégases sont parfaits pour les manèges et les loisirs. Il est plus sage et prudent d'en proposer la monte que de proposer de monter un griffon. Ils restent des chasseurs et leurs serres puissantes peuvent facilement tuer un homme. Alors un enfant... Je n'imagine pas les blessures que les serres pourraient infliger. Je me suis déjà fait attaquer. Il ne m'a pas raté, j'en porte encore les cicatrices aujourd'hui. Le médecin m'a dit que j'avais eu de la chance qu'il n'atteigne aucun organe vital."

Cela ne l'a pas découragé de continuer à faire ce qu'il fait. Au contraire, Escanor fait preuve de plus circonspection avec les griffons même connu. Et de mieux comprendre les réserves que peuvent avoir les griffonniers à l'idée de laisser des enfants approcher d'un griffon.

"Mon premier vol, je l'ai fait sur le dos d'un griffon qu'un ami de mon père possédait. Il était assez énorme pour porter un enfant et un adulte. Alors, j'ai eu un vol très bref avec son griffonnier. Ce qui était magnifique, c'était les sensations. Le souffle du vent. Les plumes et les poils sous nos doigts. Et la sensation sur un être vivant. D'une solidité à l'épreuve des vents. Le paysage de New Cresthill que j'ai vu d'en haut est flou dans ma mémoire, j'ai peur de ne me rappeler que de ce qu'il est aujourd'hui. Je n'avais envie que d'une chose. Ressentir à nouveau cette sensation."

"Eh bien... Cette pièce que je t'ai donnée est un pas supplémentaire en direction de ton rêve. Tu pourrais la changer en la monnaie de Delkhir chez un agent de change. Si tu le désires, je te ferai monter Alizée avec moi demain quand elle sera bien reposée."

Narantsetseg entendit la proposition de Monsieur Eventide et ne savait comment réagir. Elle, monter sur le griffon d'un autre ? D'un client qui plus est ? Ca n'entrait pas du tout dans ces codes. Ces deux hommes étaient bien gentils mais elle ne pouvait juste pas. Elle allait décliner mais Monsieur Galloway en rajouta une couche. S'ils voulaient, bien sûr qu'elle saurait faire la visite. Sa terre natale, elle la connaissait par cœur. Elle soupira avant de les regarder, l'un puis l'autre, les yeux brillants.

"Je... C'est avec plaisir que je peux vous faire visiter ce coin de Delkhir. Merci pour cette proposition, j'essaierai d'être la meilleure guide possible pour que vous ne regrettiez pas votre décision !"

Elle n'en croyait pas ce qu'elle vivait. C'était donc le lendemain le grand jour ? Le jour où elle volerait ? Cette nouvelle la surexcitait. Ces deux hommes n'étaient vraiment pas des visiteurs comme elle avait l'habitude de croiser. Elle leur en serait reconnaissante à vie.

Emee vint leur donner une infusion. La femme connaissait assez Narantsetseg pour se douter qu'il se passait quelque chose. La jeune palefrenière ne tenait plus en place et son calme habituel s'était changé en une excitation qui voulait sûrement dire quelque chose. Elle ne dit rien, souriant simplement, elle serait très certainement rapidement au courant.

L'idée du bougre n'est pas mauvaise ! Étant donné qu'il veut avant tout découvrir Delkhir,  cette solution n'est pas pour déplaire à Escanor. Engager la petite comme guide lui donnera une motivation supplémentaire à accepter le vol à dos de griffon.

Ça, par exemple, par Aëlia ! C'est une excellente idée Monsieur Galloway. J'ai hâte de découvrir la région demain ! Je suis sûre que tu connais des choses dont on n'a pas idée, nous autres étrangers, petite !  

Oui, j'ai un domaine à mon nom. J'essaie d'élever mes propres griffons.  Mais par le passé, je faisais mes sélections dans les écuries de mes sponsors. Ceux qui veulent m'apporter leur soutien financier pour les compétitions. Ce n'est pas donné quand on est roturier.

Les castes sociales bien hiérarchisées qui fonctionnent différemment d'un bloc à l'autre. Heureusement que les compétitions de griffons offrent une voie d'ascension sociale et financière pour les plus talentueux griffonniers et cavaliers.

Pour acquérir un griffon, il faut économiser au moins une Couronne d'or des Cinq cités, ce qui représente quatre pièces d'argent comme celle que je viens de te donner, petite. Le prix final se comptera en pièce  d'or peu importe le type de compagnon que tu recherches. Aujourd'hui, pour te donner un exemple,  Alizée vaut sans doute des centaines, peut-être même des milliers de pièces d'or avec son palmarès de course de griffons.

Pas simple, hein ? Et puis, il y a cette espèce de rencontre entre le griffon et le griffonnier. Je ne saurais trop l'expliquer. Un moment de partage ? De liens ? De respect ? Heuuuuuu....


J'ai pas les mots, merde. Ils s'envolent avant que je ne les attrape. Sacrés mots ! Haha !

La pièce que lui avait donné ce Monsieur Eventide valait tant de valeur ? Pourquoi lui donnait-il tant alors qu'elle ne le connaissait pas, qu'elle n'était qu'une petite employée d'une ferme dans laquelle il passerait sûrement une ou deux nuits avant de repartir et de ne peut être plus revenir ? De toute façon, il était maintenant trop tard pour refuser, et puis ils lui avaient demandé de les guider, alors elle tiendra sa parole. Narantsetseg prit la pièce dans la paume de sa main et la regarda. Alors ceci était le quart de sa dette. Avec ce qu'elle avait gagné jusqu'à présent elle allait pouvoir bientôt avoir son partenaire. Elle avait sûrement plus de la moitié, voir des deux-tiers. Son compagnon n'aurait qu'à bien se tenir.

Le mot partenaire vint dans conversation et cela la fit sourire. Ce sentiment, elle l'avait senti petite, quand elle avait créé ce lien avec Batu. Comme si plus rien n'existait autour. Ce nom lui rappelait des souvenirs heureux. Ce jour là était magique, elle se demanda comment allait ce monsieur âgé et le griffon. Batu devait être vieux maintenant, il devait vivre sa retraite tranquillement. Elle ne les avait jamais recroisé depuis, elle espérait de tout cœur qu'ils allaient bien tous les deux. Mais bon, elle espérait le ressentir une seconde fois, avec cette fois ci, son propre griffon. Aucune autre bête de l'élevage ne lui avait encore fait retrouver ce sentiment. Peut être que son futur compagnon n'était juste pas encore né.

La soirée continua tranquillement, Monsieur Eventide continuait de raconter ses histoires et Monsieur Galloway a poser des questions. C'était plutôt agréable pour Narantsetseg d'écouter et de rêver à ces propos. Lorsque la soirée se termina et que les deux hommes allèrent se coucher, elle n'en revenait pas. Ca y est, elle allait vraiment le faire. Elle allait pouvoir voler, et sur un griffon en plus. Elle ne tarda pas à tout raconter à Emee qui la gratifia d'un grand sourire et d'une petite tape amicale sur l'épaule.

"Tu as toujours bien travaillé ici, Nana, tu l'as bien méritée cette escapade. Tout travail mérite sa paie, et la voici."


La nuit fut courte pour la jeune employée de la ferme. Elle n'arrivait pas à fermer l'œil, trop impatiente. Elle tournait dans son lit et finit enfin par tomber de fatigue après plusieurs heures de cogitation. Elle se réveilla aux aurores, déterminée à passer la meilleure journée de sa vie. Elle se dépêcha d'enfiler sa tenue, se coiffa rapidement et sortit de sa chambre pour rejoindre la ferme en vitesse.

Narantsetseg était impatiente, elle se hâta à finir son travail, nourrissant les bêtes, nettoyant les boxes et passant à la pouponnière voir si tous les petits allaient bien. Elle ne lésina pas le nombre de caresses pour chacun d'entre eux mais finit assez rapidement ce qu'elle devait faire avant de rejoindre Monsieur Galloway et Monsieur Eventide qui l'attendaient avec leurs griffons respectifs. La jeune femme fut soulagée en les voyant. Ce n'était donc pas un rêve, elle allait vraiment le faire !

"Bonjour, les salua-t-elle en s'inclinant, j'ai fait le plus vite que j'ai pu ! J'espère que vous ne m'avez pas trop attendue !"

Elle flatta l'encolure d'Alizée et ôta son chapeau. Elle ne le retrouverait jamais s'il s'envolait, elle le posa plutôt dans le boxe du griffon. Alors que Monsieur Eventide lui fit signe de le rejoindre, elle posa les mains sur l'encolure de l'animal. Monsieur Galloway l'aida à grimper et elle s'installa sur le dos de la griffone.

"Ne suis-je pas trop lourde pour elle ? J'espère que ne vais pas la gêner."

Monsieur Eventide la certifia que non et Alizée se mit à galoper avant de déployer ses ailes. La jeune femme s'accrocha comme et où elle put. Avant qu'elle n'eut le temps de dire quoi que ce soit, le sol est déjà à plusieurs mètres de ses pieds. Le vent soufflait dans ses cheveux, elle osait à peine bouger. Le ciel est là, devant elle, et c'était si impressionnant. Si spectaculaire, si incroyable. Narantsetseg se détendit petit à petit, remarquant que tout allait bien. Elle lâcha un léger rire, enivrée par toutes les sensations qui venaient s'offrir à elle. Aujourd'hui était une belle journée, et c'était sa journée, plus rien ne serait plus pareil après ça. Elle aurait voulu que le temps s'arrête.

Monsieur Galloway et Sylphide s'approchèrent d'eux. Ils semblaient tellement à l'aise dans le ciel, tous les deux. L'homme lui demanda dans quelle direction aller. La jeune femme se rappela à ce moment là ce qu'elle faisait là. Elle était censée être leur guide après tout. Elle reprit ses esprits et pointa une direction, puis une autre. Sa voix était pétillante de joie.

"Par là-bas ! Nous ne sommes pas loin de la région des 6 lacs, je pense que ça doit être beau vu d'en haut. Et puis il y a la montagne aussi, à aller voir ! Ca doit être juste par ici !"

S'attelant aux préparatifs de vol au lendemain d'une soirée riche en histoires à dormir debout, Escanor s'assure que son griffon est bien hanarché. Il n'est pas question d'avoir un accident de vol avec un passagère ! Une fois satisfait de la selle, le New Cresthillois attend sa passagère du jour. Cette dernière est toute pimpante de l'excitation de voler pour la première fois et soucieuse des forces d'Alizée.

Il rassure la jeune Delkhiroise et l'invite à s'accrocher au décollage. Il est assez spectaculaire quand on est sur le dos d'un griffon pour la première fois. Une fois en l'air, l'autre griffonnier interroge sa passagère sur la direction à prendre.

"La région des six lacs ? Pourquoi s'appelle-t-elle ainsi ? L'onde des étendues d'eau est magnifique à voir surtout quand le soleil s'y reflète. On dirait des perles de lumière ! Allons-y ! Les montagnes ne se sauveront pas contrairement au soleil qui change de position dans le ciel au moment où on parle !"

"C'est un ancien site volcanique, les lacs se sont formés dans les cuvettes bien avant la dislocation. Puisqu'ils étaient rapprochés ça a créé huit lacs proches les uns des autres. Mais deux sont asséchés alors on l'appelle maintenant la région des six lacs."

Narantsetseg prenait son rôle de guide très au sérieux, mais découvrir le paysage vu d'en haut était dotant plus impressionnant. Alors qu'ils approchaient du premier lac, elle regarda cette étendue bleue perlée de reflets. Monsieur Escanor avait bien raison, c'était tout simplement magnifique à voir, la jeune femme en avait plein les yeux.

Intriguée, elle regarda Monsieur Galloway se rapprocher de la surface, faisant s'envoler les quelques oiseaux qui barbotaient dans l'eau. Les animaux d'ici étaient habitués à la présence des griffons dans le ciel, mais toujours impressionnés et ne restaient pas proches de telles bêtes. Elle vit l'homme arroser son griffon et se faire arroser à son tour avant de revenir vers eux. Une telle proximité était enviable, mais un jour il en sera de même pour elle.

"De gros poissons ! répondit-elle à sa question. Vous seriez impressionnés de voir leur taille je pense. Cela fait longtemps que je ne suis pas allée aussi loin mais nous pouvons y aller si vous le souhaitez !"

Son idée s’avère formidable ! Sous les reflets des deux soleils, l’onde des grands lacs est constellée de perles de lumières.  Il est extraordinaire de constater à quel point les deux soleils peuvent apporter une myriade de couleurs à l’environnement.  Les steppes se déroulent sous lui proposant bande par bande l’image toujours plus nettes des points à l’horizon. Des moutons. Des yourtes. Des bâtiments simples. Des troupeaux de rennes et de moutons.

Alors que Sylphide et son griffonnier s’amusent à s’asperger, Escanor contint son navire de les imiter. Il a un passager qu’il doit avertir et demander si elle souhaite vivre une telle expérience. Le but est d’en faire un rêve; Pas un cauchemar.

”C’est fascinant comme histoire ! Ça me rappelle une course où on nous a demandés de plonger dans la cheminée centrale d’un volcan. Qu’elle expérience de se précipiter dans la gueule d’un tel géant éteint ! J’ai du mal à croire qu’ils aient pu être si redoutés et craints de nos ancêtres avant la dislocation.  Ça semble impossible. Sur Isvall, on m’a racontés que ces volcans chauffaient des sources chaudes dans lequel leurs ancêtres se baignaient. Aujourd’hui, de ce que m’en a dit cet Isvallien, ils utilisent des roches chaudes à la place.

Les courses de griffons sont une raison formidable de voyager. Je vois du pays. Des nouvelles cultures. J’oublie de venir avec mes bagages alryonais pour devenir un découvreur  sans être encombré de mes propres idées. Quand je rentre à New Cresthill, je reviens avec de nouvelles choses  ! Ah ! Je pourrais en parler pendant des heures !”

Escanor demande alors à sa passagère si elle souhaite vivre une autre expérience.

”Souhaites-tu que je demande à Alizée de chasser un de ces poissons ? Il faudra être bien accroché, les griffons sont très rapides lorsqu’ils chassent. Mais j’avoue que marcher autour de la berge me plaît aussi bien.”