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La confusion vous va si bien | Ryoshima — été 155. [Yosano, Akio]

Ariel Bailey
Ariel BaileyNova Terra
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La confusion vous va si bien | Ryoshima — été 155. [Yosano, Akio] EmptyMar 27 Fév - 23:22
En s’essuyant le front avec son mouchoir de poche, Ariel se demande pour ce qui doit être la centième fois comment les ryoshimais font pour supporter un temps pareil tous les étés. Et comme tous les étés auparavant, il se demande comment il a bien pu oublier un sentiment pareil. Comment oublier le poids de l’air dans ses poumons et contre sa peau, l’humidité, la sensation de poisse sur sa peau après le moindre effort. Le bon côté, c’est que, contrairement à Jhareel, l’été ici ne le suivra pas plusieurs semaines après son départ. Ces soleils-là, le blond s’en rappelle encore...
S’il veut échapper à la moiteur ambiante, autant finir ses emplettes au plus vite. La liste n’est pas très longue : une livraison à une couturière, quelques boutiques de produits régionaux et rendre visite à un atelier. Sa commande n’est pas encore prête mais la doyenne est toujours si chaleureuse qu’il voulait lui ramener un petit quelque chose de ses derniers voyages. En y repensant un instant, la boîte de friandises va probablement attirer l’attention de toutes les artisanes. L’effervescence sera rafraichissante après son voyage en solitaire. Sa valise à la main, il se met en route pour son premier arrêt.  Le reste de sa petite liste de destinations est éparpillé un peu partout dans la Cité-Capitale. Le chemin sera long et sinueux pour tout faire, mais les longs kimonos des passants colorent les rues. La lumière dans les cheveux d’un jeune homme pressé tandis qu’il dépasse Ariel. Oui, c’est une excellente journée qui commence.

Sa valise serrée contre sa poitrine, le souffle court, le grand blond s’efforce de ne pas trébucher sur les pavés glissants. La pluie ruissèle dans son dos, colle ses cheveux contre son front et sa nuque. Le port est encore loin, surtout à pied, surtout sous l’assaut constant des lourdes gouttes. Et le vendeur de thé qui lui lançait un regard insistant en précisant de bien garder les feuilles au sec ! C’était pour ça ! Fichue pluie ! Fichue saison ! Fichu port toujours si loin de tout ! Plutôt que de rouspéter, la priorité serait de protéger ses achats. Et son nécessaire d’écriture ! Pourvu que le début de sa prochaine lettre n’ait pas pris l’eau. Il lui faut à tout prix un abri.
Là ! À une dizaine de mètres, il voit un homme sortir de ce qui semble être un commerce. En tout cas, c’est ce qu’espère Ariel, la main sur la porte. Pourvu qu’il n’ouvre pas la maison de quelqu’un...
Pas le temps d’imaginer le pire ou de douter, il a des affaires à mettre à l’abris ! Un pardon et un bonjour lancé à l’aveugle, c’est en croisant un peu les doigts que le jeune homme passe la porte et la referme derrière lui, comme pour donner un air de finalité à son entrée. Il est enfin au sec, rien ne pourra le renvoyer sous l’eau avant un petit moment de répit.
Pourtant, il n’ose pas s’avancer plus. Et si c’était bien une maison. Est-ce qu’on pourrait le prendre pour un voleur ? Oh, non, non, quelle mauvaise idée. Bien sûr qu’on va le prendre pour un voleur ! Si un inconnu ouvrait la porte de chez lui et se permettait d’entrer sans rien dire, il penserait aussi à un voleur.
Mais il s’est excusé, il a dit bonjour. Ce serait le voleur le plus poli jamais croisé. Seulement, le battement de la pluie contre le toit, contre les murs, est si fort même à l’intérieur. Pourquoi il s’est excusé avant d’entrer ? Peut-être que les propriétaires ne l’ont pas entendu.
Il aperçoit du coin de l’œil une petite femme, peut-être la maîtresse de maison. Il n’ose pas bouger. Elle le regarde. Il la salue. Et si c’était son mari qu’il vient de voir sortir ?
Il essaye de se faire plus petit autour de sa valise, moins effrayant. Quand il relève les yeux vers la petite dame, elle n’a pas l’air alarmée. Elle semble... intéressée ? C’est lorsqu’il entend parler d’argent qu’Ariel sent ses épaules se dénouer. Tout va bien, tout va bien ! C’est probablement une auberge.

D’un hochement de tête, il règle son séjour, tout sourire et sans vraiment écouter, trop hébété par son soulagement. Il ne prête même plus attention à la traînée d’eau qu’il laisse dans son sillage.
Il est à l’abri. La petite dame l’emmène plus loin dans la maison, au sec et en sécurité.
Personne ne l’a pris pour un voleur, tout va bien.
Il ne reste plus qu’à attendre tranquillement que l’averse passe. On lui désigne une porte, probablement sa chambre. C’est avec un sourire rayonnant que le jeune homme remercie son hôte, pensant déjà à se libérer de ses vêtements trempés qui lui collent à la peau, à attacher ses cheveux pour les tenir le plus loin possible de sa pauvre nuque qui ne demande qu’à sécher.
Il rentre dans la chambre, trop pris dans ses rêveries pour faire attention à quoique ce soit. Le léger bruit de la porte se fermant le ramène à l’instant présent. Il pose sa valise contre le mur et, en se redressant, aperçoit une drôle de surprise.
« Ah. » Une jeune femme se trouve de l’autre côté de la pièce. « Bonjour ? »
Une goutte court le long de sa tempe jusque dans son cou, le faisant grimacer. « Hum, est-ce que vous auriez une serviette, s’il-vous-plaît ? »
Shimada Akio
Shimada AkioRyoshima
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La confusion vous va si bien | Ryoshima — été 155. [Yosano, Akio] EmptyJeu 29 Fév - 14:58
Parfois, Yosano se dit qu’elle a eu de la chance, dans son malheur.
De tous les bouges que comptent la Cité, celui qui l’a accueillie n’est pas le pire, loin de là quasi ; au nombre des avantages que d’autres malheureuses sur le port ne peuvent guère s’offrir, elle a droit à une brève pause entre chaque client, bénéficie d’une visite médicale mensuelle et d’une hygiène quotidienne, la nourriture est digeste et, en cas d’ensemencement indésirable, elle dispose de techniques bien moins rudimentaires que ses homologues des basses fosses afin de se débarrasser du pépin. En outre, au sein même de sa maison actuelle, son éducation de maiko et ses débuts — certes avortés — en tant que geisha l’ont assez raffinée pour qu’elle se distingue presque naturellement de ses collègues au travers de ses manières, de son port de tête, de sa rhétorique et surtout de ses talents de musicienne qui lui valent de temps en temps d’esquiver l’horizontale avec certains clients. Qu’on n’y trompe pas : Mizuki n’aime pas sa condition. Au-delà de la contrainte et de la souillure, il est une humiliation constante et le rappel douloureux qu’il n’a fallu qu’un homme pour l’arracher par égoïsme à une carrière prometteuse, car malgré toutes les qualités dont elle fait montre, elle sait que son visage sera à jamais une ignominie aux yeux d’autrui.
Parfois, Yosano se dit qu’elle s’y fera.
Voilà six ans déjà, et elle attend encore de s’y faire.
Sur les tuiles caracole une averse qui ne semble pas vouloir finir. Depuis sa chambre où elle termine de se nettoyer l’entrejambe, la courtisane entend le vacarme diffus, la symphonie mouillée qui se répète chaque année à Ryoshima, ravalant l’envie d’aller profiter de la vue depuis le balcon qui ceinture l’étage. Quand la pluie se déverse si fort qu’elle se dilue en un mélange brouillon avec les nuages et les toits barbouillés à l’horizon par un pinceau furtif. Comment son estimé peintre rendrait-il ce paysage cafouillant, lui qui a ce don pour sublimer les choses laides ? Privilège d’artiste.

Elle n’a pas remis sa barrette de perles en place dans sa chevelure qu’elle perçoit la démarche frottée d’obasan qui remonte le couloir — à la longue, elle a su faire la distinction entre son allure lorsqu’elle se trouve accompagnée et celle, plus lâche dans les appuis, moins cérémonieuse en un sens, quand elle arrive seule pour déranger ses filles. Là, il y a quelqu’un avec elle, comme en attestent les craquements du bois, plus lourds. Et puisque dans la chambre mitoyenne Chizu est encore à l’ouvrage, Mizuki devine que c’est pour elle.
Avant même que la cloison s’entrouvre, elle est allée s’agenouiller au fond de la pièce sur un petit coussin plat, docile comme une chatte en pleine sieste, pour y attendre son invité. Qui, à la seconde où il franchit le seuil et en dépit de son allure de chien mouillé, éblouit sa rétine autant qu’il la surprend par sa stature. C’est qu’elle aurait tant à en juger en un unique regard ! À ses côtés, la yarite a l’air d’un rameau rabougri, elle qui fut pourtant une grâce de son époque. Chez l’étranger, le blé de ses cheveux a subi l’averse sans guère perdre son éclat radieux, alors que sa musculature se laisse aisément deviner sous le lin humide de sa chemise, et si rien dans sa tenue ni dans ses traits ne le relie à l’histoire ryoshimaise, son élégance seule transcende toute culture au point que Yosano pourrait parier qu’à travers les Cinq Cités il n’est pas donné de croiser plus belle créature. Du moins n’en a-t-elle jamais rencontrée, ici sur son Bloc natal, ce qui lui fait un instant songer que la mère maquerelle s’est trompée dans le choix des chambres ; vrai, pourquoi irait-elle associer un tel joyau à un simple bris de nacre comme elle ? Pourtant le regard d’obasan ne présente aucun doute à la seconde où il accroche son œil valide, aussi les abandonne-t-elle sans plus d’explication à leurs affaires.

Fait étrange : l’homme n’a pas l’air de l’avoir remarquée de prime abord — ni même de chercher sa présence dans la pièce. Ce n’est qu’après avoir déposé sa grande mallette qu’il la découvre, avec cette petite interjection d’étonnement qui échoe dans l’esprit de Mizuki. Comment ça, ah ? Est-ce qu’elle le dérange ? Est-ce qu’il s’attendait à être seul en ces lieux ? Depuis quand la yarite a-t-elle ouvert son lupanar aux plaisirs solitaires ? La décontenance est telle que la courtisane oublie de rendre le salut aussitôt et s’incline jusqu’au sol en réponse à la requête, un brin décalée :
« Bonjour, cher Monsieur. Je vous apporte, cela, tout de suite. »
Ses mots en langue commune n’ont pas la fluidité de son ryoshimais, faute de pratique régulière, néanmoins elle s’en sort avec un phrasé ralenti, timide presque. Elle se relève alors avec soin, direction l’alcôve où elle s’était lavée un instant plus tôt, et y attrape une serviette sèche, la plus douce qu’elle possède, avant de revenir vers son client à petits pas. Plus elle s’approche et plus il lui paraît grand, un peu perdu aussi, curieusement, un peu ailleurs. Si elle n’exerçait pas ce métier depuis six ans maintenant, elle songerait même qu’il n’est pas là où il devrait être. Mais pourquoi pénétrer dans un tel lieu si ce n’est pas sa tasse de thé, donc ? Sans doute se pose-t-elle trop de questions. Qu’elle exécute les tâches, qu’elle fasse son travail — elle n’a pas besoin d’en savoir plus sur ses motivations. N’empêche. Cet éphèbe est une authentique gâterie à lui tout seul, le genre à justifier qu’elle porte le nœud de son obi sur le ventre et que sa gorge se dévoile un peu trop dans l’échancrure de son kimono.
« Voulez-vous, que je vous, essuie ? questionne-t-elle en lui tendant la serviette des deux mains. Vous avez, fait bien de vous abriter. Ici. Le temps que passe l’averse… Mieux vaut, mettre vos vêtements à. Sécher aussi, ou vous pourriez prendre froid. Je peux, vous obtenir un yukata, si vous le souhaitez ? » Et s’il le pense nécessaire, évidemment, mais ce détail ne s’entend pas dans sa voix — actrice jusqu’au bout des cils.
Ariel Bailey
Ariel BaileyNova Terra
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La confusion vous va si bien | Ryoshima — été 155. [Yosano, Akio] EmptyVen 1 Mar - 0:09
Entre la surprise de trouver quelqu’un déjà présent et la désagréable sensation du tissu mouillé collé contre tout son corps, Ariel a choisi sa priorité. Maintenant qu’il ne court plus, la fraîcheur de l’eau sur sa peau se fait sentir. Alors oui, avant de se demander si il dérangeait, c’est un moyen d’alléger son malaise qu’il cherche. Le jeune homme a au moins la politesse de garder ses gouttes pour lui, au plus près de la porte.  Le mouvement à l’autre bout de la pièce ramène son attention sur la jeune femme. Sa voie est douce et timide alors qu’elle lui répond, un calme bienvenu après cette course sous la pluie déchaînée. L’accent ryoshimais ajoute une maladresse charmante à ses mots. Quelque soit la situation dans laquelle il s’est mis, Ariel passera un agréable moment à l’écouter si l’occasion se présente. Puis elle se relève avec délicatesse et légèreté et enfin il la regarde.
Elle se déplace avec l’aisance répétée d’une danseuse, de celles qui font passer le plus dur des efforts pour une tasse de thé avec un sourire en prime. Ses cheveux courts révèlent sa nuque droite, ses épaules étroites. Seul le bruissement des étoffes accompagne ses petits pas. De sa simple démarche émane une grâce et une élégance qui ne se commande pas. Le regard d’Ariel suit sa silhouette, ne manquant pas un de ses gestes raffinés. La jeune femme s’approche finalement et son visage complète ce tableau avec goût. Un joli nez, des lèvres rosées et sous sa frange se cache un œil pâle comme une étoile solitaire dans le ciel nocturne de ses cheveux.

Le sécher, quelle drôle d’idée... Ce n’est plus un enfant. Doucement, une de ses mains se dirige vers la serviette. Ses doigts calleux effleurent le dos de ceux, fin en comparaison, de la jeune femme au moment de se saisir du tissu.
Mais quelle idée de toucher ainsi une demoiselle en la regardant dans les yeux. Dans une chambre. Seuls, sans chaperon... Sa mère lui a pourtant dit de faire attention aux jeunes femmes et à leur cœur sensible pendant ses voyages. Elle l’a bien mieux éduqué que ça. Si bien éduqué qu’il a débarqué dans la chambre de cette même demoiselle sans prévenir, trempé jusqu’aux os. Oh misère, quelle journée. Pourvu qu’elle ne prenne pas son comportement comme une atteinte à sa vertu. Gêné, il détourne le regard et s’apprête à refuser, mais en y repensant, il hésite. À quand remonte la dernière fois qu’on lui a sécher les cheveux ? Ou bien qu’il a laissé quelqu’un prendre soin de lui ? Des années, sûrement. Depuis qu’il a mis les voiles, il n’y a que lui. Personne pour ranger après lui, pour cuisiner. Pour lui tenir le réconforter alors qu’il est malade. Pourquoi refuser ? Après tout, ce ne sont que des cheveux. Et la jeune femme à proposer de son propre chef. Il ne compte pas aller raconter à tout le monde qu’on l’a pomponné comme un enfant. Si ça reste entre ces quatre murs, il n’y a pas de mal, si ?

« Je... Je veux bien, merci. Mais je crois qu’avant de s’occuper de mes cheveux, il serait plus judicieux que je change de tenue, dit-il en décollant doucement sa chemise de son torse avec sa main libre. Un yukata fera très bien l’affaire. C’est un genre de kimono léger, c’est ça ? »  En tout cas, c’est ce qu’il avait cru comprendre lorsqu’on lui en avait présenté un dans une des auberges où il avait logé lors d’un précédent voyage. Il espère que la mémoire ne lui fait pas défaut, il n’est pas très doué avec les mots.
Shimada Akio
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La confusion vous va si bien | Ryoshima — été 155. [Yosano, Akio] EmptySam 2 Mar - 20:12
L’or brun de ses iris ne l’a pas lâchée d’un millimètre depuis qu’elle s’est redressée, et pourtant pas une seconde ne s’est-elle sentie viande ou objet sous ce regard-là, de quoi s’en étonner. C’est qu’à la longue, elle oublie souvent qu’entre ces quatre parois de bois et de papier, elle peut être autre chose qu’une récompense ou un dû — rares sont ceux qui l’ont traitée différemment, et de ceux-ci elle se souvient toujours — alors oui, quand elle s’approche avec sa serviette et qu’il la contemple ainsi, elle se demande vraiment ce qu’il est venu faire ici. Par ailleurs, ses phalanges ne sont pas aussi douces que le laisserait présager son faciès ; l’épiderme en est épais, presque un peu rêche, pas vraiment des doigts d’intellectuel alors que ses manières n’ont rien de rustre. Cet homme ressemble à une énigme, un patchwork cousu d’impressions diffuses qui s’amalgament devant elle au point qu’elle serait tentée de l’interroger — Qui êtes-vous ? —, mais se tait. N’a pas besoin de savoir. Il est là, il a payé, le reste n’est que transaction.
Un instant de confusion partagée puis il cède à l’invitation, timide à l’instar d’un enfant qui n’ose réclamer un cadeau, ajoutant par cet accès d’embarras un nouveau carré de coton à l’ouvrage qui se tisse sous les doigts de la courtisane. Vu son âge et la nature de ses appas, elle n’ose imaginer qu’il soit encore vierge, toutefois il en a le comportement si l’on exempte ce contact sous la serviette dont il n’a pas cherché à se dédouaner farouchement ; à l’inverse, il semble avoir bien peu conscience de ces mêmes charmes puisqu’il est capable, sans arrière-pensée apparente, de révéler un morceau de peau supplémentaire de sous son vêtement face à une femme qui n’est pas la sienne, et ryoshimaise qui plus est. Soit n’est-il pas du tout au fait des mœurs du Bloc, soit est-il un véritable ingénu. Mais là-dessus, elle n’en mettrait guère sa main à couper.

« En effet », approuve-t-elle avec un hochement de tête à la définition du yukata, agréablement surprise qu’il connaisse l’habit, après quoi elle le gratifie d’un léger sourire tout en s’en retournant, la serviette glissée sous l’aisselle, vers le fond de la pièce ; là, elle fait coulisser un pan du mur et révèle une sorte d’étroite armoire où plusieurs kimonos d’été sont suspendus, de motifs et coloris différents — ils sont ensuite remplacés à l’approche de l’hiver et vice versa —, laisse courir son index le long des manches, se retourne vers son client, avise de loin la teinte de sa chevelure, se décide pour un bleu pâle, un pervenche quadrillé de blanc, hésite sur la ceinture… pour ce qu’elle servira ? et se saisit d’un kaku obi couleur de nuit avant de revenir vers lui à petits pas.
« Excusez-moi pour, l’attente. Voici qui vous si… siérer… s’accordera à ravir avec, votre teint. Vous pouvez. Utiliser le cintre pour vos vêtements. Et si vous avez besoin, d’aide, n’hésitez pas à m’appeler. »
Sur quoi elle se recule dans une courbette afin de lui laisser l’espace nécessaire pour son déshabillage, prête à se précipiter à sa rescousse pour un nœud à faire. Ou défaire.
Après tout, c’est son travail.
Ariel Bailey
Ariel BaileyNova Terra
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La confusion vous va si bien | Ryoshima — été 155. [Yosano, Akio] EmptyDim 3 Mar - 22:17
Un petit souffle de quelque chose, entre soulagement et fierté de ne pas s’être trompé, vient finir de dissiper les derniers nuages de sa confusion. Oh, le sourire de la jeune femme a bien failli détourner une énième fois son attention. Joli, ni trop peu ni pas assez, un sourire poli qui ne semble même pas forcé. Juste de quoi mettre la personne en face à l’aise. Comme une étincelle prête à allumer un feu éblouissant. Ariel se demande combien d’expressions, travaillées ou non, l’inconnue pourrait bien lui révéler ici, à l’abri de la pluie. Il n’est pas sûr de regretter la brûlure que pourrait lui laisser cet excès de curiosité. Elle traverse la pièce avec la légèreté d’une plume et il la regarde comme il le ferait une représentation. Si il glissait ses mains sous ces bras fins, jusqu’où pourrait-il la soulever ?

Mais on n’interrompt pas une artiste en plein travail. Parce qu’elle est au travail. Quelle autre explication y aurait-il ? Elle se déplace avec habitude vers cette petite alcôve qui a l’air de contenir tout ce dont pourrait avoir besoin un client. Les gestes contrôlés, répétés, son attitude serviable. Ariel est le client qui a payé pour un service qu’il ne connait même pas. Et si la voix qui s’élève d’une chambre adjacente est une indication, aussi peu décente soit-elle, sur le genre de l’établissement...
À Ryoshima ? Où les gens se couvrent de la tête aux pieds au milieux d’un été brûlant alors qu’Ariel supporte difficilement son pantalon et sa chemise légère ? Ça lui semble presque à l’antithèse de la culture du bloc. Ariel a toujours eu du mal à comprendre les ryoshimais. Leur révérence, leurs manières et leurs nombreux suffixes tous marquants différents degrés de respect sont un dédale sans fin qui pourrait coûter la vie au jeune homme s’il venait à s’adresser à la mauvaise personne.
Sur les docks, les autres étrangers avaient bien ri de son cauchemar. Assis autour d’une pinte, chaque aérin y était allé de son petit conseil. L’un d’entre eux avait insisté pour envoyer Ariel à son salon de thé préféré en soulignant l’importance de s’imprégner de la culture locale. La plupart des hommes présents avait trinqué à la culture locale, perdant complètement le blond. Quand il avait évoqué son incompréhension à une jeune artisane, des mois plus tard, elle lui avait parler de maisons où les hommes allaient prendre le thé servis par une femme élégante qui devait aussi savoir danser et jouer d’un instrument. Elles ont un nom spécifique, quelque chose comme maiko ou peut-être geiko ? Non, c’est le nom d’un lézard de Jhareel, Ariel en est presque certain.

Voir le visage de la jeune inconnue se tourner vers lui le tire de ses réflexions. Ce n’est qu’un instant où elle semble le jauger, mais il ne peut s’empêcher d’apprécier croiser son regard. Un pincement de culpabilité se loge dans sa poitrine. Sa main vient repousser sa frange vers le haut de son crâne alors qu’un discret soupire lui échappe. C’est un manque de respect d’estimer si peu la vertu d’une demoiselle si raffinée. Heureusement, il n’a presque pas eu de gestes déplacés à son égard. Elle n’a pas semblé particulièrement gênée par sa maladresse. Ariel espère que ce n’est pas parce qu’elle est habituée aux clients mal élevés, une telle femme mérite bien mieux que de côtoyer des hommes médiocres.

Et voilà que, sans le savoir, elle continue de lui donner raison avec une petite attention particulière. Ce n’est que son travail certainement et elle le fait décidément très bien puisqu’Ariel laisse fleurir un sourire sur son visage en entendant ses paroles.
« C’est gentil d’avoir pensé à ça, merci », la remercie-t-il, plongé dans ses yeux brun et blanc.
L’envie de retirer ses vêtements gorgés d’eau est pressante. Il peut déjà s’imaginer le confort du yukata sec sur sa peau. Cependant, le cintre dans les mains, le jeune homme ne peut empêcher un instant d’hésitation. Ses yeux parcourent rapidement la pièce de droite à gauche, de gauche à droite sans s’arrêter sur la jeune femme face à lui. S’il hésite trop, il la mettra sûrement mal à l’aise, mais est-ce habituel pour ses clients de se changer dans la même pièce qu’elle ?

Sans plus réfléchir, il accroche le cintre au mur et ôte ses chaussures avant de se retourner. En premier, c’est la chemise dont il se débarrasse d’un mouvement fluide, peut-être pour essayer de gagner du temps face à l’inéluctable. Ensuite, la ceinture tombe. Enfin, il pèle laborieusement son pantalon de sa peau. Et si un léger, minuscule soupir de soulagement lui échappe, qui pourrait lui en vouloir ? Peut-être la jeune femme derrière lui. Parce qu’il est là nu comme un ver tel le dernier des malotrus. La honte le rattrape avant même qu’il n’ait le temps de se saisir du vêtement sec. Il peut serrer les pans du yukata contre ses côtes autant qu’il veut, il n’échappe pas à la médiocrité masculine.
Un nœud maladroit à la ceinture, de quoi tenir fermement le tissu et le voilà de nouveau présentable. Le jeune homme prend soin de pendre ses affaires au cintre, le pantalon plié en deux sous la chemise. Les mains sur les hanches, il prend un instant, le temps d’une inspiration, pour apprécier le textile sur ses bras, ses épaules. En se tournant pour faire face à la jeune femme, il glisse une main derrière sa nuque pour sortir ses cheveux mouillés du col du yukata.
« Encore merci, c’est bien plus agréable. » Est-ce qu’il devrait s’excuser de s’être changé ici ? Elle n’a l’air ni livide ni furieuse, mais Ariel a toujours le sentiment de s’être mal conduit. « Désolé pour le dérangement, dit-il avec un petit sourire gêné qui laisse vite place a une expression atterrée. Je ne vous ai même pas demandé votre nom. »  Goujat. « J’espère que mes mauvaises manières ne vous ont pas offensée et qu’il n’est pas trop pour vous le demander ? »
Ariel a réussi à se mettre à nu devant cette jeune femme avant même de connaitre son nom. Quel homme...
Shimada Akio
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La confusion vous va si bien | Ryoshima — été 155. [Yosano, Akio] EmptyLun 4 Mar - 15:19
De là où elle s’est postée, à peine deux mètres en arrière, Yosano s’inscrit parfaitement dans cette pièce qu’elle a appris à connaître par cœur au fil des ans. Le motif des liserés rouges des tatamis, un brin délavés  à l’endroit où les pieds ont si souvent frotté, les reflets irisés de l’unique vase exposé sur l’unique table basse, quelque peu égratignée sur sa surface laquée — racles d’ongles en proie à l’ennui ou coups maladroits de la part de tasses ou objets divers —, ce dépouillement élevé au rang d’art lorsqu’il n’y a besoin que d’une femme offerte pour en décorer l’espace. Ici, c’est elle le centre d’attention, de tout temps et de toute action, et cependant cet étranger se dérobe à la règle d’un mouvement d’yeux oscillant, une incertitude qui flotte dans son regard troublé. Que cherche-t-il, sinon de quoi dissimuler son insolite pudeur ?
Elle ne bouge pas. Ne comprend pas non plus la raison de ce malaise qu’ils sont toujours si peu à assumer. Cela ne fait pas cinq minutes que la porte s’est refermée, pourtant lui reste ainsi alors que d’autres n’auraient pas fait tant d’onigiris pour un vêtement, attaquant déjà le plat de résistance sans lui octroyer le moindre remerciement puisque chaque minute en sa compagnie se paye et se consomme. Ou bien l’argent n’aurait-il guère d’importance dans ses valeurs ? Après tout, elle en connaît un autre qui n’avait pas réfléchi en ces termes, la première fois qu’ils s’étaient rencontrés — elle s’en souvient encore, s’en souviendra toujours — ; cet idiot avait acheté la nuit entière et, une fois agenouillés face à face au milieu de la pièce, sans guère se déshabiller lui-même, avait sorti de sa besace une liasse de feuilles vierges ainsi qu’un attirail de charbons et de pinceaux en lui annonçant : Je voulais juste vous dessiner sans être interrompu. Faites ce que vous souhaitez comme si je n’existais pas, reposez-vous, dormez même si vous le désirez, je ne vous toucherai pas. Quoique ce grand tournesol, lui, l’a déjà effleurée. Sauf qu’elle ne peut s’empêcher de songer qu’il faudra sans doute qu’elle se contente de ce seul geste.

Si elle n’avait construit, passe après passe, une résistance à la nudité, elle se serait à l’évidence détournée pendant qu’il changeait d’habits ; le fait est que la vision de la chair crue ne lui provoque plus aucune réaction maintenant, au point qu’elle ne se rend plus compte de la gêne qu’elle lui inflige en demeurant patiente dans son dos, impavide à l’exception d’une légère inclinaison du cou appréciative lorsque enfin il se retourne, drapé de ce tendre pervenche qui lui va, en effet, à merveille — en vérité, un rien l’habillerait, elle en est persuadée, même si le yukata a vaincu cette fois-là. On ne parlera pas, en revanche, de ce papillon flasque qui lui sert de nœud d’obi, comme une malhabile insulte à la tradition locale, et qui plisse une mince moue sur son visage de maîtresse de chambre. Une moue qui s’efface vite sous la gomme d’un nouveau remerciement, si spontané et si innocent qu’il donnerait envie de rencontrer la mère qui ont donné naissance à un tel soleil.
« Ah..! »
Par mimétisme ou instinct culturel, Yosano s’apprête alors à s’excuser en retour quand il expose son embarras. Il ne s’agit décidément pas d’un client normal — qui demanderait pardon à une prostituée pour si peu ? —, bien plus arrangeant que dérangeant, et cette attitude teintée de honte participe à l’image qu’elle définit peu à peu, mot après mot, de cette créature aux accents irréels. À la faveur d’une courbette prononcée, les deux mains superposées devant son giron, elle reprend contenance :
« Il n’y a eu, nulle offense. Cher Monsieur. Vous êtes roi ici, et, c’est moi qui. Suis navrée d’avoir pu vous, causer du dis…désagrément. » Puis se redresse, laissant la suie de ses cheveux recouvrir son globe blanchi sans en rabattre les mèches ; moins il contemplera cet abject stigmate, moins il risquera d’être dégoûté d’elle. « Mon nom est Yosano, Mizuki. Mais vous pouvez, m’appeler à votre guise. » Pas qu’elle le juge capable de lui donner du Mizu chan tout à trac comme certains de ses clients en manque de validation paternaliste, ni même de la traiter avec autre chose que le plus radical des respects… ou bien se sera-t-elle fourvoyée sur son interprétation globale. Néanmoins, à aucun moment ne lui rend-elle l’interrogation ; ce genre de familiarités est hors-de-propos et s’il souhaite lui offrir son patronyme à son tour, elle n’a pas à le lui demander d’elle-même, aussi cette pulsation de mutisme ne se veut-elle en aucun cas impolie. Juste courtoise.

Et maintenant ? Puisqu’il est changé, à l’aise autant que possible, au sec et au chaud, mais à vue de nez peu enclin à s’abandonner sur-le-champ à une oisiveté répréhensible, que proposer ? En toile de fond l’orage poursuit sa cavalcade, traversé par à coups de roucoulements beaucoup plus proches qu’il leur est impossible de ne pas avoir entendus. Yosano le sait. Il ne peut pas ne pas avoir entendu. Et son indifférence apparente l’amène à croire que, pour n’en montrer aucun trouble, il ne serait pas intéressé par ces choses-là. Ce qui serait sa liberté. Oh, est-ce qu’il va lui faire le coup des dessins, lui aussi ? À moins qu’il n’attende un accord de sa part pour s’assurer de ne pas la forcer ? Quelle délicatesse ce serait. Quel miracle, aussi. Alors elle veut savoir si, une fois encore, elle a le droit de rêver.
« Hm, si vous me permettez… »
Elle louvoie d’un pas vers lui, guette l’autorisation tacite de continuer.
« …le nœud de votre, obi, va l’abîmer. Si vous vous, assoyez, il va mal serrer, attendez… enfin, si vous voulez bien m’excuser… »
Lentement ses bras se tendent, ses phalanges se déploient comme pour conforter un animal échaudé. Combien de fois a-t-elle exécuté ce geste en fermant sa conscience à la réalité ? Combien de fois a-t-elle agi mécanique, machine rodée à laquelle on ne prête ni sentiments ni dignité ? Il suffit néanmoins d’une seconde pour qu’elle ait l’impression d’avoir oublié l’évidence, qu’elle doive réapprendre les centimètres à parcourir tandis que, plus haut, son œil ne quitte pas ceux de l’étranger. Veut savoir si, une fois encore, elle a le droit de se tromper.
Elle frôle le tissu quasi à l’aveugle, à l’affût de la réaction escomptée sur ce visage qui la couve. Le temps lui-même semble se détendre à l’infini, ralentit dans l’interstice où elle crochète ses doigts, s’étire avec le lien qui se déplie entre eux. Il était entièrement nu devant elle il n’y a pas une minute, pourtant il ne l’a jamais été autant qu’à cette seconde, alors même qu’elle se garde d’entrouvrir son yukata tout en manipulant l’obi — minutieuse et appliquée, elle lisse, serre, renoue, réajuste dans la faille lovée entre leurs hanches — et quand elle perçoit le sursaut, elle devine. Sa réponse est là, fébrile, éclatante, sous ses paumes de nouveau dociles. Elle sait. Et lui sourit mutine, non pour se moquer, mais le remercier.
« Ce que vous êtes. Venu chercher ici, ce n’est pas, moi. Vous, n’avez pas payé pour ça, n’est-ce pas ? »
Ariel Bailey
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La confusion vous va si bien | Ryoshima — été 155. [Yosano, Akio] EmptyJeu 7 Mar - 0:36
Lui aussi est commerçant, bien sûr le client est roi. Encore faudrait-il savoir de quel royaume pour comprendre jusqu’où s’étendent ses frontières imaginaires. Quelle idée de se jeter dans la première échoppe venue. Pourtant, il ne peut pas sincèrement penser qu’on ne l’y reprendra plus. Même la pluie réserve de belles surprises, parfois. Voir ainsi la jeune femme s’incliner et s’excuser de la gêne d’Ariel à cause de son propre comportement déplacé lui laisse un goût amer au fond de la bouche. N’y a-t-il vraiment aucune offense ou se plie-t-elle uniquement à son rôle d’employée enchaînée à la volonté d’un étranger à la bourse trop pleine ? Yosano ne sera plus une inconnue complète pour Ariel. Cependant la réciproque n’est pas vraie. Un visage anonyme rapidement noyé dans le flot quotidien de clients. Une distance professionnelle. Ne serait-il pas plus respectueux d’accepter cela plutôt que d’imposer ses caprices à la jeune femme ?
Après tout, elle ne fait que son travail.

Le ciel gris ne lui réussit décidément pas. La mélodie de la pluie et du tonnerre n’a rien de désagréable mais, lorsque l’azur perd sont éclat, son humeur s’assombrit trop vite à son goût. La voix douce et calme de Yosano lui fait l’effet d’une percée timide du soleil au milieux des lourds nuages de ses préoccupations.
Évidemment, Ariel lui permet. Il serait bien incapable de refuser quoique ce soit qui le rapprocherait de cet astre scintillant qu’elle tente de dissimuler sous ses cheveux soyeux. Au fond, il comprend que la jeune femme ait pris une telle habitude, surtout si chaque jour elle travaille au service de clients à la curiosité mal placée. Pourtant, il déplore cette rare beauté cachée derrière une aile de corbeau, car, dans sa chute, c’est presque la moitié de ce captivant visage que la cicatrice condamne. Le regard attentif de la demoiselle le fixe alors que ses mains délicates glissent autour de ses hanches. Le jeune homme tente d’étouffer sa surprise. Le souffle coupé, immobile, réticent à briser ce moment.
Plongé dans les yeux de la jeune femme, il y verrait presque une hésitation alors que des mains habiles travaillent sa ceinture. Une chorégraphie de gestes réguliers et fluides accompagnée du chuchotement de la peau contre le tissu. Dans un autre contexte, il aurait pris cette proximité pour une invitation. Il aimerait proposer à cette étoile une soirée loin des curieux, à l’abris des rumeurs.
Mais elle ne fait que son travail.
Alors il se ressaisit.

Quelques instants seulement avant de laisser la confusion reprendre sa place de choix dans son esprit. Il hésite, se demande si elle parle de ses services de maisha. S’il ne se fie qu’à sa gestuelle travaillée, son allure gracieuse et ses traits harmonieux, il n’y a pas de doute sur sa popularité. Il ne voudrait pas risquer de froisser la jeune femme en confirmant ses suspicions alors que ses atouts sont indéniables. Cependant, son ‘ça’ est bien lourd de sous-entendus pour un si petit mot. Il laisse son regard s’égarer sur le mur mitoyen à la chambre du bruyant couple. Ils n’ont pas l’air de faire le moindre effort pour être discret, comme s’ils n’avaient aucune pudeur, aucune décence. Comme si c’était normal, ici.

Ses yeux retrouvent ceux de Yosano, suivent l’arc de ses lèvres délicates, glissent le long de sa peau lisse jusqu’au creux de son cou et se ferment pour s’esquiver au regard de la jeune femme. Une de ses mains vient s’enfouir dans ses cheveux blonds, juste au-dessus de son front alors qu’il se tourne vers la fenêtre. Il n’est pas du genre à mentir mais il se trouve un peu ridicule de découvrir maintenant seulement qu’il est allé se réfugier dans une maison close par pur hasard. Tout ça lui fait penser à une mauvaise blague. Heureusement, Ariel n’en est pas à sa première aventure insolite. Avec un sourire poli, il croise le regard de la jeune, et les doigts pour ne pas faire d’impair.
« J’ai payé pour m’abriter le temps que la pluie se calme. Je n’ai pas vraiment écouté ce qu’a pu dire la femme qui m’a emmené à votre chambre, admet-t-il alors que son expression prend une teinte gênée. Votre présence m’a surpris, comme vous avez dû vous en rendre compte, mais ne vous m’éprenez pas, vous êtes ravissante, Yosano. » Le mot lui semble faible lorsqu’elle se tient ainsi juste devant lui.

« Je n’aime pas mêler argent et relation. L’or a le don pour faire ressortir... » Ce qu’il y a de plus sale, mauvais et violent chez l’Homme. Intéressant discours de la part d’un marchand. « Nos défauts. J’espère tout de même pouvoir passer un moment en votre compagnie. Je me nomme Ariel Bailey, mais vous pouvez m’appeler à votre guise », termine-t-il avec un sourire chaleureux. Par ce trait d’humour maladroit, il risque de froisser Yosano, mais il espère les mettre sur un pied d’égalité. Il serait peut-être moins capricieux s’il n’était pas enfant unique.
Shimada Akio
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La confusion vous va si bien | Ryoshima — été 155. [Yosano, Akio] EmptySam 9 Mar - 22:11
En un regard, elle pourrait croire qu’il ne sera pas comme les autres. Qu’il sera, oh, non pas plus déférent ou doux que certains avant lui, qu’un certain autre, mais plus sincère, ça oui. Qu’il sera, lorsqu’il l’admire ainsi, tellement franc que l’usage le trouverait provocant, si honnête qu’elle ne peut même pas envisager qu’il la complimente uniquement pour s’excuser ou lui faire plaisir. En un regard, elle pourrait croire qu’il sera capable de la prendre tout entière, elle et sa joue meurtrie, elle et son œil mort, sans chercher à en oublier la laideur — pourrait croire que lorsqu’il glisse par gêne sa main dans ses mèches d’or, ce n’est que pour mieux s’interdire de passer les doigts sous sa frange d’onyx, l’écartant avec une délicatesse rare afin d’en révéler ce secret que tant ont préféré nier. Elle le sent. Car si elle lit son visage à l’instar d’un limpide parchemin, où chaque mot serait calligraphié minutieux avec une élégance à s’en faire pâmer les érudits d’Alexandria, c’est parce que les lettres se gravent en filigrane sur son propre épiderme, identiques, se tracent à quatre mains dans l’espace de leurs non-dits, échos de silence dont la signification se devine derrière un battement de cils.

Certes il lui faut un temps avant d’avouer les raisons de sa présence ici, et peut-être un brin de courage aussi pour admettre son ignorance quant à la nature de cette bâtisse, mais voilà qui répond à quelques interrogations dans l’esprit de la courtisane, en plus d’éclairer doucement la zone d’ombre de ses futures intentions. Elle l’écoute avec patience, avec aussi au fond de l’âme une étincelle d’amusement qu’elle n’ose exposer — jamais ne se moque-t-on du client devant lui —, elle l’écoute alors qu’une nouvelle goutte d’eau se forme à l’extrémité d’une pointe recourbée, grossit, grossit, menace de tomber, ne tombe pas. Reste suspendue là comme son attention aux paroles de l’homme qui vient de lui offrir la grâce familière de l’appeler par son nom, de louer sa beauté avec une sobriété qui confine au luxe. Oui, il a cette maladresse exotique, l’inexactitude de celleux qui n’ont pas été formés à l’art des convenances, et qu’importe ? Il n’a que la vérité à donner. La plus simple, inoffensive, pure vérité.
Elle peut croire qu’il ne sera pas comme les autres.
D’ailleurs, elle y croit déjà.
Sa manière de considérer l’argent n’est pas sans lui faire songer à son peintre et, quelque part, Yosano se dit que ces deux-là s’entendraient probablement s’ils étaient amenés à se rencontrer ; vrai, lui aussi déteste le pouvoir que la richesse confère, abhorre conjuguer relations et couronnes, art et argent. S’il pouvait vivre d’amour et d’encre, il le ferait volontiers. Pour autant, il n’hésiterait pas à payer la yarite plus que nécessaire pour assurer davantage de confort à sa favorite, trop conscient sans doute qu’en ces lieux il n’est rien sans assez de pièces au fond des poches. Pauvre ironie. Elle baisse la tête à la manière d’un bref acquiescement, la redresse à ce souhait qu’elle exaucera volontiers. Et non parce qu’il a payé.

Ariel Bailey.
Il y a un morceau de ciel dans ce prénom-là, un fragment de rêverie, quand le sourire dont il la gratifie est un poème qu’elle se promet d’apprendre par cœur. C’est plus fort qu’elle : en dépit de toute la contenance dont elle sait faire preuve, de son éducation, en dépit de l’expérience qu’elle s’est forgée des hommes et de son essence de femme ryoshimaise, en dépit de tout ce qui la contraint et la défend de s’exposer de la sorte si vite, si indécemment, elle ne ressent à cette seconde qu’un violent désir de lui rendre sa joie, de refléter son enthousiasme sans fard. Plus fort qu’elle. Quoique, ce n’est pas comme si quelqu’un d’autre pouvait le lui reprocher, si ?
« C’est un. Magnifique nom que, vous avez, Aliel san. Qu’est-ce que… que ce qu’il signifie ? »
Alors — aucun témoin — à son tour elle lui sourit, ni obséquieuse ni théâtrale, dénuée d’ambage ou d’artifice, elle lui sourit comme la femme qu’elle est, juste Mizuki, lui sourit de ce minois où perle un peu d’embarras à cause de ses hésitations linguistiques mais d’où coule surtout une confiance neuve, fraîche comme un ruisseau de printemps, qui l’autorise à poser une question de son propre chef, à chercher à satisfaire explicitement sa curiosité alors qu’elle ne devrait avoir à ne s’intéresser qu’au bien-être de ses clients. Quel affront ! Quel outrage à son rang de vulgaire courtisane ! Sauf qu’elle s’en contrefiche. En cet instant elle imagine d’autres audaces, tandis que sa langue colorée d’une tache d’azur formule une nouvelle invitation :
« Oh, et venez vous, installer, nous serons mieux. Pour parler : mettez-vous sur un coussin. Je va vous sécher, les cheveux, d’accord ? » D’un mouvement de bras ouvert, inclinée à peine, elle désigne le centre de la pièce avant d’attraper la serviette qui n’avait pas quitté son aisselle durant la séance de rhabillage ; elle n’a pas oublié la proposition, et quitte à ce qu’il ait financé l’équivalent d’une passe standard, ils ont encore une belle heure devant eux.
Autant prendre leur temps.
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La confusion vous va si bien | Ryoshima — été 155. [Yosano, Akio] EmptyMar 12 Mar - 22:40
Il y aurait sûrement bien des choses à dire sur les propos d’Ariel, que ce soit son ridicule manque d’attention ou son choix quelque peu hypocrite de profiter de la compagnie d’une femme obligée, dans la chambre de laquelle il s’est imposé par une monnaie qu’il aimerait renier dans de telles circonstances. Tant de ses manières seraient à reprendre s’il fréquentait des cercles plus exigeants. Tant de ses manières sont déjà à reprendre, alors qu’un léger hochement de tête lui rappelle une courbette précédente. Yosano, dans son professionnalisme sans faille, écoute patiemment, accepte sans jugement.
Pourrait-elle lui enseigner ? La distance décente à tenir, la posture qui soulignent la politesse d’un propos, le respect superficiel d’un salut bien exécuté... Le voilà à juger de nouveau tous ces codes avec lesquels certains déguisent leur dédain. Il a du mal à faire confiance à la sincérité d’un geste requis. Peu importe le cercle social, le problème vient de son naturel direct. Il n’est pas homme à se cacher. Et qu’y a-t-il à masquer dans l’appréciation du beau, de l’élégance et de la grâce ?

Toujours plongé dans les yeux disparates de la demoiselle, Ariel sait que jamais il ne s’est tenu si proche d’un astre. Seule, dans cette petite chambre assombrie par le rideau de pluie et les nuages denses, elle n’a rien à envier aux constellations des vastes cieux qui l’accompagnent pendant les longues nuits de navigation solitaire. Le chuchotement du vent et le vrombissement constant de la mécanique s’inclinent bien bas face à sa voix hésitante et son adorable, charmant accent dans lequel se confondent les consonnes. Ce n’est qu’un prénom. Ce n’est que son prénom, mais le voilà si différent. Cinq petites lettres qui viennent se loger entre ses cotes, qui font hoqueter son cœur le temps d’un battement, à nouveau. Différents mais semblables, ses séjours à Ryoshima sont rarement oubliables.
Magnifique. Lui a-t-il fait le même effet, en lui avouant la trouver ravissante ? En un mot, elle lui fait goûter son propre poison, celui qui fait frémir le palpitant, parcourt les veines et réchauffe le ventre. Comment ne pas se sentir terriblement flatté d’un tel compliment, en particulier de la part de la personne qui enchante sa vue depuis qu’il est entré ? Si ses mots à eux seuls n’avaient pas suffisamment attisé sa joie, il peut voir la même émotion éclore timidement sur le visage qui occupe déjà tant ses pensées. À peine plus prononcé que les précédents, la sincérité vient percer, enfin, le voile de la politesse professionnelle. Ô délicieux, dangereux sourire qu’elle lui dévoile. Il le sent. Il le sait. Seul le temps le protège encore. Les discussions qu’ils n’ont pas encore eues, les moments qu’ils n’ont pas encore partagés, les secrets qu’ils n’ont pas encore livrés. Il aimerait en savoir plus, en apprendre plus sur l’étoile tombée dans le creux d’une petite bâtisse coincée dans les rues de Ryoshima. Car un jour, si elle lui demandait de sa voix douce, Ariel lui promettrait la lune. D’un élégant tour de poignet, elle pourrait l’envoyer dans une quête sans fin, dans le seul espoir de préserver ce sourire.
Un jour peut-être, mais pas aujourd’hui.

Il se penche légèrement, pour acquiescer et remercier, reflet malhabile à côté de la jeune femme qui lui désigne le centre de la chambre. Il la quitte des yeux le temps de traverser la pièce.
« Lion de la Déesse. Mes parents aiment dire qu’ils me sentaient déjà une âme de voyageur, » dit-il en s’asseyant en tailleur, la table à sa droite. Une brève pause, sourcils légèrement froncés, pendant qu’il réajuste les pans du yukata pour cacher son intimité, quitte à dévoiler un peu plus ses jambes. Rien que Yosano n’aurait pas déjà vu, malheureusement.
Son visage se tourne vers la jeune femme tandis qu’il reprend avec, dans la voix, une affection sous laquelle perce discrètement l’agacement d’une conversation qu’il a eu cent fois avec les deux principaux concernés.
« Cependant, le mythe ne désigne pas la déesse Aelia, mais Danaé. »
Sa main gauche se lève comme dans un signe d’avertissement. « Vous pouvez me croire, ma mère voulait simplement un prénom qui irait aussi bien à un garçon qu’à une fille. » Son sourire s’étend un peu plus en repensant à ses parents. Il n’a toujours pas fini sa lettre. Il devrait aller leur rendre visite, il n’a pas vu l’année passer avec tous ces voyages. Une goutte de mélancolie vient remplacer la pointe d’agacement. « Peu importe la raison, ils ont bien choisi. Qu’en est-il du votre ? »
Le ryoshimais s’écrit en utilisant des signes associés chacun à une idée si Ariel se souvient bien. La différence avec l’alphabet alryonnais lui avait vite fait abandonner l’idée de l’apprendre un jour. Ça, et son incapacité à prononcer une phrase grammaticalement correcte en tolencien, malgré les lettres communes. Les langues très peu pour lui. Sans ces difficultés, il ne pourrait pas apprécier le sourire fier et soulagé de son interlocuteur après une longue bataille de gestes et de dessins pour se faire comprendre. La communication peut être laborieuse, c’est certain, mais ces bons moments se méritent.
Shimada Akio
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La confusion vous va si bien | Ryoshima — été 155. [Yosano, Akio] EmptyVen 15 Mar - 16:43
La première fois que Yosano rencontra un étranger, elle avait onze ans et des camélias blancs le long de la ruelle, sous la fenêtre de l’okiya où elle venait d’être introduite afin de débuter son apprentissage. À cet âge déjà, son caractère fier avait fini par avoir raison des réticences de ses parents qu’elle avait donc abandonnés presque par affront avec la promesse de devenir une de ces filles qui dansent, jurant de leur faire honneur à travers les arts jusqu’au jour où, établie oiran, son aura resplendirait jusque sur leurs épaules vieillissantes, courbées sur leur travail aux confins des montagnes ryoshimaises. Elle qui montrait d’ores et déjà une prédilection pour la musique et la danse n’avait eu guère de difficultés à obtenir l’approbation de la propriétaire qui l’avait accueillie en tant que shikomi, et ainsi avait-elle pu commencer à accompagner ses nouvelles grandes sœurs maiko dans les maisons de thé de la capitale. Et elle les avait vus. Sans qu’ils ne croisent son regard en retour, elle les avait observés depuis les coulisses, ces hommes pour l’immense majorité, roides dans ces vêtements clinquants qui n’existaient pas là-bas dans les campagnes, avec leurs sclères striées de cils blonds et leurs iris pâles que le plaisir assombrissait tels des yeux de félins, avec leurs mains brunes et tatouées ou leurs taches de rousseur, leurs nez camus ou leurs boucles naturelles de toutes les nuances châtaines.
La petite Mizuki, qui à cette époque se prénommait encore ainsi, savait qu’à son tour viendrait le moment de les divertir, de les éblouir — à son tour elle monterait sur l’estrade pour danser devant eux, leur jouer du koto ou du shamisen, minauder avec raffinement pour les faire se sentir importants et privilégiés, elle se farderait le visage et la nuque en deux crocs de serpent pour signifier voici ma culture et voici mon rang, joyau des arts et allégorie de l’élégance, elle contrôlerait tout son corps jusqu’au plus infime battement de paupière, sa langue jusqu’à la plus insignifiante syllabe, son esprit jusqu’au plus négligeable sentiment. Perfection en kimono de soie. Chef-d’œuvre vivant.
Et puis, des années plus tard, l'irréparable gâchis.
Ce n’était pas un étranger qui l’avait défigurée de la sorte, cependant. Après cela elle n’en avait d’ailleurs plus beaucoup croisé, les clients de la maison de courtisanes étant plutôt constitués d’autochtones rassurés par la familiarité des cheveux raides et la porcelaine de visages arrondis, mais plus jamais non plus n’avait-elle revu dans leurs yeux cette lueur de déférence, cet éclat si estimable, quasi de vénération, qu’elle avait eu coutume de susciter lorsqu’elle apparaissait dans sa tenue de maiko. Elle était dorénavant, et jusqu’à l’heure de son émancipation, leur objet de consommation au lieu d’être demeurée sujet d’admiration, leur dû à portée de mains, de bouche, de hanches.

Par son respect que l’envie ne parvient à supplanter, Ariel lui rappelle cette époque bénie où elle était quelqu’un, et non plus seulement la putain du coin. Il lui rappelle l’infini égard que lui témoignaient les habitants du quartier, leurs révérences lourdes d’estime, à la limite de l’obséquiosité, leurs petites marques d’attention délivrées chaque jour quand elle se rendait dans les différents salons de thé de la ville. Elle n’ose cependant lui dire, encore moins le remercier. Et quand il répond à sa curiosité, elle l’écoute tout en lui emboîtant le pas, de manière à se positionner derrière lui au moment où il s’installe en tailleur près de la table, s’agenouille ensuite dans son dos, dressée sur ses genoux afin d’atteindre son crâne sans trop tirer sur les bras, et attend qu’il ait fini de parler avant de déposer la serviette par-dessus sa chevelure. Ainsi donc, elle est sur le point de sécher la crinière du lion de Danaé, et l’image n’est pas sans lui inspirer quelque tendresse alors même qu’elle ne se sent guère l’âme religieuse. Toutefois, si l’homme s’avoue voyageur il ne ressemble point à un fauve, loin s’en faut, quoiqu’elle ne peut qu’agréer à la conclusion qu’en effet, ses parents ont bien choisi. Ariel. Psaume couleur azur. Ariel. Gardien céleste. Et sous ses doigts, tranquille comme un chat doré venu se lover sur lui-même près d’un feu, elle ne peut s’interdire d’y voir les reflets d’un trésor.
Avec une extrême douceur elle essuie les mèches une à une, se contente de serrer ses phalanges autour de la serviette plutôt que de frotter pendant qu’elle élabore déjà sa réponse en pensée, cherchant dans ses souvenirs la signification de ce prénom qu’elle avait ramassé de son passé ainsi qu’un échec, un retour aux origines tête basse et humiliée.
« Oui, on sent, l’amour de vos parents, dans votre nom », délaye-t-elle un instant, avec un nouvel acquiescement. Non pas qu’elle déteste le sien — car le récupérer avait eu cet arrière-goût de réconfort qu’elle avait mis du temps à assumer —, mais elle aurait aimé rester « Koshiyo », telle qu’elle avait été renommée à ses quinze ans, au moment d’enfiler ses longues manches. « Mizuki est pour, l’eau et la lune. Parce que. Je suis née sous la pluie, une nuit. Ma mère a, vu la lune, qui perça les nuages soudain, et elle sut — mon enfant vient. Yosano… » Elle prit une pause, le temps d’attraper dans le tiroir caché de la table un peigne miniature qu’elle se mit à passer, caressante, dans la fourrure du lion. « Yosano appartient de mon père. Le 与, yo, est le don. Offrir. Sa, 謝, est la, reco… reconnescence. Demander pardon, aussi. Et 野, no, dit le champ, la plaine. Ah, c’est, un peu compliqué… » s’excuse-t-elle à moitié, embarrassée à l’idée de l’avoir embêté. « Ne prêtez pas, trop attention s’il vous plaît. »
Après tout, ce n’est qu’un nom. Celui-là qu’elle s’est pourtant retenue de retranscrire du bout de l’index sur son épaule tandis qu’elle parlait, trait à trait, puisqu’il ne pouvait que l’entendre sans visualiser.
« Vos cheveux, sont très doux. »
Prononcé comme si elle demandait pardon. Ou lui offrait sa reconnaissance, elle ne sait plus trop elle-même. De sûr, elle aurait du mal à s’en lasser.
Ariel Bailey
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La confusion vous va si bien | Ryoshima — été 155. [Yosano, Akio] EmptyDim 17 Mar - 22:24
Au rythme des mains sur sa tête, Ariel sent ses épaules se dénouer tranquillement. Ses affaires étendues, sa mallette au sec, le clapotis de la pluie sur la fenêtre. Un calme ambiant s’installe lentement. Bien que sa demande lui semble encore puérile, il se sent bien loin de l’enfant turbulent qui courrait dans toute la maison, sa mère aux trousses, prête à l’emprisonner dans un cocon de linge. Sans surprise, le petit garnement perdait toujours à ce jeu-là, mais les cris et les rires résonnant dans la maison étaient la meilleure des récompenses. Le contraste est flagrant, pourtant la délicatesse de Yosano n’en est pas moins agréable. Ce serait bien difficile pour Ariel de se souvenir de la dernière personne qui l’a traité avec tant de soin. Chaque mèche est séchée avec précaution, comme s’il était quelque chose de fragile, quelque chose de précieux jusqu’à la pointe de ses cheveux.

La voix de la demoiselle vient compléter la quiétude de la pièce et Ariel l’écoute avec attention. Comme s’il lui aurait été possible d’en faire autrement. Sa mère a décidément bien choisi : née dans un rayon de lumière, une éclaircie au milieu de nuages sombres, faite pour briller au milieu des ténèbres. La sérénité et l’élégance d’un reflet de lune dans un lac. Oui, tout cela lui va bien. Sur le ton de la conversation, le plus naturellement du monde, un peigne se faufile dans ses cheveux, effleure brièvement son crâne, sa nuque, accompagné des doigts fins de la jeune femme. Un geste anodin. Une suite logique. Une attention supplémentaire. Et Ariel fond un peu plus.
Les explications continuent et il profite. Chaque syllabe pleine de sens vient s’ajouter aux précédentes pour former une idée plus complexe. Le jeune homme ne peut s’empêcher de penser aux cultures aux abords de la ville où il a grandi. De grandes plaines verdoyantes, surplombées de montagnes aux pics blancs, qui prenaient la teinte des tournesols aux mois d’août pendant les vacances. Remercier le don des champs, s’excuser de labourer les plaines. Il se demande si Yosano vient d’une famille de fermiers.

Et à peine lui a-t-elle donné toutes les pièces du puzzle qu’elle s’excuse déjà. Il n’a pas le temps de se retourner pour la rassurer avec sincérité qu’elle le complimente et soudain, c’est tout ce qui compte. Parce qu’il veut la remercier pour ce nouveau mot gentil, ce nouveau petit morceau sur l’amoncellement d’éclats de prévenance et fragments de vulnérabilité qu’elle ne cesse de lui offrir. Les idées se bousculent, les mots se pressent et se bloquent. Il veut la rassurer, lui rappeler qu’il lui a posé la question. Il veut lui en demander plus, qu’elle continue de passer ses doigts dans sa chevelure pour maintenir ce semblant de contact physique, un fin fil de soi entre eux.
« Voudriez-vous les tresser ? demande-t-il d’une voix un peu hésitante. Je ne voudrais pas vous embêter avec ça. »

Comme si il lui laissait réellement le choix. Il fait rouler doucement la couture de ses manches entre ses doigts. Tantôt enfant capricieux, tantôt jeune homme prévenant, Ariel ne sait plus trop où il en est. Il ne veut pas abuser de la patience de la jeune femme qui s’ouvre doucement lorsqu’on lui fait preuve de respect. Elle a aussi probablement dû répondre à des requêtes bien plus laborieuses. Cependant, l’envergure de la tâche importe peu si il est impossible de refuser. Il ne reste lui reste plus qu’à la remercier comme il se doit. En commençant par la rassurer.
« Je vous ai posé la question, je me dois d’écouter attentivement la réponse », reprend-il d’une voix plus claire. Avec un sourire en coin, il jette un coup d’œil par-dessus son épaule. « Mizuki vous va bien : la fluidité de l’eau, la beauté calme de la lune. La signification de Yosano mène à penser que la famille de votre père gère des cultures ou une ferme. Ce n’est qu’une supposition, j’espère ne vous causer aucun désagrément en disant cela. »

Il la quitte des yeux, espérant qu’elle se sentira plus libre en s’adressant à son dos. Sur le chemin vers l’ennuyeux mur de la chambre, son regard s’accroche sur sa mallette. En voilà une bonne idée, aussi bien pour la remercier que pour s’excuser.
« Me laisseriez-vous vous offrir une tasse de thé, s’il-vous-plaît ? »
Shimada Akio
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La confusion vous va si bien | Ryoshima — été 155. [Yosano, Akio] EmptyMer 20 Mar - 12:56
Le temps, fil de soie, s’écoule lentement entre ses doigts. Une à une les dents du peigne glissent le long des mèches que l’eau fait luire par endroits, étincelles liquides dans ces rubans d’or pâle dont l’extrémité se recourbe chaque fois avec élégance. Peu s’en faut pour que le contraste entre leurs deux chevelures soit aussi prononcé que celui de leur âme — suie de velours contre valse safranée — puisque jamais Yosano n’avait-elle eu le loisir d’effleurer tel pennage. C’est presque si elle s’étonne de le trouver si court, d’ailleurs, là où elle réserve d’ordinaire ce genre d’attention à de plus vastes longueurs, de celles capables d’engloutir en douceur ses phalanges dans leur marée brune.
Puis la requête, qui s’excuse aussitôt d’avoir été proférée. La politesse ryoshimaise l’aurait-elle contaminé à son tour ? Certes Mizuki a été payée pour satisfaire à tous ses désirs, même ceux qui l’embêteraient véritablement, pour autant elle souhaiterait éviter de lui rappeler cette réalité, à lui qui considère l’argent comme un miroir déformant. Surtout que, même s’il le lui avait réclamé sans débourser une demi couronne, elle ne pense pas qu’elle aurait été en mesure de lui refuser si chaste demande.
« Vous, ne m’embêtez pas. Aliel san. »
Et le sourire s’entend dans sa voix, éclos en fleur de prunier.

Elle termine alors de démêler les mèches tandis que lui reprend la conversation, puis les divise en trois ruisseaux au gré de ses paroles tout en veillant à ne pas relâcher la tension d’un côté ou de l’autre dès qu’il bouge ; à droite, son majeur passe au-dessus de son oreille pour rattraper quelques cheveux épars, frôle le cartilage comme par inadvertance ; sur la nuque cependant, elle veille à soulever l’ensemble des faisceaux afin de ne pas rencontrer l’épiderme, se demandant déjà avec quoi serrer la natte une fois qu’elle l’aura achevée, car les élastiques ont déserté sa toilette, elle qui ne porte plus que des barrettes de tissu depuis qu’elle a tranché de chagrin ses anciennes longueurs, six ans auparavant. C’est qu’elle se l’est promis : lorsqu’enfin elle quittera la maison de courtisanes, elle les laissera repousser en toute liberté — d’ici là, chaque matin et chaque soir, elle coiffe méticuleusement le deuil de sa vie.
Un brin, deux brins, trois brins, elle tisse, s’interrompt l’espace d’un battement de cils à ce compliment qu’il lui dessine en la comparant à la lune et dans lequel elle ne sent nulle flatterie ni charme séducteur. Une beauté qui se contemple sans se posséder, qui s’apprécie loin du toucher : ce nom-là aurait serti à ravir la figure d’une geisha. Il lui va s’y mal ici, pourtant, hormis sur la langue des assoiffés. Quant à la perspicacité d’Ariel sur le métier de son paternel, elle est loin de lui causer le moindre désagrément, au contraire ; jadis, avant l’âge de raison, elle arpentait déjà les sentiers entre les rizières familiales au rythme de musiques inaudibles, inventant des pas inspirés lors des fêtes de village où l’on brûlait des torches jusque tard dans la nuit et où elle dansait pour des dieux anonymes, dansait pour les jolis grains de riz, dansait pour faire rire les vents et saluer la pluie. Yosano offrait sa reconnaissance à ces champs qui coloraient son monde et la nourrissaient, elle et ses parents, puis son petit frère qui dormait encore dans le ventre de sa mère, elle dansait les chevilles dans l’eau des parcelles, un large chapeau de paille sur la tête, et quand un autre fermier passait en agitant la main elle se figeait, s’inclinait prestement, les joues rouges, avant de recommencer sitôt qu’il lui tournait le dos. À quel moment ces souvenirs se couvriraient de ressentiment ? Elle devrait plutôt le remercier de l’aider à se souvenir de cette époque-là.
« Hm. En effet », ponctue-t-elle à la seconde où elle remarque que la tresse n’attend que son lien final, et le pragmatisme de ce constat teinte sa réponse d’une sécheresse à laquelle elle ne songeait guère. Bien qu’elle s’en rende compte aussitôt son cœur en tressaute de honte, sauf qu’il lui sauve la mise en lui proposant une tasse de thé — et sur l’instant, elle ne saisit pas. S’il espère l’inviter à se rendre dans un salon en sa compagnie, elle va à son grand dam devoir le faire déchanter de la plus navrante des façons. Parce que, comment s’y prendrait-il pour lui offrir une coupe autrement alors qu’elle ne dispose ni d’une théière ni de feuilles séchées dans cette chambre ? À défaut de résoudre cette énigme sur-le-champ, elle se concentre sur son ouvrage et subtilise deux des fines barrettes qu’elle avait préalablement retirées afin de les croiser en queue de natte, de quoi maintenir les brins entre eux pendant au moins quelques heures. À la condition qu’il ne s’amuse pas à secouer la tête ou à s’agiter inopinément, bien sûr.

« Du thé ? »
Ce n’est qu’en suivant le regard d’Ariel jeté vers un recoin de la pièce que Yosano devine l’éventuelle provenance de ce cadeau, de même que la gêne que l’idée fait germer en elle. Est-il prêt à lui faire don de ce que contiennent ses propres effets personnels ? Et au nom de quoi, sinon de ces quelques instants dérisoires dont elle lui a fait grâce sans trop y réfléchir, juste parce qu’il lui témoignait une courtoisie rarement égalée depuis qu’elle avait eu vingt ans ? Dans sa gorge les mots s’embourbent entre refus embarrassé et remerciements confus, trébuchent les uns contre les autres dans un murmure consternant. N’en ressort qu’une onomatopée vive en guise d’émotion, tout pour ne pas servir non. Car on ne dit pas non au client, quand les oui sont profanes. Mais si elle ne le laisse pas… elle ne veut pas connaître ce que la déception froisse sur son visage de tournesol.
« Oh. A-attendez, je demande. L’eau. »
Doucement se relève, dépose la tresse sur son échine à l’instar d’un bijou, puis s’éloigne petit pas petit pas vers la porte coulissante de la salle pour glisser un œil à l’extérieur et appeler, dans un ryoshimais retrouvé :
« Fuyu chan, Fuyu chan..! »
Quelques secondes éclaboussent le silence avant que n’apparaisse, au bout de la coursive, le minois curieux d’une adolescente en tablier que son nom a arrachée à son reprisage de tabi.
« Oui, Yosano san ? échoe-t-elle en se rapprochant de la chambre.
Voudrais-tu bien préparer de l’eau chaude, une théière et deux tasses, je te prie ?
Deux… Oui, tout de suite, Yosano san. »
La demande paraît un chouïa incongrue, lorsqu’elle a coutume de n’apporter à l’étage que des baquets pour l’hygiène ou d’étroites serviettes fumantes. Ici aucune courtisane ne sert le thé elle-même — elles ne sont pas là pour ça —, mais son éducation fait de Mizuki une exception, alors personne n’irait la remettre en question. S’agenouillant près de l’embrasure, celle-ci se retourne ensuite vers son invité avec un léger acquiescement, refermant d’un cran le col de son kimono que le froid du couloir s’est empressé d’infiltrer.
« Fuyu chan, nous va porter cela. Et je peux, vous faire le, service. Comme dans la tradition, si vous le souhaitez. » Son regard s’abaisse sous le poids de la prétention qui l’assaille, se ressaisit. Il y a si longtemps qu’elle n’a pas exécuté une authentique cérémonie — peut-on ne serait-ce que parler de cérémonie, quand elle n’aura que la moitié du nécessaire et qu’un débris d’atmosphère ? —, mais un petit oiseau lui chuchote que cela ne déplairait pas à l’étranger. D’ailleurs il lui pépie aussi, en outre, que n’importe quoi venant d’elle ne lui déplairait pas. Ce qui lui facilite ô combien la tâche.
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La confusion vous va si bien | Ryoshima — été 155. [Yosano, Akio] EmptyVen 12 Avr - 16:48
Entre les mains habiles de Yosano, il se sent souple, malléable. Une terre d’argile qui se plie aisément sous la moindre pression de la paume. Sous ses yeux, il se sent docile, animal domestiqué près à protéger ses compagnons. En sa compagnie, il ne veut être qu’agréable et serviable, une brise rafraichissante au milieu de cet été étouffant. Il ne se veut même pas charmant ou mielleux, il ne serait probablement pas capable de berner ce regard perçant et bienveillant.
Est-ce cela qui motive tant l’insistance d’Ariel pour ne pas la déranger, ne pas s’imposer plus que de raison ? Ou est-ce là un caprice survivant par pur esprit de contradiction à l’influence apaisante de la jeune femme ? Une dernière étincelle de rébellion, tout juste de quoi éclairer son individualité. Ariel n’en a toujours fait qu’à sa tête, n’a suivit que ses propres envies, ses propres règles. Pourtant, le voilà caché dans une petite chambre perdue dans les rues de la Cité-Capitale embrumée sous de lourds rideaux pluie. Loin du port, loin de son voilier, loin de sa liberté rêvée.
Elle lui manque déjà.
Une brève pensée, il ne lui faut rien de plus pour savoir qu’il partira sans regret. Peut-être reviendra-t-il dans cette pièce lovée au cœur d’une discrète maison. Sûrement. Si elle veut bien de lui. Si les vents l’y mènent.

Avec l’assurance de ne pas prendre racine, il ne reste à Ariel qu’à profiter. Le grondement du tonnerre souligne l’ambiance paisible de la pièce. L’émotion qu’il devine dans la voix de la jeune femme le fait sourire. Elle lui semble chaque instant plus à l’aise, plus naturelle et Ariel n’essaye même pas de cacher la fierté qui teinte légèrement son sourire, semblable à celle qu’il ressent lorsqu’un chat errant le laisse l’approcher. Les doigts fins de Yosano dansent tranquillement dans ses cheveux, effleurent, regroupent et séparent.  Immobile, il repense à ce contact sous la serviette, un peu plus tôt. Est-ce volontaire ? Son cœur se remplit d’enthousiasme mais s’étouffe d’une étrange timidité, un mélange qui lui rappelle l’adolescence avec nostalgie, un âge rempli d’impatience et d’incertitudes.

Quand une question répond à sa proposition, suivie d’une hésitation, l’inquiétude le gagne. La jeune femme aux gestes certains, aux mouvements habiles perd de son aisance. Il a tout juste le temps de lancer un regard soucieux par-dessus son épaule avant que la jeune femme ne dépose délicatement la tresse contre son dos. Précieux jusqu’à la pointe des cheveux, encore une fois. Cependant, la pensée n’a rien de flatteur cette foi. Le client est roi, le client a tous les droits. Alors qu’il la regarde se lever du coin de l’œil, suit son dos tandis qu’elle s’avance vers la porte, tout ce qui tourne dans la tête blonde, c’est l’idée d’avoir enfreint une règle tacite de la maison ou du bloc. Y aurait-il quelque chose ici qui rendrait plus indécent une tasse de thé qu’un corps nu ? Décidément, rien n’est plus confus pour Ariel que les règles de la bienséance ryoshimaise.

Agenouillée devant la porte, la jeune femme semble pourtant reprendre toute sa contenance et plus encore. L’aisance de Yosano dans sa langue natale. L’assurance de former l’air à sa volonté. Si ses hésitations et son accent en alryonnais lui donnait un air adorable, Ariel pourrait bien trébucher dans l’adoration face à cette dame au phrasé fluide, à la voix posée, à l’élégance toujours plus prononcée. Des cheveux si sombres qui caressent une nuque si claire alors qu’elle acquiesce. Le regard d’Ariel suit le mouvement de ces mains qu’il ne pouvait voir travailler plus tôt tandis qu’elles referment le col de son kimono. Il essaye respectueusement de ne pas penser à la peau maintenant cachée qu’il ne s’était pas permis de regarder auparavant, alors que la jeune se tenait juste devant lui, à portée de main. Alors qu’il disait ne pas être venu pour ça. Une pensée fugace vite écrasée par la surprise et l’admiration alors qu’elle propose de lui servir le thé selon la tradition.
« Vous feriez cela pour moi ? Ça me ferait plaisir. » répond-il, un émerveillement enfantin dans les yeux alors qu’elle n’a même pas commencé.
Il en a entendu parler, de la cérémonie du thé, du raffinement, de l’élégance. De la beauté.

Poussé par son enthousiasme, il se lève pour rejoindre Yosano près de la porte et s’agenouille devant sa mallette. D’un geste rapide, il l’ouvre et fouille, retrouve le sachet de thé qu’il vient d’acheter. Il s’est caché entre deux carrés de dentelle soigneusement pliés et retenus par une ficelle. Contre le blanc de sa chère marchandise contraste la boite de son nécessaire d’écriture, plume et encre séparées et enfermées loin du délicat textile.
Sa mallette encore ouverte, Ariel présente humblement son thé à Yosano. Il a demandé au vendeur s’il pouvait noter les informations importantes sur une petite étiquette accrochée au fil de lin retenant l’emballage fermé.
« J’espère que cela conviendra. Et… » Un instant d’hésitation où il laisse son regard retomber dans la direction de ses affaires avant de retourner au visage de Yosano. « Je ne voudrais pas vous manquer de respect, donc n’hésitez pas à refuser. Mais. Serait-il possible de prendre des notes sur votre manière de faire, s’il-vous-plaît ? »
Shimada Akio
Shimada AkioRyoshima
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La confusion vous va si bien | Ryoshima — été 155. [Yosano, Akio] EmptyVen 19 Avr - 23:20
L’espace d’un instant, elle pourrait oublier jusqu’où est-ce qu’elle se trouve. Elle pourrait oublier la rumeur grondante de l’orage, le velouté des chandelles éclairant les quatre parois de bois autour d’eux. Disparue, la trame sèche des tatamis au liseré carmin, disparus, les halètements erratiques de l’autre côté du paravent, disparu aussi, le lendemain qui vient, qui viendra toujours, un jour de plus identique au précédent, futur et passé ensemble dissipés par la puissance de ce moment qui s’offre à elle tel un miraculeux cadeau. Sous le regard de l’étranger, même sa cicatrice s’efface, et la souillure avec, et la honte et la colère, s’effacent la servilité ainsi que l’arrière-goût ranci du gâchis, purifiant le monde comme au premier jour de sa vie — sous le regard d’Ariel, c’est le ciel qui se déverse pour laver son existence, deux joyaux de terre brûlée capables de la bénir par la grâce d’une innocence qu’elle ne croyait plus éprouver ici, à l’intérieur de cette bâtisse ouverte aux bourses les plus vulgaires. Cette même innocence qui aurait pu déraper dans le timide vallon de sa gorge, à présent vertueusement couverte, pour ensuite s’abîmer quelque part au fond de ce qui ne se dit pas. Cette innocence d’enfant qui n’aurait jamais dû connaître le véritable dessein de cet endroit et qui, pourtant, semble l’avoir oublié sitôt qu’il l’a appris. Ou s’en foutre, peut-être. Car il est vrai que Yosano a le sentiment que, à la différence de son peintre, cet homme-là ne retient d’elle que la plus belle part, celle dessinée par les anges, sans faire grand cas du reste, qu’il ne distingue que la lumière en oubliant les ombres, ou en les niant, qu’elles ne s’accrochent guère à sa rétine, impuissantes à la ternir. Face à la suie et à l’or, chacun réagit selon son cœur ; le marchand ébloui se concentre sur ce qui ravit son œil quand l’artiste transforme la cendre en un pigment plus lumineux encore. Mais qu’importe qu’ils aient tort de la considérer de cette manière — à leurs yeux, elle vaut déjà tous les trésors.

Ça lui ferait plaisir, qu’il avoue, bienheureux. Et Kami sait combien la réciproque est valable tandis que Mizuki l’observe se relever avec entrain, la rejoindre à petite distance puis ouvrir sa caverne aux merveilles version miniature, vers laquelle elle ne peut s’empêcher de tendre délicatement son attention, l’air de ne pas y toucher. Ce n’est pourtant pas le thé qui attise le plus sa curiosité, plutôt ce qui l’entoure, l’enveloppe dans son écrin dentelé ; la courtisane ne saurait se tromper sur la finesse de l’ouvrage, quoiqu’elle s’étonne qu’un homme soit en possession de ce genre d’accessoires alors même qu’il n’en porte point sur lui. S’agirait-il donc d’un présent pour sa belle ? Une hypothèse à laquelle son intuition se défend néanmoins de donner crédit, car tout déconfit qu’Ariel fût en comprenant où il se trouvait, il n’en appela à aucune compagne lointaine pour légitimer le peu de vertu qu’il daigna encore lui dissimuler un instant plus tôt. Cela étant, elle ne sait si ce célibat soupçonné relève d’un vœu de chasteté, d’un pur dommage ou d’un indice tout inverti quant à la raison qui l’empêcha de s’abandonner au vice pour lequel, à son insu, il a payé. Quel que soit le cas, c’en est presque malheureux.
L’emballage de tissu n’est toutefois pas le seul mystère où son esprit s’attarde : à côté, en clair-obscur, une fine cassette luit secrètement sans que son propriétaire ne vienne la manipuler. À la place, il lui tend le pli de thé ainsi qu’une offrande royale et, immobile, elle attend qu’il ait fini de lui exposer sa requête. Il y a déjà, dans le dépouillement de sa chambre, dans l’indécence de sa tenue, dans la médiocrité des ustensiles à venir, bien assez pour que Yosano lui refuse cette demande ; l’instant qu’elle s’apprête à lui consacrer n’est en rien comparable aux véritables cérémonies comme elles ont cours dans un pavillon traditionnel, et ce serait ternir le raffinement de cet art que d’accepter de l’opérer dans ces misérables conditions, autant qu’une réelle honte envers son invité — malgré tout elle s’est laissé emporter par l’enthousiasme de ce tournesol, s’est laissé envoûter par sa générosité, et maintenant il est trop tard pour renâcler à sa propre initiative.
Mais pas assez pour reconnaître cet élan d’orgueil qu’elle regrette déjà, comme une insulte à son apprentissage de geisha.
« … C’est moi. Qui manque de, respect, Aliel san, s’excuse-t-elle en s’affaissant au sol, s’inclinant jusque terre sans rien perdre de son élégance, le front au-dessus de ses mains superposées. Je suis navrée, la… manière de faire. N’est pas… ne peut être la mieux. Ici, n’est pas l’endroit nécessaire et. Je ne suis pas assez, pour donner l’honneur… Je vous prie de m’excuser. »
Quand elle se redresse, cependant, sa contenance n’a pas vacillé d’un cheveu. La posture est intacte, le faciès fidèle à ce qu’elle incarne ; si ses excuses sont sincères, elles glissent sur sa résolution sans même la fêler, car elle donna sa parole et ne saurait reculer à présent. Parce que ça lui ferait plaisir.
Et que c’est là son métier.

« Notez, ce qu’il vous plaît ; il n’y a. Aucune offense. » Elle s’incline de nouveau, moins bas cette fois, en guise de remerciement pour sa prévenance. Vrai, si tous ses clients étaient aussi respectueux que lui, elle ne s’en sortirait pas — il lui a fallu près de six mois pour s’accoutumer au premier, pour croire que ses politesses ne cachaient rien de fielleux, que sa pudeur n’avait rien de malhonnête — celui-là appartient sans conteste à l’espèce voisine, mais son degré de diligence atteint des sommets qui lui serait difficile d’appréhender en une seule rencontre, dans de telles circonstances. Quelque part, elle craint de s’y amollir. D’affaiblir ses résistances à cette tendresse inattendue. Elle craint qu’elle ne lui manque, ensuite, qu’elle ne la recherche chez les autres sans réussir à la retrouver. Craint de la désirer. Alors même que cela lui fait plaisir.
D’un geste précieux, elle récupère alors le sachet de thé afin d’en jauger la nature ; il s’agit d’une fine poudre issue d’un grand cru des montagnes, un échantillon d’excellence dont l’intensité n’a d’égale que la subtilité. Un cadeau digne d’un noble, qui ravive l’embarras de Yosano autant qu’il la flatte, et qu’elle dissipe dans un hochement de tête entendu.
« Vous pouvez prendre, place à la table. J’attends l’eau. Et je viens. »
Quand elle se détourne vers la porte, à l’affût du retour de Fuyu, c’est aussi pour se dérober au regard qu’il pose sur elle et qu’elle sent capable de l’accrocher un temps de plus, de trop, elle le sait du fond d’elle-même, ce regard sans ombre ni ruse, glissant sur son visage et son corps à l’instar d’une perle de rosée sur la corolle d’un camélia blanc, de sorte qu’il suffirait qu’elle entrouvre un pétale pour qu’il s’y niche — qu’elle cède de nouveau un brin de lâcheté à ce col, par exemple —, qu’il vienne se lover dans le suave satin de sa silhouette.

Quelques minutes s’écoulent avant que les pas de Fuyu ne se rajoutent à la caracolade de l’averse. Le plateau qu’elle apporte, lourd de sa théière à l’émail verdâtre et de ses tasses assorties, n’est plus de la première fraîcheur, mais la jeune domestique présente avec gaieté une soucoupe dans laquelle elle a placé quelques cubes de yokan pour accompagner le breuvage ainsi que l’indispensable fouet de bambou dont une dent a cassé par le passé. Subtilisés dans la cuisine, admet-elle dans un chuchotis à demi-coupable. Peut-être qu’elle aussi a entraperçu l’étranger au moment où il est entré dans l’établissement. Peut-être qu’elle aussi voudrait lui être aimable, à sa façon. Ce n’est qu’un détail, cependant il étincelle de complicité entre les deux femmes et son éclat chatoyant rémane toujours lorsque Yosano retourne petits pas petits pas auprès de son client.
« Toutes mes excuses pour l’attente, Aliel san » relâche-t-elle par réflexe, en ryoshimais, pendant qu’elle s’installe à son tour sur le tatami, le plateau à côté d’elle. Agenouillée sans être assise, elle commence par égarer une seconde son iris sur la figure appliquée de son vis-à-vis, dans le faisceau élancé de ses cils, avant de revenir se concentrer sur la préparation du thé.
À défaut de pouvoir procéder dans les règles de l’art, la méticulosité se fera sa meilleure alliée. C’est bien là tout ce qu’il lui reste, la minutie, l’attention portée à chaque mouvement, à chaque pulsation. Le temps qui ralentit pour se courber selon le rythme qu’elle a choisi, les sons de la pluie qui se taisent, contrits. Le monde qui peu à peu s’estompe, s’évapore parmi les fumerolles de la théière, qui rétrécit tant et tant qu’il ne demeure bientôt que cette bulle de grâce où ils respirent à peine, cet œuf éthéré à l’intérieur duquel plus rien n’a d’importance que le parfum du thé libéré dans une cuillère, que la mousse montant doucement dans le bol, que la précision dansante qui accompagne les gestes de la courtisane et dont la voix ne trouble l’harmonie du silence que pour expliquer à son partenaire comment participer à son tour — tenir correctement le bol, y tremper les lèvres, savourer et se sentir vivre. Avec, de la première à la dernière inspiration, peint quasi timide sur son visage absorbé, pareil à un lotus tout juste épanoui au milieu d’un lac enneigé, le rouge flottant de son sourire.
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