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Le temps d'une respiration [Akio][Alryon]

Violet Jenkins
Violet JenkinsAlryon
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Le temps d'une respiration [Akio][Alryon] EmptySam 3 Fév - 12:55
Violet n’aurait pas imaginé, avant la soirée, y croiser tant de visages connus (et surtout des visages connus qu’elle aurait sans aucun doute préféré ne pas croiser dans ce contexte, dans ce rôle !). Cette surprise l’avait un peu déstabilisée, et surtout, épuisée à force de tout faire pour ne pas être reconnue.
Elle se sentait d’autant plus désorientée que les York étaient bien loin des nobles alryonnais auxquels elle était habituée. Aucune tradition ne semblait réellement tenir ici, et tout semblait bouillonner sous la surface, qu’Astrance parvenait à maintenir très lisse. Pourtant, il y avait là des invités bien étonnants pour une fête de fiançailles entre deux nobles familles alryonnaises … Et, bousculée dans ses habitudes, perturbée dans son jeu de masque, Violet ne savait plus vraiment à quoi s'en tenir. Elle avait l’étrange sensation que la famille York venait de lui ouvrir une porte vers une autre réalité, sans même s’en rendre compte.
Ainsi, elle avait besoin d’un instant pour s’en requinquer, et mettre un peu d’ordre dans les battements de son cœur et dans ses pensées tout à la fois.
Par chance, il était de notoriété publique qu’elle était de santé fragile, et, s’il lui était impossible d’aller s’isoler dans sa chambre puisqu’elle n’était pas chez elle, elle obtint sans peine la direction d’un petit salon à l’écart où elle pourrait bénéficier d’un peu de calme. On lui proposa également des sels, qu’elle déclina: elle n’était pas au bord de l’apoplexie, contrairement à ce que l’on s'imaginait toujours.
Sa santé fragile était un très bon stratagème mis en place depuis longtemps et gagnant en crédibilité à chaque utilisation. Après tout, les faiblesses étaient monnaie courante chez les nobles, et la minceur de Violet ajoutait du crédit à cette thèse. En réalité, elle allait très bien, la plupart du temps, et cherchait simplement à échapper à des mondanités auxquelles elle n'avait pas envie de participer, à gagner un peud e liberté, à pouvoir aller lire … et bien souvent, bien qu’elle ne s'avoue pas, à combattre sa propre anxiété.

La jeune fille fut accompagnée jusqu’à une petite pièce à l’écart dont on lui ouvrit la porte tout spécialement. Elle remercia évidemment d’abondance, puis s’y faufiler. Une fois qu’elle fut seule dans ce cabinet, elle prit le temps d’en explorer la riche décoration (était-ce là les créations des soeurs York ?). Celle-ci était éclectique et originale, mais il y avait tant d’élements dépareillés que cela formait, en conclusion, un ensemble étonnamment harmonieux. Puis, elle s’approcha d’uen fenêtre, constatant ainsi qu’elle se trouvait à présent côté jardin du manoir. Il faisait nuit, et elle ne parvenait à distinguer que des formes sombres, aussi, abandonna-t-elle l’idée de cartographier mentalement le parc de la demeure des York à la capitale.
Sur ce constat, Violet se permit de s’asseoir sur une des causeuses, face à la cheminée et dos à la porte, sur laquelle elle s’alanguit peu à peu, les yeux mi-clos. Il faisait dans la pièce une chaleur beaucoup plus douce que dans la salle de réception, et les craquements du feu mêlés au bruit lointain de la fête créaient une berceuse au rythme irrégulier. Les odeurs étaient également bien moins entêtantes, et la jeune noble se sentit peu à peu s’apaiser en même temps qu’elle réalisait qu’elle avait réellement eu une début de mal de tête et que celui-ci passait. Doucement, elle prit le temps de caler sa respiration sur les battements de son cœur, et de se calmer profondément, retrouvant un peu de sérénité.

La benjamine des Jenkins ne s’attendait pas cependant à avoir de la compagnie.
Shimada Akio
Shimada AkioRyoshima
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Le temps d'une respiration [Akio][Alryon] EmptySam 3 Fév - 17:51
Les violons piquetés de piano n’étaient plus qu’un grincement ténu ; le charivari des pas, un murmure liquide ; les conversations, un souffle venteux dans le lointain. Akio dessinait. Les silhouettes alentour n’étaient plus que des modèles vivants sous une mine de graphite ; leurs vêtements, un jeu de nuances ; leur personnalité, une expression figée sur le papier. Akio dessinait. Il ignorait depuis combien de temps — comme si cela avait encore de l’importance. Jusqu’ici personne n’avait fait attention à lui et, quand enfin il releva la tête avec une autre intention que celle de vérifier la disposition d’une dentelle ou la boucle d’une chevelure, il s’aperçut que la nuit était tombée, que la faim le gagnait et que, sur ses genoux, dévoilant ses épaules nues de sous sa robe de soie et de tulle, la nuque enchaînée d’un ruban de pierres précieuses et avec le port altier d’une princesse étrangère, celle qui plantait sombrement ses prunelles au fond des siennes n’était autre que Yosano.
Secoué d’un frisson honteux, il effaça aussitôt l’image de la tranche de la main, frottant le papier jusqu’à ce que son épiderme se couvre de charbon à l’instar du reste de ses phalanges et que l’on ne puisse plus y distinguer que le buste précieux d’un spectre sans visage. Après quoi il referma son embarras, le rangea dans sa besace puis avisa les salissures au bout de ses doigts, à faire ricaner un mineur. Une rapide toilette ne serait pas de trop, tant qu’il n’avait pas été repéré par quiconque — de quoi grappiller un ou deux petits fours en chemin, s’il était chanceux — et en profiter pour se changer les idées, aussi se dirigea-t-il vers un des couloirs de service tout en longeant le buffet où il subtilisa un de ces petits pains garnis typiques avant de se faufiler derrière la première porte entrouverte qu’il rencontra.

Immédiatement les rumeurs de la fête s’amenuirent, ce qui permit à ses tympans de capter d’autres bruits lointains, vaisselle ou éclats de voix, tandis qu’il avançait dans cette coursive déjà plus large que son propre logis. Sur les murs s’ennuyaient de nombreux tableaux à la mode alryonnaise, coteaux de campagne par toutes les saisons, marines ou natures mortes aux pêches dont certaines, plus tâtonnantes dans les touches de pinceaux mais pourtant annonciatrices d’un indéniable talent, témoignaient des primes essais de la jeune Belladonna. Curieux, Shimada ralentit le pas tout en grignotant distraitement sa viennoiserie ; il est vrai qu’il n’y avait pas songé jusqu’à présent à cause du raz-de-marée de confusion par lequel il avait été emporté depuis Ryoshima, mais s’il arrivait à se présenter à l’artiste, peut-être pouvait-il espérer visiter la pièce qui lui servait d’atelier lorsqu’elle revenait chez ses parents — ou du moins celle qui avait accueilli sa créativité avant qu’elle ne quittât le typhon familial. Et s’assurer que sa précédente commande avait été conforme à ses attentes.
« Ah, erm... Mademoiselle ? Êtes-vous perdue ? »
Sursaut de hérisson. Volte-face — et de l’autre côté, un domestique en livrée, un plateau de flûtes vides à bout de bras, en train de le jauger à six mètres de distance. Sans répondre, Akio termina d’avaler sa bouchée pendant que son cerveau analysait les options de réplique possible ; oui, il allait être reconduit en arrière ; non, à coup sûr il deviendrait suspect malgré lui d’une méprise grandeur peinture ; ce ne sont pas vos affaires, serviteur ! alors ? Oui, non, quand même pas.
« Eh... peut-être..? »
Le valet ne se démonta guère, pourtant au froncement qui vint plisser ses sourcils l’espion en déduisit qu’il ne serait pas pris au sérieux. À sa place, lui ne le ferait pas, en tout cas.
« Avez-vous été invitée ? Nos respectables hôtes sont priés de rester dans les lieux prévus à leur attention, aussi vous demanderai-je de bien vouloir regagner la salle de réception... »
Ce ne fut pas qu’il se montra un brin rigoriste, mais suffisamment pour inspirer à Akio l’envie de refuser l’offre juste par affront — dans sa posture guindée, dans la fermeté de son ton, il lui rappelait les matrones de l’orphelinat, celles-là même auxquelles il avait tant de fois échappé d’un saut par-dessus le muret, sa langue pendue pour unique réponse. Sauf que ce soir, il n’avait plus huit ans ni ne se trouvait dans sa Cité natale. Qu’à cela ne tienne.

« Q-que... Mademoiselle, enfin ?! »
De deux gestes lestes, le peintre avait retiré ses geta et, crochetant ses doigts libres à la lanière décorée, s’en retourna au petit trot dans la direction opposée au domestique ahuri, non sans lui jeter un mot d’excuse par-dessus l’épaule qu’il fut trop estomaqué pour rattraper. Au bout du couloir, il buta épaule la première contre un nouveau battant, tourna à gauche dans l’écho de son poursuivant empêché par son barda de verre, bifurqua à droite en pressentant l’arrivée d’un second valet et, finalement, après avoir traversé un énième couloir lustré jusqu’aux moulures, coupa vif sa fuite en s’introduisant telle une belette dans la première pièce non-verrouillée qui eut la grâce de surgir sur sa route.
Inspiration. Expiration.
À l’intérieur, une cheminée projetait son aura chaleureuse sur les rideaux et les dorures, allongeant d’autant les ombres des meubles. Loin de la sobriété ryoshimaise, ce boudoir confortable exhalait la vie des dizaines de personnes qui avaient habité ce manoir fut un temps pas si lointain, bigarré à la limite de l’excès mais assurément chargé de souvenirs, précieux comme une malle aux trésors. Alors qu’il étudiait l’espace encombré sous ses yeux, Akio effectua quelques pas silencieux sur les tapis dont ses pieds apprécièrent le moelleux, en direction de la fenêtre ; sandales toujours pendues à ses doigts, il porta à ses lèvres la dernière bouchée de son en-cas avant de
manquer la recracher dans un tressautement
quand son regard s’accrocha à la silhouette qui, depuis son assise face aux flammes, l’observait.
Parce que oui, on n’allume pas des feux sans personne pour les célébrer, n’est-ce pas ?

« ...Toutes mes excuses, je... heu... me suis perdu. »
Enfin, peut-être.
Violet Jenkins
Violet JenkinsAlryon
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Le temps d'une respiration [Akio][Alryon] EmptyMer 7 Fév - 9:34
Très sereine, oui, au point qu’un peu plus, elle s’endormait. C’est le bruit d’une porte qu’on ouvre qui la dynamisa, tout en étant persuadée que c’était une autre pièce qui était concernée. Elle se rendit compte de la portée de son erreur lorsqu’une silhouette aux longs cheveux plus brillants que le satin traversa la pièce, pieds nus. Médusée, Violet regarda l’arrivant, incapable dé déterminer si elle avait affaire à un homme ou à une femme. Par contre, cette personne venait de Ryoshima, c’était évident. Tout, dans sa tenue, l’attestait. Dans la semie-pénombre, Violet n’était pas capable déterminer la qualité du tissu et ainsi, la classe sociale de cette personne, mais par contre, la besace qui pendait lui soufflait que l'individu n’était sans doute pas noble. Qui, parmi les nobles, s’abaisserait à porter son propre matériel, à déambuler avec un sac, à s’afficher comme … Puis elle se souvint d’où, et surtout de chez qui elle se trouvait. Les règles communes ne s'appliquaient pas chez les York, et pour autant qu’elle en savait, ce nouveau venu faisait partie de la famille impériale tudieu !
Alors, Violet se redressa, et par réflexe, lissa sa robe du plat de la main alors que la personne ne l’avait pas encore remarquée. Elle détailla le ou la ryoshimais.e, afin de réussir à déterminer comment diable s’adresser à cet individu, lorsqu’il ou elle la remarque. Elle n’en eut malheureusement pas le temps que la personne tourna la tête vers la jeune noble, et fit très certainement exactement la même tête que Violet: celle d’un lapin pris dans les éclairages d’un fiacre. Celle des gens qui n’étaient pas tout à fait censés être là.
Lorsqu’il énonça qu’il s’était perdu, Violet prit le parti de considérer qu’elle avait face à elle un homme. Un homme androgyne, mais un homme. Ne sachant toujours pas exactement face à qui elle se trouvait et le rang de la personne, la jeune fille se leva, et fit une révérence rapide, protocolaire.

Ce n’est rien. Je suis Violet Jenkins,” se présenta-t-elle, “soeur d’Edmund Jenkins, le fiancé d’Astrance York.” crut-elle bon de préciser: elle n’avait jamais vu son interlocuteur, il y avait donc peu de chances qu’il soit invité du côté des Jenkins dont le nom pouvait ne rien lui évoquer (après tout: les règles communes ne s'appliquaient pas chez les York). Elle sourit. “J’étais ici pour me reposer, la fête m’a fatiguée. Cherchiez-vous également à y échapper …?

On entendait tout à fait dans la voix de Violet l’interrogation quant au nom de la personne qui lui faisait face, le poussant à se présenter. Elle espérait en réalité que cela trancherait de manière définitive son interrogation quant au genre de son interlocuteur: ses bonnes manières ne lui impliquaient pas le même comportement en fonction de la réponse.
Sous des dehors calmes et avenants, Violet cherchait en réalité à se rappeler de si elle avait déjà vu cette personne, à comprendre ce que diable elle pouvait faire ici et ce que cela pouvait impliquer, et enfin, à se rappeler s’il n’y avait pas d’autres bonnes manières à Ryoshima qu’il lui faudrait suivre ici.
Shimada Akio
Shimada AkioRyoshima
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Le temps d'une respiration [Akio][Alryon] EmptyMer 14 Fév - 15:43
Dans l’intervalle d’un battement de cœur manqué, Akio observa la demoiselle que son étourderie avait dérangée avec le sentiment que l’on éprouve face à ces poupées de porcelaine sous verre, si précieuses qu’elles en deviennent comme irréelles. Celle-ci pourtant bougeait, ne serait-ce que dans la fébrile libellule de ses cils pâles, dans le frémissement des corolles dispersées sur sa poitrine, dans les vastes plis de ses jupons où dansaient les flammes par reflets rougeoyants, et cette vision d’un autre monde s’imprima sur sa rétine à l’encre d’or juste avant qu’il ne baissât les yeux, par mimétisme autant que par civilité, en réponse à la révérence qu’elle lui offrit. Profitant de cette fraction de seconde pour avaler rond le morceau de pain qui lui gonflait la joue, il la laissa ensuite se présenter par le menu, ce qui lui permit d’apprendre que, de toutes les créatures évoluant ce soir au milieu de ces eaux luxueuses, il se tenait face à l’une des plus proches des deux étoiles de la soirée — l’aurait-il souhaité qu’il n’aurait pas eu mieux — avant qu’elle ne lui avoue le motif de sa présence ici. Nonobstant le sourire dont elle le gratifia, aussi délicat que de convenance, le peintre hésita à abonder en son sens de crainte de paraître d’une plus grande gêne encore, puisqu’il devinait que toute présence, même silencieuse ou invisible, n’aide guère au délassement de l’esprit. À l’inverse, il eut envie de s’excuser derechef, de rebrousser chemin en appelant à l’oubli, mais l’idée de retomber sur le précédent domestique l’en dissuada et, convoquant alors le fond de connaissances qu’il possédait sur la noblesse alryonnaise, se fendit d’une courbette prononcée qui ne manqua pas de faire ruisseler sa chevelure de part et d’autre de sa nuque.

« Lady Jenkins, salua-t-il pondérément, avec cet accent ryoshimais où le \le.di\ vint éclore en \laj.di\, je vous prie de bien vouloir m’excuser d’avoir troublé votre quiétude de la sorte... »
Sait-on jamais ; ce n’est pas parce qu’elle semblait une frêle sœur aux tendances introverties qu’elle ne pouvait pas le faire chasser de la demeure comme un va-nu-pieds, littéralement, pour un mot de trop ou de moins. Et s’il était en mesure de s’épargner cette mauvaise publicité — quoiqu’il ne cherchait pourtant à impressionner nul en ces lieux — ce serait pour le mieux. Quand il se redressa, ses geta étaient posées au sol et il ne savait quelle information elle guettait de lui à l’exception d’un patronyme, cependant l’instinct de lui en fournir un inauthentique fut occulté par le fait qu’elle relaterait peut-être cette rencontre parmi le cercle des York, où déjà deux sœurs le remettraient sur-le-champ puisqu’il se trouvait être le seul Ryoshimais dans les parages, et seraient pour sûr fort surprises d’entendre cette nouvelle identité. Embrouille en perspective, donc. À éviter.
« Mon nom est Shimada. Je ne suis le frère de personne — enfin, pas qu’il sût —, et c’est No-... hm, York san qui m’a transmis une invitation. Enfin, si c’est elle... Dame Églantine. Ou bien Dame Belladonna ? L’une des deux, je pense, les autres ne me connaissent pas. »
Même lui sentait que son histoire manquait de conviction autant que son usage des titres étrangers, à son grand dam, et s’il avait eu ne serait-ce qu’un soupçon de suspicion à son propre égard il aurait exigé de voir ledit faire-part ; aussi se mit-il à fouiller spontanément dans sa besace à la recherche de la preuve expresse, qu’il avait glissée dans son carnet de croquis une fois les portes du jardin franchies. D’une main il s’empara du livre puis, l’ouvrant en deux sur la seconde, en feuilleta quelques pages afin de dénicher la missive.
« Ah, voici. »
Miraculeusement coincée entre deux pages noircies de fusain, sauvegardée des traces de charbon par une sur-enveloppe de papier de riz qu’une fulgurance lucide l’avait incité à utiliser pour protéger cet exceptionnel laisser-passer, la lettre fut présentée à la dénommée Violet afin de confirmer ce récit pour le moins bancal. Tout en la lui tendant, il ajouta avec douceur :
« J’essayais en effet de trouver un peu de calme... mais ma présence vous est sans doute emportune, alors je vous laisse tout de suite. »

Il en aurait fait ainsi, en tout cas, la main prête à remettre le faire-part au fond de son sac, si de l’autre côté du mur, venant du couloir adjacent, ne s’était rapprochée avec franchise une flopée de pas secs aussitôt suivie de brefs coups à la porte. Et le timbre, certes étouffé par l’épaisseur de la paroi, mais assez identifiable, du domestique dorénavant libéré de son plateau de verres vides, à l’affût d’une invitée mystère en chaussettes.
« Lady Jenkins..? » Une hésitation, presque imperceptible, tel un raclement de gorge. « Vous me voyez hautement navré de vous déranger, mais il y a... disons... il semblerait qu’une invitée déambule dans l’aile sans y avoir été conviée. Je me dois de la reconduire... Il s’agit d’une jeune femme, une Ryoshimaise, si jamais vous l’avez aperçue..? »
À l’écoute de son propre avis de recherche, Akio réprima un soupir navré — pour lui autant que pour la demoiselle en soieries face à lui — tandis qu’il mettait les quelques furtifs silences ponctuant l’annonce sur le compte de la gêne de ce serviteur réduit par sa faute à déranger une aristocrate pour une raison aussi ridicule. Il n’aurait pas aimé être à sa place, sur le coup, mal qu’il n’aurait pas plus apprécié d’être pris ici la main dans le bissac. D’ailleurs, il n’attendit guère la fin des explications pour adresser tout du long des signes muets à son interlocutrice, secouant la main ou la tête avec désarroi en vue de quérir son silence complice. Tout, tout sauf l’embarras d’être ramené dans le hall par un majordome à moitié myope ; encore fallait-il qu’elle acceptât de rentrer dans son jeu.
Violet Jenkins
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Le temps d'une respiration [Akio][Alryon] EmptyJeu 15 Fév - 16:52
C’est avec une certaine fascination que Violet observa la cascade ruisselante de cheveux de soie sur lesquels la cheminée faisait danser des reflets oniriques si bien qu’elle eut besoin d’un instant pour se reprendre lorsqu’il se redressa. Elle s’était évadée un instant en s’imaginant avec de tels cheveux, se demandant quels genre de coiffure on pourrait lui imaginer … Mais y avait-il seulement besoin de les coiffer ? Ne se suffisaient-ils pas à eux-même ? Shimada eut donc droit à deux clignements d’yeux surpris alors qu’il s'excusait (elle avait presque oublié l’humain sous les cheveux) avant qu’elle ne lui sourit en guise de pardon, un peu attendrie par la manière dont il prononçait son nom, sans doute très éloigné de ses habitudes. Lorsqu’il se présenta, elle inclina la tête de nouveau, signe de son respect.
Pourtant, l’empressement de celui qui lui faisait face à trouver son invitation l'intrigua un peu: qu'avait-il donc à cacher pour ainsi vouloir absolument prouver qu’il avait sa place ? C’est en faisant son possible pour retrouver le précieux carton qu’il sortit … d’un carnet de croquis aux pages noircies de fusain. Évidemment, ceci ne put que piquer son intérêt, éprouvant soudain une envie irrépressible de feuilleter les œuvres de son interlocuteur afin de découvrir ce qui l’avait marqué de cette soirée, ce qui avait pu attirer son œil. Attirée naturellement vers le dessin, la peinture et la calligraphie depuis toute jeune, elle ressentait une certaine joie à l’idée de croiser quelqu’un qui appréciait également cela. Malheureusement, elle n’eut pas le temps de lui demander quoi que ce soit: déjà, elle avait la missive dans les mains, déjà il s'excusait et tentait de s’éclipser et déjà, on frappait à la porte.
Violet, surprise, ne put retenir un sursaut, le carton d'invitation toujours dans les mains alors qu’on s’adressait à elle directement et que son interlocuteur semblait soudain se liquéfier en se transformant en moulin à vent. Après quelques clignements d’yeux, elle lui sourit, en lui faisant signe d’aller de l’autre côté du canapé, afin de se dissimuler, et elle alla entrebâiller la porte en se composant une voix ensommeillée.

Je suis navrée,” articula-t-elle avec la lenteur de celle qui se réveillait difficilement “Je me suis assoupie. Mais je peux vous assurer qu’aucune Ryoshimaise n’est en ma compagnie.” glissa-t-elle dans un sourire qui fit rougir le domestique sans doute peu préparé à se retrouver ainsi face à la demoiselle et à un sous-entendu dit d’une voix si innocente qu’elle-même ne semblait pas l’avoir envisagé.

Il était évident que le domestique n'aurait pas le cran de sous-entendre un mensonge d’une des invités de la soirée, et d’aller vérifier dans la pièce, aussi Violet ouvrit-elle plus largement en gage de sa bonne foi, alors même que le domestique n'essayait même pas de jeter un oeil, sans doute bien trop embarrassé, et après s’être moult excusé de nouveau, prit ses jambes à son cou aussi vite qu’il le pouvait sans entrer en conflit avec l’étiquette. Violet observa cela avec un sourire en coin, puis se départissant de son air mal réveillé et de sa voix endormie, ferma la porte, le geste vif avant de se retourner vers le mystérieux Shimada.

Ainsi donc, vous êtes Ryoshimaise indésirable dans cette aile, alors que vous m’avez tout l’air d’un Ryoshimais avec un carton d’invitation des plus en règle ?” s'enquit-elle, une lueur amusée dans le regard. “Vous ne m'importunez nullement, mais vous m’intriguez …” lui confia-t-elle. “Pardonnez ma curiosité et ma franchise, mais la question me taraude: comment vous, qui m’avez l’air d’un artiste, vous êtes vous retrouvés à vous faire rechercher par les domestiques de ma belle-famille ?

En lui parlant, Violet s’était un peu rapprochée, toujours à distance respectable, évidemment, afin de pouvoir s’appuyer d’un peu sur la causeuse. Après tout, elle était censée être fatiguée, et la recherche d’un appui lui semblait des plus logiques. De plus, cela la rapprochait du feu, de sa chaleur, et c’était quelque chose qu’elle appréciait.
Shimada Akio
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Le temps d'une respiration [Akio][Alryon] EmptySam 24 Fév - 14:08
Ce fut sans mot dire que l’oiselle fleurie lui fit comprendre qu’elle se rangerait à ses côtés durant cette saynète aux relents de comédie absurde, scellant d’un sourire leur pacte d’entraide ; qui fallait-il qu’Akio remerciât pour cette grâce inattendue de la part d’une noble étrangère, pour qu’un karma inconnu lui rendît la pareille ce soir-là en lui offrant en toute sympathie ce canapé pour cachette ? Il s’exécuta en quelques pas légers, sans guère demander son reste, et se recroquevilla derrière le meuble tout en prêtant attention à la manière dont Dame Jenkins allait congédier le domestique. Car elle le congédierait, n’est-ce pas ? Certes, une personne mesquine ou autrement plus défiante aurait peut-être cherché à le piéger de la sorte, l’envoyant se terrer pour mieux indiquer au serviteur où l’attraper au collet, et si tel avait été le cas il se serait trouvé fort penaud ; la réalité de ce qui suivit, cependant, lui parut bien plus intéressante quant à la personnalité de la jeune femme qui, en une poignée de secondes, s’était composé un rôle authentique et efficient à même de tromper le majordome. À la voix uniquement, le peintre ne surprit aucune fausse note dans sa duperie de loir innocent, aucun frisson comme il devient simple d’en déceler chez quiconque ne pratique pas le mensonge en guise de sport quotidien, à son instar.
Le mince grincement du battant de porte que l’on ouvrît davantage lui fit néanmoins considérer avec horreur que ses sandales étaient restées à leur précédente place sur le tapis, visibles à qui entrerait ne serait-ce que d’un pas à l’intérieur de la pièce, aussi pria-t-il en un clin tous les kamis de la fortune pour que ceux-ci empêchent son poursuivant de se montrer trop suspicieux tout en réfléchissant à la possibilité de faire ramper le plus discrètement possible son bras jusqu’aux geta… Par chance il n’en eut pas la nécessité, les divinités s’étant montrées magnanimes en chassant l’importun — au bruit de la poignée qui s’enclenchât, elles l’autorisèrent même à respirer de nouveau. Sauvé. Et un brin d’encens neuf à brûler à son retour au pays.

Aux premiers mots qui lui étaient adressés Akio se redressa et, avec lenteur, s’extirpa de sa cache sous l’œil mutin de son alliée. Le résumé qu’elle fit de lui avait de quoi faire sourire, en effet, vu sous cet angle, toutefois il avait tant l’habitude de passer — ou plutôt, se faire passer — pour quelqu’un d’autre qu’il n’y entendait guère de quoi s’offusquer, quand de surcroît on ne pouvait parfois s’assurer d’une preuve tangible de sa virilité qu’après l’avoir déshabillé. Heureusement pour ce domestique, ils n’auraient pas à aller aussi loin.
L’intrus nota par ailleurs, sans savoir l’imputer à l’ironie de la situation ou à un caractère plus jovial qu’escompté chez son interlocutrice, que celle-ci semblait un brin moins guindée que lors de leur prime échange, pareille à ce cœur de lotus que mille pétales de convenances dévoilent seulement aux plus patients. Curieuse et franche, voilà des qualités qui ne se cultivaient que trop rarement chez les filles de bonne famille, à l’exception des York, sans nul doute, et s’il avait été espion en ces lieux Shimada s’en serait peut-être assombri. Mais il n’était pas espion, ici. Il n’était personne, ici. L’air d’un artiste, oui, à la rigueur, et encore ? Un fauteur de trouble malgré lui, de sûr.
« Oh, c’est… »
Un malheureux concours de circonstances ? Un malobservé ? Une risette nuance nigaude entrouvrit ses lèvres, prêtes à relâcher sa bêtise, pendant qu’il faufilait ses doigts contre son crâne pour en bousculer la chevelure.
« …disons que, hm, je lui ai donné une raison de croire que je n’avais pas le droit d’être là ? Sauf que, quand vous sentez que la personne en face s’est fait une idée de vous que vous ne pourrez pas changer puisque, eh, elle n’entendra que sa conviction ou l’autorité qui la commande… mieux vaut lui échapper que de chercher à se défendre. » La fuite et Shimada, une grande histoire de secours. Cette fois-ci avait tout de la cocasserie, c’est pourquoi il n’en faisait pas grand cas ; pourtant, il avait eu son lot de méfiance et de préjugés, surtout durant ses jeunes années. Il n’y reviendrait pas. « Enfin, nulle crainte à avoir, je n’ai rien commis de répréhensible… si tant est qu’admirer des tableaux ne le soit pas. »
Doute. Après tout, les règles communes ne s’appliquaient pas chez les York. Mais si tel est le cas, alors en qualité de peintre son être tout entier devient illicite, en un sens ? Une perspective vertigineuse à laquelle il préféra ne pas donner crédit.

Il parut soudain remarquer qu’il avait conservé son carnet serré contre son torse et qu’il lui manquait la fameuse lettre retenue par les phalanges de Violet, mais n’eut pas l’instinct de lui demander de la récupérer ; à la place, il s’inclina avec un soupçon plus d’emphase pendant qu’il effaçait l’humour de son ton et que ses mèches basculaient une nouvelle fois par devant ses épaules :
« Vous m’avez épargné un désagrément certain, Lady Jenkins. » Quand bien même il déplia ensuite son dos, son front demeura baissé, comme empesé de gêne, et son regard se refusa à s’élever plus haut que sur l’ourlet de sa robe ou les pieds du fauteuil sur lequel elle s’était appuyée. « J’ignore de quelle manière vous remercier pour votre aide, mais, si je peux vous rendre ma gratitude comme il se doit... »
Car les coupons de dette ne sont jamais bons à collectionner. Du moins, dans ce sens-là.
Violet Jenkins
Violet JenkinsAlryon
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Le temps d'une respiration [Akio][Alryon] EmptyMer 6 Mar - 14:50
Il y avait dans l’air un flottement, une douceur, une hésitation que Violet perçut sans peine. Son interlocuteur était déstabilisé manifestement par son changement d’attitude, sa légère provocation amusée. Elle avait la sensation qu’il ne savait plus trop sur quel pied danser, juste un instant, avant de se reprendre, déclenchant chez elle foule de questions: elle sentait des secrets, des non-dits appliqués en couches successives qui avaient fini par former un épais vernis sur cet artiste. Mais était-il réellement artiste, au moins ?
Chassant de son esprit cette question incongrue, indélicate, Violet se reconcentra sur la chevelure brillante, moirée même de celui qui se tenait face à elle, sa fascination pour cette soie noire augmentant légèrement à chaque mouvement. L’explication à la confusion du domestique fournie par le possesseur de cette crinière était cependant convaincante, et surtout, Violet s’y retrouvait tout à fait, de sorte qu’amusée, elle sourit à Shimada. Manifestement, l’artiste maîtrisait comme elle l’art de la fuite, la transformation en anguille pour ne pas avoir à répondre de son propre embarras. Restait à savoir si comme elle, il cachait un énorme secret qui justifiait ces louvoiements, ou si c’était une simple habitude.
Sa réplique sur les tableaux la fit sourire, mais ceci disparut lorsque soudain il s’inclina devant elle. Peu habituée aux usages ryoshimais, elle ne s’y attendait pas quand bien même elle connaissait l’importance de la politesse dans ces contrées. Ceci entraîna donc un léger mouvement de recul surpris, où elle se colla sans le vouloir au meuble derrière elle.

Je vous en prie, redressez-vous.” glissa-t-elle. “C’était un plaisir que de vous aider. Il est rare de croiser ainsi des artistes ryoshimais dans les cercles dans lesquels j’évolue, et je suis heureuse d’avoir la possibilité d’échanger avec vous.” continua-t-elle. “Je n’ai d’ailleurs qu’une demande”, conclut-elle: “accepteriez-vous de me montrer vos oeuvres ?

La question, formulée dans un sourire, était sincère. Elle était intriguée par ce que l'œil d’un artiste, a fortiori étranger, pouvait retenir de soirées comme celles-ci. Le faste, les beaux atours et les centaines de bijoux et bibelots, ou bien les échanges de regards, de poignées de mains, la furtivité des domestiques et la discrétion des alliances ? Qu’avait-il regardé, qu’avait-il vu, qu’avait-il croqué ?
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Le temps d'une respiration [Akio][Alryon] EmptyLun 11 Mar - 23:54
Elle le regardait. L’observait même, avec une intensité qui n’est guère l’apanage des damoiselles timorées de la noblesse, ces alouettes tellement recluses qu’elles en oublient parfois la sensation d’une autre peau contre la leur. Elle le regardait sans crainte ni défiance, et loin de le décontenancer pourtant, cette attitude rassura Shimada sur ses chances de sortir de cette pièce — voire du manoir — sans blâme collé aux geta, quand il songeait que la Ryoshimaise en lui n’était peut-être pas étrangère à cette confiance que Violet lui témoignait à travers ce simple échange. Vrai, il n’aurait pu imaginer que l’objet de l’attention de la jeune femme ne fût pas tant son apparence complète que sa seule chevelure ; une méprise qui, s’il en avait eu connaissance, n’aurait pas manqué de lui causer légère rosissure.
Bien qu’il aperçut le nuage de sa robe renâcler lorsqu’il s’inclina, il se garda d’y réagir et ses pensées restèrent scellées à l’arrière de son crâne. Qu’elle le priât presque aussitôt de se redresser lui donna cependant envie de se courber d’un cran davantage, juste par esprit de contradiction, mais il préféra suivre la requête plutôt qu’entretenir inutilement cet embarras. Par ailleurs sa moitié espion avait saisi ce mot — plaisir — et en toute ingénuité, il s’interrogeait sur la sincérité de ce terme : avait-il honnêtement été agréable de lui venir en aide dans ces circonstances ? Qu’est-ce que cela trahissait de la nature de ses loisirs, si mentir à un domestique pour les beaux cheveux d’un artiste perdu constituait une joie notable ? Oh, bien entendu, ce ne devait être qu’une tournure de phrase, une politesse. Après tout, elle venait de prouver qu’elle savait tromper son monde avec une habileté des plus naturelles, alors…

La suite de l’aveu teinta néanmoins ces réflexions d’outremer, à la faveur de ce sourire qui ne l’avait quittée qu’un instant auparavant. Car outre le fait que la demande ne se voulait guère insurmontable, il lui était difficile de ne pas la croire au sujet de la rareté de ses pairs dans le paysage artistique alryonnais, et par conséquent de chercher à fuir son intérêt. Ici même, durant ces fiançailles au cours desquelles il ignorait quelle personne incarner, sa moitié peintre daignait enfin pointer le bout de son museau face à une inconnue, inconnue envers qui il avait prononcé cette dette qu’elle réclamait sur-le-champ, dénuée de la moindre réticence, du moindre scrupule. Elle savait ce qu’elle faisait. Avec maîtrise et pertinence. Et lui d’hésiter une fraction de seconde, surpris par cette authenticité, avant de tendre humblement son carnet des deux mains, comme on délivre un présent.
« Ce… ne sont que des croquis, rien de très remarquable… » admit-il toutefois en déviant son regard troublé, moins pour se faire pardonner une potentielle déception que parce qu’il pensait réellement qu’il ne s’agissait que d’esquisses sans valeur. Puis s’excusa encore dans son ton, malgré l’évidence : « Je n’ai emporté que cela avec moi, les véritables œuvres sont à Ryoshima. »
Que cela l’occuperait cependant un moment, puisque le prime dessin que contenait le livre datait de quelques mois déjà, à la fin de l’été 155. Sur la cinquantaine de pages noircies, tantôt de fusain tantôt d’encre, plus rarement de thé ou d’autres couleurs réquisitionnées par défaut, se bousculaient en un chaos silencieux plantes et animaux communs, dents-de-lion fleuris ou serins en train de sautiller sur le papier, pivoines serties d’une abeille ou écureuil assoupi sur une branche ; les portraits de courtisanes par dizaines et d’artisans au travail constellaient l’ensemble, souvent à peine esquissés, quelques traits pour un contour du visage et des yeux de fouine, des nuques tracées telle une caresse ou des mèches loquaces, quand il n’y avait pas, en guise d’exception, une figure éphémère en pleine page pour attester une rencontre plus marquante, une compagnie plus appréciée ; par vagues entières s’amoncelaient aussi des objets du quotidien brossés à toutes les lumières du jour, théière ou sandales, poutres de bâtiments ou charrettes, paniers emplis ou non de chats, selon des exercices bien connus des artistes. Quant aux dernières pages utilisées, quoique le carnet ne fût pas encore terminé, elles exposaient la soirée vue depuis ce petit banc damassé dans la salle de réception : des fantômes drapés de froufrous riant sous des morceaux de lustres exagérément grossis, des mains gantées jouant à cache-cache, les plis des jupons parlant mille langages. Peu d’invités y étaient identifiables, sinon par quelques accessoires choisis à dessein — une broche sophistiquée, un sabre d’ornement, une coiffure savante — et, si Lady Jenkins se cherchait dans cette foule en nuances de gris, elle aurait pu dénicher sa silhouette en retrait de celle d’Astrance, par la grâce des corolles qui ornaient son corsage, juste avant l’image de la princesse de Jhareel effacée afin de ne pas laisser apparaître le faciès de sa favorite. D’ailleurs, à la pensée que Violet pût interpréter ce griffonnage comme une insulte à l’altesse, Akio sentit ses veines se vider et il espéra que cette dernière ne serait plus assez reconnaissable pour lui valoir ce désagrément.
Il demeura ainsi pétrifié d’attente durant tout le temps que sa complice feuilleta le carnet, curieusement semblable à cet enfant dont le parent est en train d’examiner le bulletin d’appréciations, et pour occuper sa gêne il s’était mis à lisser sa natte lacée d’argent d’un geste distrait, prêt à expliciter n’importe quel parti-pris ou à se fustiger sur une perspective maladroite.
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Le temps d'une respiration [Akio][Alryon] EmptyMar 19 Mar - 17:27
Des deux mains, il lui tendit le carnet, presque sans hésiter, et d’un sourire elle le remercia, y plongeant immédiatement le regard alors qu’en quelques mots il déprécier la valeur de son propre travail. Pourtant, en feuilletant en douceur, avec attention, elle découvrit déjà des choses qui accrochèrent son œil même si ce n’étaient pas ce qu’il appelait les “véritables oeuvres”. Mais n’en était-ce pas que plus intéressant encore ? Voir ainsi les esquisses, les repérages d’un artiste, c’était quelque part, assez exceptionnel.
Le milieu artistique ne faisait pas partie de ceux qu’elle avait l’habitude de fréquenter; à part pour peindre leurs portraits, les Jenkins ne leur accordaient pas grand crédit. Ainsi, Violet avait vu bien plus d’oeuvres terminées que de travaux préparatoires, et trouvait assez fascinant de découvrir l’envers du décor, en quelque sorte. Sous ses yeux éclosaient mille univers, des centaines d’expériences qu’elle n’avait jamais faites. Les différentes techniques utilisées, les différentes couleurs employées rendaient le tout à la fois disparate et étonnamment personnel, sans pour autant lui procurer aucune sensation de voyeurisme, sauf peut-être sur ce portrait gommé sur lequel elle passa plus vite, avant de se retrouver à la fin du carnet, et de recommencer au début en s’asseyant, regardant bien plus attentivement cette fois.
C’étaient d’autres blocs et des vies bien éloignées des siennes qui s’étalaient alors sous ses yeux. Même lors de leur traditionnel voyage inter-bloc annuel, elle n'avait pas vu pareilles images. Il avait une manière de saisir le mouvement, de croquer l’émotion en à peine quelques traits qui était tout à fait impressionnante. Dans ces dessins transparaissaient une sensibilité et un sens de l’observation dont la jeune fille se sentait dénuée et qu’elle admirait ainsi d’autant plus. Comment en quelques traits pouvait-il rendre vivante cette abeille autant que cette jeune femme ou ces chats ? Comment en quelques heures avait-il pu saisir tant de choses de cette soirée de fiançailles ?
La jeune Jenkins avait la sensation étrange que tout y était, que l’artiste avait réussi à saisir l’essentiel sans pour autant dessiner nombre de protagonistes. Elle reconnaissait les lustres, les étoffes, et entre les plis des froufrous elle entendait presque les rires et les conversations étouffées de la soirée. Curieusement, elle reconnaît assez peu d’invités, sauf peut-être ce jeune homme altier avec qui elle avait dansé et qu’elle choisit d’ignorer, ou cette silhouette gracile au corsage fleuri qui ne pouvait que la représenter, surtout derrière sa nouvelle belle-soeur. Un sourire étira ses lèvres: elle était là exactement telle qu’elle voulait paraître: discrète et effacée, une jolie poupée sur son étagère, mais assez jolie pourtant pour ne pas être complètement transparente, même face à des femmes comme Astrance York ou la princesse de Jhareel. D'ailleurs, n’était-ce pas sa robe qu’elle pouvait reconnaître dans ce corps sans visage ? Fronçant un sourcil, elle s’attarda un peu plus sur les pages dédiées à la fête, sans mot dire.
Ce n’est qu’au terme d'une longue contemplation silencieuse qu’elle releva la tête vers l’artiste.

Merci. C’est très beau, et très impressionnant pour une profane comme moi de voir des esquisses avec tant de qualités n’être qu’un simple travail préparatoire.” lui dit-elle en souriant. “Avez-vous été chargé de faire un tableau de la soirée ? Ou bien avez-vous dessiné par … habitude, dirais-je ?” le questionna-t-elle ensuite, sans pour autant lui rendre son carnet toujours ouvert sur ses genoux.

Les questions de Violet, directes, étaient dénuées d’une certaine rigueur protocolaire. Peut-être était-ce car elle était épuisée, peut-être était-ce car elle était passée par trop d’émotions pour cette soirée, peut-être était-ce car elle n’était pas afce à un membre de la noblesse, peut-être était-ce car il avait une dette envers lui, peut-être était-ce car la demeure des York poussait à la hardiesse, imprégnée de leur esprit libre. Peut-être était-ce tout cela à la fois, ou rien du tout, et peut-être que Violet était simplement à l’aise avec cet étonnant artiste qui semblait partager avec elle l’art de la fuite et s’était retrouvé par hasard enfermé dans ce salon à ses côtés.
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Le temps d'une respiration [Akio][Alryon] EmptySam 30 Mar - 18:07
Le monde entier avait été gommé, effacé à la mie de pain pour ne plus laisser apparaître que les contours flous de cette pièce encombrée, de même que tous les sons de la fête au profit du seul froissement des feuilles sous la pulpe immaculée de ses doigts de poupée. Akio attendait. La dame oiselle n’émit aucun mot, aucun bruit qui eut trahi ses pensées à la vision de ces imparfaites esquisses, et quand enfin elle rompit sa propre immobilité ce fut pour se réinstaller dans son fauteuil et reprendre sa découverte depuis la première page, toujours sans desceller les lèvres. Akio attendait. Ignorant s’il avait affaire à une critique connaisseuse ou plutôt à une amatrice curieuse, il ne savait si ce mutisme couplé à l’intensité avec laquelle elle observait ses dessins étaient signe d’émerveillement ou d’une forme de subtile inquisition comme il en avait déjà fait les frais à Ryoshima, de la part d’observateurs réputés dans le milieu. Parce que son style n’avait suivi aucun sillon ancestral, parce qu’il avait creusé sa voie personnelle depuis l’enfance et, sur le tard uniquement, avait cherché à assimiler les traits distinctifs de certaines écoles afin de les comprendre et mieux les subvertir, il pouvait jouer d’à peu près toutes les contraintes et s’adapter aux exigences de ses clients — dans ce carnet, en revanche, c’était lui brut, lui sans fard ni lissage, et ce qu’il possédait de tendre dans une courbe au crayon se transformait en une bavure sauvage sur le dessin d’après, les influences des courants majeurs s’entrelaçaient jusqu’à se confondre sous les traits d’une courtisane avant de s’exacerber une à une dans une série de portraits, l’étude d’une fleur se voulait encyclopédique ou bien n’être qu’une tache de couleur que venait contourer un fil d’encre. À coup sûr ce patchwork de techniques et d’essais ludiques aurait dérouté les maîtres ryoshimais pour qui l’excellence est la véritable saveur de la maîtrise, mais lui aimait le dessin avant l’art et, avant le dessin, il aimait surtout la liberté.
Akio attendait.
Il attendait tant, et inconfortablement à tout point de vue, qu’à un moment il avisa l’endroit où était rendue Violet — à peu près à la moitié de sa relecture —, avisa un second fauteuil à côté — sans grande assurance quant au fait de réquisitionner sans permission un siège appartenant à un homme cent fois plus riche que lui, à une femme assez brave pour enfanter puis élever un jardin complet ou bien à leur ribambelle de filles dont chaque robe valait au moins le triple de son loyer —, avisa le coin de tapis chauffé devant la cheminée — épais, verni d’un éclat de cuivre chaleureux, doux. Se décida pour le tapis. Il n’eut alors qu’à se décaler d’un pas, léger, avant de s’agenouiller là en seiza, lissant sous lui les longueurs de son vêtement, le dos droit et les mains posées en évidence sur ses cuisses comme lors d’une discussion formelle. Puisqu’il s’agissait bien de cela, n’est-ce pas ? Le contraire l’aurait vu assis en semi-tailleur, l’aurait surpris aussi, d’ailleurs, quoique l’activité serait demeurée identique : étudier la physionomie de Lady Jenkins et la manière dont les lueurs de l’âtre venaient supplier ses jupons, butiner les corolles de son corsage, s’emmêler dans sa chevelure, car les cheminées domestiques de ce gabarit étaient rares à Ryoshima et qu’il ne lui avait par conséquent jamais été donné de visualiser semblable portrait d’une jeune fille en feu. Dommage, cent fois dommage qu’à cette seconde précise, son carnet ne fût pas entre ses paumes.

Il capta soudain une risette sur le visage de son vis-à-vis, mais se retint aussitôt de tendre le cou pour découvrir quel croquis avait provoqué cette expression. Il comptait sur elle pour lui en faire la remarque si l’envie lui prenait — elle ne lui prit pas, à son dam —, pas plus qu’elle ne justifia ensuite ce pli diffus dans son sourcil, et lui songea de fait qu’il avait dû oublier de dessiner une médaille sur le plastron d’un officier ou bien rater le chignon de Madame sa Mère sans le faire exprès. Oups. Comment aurait-il pu savoir que c’était sa mère, en plus ? Mais non, il se faisait certainement des idées et s’inventait des raisons de n’être, encore une fois, pas vraiment là où il le devrait. Ce ne fut que lorsque enfin elle le gratifia d’une louange souriante qu’il sentit l’envahir simultanément le soulagement et une gêne reconnaissante, réchauffant ses pommettes mieux que la proximité des flammes. Par réflexe il s’inclina tout en écoutant ses interrogations, dont la première l’étonna en toute ingénuité ; jamais n’avait-il entendu parler de ce genre de missions pour un peintre, même s’il fallait avouer qu’il n’avait de toute façon guère assisté à ce genre d’événements jusqu’à présent, que ce fût en tant qu’invité ou qu’artiste. La réponse releva donc de l’évidence, et son ton de la plus pure innocence :
« Oh, vos mots sont bien trop élogieux pour ces dessins, Lady Jenkins, mais je suis ravi qu’ils vous aient plu. Merci à vous pour ces compliments, ils… — ne sont pas mérités, eut-il envie de poursuivre, avant de bifurquer dans une nouvelle courbette — …sont sincères et précieux, même s’ils sont profanes. » Il ne remarqua cependant pas qu’il s’était fourvoyé sur le sens du dernier terme, faute de le rencontrer souvent en langue commune, et continua après avoir secoué un soupçon la tête : « Par habitude, oui, en effet. J’ignorais que l’on pouvait engager des artistes pour peindre des célébrations sur place ? Je n’ai pas réfléchi… Ce genre d’occasions ne se reproduira pas de tant tôt, alors je voulais en garder le plus d’images, eh, d’impressions possibles. Comme des souvenirs », termina-t-il tandis que son regard dérivait en douceur sur un flot d’embarras.
En vérité, même s’il avait été doué d’une meilleure mémoire, s’il était capable comme son maître de retenir à son âge le plus infime détail d’un costume, d’un banquet, d’une façade, il était certain qu’il aurait quand même persisté dans l’art ; parce que ce n’était pas uniquement une question de se rappeler, de garder trace du présent à l’intérieur de son crâne, il y avait dans chacun de traits, dans chacune de ses taches de couleur, une sorte d’offrande au monde tangible, un hommage à la réalité. Quand ses homologues aspiraient à toucher le divin à travers leurs œuvres, lui cherchait à célébrer l’humain. Là serait son humble contribution à l’univers, aussi longtemps qu’il tiendrait un pinceau.

Ses yeux ayant fini par buter sur sa besace à son flanc, posée au sol à l’instar d’un récif au milieu de la houle, il les jeta d’un coup sur Violet avec l’élan typique d’une idée qui vient de surgir — de celles qui n’auraient pas dû fleurir si vite en ces lieux, pas alors que quelqu’un de sa famille devait probablement commencer à s’inquiéter de ne pas voir revenir la demoiselle. Sauf que dans l’esprit d’Akio, il n’y avait rien dans sa proposition qui aurait pu être mal interprété lorsqu’il déclara, avec cet enthousiasme délicat qu’il réservait d’ordinaire aux enfants à qui il tendait un bâtonnet de graphite :
« Est-ce que vous voulez essayer de dessiner dedans ? Il reste de la place et je vous prête de quoi, si vous avez envie. Je peux aussi vous faire quelque chose, hm, en guise de dédommagement pour vous avoir dérangée durant votre repos. Ce que vous souhaitez. »
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Le temps d'une respiration [Akio][Alryon] EmptyVen 5 Avr - 12:46
L’artiste, assis sur ses talons en quelque sorte, ignorait sans doute les reflets du feu qui jouaient dans sa chevelure si brillante, fascinant Violet. Pourtant, elle concentra son attention sur lui, sur ses réponses. Elle lui sourit poliment, sans s’offusquer évidemment, de l’usage du terme “profane” : après tout, ce n’était pas si courant, et il était ryoshimais, il ne parlait sans doute pas au quotidien la langue commune. sa manière d’envisager son propre art, cependant, l'interpella. Cette idée de garder des souvenirs par le dessin lui plaisait; après tout, ne faisait-elle pas la même chose en consignant par écrit ses souvenirs dans un journal, en écrivant si souvent à sa sœur ? Qu’avaient-ils donc si peur d’oublier, elle et lui ?
Elle hocha doucement la tête, se disant que si elle écrivait tout ainsi, c’était car elle vivait sa vie comme on vivrait une parenthèse. Elle n’était pas à sa place dans ce milieu, elle le savait, et elle n’aspirait de toute rançon qu’à le détruire. Ecrire, cela permettait de conserver une trace de ce monde qu’elle vouait aux gémonies, écrire cela permettait de relire dans un moment de faiblesse tout ce qui ne pouvait que renforcer sa détermination. Combien d'orphelins aurait-on pu nourrir avec ce repas de fiançailles totalement inutile ? Combien d’alryonnais auraient pu s’occuper de leurs familles plutôt que de passer une soirée à piétiner sous le poids de lourds plateaux ? Oui, Violet le savait: elle avait parfois besoin d’un rappel car le milieu de soie dans lequel elle évoluait faisait tout pour l’amollir et la garder en lui; en cela, l’écriture lui était salutaire. Mais lui, doutait-il aussi de sa propre réalité ? Était-ce là la raison de ces dessins ? Ou leur existence était-elle due à tout autre chose ?
Mais avant même que la bulle de cette question ne puisse remonter à la surface de sa conscience, l’artiste la surprit, crevant la bulle dans son cheminement. Il lui proposait de … dessiner ? Un instant, croyant à une plaisanterie, elle le regarda, médusée. Mais ne décelant aucune trace de malice dans son regard, elle finit par cligner des yeux, deux fois, afin de se reprendre. Tiraillée, elle déglutit.

Je … Je ne voudrais pas gâcher votre carnet, mon niveau et si éloigné du vôtre que quiconque tombant sur une de mes esquisses au milieu des vôtres imaginerait que vous avez été victime d'une attaque tant vous auriez alors régressé !” lui confessa-t-elle, un peu gênée.

Pourtant, elle devait l’admettre: elle était tentée. Elle aimait griffonner, plus que dessiner, mais elle avait envie de faire durer cette parenthèse dans cette soirée, de creuser encore un peu cette rencontre inattendue. L’artiste l’intriguait autant qu’il lui paraissait sympathique, et sa proposition le distinguait encore plus.

Merci, cependant, de votre proposition. Vous êtes généreux, Monsieur Shimada.” glissa la jeune noble. “Si vous ne craignez pas que l’on vous croie diminué en apercevant un de mes dessins mêlé aux vôtres, je serais honorée de vous montrer l’étendue des progrès qu’il me reste à faire.

Et c’est ainsi que Violet Jenkins accepta cette proposition quelque peu saugrenue, sans pour une fois, réfléchir aux conséquences que cela pourrait avoir si on les découvrait seuls tous deux dans cette pièce isolée.
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Le temps d'une respiration [Akio][Alryon] EmptyVen 5 Avr - 18:28
Les derniers mots n’avaient pas déjà été prononcés qu’aussitôt Shimada se demanda s’il ne s’était pas montré par trop cavalier envers une demoiselle de la haute, et si ce soudain excès de connivence n’allait pas se retourner contre lui d’une manière ou d’une autre par la sacro-sainte grâce de la déesse Poisse. L’univers du dessin, les compliments de ce lys blond, l’atmosphère tamisée de ce coin de tapis moelleux, tout cela contribuait à flatter sa confiance en un lieu qui aurait dû l’obliger à se tenir aux abois, de sorte que son chat intérieur ne trouvait ici aucune raison de feuler et, désormais à son aise, trop à son aise, il était plus tenté de s’étirer sur le dos avec indolence, exposant son ventre comme pour y inviter à la grattouille. Par égard pour sa propre dignité, Akio l’humain n’en était cependant pas rendu à ce niveau d’incorrection — et surtout pas en compagnie d’une inconnue —, d’où le fait qu’il demeura droit sur ses genoux tandis qu’elle réagissait avec stupeur à son invitation, plus gênée qu’outrée à première vue.
À Ryoshima, la calligraphie relevait d’un art noble que l’on enseignait aux clercs et que toute personne d’un rang privilégié se devait d’avoir pratiqué même sans y exceller. Le dessin, en revanche, représentait une discipline plus rare que n’empruntaient que ceux qui s’y vouaient d’eux-mêmes ou par l’entremise de maîtres réputés, si bien que ne pas savoir dessiner n’était guère apparenté à une tare mais plus à une évidence ordinaire, à une lacune somme toute banale et partagée. Pourtant, quand Violet répondit à la proposition, elle semblait considérer son niveau — ou son absence de niveau ? — comme la pire des offenses qu’elle pût lui infliger, ce qui ne fut pas sans étonner le peintre en retour ; la perplexité légèrement inclina sa tête sur le côté, tel qu’il le faisait souvent pour traduire son incompréhension, après quoi il l’écouta le remercier d’une manière qui lui fit savoir son acceptation tout en se dépréciant derechef, et dans une langue si élégante qu’il ne put qu’en saluer la poésie.

La poésie et la drôlerie, d’ailleurs, dont l’éclat charmant vint sans prévenir secouer ses poumons, buter dans sa gorge puis entrouvrir son sourire d’où s’échappa un bruit amusé qu’il s’empressa de dissimuler derrière sa manche et son front bas, tandis que par leur tremblement ses épaules trahissaient malgré lui la respiration étouffée de son rire. Ce n’était pas de la moquerie, loin s’en faut. Il n’y avait là qu’un battement de cœur stupéfait, un réflexe ébaubi devant la dérision avec laquelle elle comparait leur production respective, alors même que son statut de noble aurait dû ou bien la voir refuser de se prêter à ces jeux d’artistes salissants ou bien opter pour la seconde suggestion — le don d’une œuvre. Ainsi donc, songea le chat tandis qu’il reprenait contenance dans un toussotement, comme si son alacrité n’avait été qu’une illusion passagère, cette lady n’avait pas été élevée avec ce genre de prétentions dans une famille néanmoins assez tape-à-l’œil pour organiser de pompeuses fiançailles… Étrange.
Et plouf, un sou de plus dans la fontaine aux secrets.

« Hm, je vous prie de m’excuser, ce n’était pas contre vous… » Une paillette de joie vogua encore sur la courbe de sa bouche, juste avant de s’éteindre dans la courte pause qu’il marqua pour incliner sa nuque d’une gratitude réciproque. « Seules quelques personnes ont aperçu l’intérieur de ce carnet et je ne crois aucune d’entre elles capable d’y lire mon état de santé, vous pouvez en être rassurée. » Une courtisane, un marchand, la vieille tenancière de son salon de thé fétiche, et maintenant une noble étrangère ? Non, vraiment, il n’était pas du genre à exhiber ces croquis à n’importe qui : de surcroît Violet faisait figure d’exception dans cette liste, ce qu’il se garda de préciser. Que le reste du monde croie ce qu’il veut, lui seul saurait véritablement ce qu’il en est. Ouvrant son sac à son flanc, il en sortit bientôt un long boîtier en bois usé qui contenait ses ustensiles, qu’il tria pour en sélectionner une tige graphite à la pointe douce, réduite à la taille d’un doigt à cause de l’usage répété, moins poudreuse toutefois que celle qui lui avait noirci les phalanges durant les heures précédentes. Le carbone, presque froid, luisait ainsi qu’une braise dans le faisceau de la cheminée. De l’autre main, il se saisit d’un morceau de pâte de gomme grisée qui lui servirait à effacer les traits indésirables selon son bon vouloir.
Satisfait de ce choix, il décolla enfin son postérieur pour se relever sur les rotules et pouvoir atteindre l’accoudoir de sa consœur d’art, à qui il tendit le crayon à l’instar d’une fleur des champs — et même si de sourire on ne lisait plus sur son minois, on en retrouvait l’accent niché dans ses paroles :
« Lady Jenkins, si vous voulez bien me faire votre honneur... Vous êtes libre de dessiner ce qu’il vous plaît, sans gâchis ni mauvaise croyance. Juste avec plaisir, parce qu’ainsi vous me laissez votre souvenir, et c’est bien tout ce qui compte. »
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Le temps d'une respiration [Akio][Alryon] EmptyVen 3 Mai - 14:26
Violet ne put que noter la surprise du peintre ryoshimais, son étonnement et son amusement face à sa réaction, avec ce petit bruit de gorge des plus singuliers. La jeune noble en sourit, alors qu’elle voyait le jeune homme se détendre un peu face à elle, manifestement tout aussi surpris qu’elle l’était de la tournure de leur discussion. Elle lui rendit en douceur son signe de tête, encourageante, et sourit à son trait d’humour, charmée par cet étranger quelque peu mystérieux aux si beaux cheveux et aux manières si douces.
Puis, le jeune homme sortit de sa sacoche un étui, dans lequel Violet le regarda fouiller un peu, trir sans doute, jusqu’à en sortir une tige noire, à l'éclat froid qui jouait dans les reflets de la cheminée. Assez courte, elle pouvait aisément être cachée dans une main. Puis l’artiste se saisit d’un morceau gris, que Violet identifia comme de la pâte de gomme, et enfin, il se redressa sur ses rotules, afin de lui tendre la mine comme on tendrait une fleur délicate. Alors qu’il lui proposait de dessiner avec un sourire caché dans la voix, avec de la douceur plein les yeux, elle se saisit de la mine, et un sourire éclaira son visage.

Merci beaucoup, monsieur Shimada.” glissa-t-elle, sincère.

Puis, la jeune fille plongea son regard sur une page vide du carnet, en tâtant distraitement la texture de la pulpe du pouce, avant de fermer les yeux, et de soupirer. Elle ne savait pas dessiner grand chose, il fallait bien l’admettre, et c’était de toute façon une évidence. Elle n'avait pas été réellement formée au dessin, et s’en servait surtout en tant que brouillon pour des travaux de broderie, ou comme passe-temps. Rien de bien sérieux, rien de bien détaillé, donc. Mais son interlocuteur venait de lui offrir une très belle opportunité, avec une générosité inattendue, et elle n’allait certainement pas la laisser passer. Alors, doucement, elle commença à esquisser un pétale, puis un autre, donnant peu à peu vie à une fleur, une seconde, tout un bouquet qui apparaissait en esquisses légères, un bouquet qu’un vase à peine dessiné peinait à contenir. Peinait ? Non échouait, au fur et à mesure que Violet laissait courir la mine sur la carnet et que d’autres fleurs apparaissent, sans détails mais reconnaissables, envahissant tout l’espace, ne pouvant y être contenues, voulant dépasser de l’espace défini par la feuille de papier. Le vasen finalement, se dessinait plus par son absence que par sa présence, et on eut dit que c’était les fleurs qui voulaient le contenir et non l’inverse. Puis, Violet s’attaqua aux détails. Oh, ce n’était pas brillant, c’était très figuratif, un peu naïf, et il y avait de nombreuses erreurs et fausseté, des lignes brisées, des perspectives bâclées, des angles mal étudiés. Les pétales manquent de délicatesse et de volume, les fleurs semblaient disposées aléatoirement en fonction des idées de la jeune noble, sans idées préalable de composition ou d’équilibre. Violet avait une idée, cependant, et ne la lâchait pas, perdant un peu conscience du temps qui passait, oubliant peu à peu qu’il y avait quelqu’un, face à elle, qui attendait sans doute de récupérer son carnet et sa mine, ne se doutant peut-être pas que sa proposition donnerait lieu à une telle entreprise artistique. Roses et violettes se mêlaient à du jasmin et des coquelicots, on apercevait azalées et muguet, quelques primevères, entourées de fougères où apparaissaient des véroniques. L’observateur zélé apercevrait également lavandes et crocus entre deux pompons d’hortensias ou derrière les pétales d’une joubarbe. Oui, les fleurs se mêlaient, sans question de saisons ou de climat, ni même interrogation d’harmonie de couleurs ou de parfums, en un joyeux pêle-mêle qu’egayaient parfois une abeille cachée derrière une feuille.
Peu à peu, elle ajoutait des détails, sans se rendre compte qu’elle noircissait peut-être un peu trop la page, étouffant peu à peu ce dessin déjà si imparfait, sans se rendre compte non plus qu’elle monopoliser l’artiste et avait disparu depuis peut-être un peu trop longtemps.
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Le temps d'une respiration [Akio][Alryon] Empty