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[Ryoshima, février 156] On ne parle pas aux inconnus! [Avec Shimada Akio]

Hirano Soma
Hirano SomaRyoshima
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[Ryoshima, février 156] On ne parle pas aux inconnus! [Avec Shimada Akio] EmptyMer 24 Avr - 14:30
Harumi ne suivait pas trop ce que Madame Okumura et son drôle de visiteur se racontaient. Elle était un peu trop loin et au fond, elle s'en fichait: elle avait déjà décidé qu'elle n'aimait pas cet inconnu. Aussi, elle se contentait de l'observer par en dessous, son petit visage chiffonné de contrariété alors qu'elle jouait distraitement avec une figurine de cheval en bois, assise dans la poussière. Madame Okumura, une petite vieille femme replète d'une soixantaine d'années, avait depuis longtemps fini de suspendre son linge, elles auraient dû rentrer. La fillette ne comprenait pas ce que cet homme avait de si intéressant pour les empêcher de se mettre au chaud.

Il avait les yeux clairs, c'était joli, mais pas assez pour vaincre la méfiance instinctive d'Harumi. Madame Okumura semblait pourtant détendue, et discutait avec le visiteur par dessus la clôture du jardinet, à peine aussi haute que les épaules d'un adulte. La fillette soupira, et son attention se détourna un instant: elle voyait sa propre maison par dessus les barrières alignées des arrière-cours, juste au bout de la rue. Elle avait froid aux pieds, voulait son père et rentrer chez elle. Même elle savait qu'il ne fallait pas parler aux inconnus, comment Madame Okumura pouvait-elle l'ignorer? Harumi atteignait un point de saturation, de ceux qui font en général pleurer à gros sanglots les petits enfants comme elle.

La fillette se redressa prestement, et alla se suspendre au kimono de sa nourrice pour rappeler son existence et mendier un peu d'attention. Madame Okumura se pencha vers elle, lui pinça gentiment la joue et finalement la souleva dans ses bras. Harumi fut un peu soulagé de sentir ses pieds quitter le sol froid, et de partager la chaleur de la vieille dame qui se transmettait à son petit corps engourdi.

"Regarde Harumi, l'ami de ton papa est venu vous voir!" s'exclama-t-elle pour détourner son attention de la grosse contrariété qu'elle sentait monter chez sa petite protégée.

En effet, la surprise coupa nette son envie de pleurer. Son père n'avait pas beaucoup d'amis, aussi elle avait déjà souvent vus chacun d'entre eux. Et cet inconnu n'en faisait pas partie. Ses yeux se plissèrent, alors qu'elle le regardait à nouveau et finalement, sûre de ce qu'elle affirmait lança:

"Je dois pas parler aux inconnus."

Madame Okumura se répandit en excuses, tout en ramenant Harumi vers la maison, faisant signe au visiteur de contourner l'habitation avec l'intention de le laisser entrer par la porte avant. Sitôt entrée, la vieille femme posa la fillette et lui fit les gros yeux, en allant ouvrir à l'inconnu. Harumi n'avait pas l'intention de céder si facilement et l'y suivi, passant la tête entre sa jambe et le linteau pour regarder à l'extérieur. Ce qu'elle vit dans la rue la soulagea immensément: à quelques dizaine de mètres derrière le dos du visiteur, la silhouette de son père se dessinait. La fillette se tortilla vivement et réussi à sortir.

Sans réfléchir, elle couru vers lui. Il s'accroupit pour arrêter au vol la petite créature frissonnante de froid, et le sourire qui s'était dessiné sur son visage s'effaça en voyant la contrariété de sa fille. Avant que Soma ait eu le temps de lui demander ce qui lui arrivait, Harumi s'était retournée pour regarder l'inconnu debout avec Madame Okumura devant la porte de la maison. Le garde souleva l'enfant et se redressa, pour se diriger vers eux à grands pas, alors qu'elle jetait les deux bras autour du cou de son père, rassurée. A son expression, Harumi voyait bien que lui non plus, n'aimait pas la tête du visiteur.
Shimada Akio
Shimada AkioRyoshima
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[Ryoshima, février 156] On ne parle pas aux inconnus! [Avec Shimada Akio] EmptySam 27 Avr - 20:34
C’était le genre de mission dont Akio se serait bien passé.
Surtout en ce moment. Surtout quand, dès son retour d’Alryon après les fiançailles de l’aînée York, il avait découvert coup sur coup à son logis ces deux lettres au tranchant de guillotine qui l’avaient laissé sans souffle, hagard, gelé comme s’il avait dû dormir une nuit d’hiver sous un bosquet trempé par l’orage. Une de Yosano, une de Zane. Dans quel ordre, il l’ignorait du fait de sa précédente absence, mais elles se répondaient l’une l’autre d’une manière qu’il avait tout de suite exécrée et qui, instillant en lui l’horreur la plus abjecte, avait noyé ses veines d’un fiel glacé. Sans qu’il ne pût l’anticiper, la réalité de sa condition l’avait donc rattrapé de la pire des façons, au point qu’il lui fallût de longues minutes pour enfin recouvrer un calme apparent et le silence à l’intérieur de son esprit, après quoi il déchira le message de son maître puis le jeta dans l’âtre éteint du poêle, conserva avec amertume celui de son amie et ressortit aussitôt en direction de la maison de courtisanes avant même de défaire ses affaires de voyage.
Trois jours plus tard, il sentait encore son âme à vif palpiter à la faveur de la nuit, l’arrachant au repos jusque tard — ou tôt, si l’on considérait plutôt le temps qui le séparait de l’aube — et aucun pinceau ne sût lui apporter le moindre éclat de réconfort. Il ne les toucha d’ailleurs pas, ne les regarda qu’à peine, sinon avec aigreur, dégoût, presque. Ainsi qu’une pointe de mépris qu’il savait dirigée uniquement contre lui et lui seul. Corrodé par ces sentiments qui ne pouvaient trouver d’exutoire immédiat, condamné à suivre les nouvelles directives de son vieux mentor afin de faire taire ses propres affres, il avait alors été amené à s’engager auprès d’un fonctionnaire de la Cour impériale désireux de récupérer la preuve d’un passif peu recommandable — pas qu’il l’eût exprimé de vive-voix, mais les ongles d’Akio n’eurent pas à gratter bien longtemps le faciès reluisant pour y dénicher trace de poix — dont un garde de cette même Cour était en possession et que celui-ci utilisait afin de faire chanter celui-là. Typique de ces flippettes de puissants. Le genre d’affaires qui fleurait bon le rat, quelle que fût l’orientation du vent, quand il aurait donné jusqu’à ses dernières couronnes pour enfouir une ultime fois son museau dans le cou de Yosano, loin de ces manigances dérisoires qui ne le concernaient en rien.
Sauf qu’il n’en avait plus le droit.

Rassembler suffisamment d’informations en vue de protéger ses arrières lors de la phase d’action lui prit néanmoins quelque temps, de quoi l’empêcher de se morfondre et rincer son trouble à grandes eaux ; le bureaucrate ayant préféré ne pas trop en révéler sur les raisons qui l’avaient jadis enjoint à signer une reconnaissance de dettes, Shimada dut par conséquent se retrousser les manches deux fois plus, et dans deux directions opposées, de sorte qu’après avoir récolté le maximum de renseignements sur sa cible autant que sur son client, il en vint à se demander si, en fin de compte, ledit garde n’avait pas eu raison de se livrer à pareil chantage. Enfin. On ne lui réclamait pas son avis, rien que son obéissance — il n’était ni juge ni journaliste, juste espion.
Et ami, en l’occurence ; du moins fut-ce en ces termes qu’il s’introduisit auprès de cette vieille dame qui l’avait alpagué pendant qu’il étudiait la façade du domicile Hirano, à l’affût d’une ouverture pour s’y introduire en l’absence de ses habitants. Le plan initial relevait en effet du basique : profiter de l’emploi du temps de sa cible pour visiter sa maison et mettre la main sur les documents incrimants. Simple, discret, anonyme. Puisqu’il avait affaire à un soldat aux pattes plus grises que blanches, résidant de surcroît dans une masure guère plus vaste que la sienne, il en aurait vite fait le tour et exploré les endroits les plus propices pour dissimuler des papiers douteux — sous les tatamis, par exemple. Le plan initial bis impliquait l’aide d’une tierce personne, potentiellement un élément perturbateur comme un voisin ou le propre enfant de Hirano, une fillette dont la mère était, selon les rumeurs du quartier, décédée en couches. Quelqu’un qu’il aurait été facile de duper, en somme, et capable de faire entrer le chat après l’avoir aperçu gratter à la porte. Or, il faut croire que Madame Okumura appréciait les félins, surtout ceux aux yeux verts, car elle ne se méfia guère de celui-ci lorsqu’il lui fit comprendre qu’il était en avance sur l’horaire de sa visite et qu’elle serait des plus aimables de lui permettre de patienter à l’intérieur en attendant le retour de « son ami de Fujinokawa ».

Tout le contraire de la gamine, en revanche, qui comme tous les enfants de son âge ne prit pas la peine de cacher son dédain pour cet inconnu aux cheveux trop longs à qui elle refusa, de ce ton cru et dénué d’arrière-pensée, d’adresser la parole à la seconde même où elle le faisait. Une risible contradiction, prompte à faire sourire Akio sur le masque attendri de ce gentil visiteur venu d’ailleurs, mais qui dans l’ombre de son rôle ne lui évoquait qu’une moue insensible. Il accepta cependant les excuses de la grand-mère en lui rendant conciliant ses courbettes, tout en sympathie affichée, après quoi il la suivit le long du muret jusqu’à l’entrée du logis Hirano, prêt à en fouiller les recoins dès qu’elle aurait le dos tourné. Il n’en eut toutefois pas le loisir ; le battant coulissant ne s’était pas déjà ouvert que la petiote fila d’entre les jambes de l’aïeule à la rencontre de son père, debout au bout de la rue, non sans emporter avec elle les restes arrachés du plan bis. Rigide sur le seuil, Shimada laissa échapper un bref soupir intérieur. En route pour le plan ter, dans ce cas, mais pas sur place ni dans le jardin ; il fallait à présent convaincre ce paternel de lui ouvrir sa demeure, alors même qu’il allait très bientôt sauter aux yeux de Madame Okumura qu’elle avait été trompée par ce matou aux iris marécages. Lequel profita des quelques secondes de répit avant que sa cible ne les rejoignît pour se tourner vers elle avec un air sincèrement navré.
« Soyez remerciée pour votre diligence, Okumura san. Vous pouvez nous laisser à présent ; je crains que nos retrouvailles n’aient pas le goût de joie escompté et qu’elles ne vous soient pénibles à entendre... »
Elle n’avait pas reculé dans une courbette affectée, une expression mi-désolée mi-incrédule sur le visage, que l’espion s’était détourné vers le nouveau venu et, devançant des salutations qui n’auraient pour sûr rien d’amical, se glissa en un battement de cils dans une variante plus sobre de son rôle, plus solennelle, aurait-on dit, tandis qu’il s’inclinait avec dignité.
« Bon retour chez vous, Hirano san. J’ai à vous parler. »
Hirano Soma
Hirano SomaRyoshima
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[Ryoshima, février 156] On ne parle pas aux inconnus! [Avec Shimada Akio] EmptyMer 1 Mai - 12:17
A la fin d'une longue journée pénible à faire le planton devant une porte, gardant quelque chose dont on avait depuis longtemps oublié pourquoi elle valait la peine d'être surveillée, la perspective de son bonheur domestique était toujours ce qui empêchait Soma de traîner les pieds pour rentrer. En traversant les rues, alors que le printemps approchait à tous petits pas prudents, il planifiait la fin de sa journée comme n'importe quelle ménagère. Malgré toutes ses protestations, il n'était jamais parvenu à empêcher Madame Okumura de faire du ménage quand elle gardait Harumi mais il aimait faire toutes les petites choses qui restaient forcément quand un enfant en bas-âge vivait dans le foyer.

Dans un coin de sa tête palpitait tout de même l'idée désagréable de cet ordre de mission qu'il venait de recevoir: on avait besoin de renforts à Fujinokawa. Dans deux mois aurait lieu une grande course de pégases à laquelle assisteraient tous le gratin des Cinq Cités. Cela lui semblait une idée franchement fumeuse alors que les cadavres de l'attentat du théâtre avaient à peine fini de refroidir, mais Soma n'était qu'un modeste garde et tout le monde se fichait bien de son avis. Le véritable drame était de laisser Harumi à la garde de Madame Okumura pendant ce temps-là. Ce n'était que pour quelques jours, mais il ne se rappelait pas d'avoir déjà été si longtemps séparé d'elle.

Restait que Soma avait deux mois pour préparer son départ, il avait prévu d'arranger la garde de sa fille dès son arrivée à la maison. Il n'avait aucun doute sur le fait que Madame Okumura accepterait, puisqu'il prendrait de toute façon en charge les frais et que sa vieille voisine idolâtrait Harumi presque autant que lui. Toutefois, si aventureuse que soit la fillette, il préférait commencer tôt à la préparer psychologiquement à ce moment. Si ce n'était pas lui qui avait besoin de l'être, toutefois, une question qu'il n'avait pas encore tranchée. Il arrivait au bout de sa rue quand une petite furie en kimono vert se précipita vers lui. Soma la souleva dans ses bras et la serra contre lui, peut-être un petit peu plus fort que d'habitude.

Il cru que c'était cela qui avait contrarié sa fille, peut-être lui avait-il fait mal, mais il comprit bien vite en suivant son regard. Le point commun entre le métier de loubard et de garde impérial était certainement le besoin d'être capable de reconnaître un individu dangereux au premier coup d'œil. C'était donc un talent qu'il n'avait jamais perdu et Soma était donc absolument certain que le type qui faisait la conversation avec Madame Okumura était capable de faire passer un tigre pour un chat domestique. Il leva le menton, prêt à s'énerver, alors que l'inconnu se payait en plus le luxe de congédier sa voisine à sa place. Sa fille toujours dans les bras, Soma se dirigea vers sa porte en décrivant en arc de cercle, pour ne présenter à l'inconnu ni son profil ni son dos.

Il posa Harumi au sol et lui ordonna sur un ton faussement jovial:

"Va te réchauffer près du feu, tu vas te changer en glaçon!"

Malheureusement pour lui, Soma n'avait pas élevé une sotte. La fillette resta plantée là, à ses pieds, un regard inquisiteur sur son petit visage juvénile. Il fronça imperceptiblement les sourcils, et l'enfant compris finalement qu'il ne plaisantait pas du tout, puis fila se mettre à l'abri à l'intérieur. D'un geste sec, le garde impérial ferma à moitié la porte coulissante, de façon à pouvoir garder les oreilles, sinon les yeux sur Harumi, tout en faisant comprendre à l'inconnu qu'il n'entrerait pas. Il reporta son regard vers l'homme, qu'il fixa intensément pendant une seconde avant de répondre à son salut en courbant brièvement la nuque. Hors de question de se mettre en position de faiblesse face à cet homme.

Il ne pouvait pas être certain qu'il ne représentait pas un danger physique pour l'instant: le garde avait vu un certain nombre de freluquets dans son genre qui étaient de redoutables combattants. S'il n'était en apparence pas armé, Soma ne savait que trop bien à quel point il était facile de cacher des lames dans ses vêtements. Il s'appuya dans l'ouverture de la porte, fit mine d'ajuster son sabre sur sa hanche, juste pour souligner qu'il était armé, puis croisa les bras.

"A qui ai-je l'honneur?"
Shimada Akio
Shimada AkioRyoshima
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[Ryoshima, février 156] On ne parle pas aux inconnus! [Avec Shimada Akio] EmptyVen 3 Mai - 14:34
De toutes les informations qu’Akio avait récoltées avec minutie sur sa proie du moment, il en était une, cruciale, qui lui échappait encore. D’elle découlait beaucoup de choses, depuis les premières paroles à venir jusqu’à la finalité de sa présence ici, seul, uniquement armé au fond des manches de son éventail en papier et d’un faux-document qu’il ne révèlerait que si nécessaire, en passant par l’orientation même de cette discussion dont l’incipit muet en disait déjà long sur le niveau de sympathie alloué dans chacun des camps adverses. Nul, donc. Qu’à cela ne tienne ; notre espion n’avait pas le goût de se montrer affable, sinon en toute artificialité, et qu’il dût composer avec une vieille dame ou une fillette ne lui avait guère adouci le cœur lorsqu’il fallut saluer le soldat de retour au bercail. Au demeurant, l’on n’aurait pas pu faire plus opposé que ces deux-là ; un combattant et un peintre, un sportif et un intellectuel, un père de famille et un orphelin de père, un chien de garde fidèle à l’Empereur et un chat de gouttière au maître perfide, et que l’on examinât leur passif ou leur actif on n’y trouverait que des lignes parallèles deux à deux, incapables de se croiser en aucun lieu même à l’extrémité du monde connu, à l’exception, notable, d’une perpendiculaire oubliée, enfouie sous la surface de leur trame respective. Car ils se rejoignaient sur ce détail, certes pas des moindres mais point de ceux qui les verraient se serrer la main d’un air entendu, qui faisait d’eux des menteurs.

Cela dit, là n’était pas la faille recherchée par Shimada. Lui savait d’emblée qu’il n’avait pas affaire à un innocent paternel aux doigts immaculés, et que celui-ci possédât des casseroles plus nombreuses ou plus bruyantes que les autres le rangeait simplement dans la catégorie des petites gens au passé regrettable comme il en avait souvent rencontrées durant ses années avec Zane. Des casseroles à présent soigneusement empilées sur la plus haute étagère de la cuisine, inaccessible à qui ne lèverait pas assez la tête et le bras — planque dangereuse où même un félin ne s’aventurerait pas si l’on ne l’y avait incité. Non, ce qu’il devait apprendre en premier lieu tenait à la propre connaissance du soldat vis-à-vis de lui-même : avait-il été déjà aperçu, connu ou reconnu, son nom avait-il filtré, sa profession, sa nature ? Lui était-il permis d’user d’un pseudonyme ou serait-il contraint de recourir d’office à son identité publique ? Que Hirano ignorât tout de lui l’arrangerait à l’évidence, cependant le peintre s’était exposé au palais de villégiature en compagnie de Yosano fin décembre, aussi pouvait-il craindre d’avoir marqué la mémoire de ce gardien ne serait-ce que par son apparence un brin moins conventionnelle que celle de ses congénères. Ainsi fût-il des plus attentif à la façon dont sa cible se rapprocha, aux émotions lisibles sur son visage froissé de méfiance, à l’écart méticuleux qu’elle effectua pour pénétrer dans la bâtisse sans le laisser penser qu’elle l’y invitait en toute candeur. Akio n’en prit pas ombrage : entretenir la conversation sur le palier ne la rendrait pas moins désagréable et le froid de cette fin février se reflétait déjà trop dans son humeur pour le gêner. Par ailleurs, il arrivait toujours à bouger ses orteils. Le confort s’arrêtait là — juste suffisant.

La petite — Harumi, avait annoncé Madame Okumura — ressemblait désormais à un chiot mécontent qui n’attendrait que la permission de japper sur le matou dès qu’il oserait franchir la porte. Matou dont les mornes prunelles ne lâchaient pas son père, comme s’ils s’étaient d’ores et déjà lancés dans une joute muette pour jauger l’autre, se baissèrent vers le fourreau à son flanc puis revinrent se planter dans les gemmes d’onyx qui le scrutaient sans scrupule. Il n’oserait rien de brutal devant sa propre fille. Pas s’il n’était lui-même, ou elle, menacé physiquement. N’importe qui y verrait sans conteste l’image émouvante d’un parent protégeant son rejeton ; aux yeux d’Akio, il y avait là levier, pression ou chausse-trape, selon les circonstances. Des outils manipulables, à son instar. Mais dans l’immédiat, Shimada préférait ne pas y avoir recours et opter pour l’instauration de la confiance, fût-elle précaire.
« Je m’appelle Shimada et je suis ici au service de Sa Majesté impériale, déclara-t-il d’une voix égale, plaçant ainsi sa première pierre noire sur le plateau. Vous n’êtes pas sans savoir que les événements du théâtre à Fujinokawa font depuis décembre l’objet d’une enquête de grande ampleur afin d’identifier de potentiels intermédiaires. L’on m’a engagé pour étudier les différents réseaux et individus susceptibles d’avoir pu servir d’aide ou de relais. » Deuxième pierre noire. Un tac sonore sur le bois de la grille. « Accepteriez-vous de collaborer à cette entreprise en répondant à quelques questions ? »
S’il s’incline d’un cran, avec courtoisie, ce n’est que pour mieux rajouter une couche de vernis à son jeu d’agent irréprochable.
Et inoffensif.
Hirano Soma
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[Ryoshima, février 156] On ne parle pas aux inconnus! [Avec Shimada Akio] EmptyLun 6 Mai - 19:13
Derrière lui, Soma entendit le bruit caractéristique d'un tiroir qui grinçait, celui où étaient rangés les affaires de dessin d'Harumi. Des bruits de petits pieds nus sur le tatami, puis le silence: il savait sans avoir besoin de se retourner qu'un nouveau "chef-d'œuvre" l'attendrait quand il se serait enfin débarrassé l'importun. Il aurait voulu s'en défaire tout de suite, avec quelques bons coups du fourreau de son sabre, mais certainement pas dans une rue peuplée de familles, avec des enfants qui jouaient au ballon à peine dix mètres plus loin et sa propre fille à proximité.

Shimada ne se fit pas prier pour se présenter, mais cela ne suffit pas à dégonfler Soma, qui leva plus haut le menton encore. Ce n'était pas comme si c'était l'empereur lui-même qui se présentait à sa porte. Aussi loin que le savait l'administration impériale, il était un garde dévoué aux états de service impeccables. L'annonce de l'enquête le laissa un peu moins serein, et Soma se demanda si le fonctionnaire avait vu sa confiance vaciller malgré son visage impassible. Avant d'avoir vraiment réfléchi, il répondit fermement:

"Si vous y tenez, mais j'y étais pas, au théâtre. Je suis resté en garnison au palais, ici."

En parlant, il s'efforça de mieux regarder Shimada mais il était certain de ne jamais l'avoir vu par le passé. Il était bien loin d'avoir un visage quelconque et les yeux clairs étaient rares par ici, Soma était certain qu'il aurait mémorisé ce détail chez l'homme s'il l'avait déjà vu. Mais c'était bien insuffisant pour l'accuser d'imposture, l'administration impériale était une véritable fourmilière, le garde ne prétendait pas en connaître tous les membres. Restait que, s'il était touché par une investigation qui concernait un événement auquel il n'avait pas assisté, il n'y avait que deux possibilités. La première était juste désagréable, la seconde lui donnait les mains moites.

Soma était physiquement proche de l'empereur, et originaire de Fujinokawa: il n'y avait pas besoin d'être un grand intellectuel pour faire le lien et justifier une investigation. Il serait contrarié par le principe, mais comprenait la démarche. La seconde, c'est qu'une information sur son passé avait fuité et qu'un piège était en train de se refermer autour de lui sans qu'il en ai encore conscience. Shimada avait, en tout cas toute autorité sur le garde. C'était un fait, Soma était en position de faiblesse, il n'avait pas d'autre choix que de se plier au questionnaire. Ce n'était pas pour autant une raison de rendre la chose facile, il était toujours hors de question de laisser l'homme entrer.

Et encore moins de rentrer obligeamment dans la petite case que lui tendait le fonctionnaire pour mieux lui lécher les geta.

"Aaaah!" s'exclama-t-il, comme s'il venait d'avoir une illumination, avant d'ajouter, laissant paraître son indignation, pas trop fort pour ne pas alarmer Harumi: "C'est parce que je suis de Fujinokawa, pas vrai? Maintenant, on est tous des traîtres et des brutes pour vous, hein?"
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