Learn to say goodbye [Alryon] ft Arkimedes

26/12/2022

La grande-tante, le cousin alcoolique, et maintenant les chats gris. Arkimedes haussa les épaules pour lui-même, ce qui le fit toussoter, ses muscles étant trop fatigués pour tousser réellement, et prit une inspiration sifflante. Il n'était plus à ça près ce soir, et il savait bien que l'esprit d’Églantine prenait son propre chemin. Il était inutile de prendre ombrage des parallèles parfois surprenants qui en ressortaient. Même s'il devait bien se l'avouer, il était toujours un peu vexé de cette histoire de fantôme. Une nouvelle gorgée d'eau soulagea sa gorge et emporta encore un peu plus loin le souvenir de son orgueil froissé. Les historiens ne peuvent se permettre d'être vaniteux.

Dans l'atmosphère jusqu'ici légère de la soirée, la question d’Églantine, et plus encore le ton qu'elle employa, le désarçonna quelque peu. Bien sûr, il était difficile pour elle d'envisager d'être séparée de sa famille sans en souffrir profondément. D'autant que l'anecdote qu'il avait raconté donnait une image déformée de son enfance. Craindre les serpents cachés dans les ombres du portique, avec un autre enfant comme compagnon de jeu, pour aller accomplir une petite bêtise au milieu de la nuit, c'était tellement plus... normal que ne l'avait été la réalité. Ses épaules se tassèrent, et il sentit malgré tout une boule de nostalgie gonfler dans sa poitrine.

Oh, le soleil de Kymara.

Il voyait l'agitation du marché, sentait l'odeur de l'huile vendue dans de grosses amphores et entendait au loin la clameur des discours sur l'agora. Même la pluie y était douce et tiède, il marchait dessous tête nue alors qu'elle lavait la poussière sur son visage et le reste du temps, le soleil impitoyable invitait à lire et parler à l'ombre. Les oliviers, le thym qui poussait entre les roche, la vigne à perte de vue. Aussi, le parfum musqué sur la peau dorée d'un jeune homme et des boucles noires qui s'enroulaient autour de ses doigts. Mais c'était un souvenir pour une autre fois.

Kymara lui manquait, pas sa famille. Pas ces gens sinistres, cupides, assoiffés de pouvoir, vicieux comme des vipères et plus dangereux qu'une meute de loups. Comment expliquer cela en douceur à Églantine? Il n'était pas exclu qu'elle réalise à cette occasion que toutes les familles n'étaient pas aimantes et soudées. Elle devait le savoir bien sûr, mais l'intégrer était très différent.

"Non." répondit-il, choisissant l'honnêteté. "Je suis nostalgique de ma patrie, mais pas de la maison de mes pères. Mes parents... mes parents ne sont pas des gens biens."

Il avala péniblement sa salive et dissimula cette marque de tension dans une petite toux, pour mieux la cacher. Ce n'était pas une bonne idée qu'il élabore, il n'avait pas envie de noyer une pauvre adolescente sous une vague de malversations politiques et de négligence d'enfant caractérisée. Arkimedes reprit sur un ton plus enjoué, avec la conscience que cela sonnait faux mais espérant que son amie aurait la finesse de comprendre qu'il ne voulait pas s'étendre sur le sujet:

"Donc je m'en tiens éloigné! Ça tombe bien de toute façon, j'ai toujours voulu voyager! Et toi, est-ce que tu envisages de quitter le nid? Avec un talent comme le tiens, tu pourrais vivre richement n'importe où."

31/08/2022

Qu'est ce que ça veut dire exactement, pas des gens biens ? Ca ouvre à de vastes possibilités. Est ce qu'ils noient des chatons ? Si mes parents noyaient des chatons je n'aurais pas envie de leur parler non plus. Alors je hoche la tête, j'ai envie de pousser un peu plus loin. Sans doute de la curiosité morbide. Mais quelque chose me retient, laisse ma langue de plomb dans ma bouche et mes lèvres parfaitement fermées. Alors je n'insiste pas. Peut-être une autre fois. Peut-être jamais.

Partir… Je n'y ai jamais vraiment pensé. Je sais qu'un jour certaines de mes soeurs quitteront le domaine, si elles se marient ou bien décident de poursuivre jusqu'au bout leurs passions. Bella, Crocus et Daphné partent de plus en plus souvent pour ça. Bella fait des aller retours pour ses commandes de portrait et de tableaux, elle assiste à des expositions et des salons artistiques seule, et je sais qu'elle tient à produire pour en dehors d'Alryon. Crocus se pavanne et prend des commandes de vêtements en passant par les salons, mais un jour elle veut que les gens finissent à venir vers elle pour une de ses robes ou vestes. Daphné joue elle aussi de plus en plus à l'extérieur, et elle prend des commandes de composition aussi. Mère et Astrance sont incroyablement fieres d'elles, et aussi du fait qu'elles commencent à être indépendantes financièrement. Pas qu'elles aient besoin de ça, nous avons largement assez d'argent pour satisfaire nos caprices et nos excentricités sans qu'il y ait un besoin de rentabilité.

C'est pour ça que je peux faire ce que je fais.

Je pose mon menton sur mes genoux, mes bras bien serrés contre moi. Mes orteils se plient et se déplient en rythme dans mes chaussons. Soudainement j'ai envie d'être très petite, de prendre le moins d'espace possible.

Mes soeurs ont des talents utiles. J'ai souvent l'impression de ne faire que des jouets puériles en comparaison des harmonies de Daphné, des drapés débordant de broderies de Crocus, des chefs d'oeuvres de Belladonna. Le beau n'est pas frappant dans ce que je fais. Il est comme invisible et je me demande parfois s'il n'est pas le fruit d'une illusion.

-Oui. Sans doute.

Je ne suis pas convaincue. Je pourrais vivre richement n'importe où, mais pas grâce à mon talent. Grâce à mon nom de famille, et la pension que ma famille voudra bien m'accorder. Dans le fond, je sais qu'il n'y a pas d'avenir pour une femme ingénieure à Alryon. Si j'ai un avenir il ne sera jamais dans ma patrie natale, auprès de mes soeurs. Et je crois… je crois que…

-Je crois que je suis en colère de devoir partir pour vraiment être… utile.

Les mots sont sortis sans que je les prépare, la prise autour de mes genoux est plus forte.

-Je ne veux pas partir. Je ne veux pas laisser mes soeurs et mes parents. Mais…

Mais une femme plus brillante que les hommes à leurs propres jeux ne sera jamais reconnue à Alryon.

Astrance me l'a déjà dit. Je n'avais rien répondu ce jour là. Peut-être que je n'avais pas compris, pas vraiment ce qu'elle me disait. Maintenant ses mots me frappent et j'en prend tout le poids.

-Mais une femme ingénieure à Alryon ne sera jamais prise au sérieux.

Je pense à toutes ces personnes et leurs regards étranges, leurs mots acides quand je parle de mes inventions, de mes projets. Parce que je suis une fille, parce que je porte une robe et les cheveux longs, je suis une écervelée qui fait mumuse avec des choses qu'elle ne comprend pas. Une idiote qui perd son temps et ne se lassera pas assez tôt de ses lubies infantiles. Je ne pourrais jamais rien produire d'intérêt, je ne pourrais jamais être qu'un ornement pour un salon.

Soudainement je suis en rage, et je serre tellement fort les dents que le goût du sang envahit ma bouche.

26/12/2022

Plus le silence durait, plus Arkimedes prenait conscience que ce qu'il avait voulu être une diversion innocente avait remué des choses dans le cœur d’Églantine. Il s'était attendu à écouter la jeune fille babiller joyeusement sur ses projets d'avenir avec la naïveté de la jeunesse, avec l'élan de ceux qu'on pousse à viser une lune fantoche pour les encourager à aller vers les étoiles. Au lieu de cela, elle resta prostrée, les yeux perdus, alors qu'une rage blanche contaminait son visage.

Bien sûr, il avait échoué à prendre en compte la misogynie du monde, semblable à une créature fantastique dont on lui avait parlé sans qu'il expérimente sa présence. Églantine, elle, avait vécu toute sa jeune vie en la sentant ramper dans les ombres derrière elle. Que répondre à cela? Il ne pouvait pas raisonnablement lui donner tord, pas plus qu'il ne pouvait la laisser s'enfoncer dans ce noir nuage de colère. Cette rage était un outil, pas une fin en soit: elle ne devait pas se laisser dominer par elle.

Pourtant, Arkimedes sentait une sourde colère répondre à celle d’Églantine: quelque part, à une échelle moindre, il savait ce que c'était d'être sous-estimé, méprisé par défaut, ridiculisé rien que pour avoir l'audace d'exister. Encore avait-il pu trouver, dans les différentes académies qu'il avait fréquenté, des gens qui portaient sur lui un regard différent: Églantine n'avait pas cette chance.

"Quand tu reviendras, ils ne pourront plus t'ignorer." son intonation se voulait encourageante, mais sa voix s'érailla comme celle d'un adolescent au milieu de sa phrase.

Pourtant il croyait profondément en ce qu'il disait, parce que c'était précisément ce qu'il se souhaitait aussi à lui-même. La toux le reprit, une fois de plus, secouant ses os au point qu'il cru les entendre cliqueter.

"Tu va ouvrir la voix, Églantine. Celle qui te suivrons n'auront qu'à piétiner la poussière de ceux qui n'ont pas cru en toi." reprit-il d'une voix essoufflée. C'était fort martial, mais ainsi s'exprimait les orateurs sur l'agora et cela avait toujours semblé galvaniser la foule.

31/08/2022

Je crois bien que je n'ai jamais entendu Arkimedes parler avec une telle véhémence. Dehors la pluie reprend, les lumières de l'âtre dansent sur le visage de mon tuteur. Elles viennent couper les ombres de la nuit et rendre un effet saisissant sur son visage, un contraste drastique et aigüe d'ombres et de lumière. Il est si pâle et l'effet le rend comme… éthéré. Oui, en fait il ferait un très bon fantôme. Pas besoin de le comparer à la grande-tante Jézébel ou à l'arrière cousin Bartholomé pour ça.

Il y a une ferveur dans sa voix qui ne saurait être feinte. Je ne suis pas douée pour lire les gens, enfin si. Je parviens à décompenser leurs mouvements, la mécanique de leurs corps, mais leurs émotions, ce qui se lit sur les visages, les inflexions des voix… C'est plus compliqué, ce n'est pas un langage clair, quelque chose de fiable comme un calcul ou les engrenages d'une machine. Mais là je n'ai aucun doute sur la sincérité d'Arkimedes, ce ne sont pas des mots creux ou lancés au vent.

J'ouvre la bouche, et je sens l'air passer sur l'intérieur de mes joues, je me suis mordue bien plus fort que ce que je pensais. Je sens un mélange de sang et de bave qui vient couler depuis la commissure de mes lèvres le long de mon menton.

Je reste un moment silencieuse, la bouche ouverte et le sang continuant de couler. J'analyse la situation avant de m'adresser à Arkimedes.

-Je crois que je me suis mordue un peu fort.

Depuis les fenêtres un flash aveuglant de lumière pénètre, suivi quasi immédiatement d'un grand fracas. Pour un peu je sentirai le sol et les murs trembler.

26/12/2022

Son coup d'éclat avait laissé Églantine pensive, mais Arkimedes n'y vit pas une mauvaise chose: c'était son rôle, autant comme précepteur que comme ami, de lui donner de quoi réfléchir. Particulièrement concernant des sujets aussi lourds et graves que la manière d'aborder un monde qui vous juge indésirable. Ce ne fut que lorsqu'il tourna la tête pour voir ce que disait son visage qu'il comprit que les raisons du silence de la jeune fille n'était pas si constructif qu'il l'avait pensé.

Une affreuse seconde, il cru lui avoir transmis l'affreuse infection qui lui rongeait la poitrine, et qu’Églantine à son tour, vivait sous la menace de s'étouffer dans son propre sang. L'information rassurante qu'elle lui communiqua n'eut pas le temps d'atteindre son cerveau, alors que l'orage se manifestait bruyamment à l'extérieur. De frayeur en frayeur, Arkimedes resta un instant figé comme un grand cheval maigre refusant de passer un fossé. Lentement, son esprit parvint à rationaliser les informations et à les dissocier de l'ambiance fantomatique de la soirée.

Églantine s'était mordue la joue. La tempête revenait. Rien de tout cela n'était grave: ils étaient au chaud et au sec, en sécurité. Une fois qu'il eut enfin reprit le contrôle de lui-même, le jeune homme sauta sur ses jambes, ajustant son himaton de fortune pour préserver leurs pudeurs respectives et s'empressa d'aller fouiller dans un buffet pour trouver une serviette de table. Il trouva un torchon à carreaux au bout du troisième tiroir fouillé et jugea que ce serait suffisant pour débarbouiller la grande blessée.

"Tiens. Il faut appuyer sur la plaie, mais à l'intérieur de la joue ça me paraît délicat." dit-il en s'accroupissant devant elle, comme on le fait des enfants aux genoux écorchés. "Est-ce qu'il faut que je réveille madame York ou Astrance?"

Dans le cas contraire, il était certainement temps de retourner se coucher. Arkimedes sentait que sa tête pesait de fatigue et de fièvre sur ses épaules.

31/08/2022

Je presse le torchon à l'intérieur de ma bouche, heureusement pour moi il est propre et relativement sans autre parfum que le goût du tissu et de la lessive à la soude qui a été utilisée pour le laver. Par contre, avoir un bout de tissu pressé contre l'intérieur de ma bouche et prenant une place où il est supposé ne pas y avoir de torchon rend la tâche de m'exprimer un peu compliquée.

-Mergchi. Nochn. Che pengche chil esth tenghch dche rechtournger dchormir.

Je crois que je m'en suis pas trop mal sortie. Et je pense effectivement qu'il est tant, ne serait ce que parce que le teint d'Arkimedes se rapproche encore beaucoup plus de celui qu'à dû aborder l'arrière cousin Bartholomé quand on l'a ressorti du puit aprs la nuit et la matinée qu'il avait passé dedans.

26/12/2022

Arkimedes cilla face à la ratatouille de mots à demi inaudibles que venait de lui servir Églantine. La lumière fantomatique d'un éclair éclaboussa vivement la cuisine sans qu'il parvienne à traduire ce qu'elle venait de dire.

"Églantine, je parle trois langues vivantes et au moins autant de langues mortes et je n'ai quand même rien comprit à ce que tu as dis."

Il avait beau persifler, le jeune homme avait bien saisi l'idée et se redressa, tendant la main à son amie pour la relever.

"Je suis heureux que nous aillons pu encore parler un peu avant mon départ. Il faudra que tu vienne me voir à Jhareel. Certaines de leurs technologies pourraient vraiment t'inspirer."

Arkimedes se sentait plus en paix avec son départ qu'au début de la journée. Tous et toutes semblaient avoir digéré l'idée.

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