Primevères et glaïeuls - Alryon [pv Alexander]

Violet sourit en ajustant sa perruque d’une dernière épingle. Cela faisait quelques semaines qu’elle échangeait pamphlets rageurs par journal interposé avec un mystérieux interlocuteur. Si au début elle avait répondu, anonymement, par jeu, peu à peu, elle y avait trouvé un certain plaisir et avait commencé à imaginer comment rallier cette âme enflammée à sa cause. A vrai dire, la solution s’était présentée d’elle-même, sur un plateau, lorsqu’un rendez-vous lui avait été proposé.
Evidemment, elle avait accepté, à sa manière. Elle ne savait pas du tout à qui elle avait affaire, mais le lieu du rendez-vous lui donnait un indice: ce n’était pas un coupe-gorge, le but n’était très certainement pas de l’assassiner après ces provocations. Le Rose Temple était connu pour ses penseurs et philosophes, parfois un peu pédants. Elle savait aussi que certaines dames y tenaient salon, parfois, mais ce n’était pas assez chic (ou trop purement intellectuel ?) pour que la famille Jenkins y soit conviée.
Elle avait réussi à faire passer un message à sa sœur, la prévenant de l’heure du rendez-vous, de son lieu, et de son projet. Elle espérait non pas que Rosalie soit là, mais qu’un membre du groupe puisse être non loin. La jeune fille ne craignait absolument pas pour son intégrité, et ce n’était certainement pas pour ça qu’elle espérait que son groupe soit présent, non: elle souhaitait tenter de recruter cet inconnu, et il serait plus efficace que quelqu’un puisse prendre le relai. Il était inenvisageable qu’elle reste dehors toute la nuit; il y avait demain le thé chez ses parents, et on attendait d’elle qu’elle ait une mine impeccable.
Bien sûr, elle n’était pas naïve: elle n’avait aucun intérêt à s’y présenter sous sa véritable identité. Coup de chance, sa famille était dans la capitale au jour du rendez-vous. Et Violet avait dans chaque maison de quoi travestir qui elle était. Elle arrangea quelques mèches brunes autour de son visage en boucles lâches, servant surtout à cacher (ou plutôt à faire semblant de vouloir cacher, et mieux attirer l’oeil vers) une fausse cictarice, petite mais visible, non loin de l’oreille, comme si la femme avait été mordue par un chien dans l’enfance. Ses cils noircis et ses sourcils toujours plus sombres que ses cheveux assombris au crayon et au fard complétaient l’illusion: elle paraissait tout à fait naturellement brune.
Elle prit dans son placard, tout au fond, un manteau noir de laine bouillie au col de fourrure de lièvre, lui assurant une apparence de petite-bourgeoise. Elle y assortit des gants noirs et un chapeau aux ornements assortis au foulard qui complétait sa tenue.
Son visage constellé de tâches de son factices un peu dissimulé par son couvre-chef, elle activa un des passages secrets de sa chambre après avoir vérifié que tout était en ordre. Oui, la lumière était bien baissée, et le traversin en place: l’illusion était parfaite, Violet Jenkins semblait profondément endormie. S’enfonçant dans l’ombre, elle sortit de chez elle. Elle connaissait ces boyaux comme sa poche, et se guidait au contact de sa main contre les murs. Une fois dehors, elle prit une attitude somme toute dégagée, et alla héler un fiacre qui la transporterait où elle le souhaitait.
Lorsqu’elle entra dans l’établissement, elle se félicita de ne pas avoir fait en sorte de changer la couleur de ses yeux. On fumait dans cet établissement, et son regard serait sans doute devenu trop brillant très vite, faisant alors couler le noir discret de ses cils. Par un habile jeu d'illusions, elle semblait un peu plus âgée et replète qu’elle ne l’était en réalité, et c’est avec un air volontairement un peu trop dégagé qu’elle informa le serveur qu’elle avait un rendez-vous ici à neuf heures. Il sembla au courant, et la mena vers un salon privé alors qu’elle parcourait discrètement les lieux du regard.
La jeune femme avait hâte de découvrir son interlocuteur. Homme ou femme ? jeune, vieux ? Croulant sous les richesses ou indigent ? Ce serait la surprise, mais elle ne doutait pas de se trouver face à un brillant esprit, quelqu’un qui, enfin, défierait un peu son intellect et ses opinions. Quelqu’un qui, en somme, la changerait de la noblesse …

Montant à l’étage, Violet nota qu’il lui serait plus difficile de s’échapper si jamais cela tournait mal. Cependant, il n’y avait aucune raison pour que cela tourne mal, n’est-ce pas ? Lorsqu’on lui ouvrit la porte, elle découvrit face à elle un élégant jeune homme à l’oeil droit caché par un bandeau. Sa minceur mise en valeur par un costume (sur mesure, Violet le vit au premier coup d’oeil), elle le vit la détailler rapidement de son oeil gauche, d’un bleu encore plus perçant que les siens, avant de s’incliner en une révérence impeccable et souple à la fois qui imprima un mouvement léger à ses cheveux blonds mi-longs dont des mèches folles s’échappaient de la demie-queue.
Elle ne pouvait pas nier qu’il était charmant, et ses premiers mots firent pétiller les yeux de la jeune femme qui lui rendit sa révérence dès qu’on l’eut débarassée de son manteau, dévoilant une robe sombre, d’un tissu simple, où l’on pouvait distinguer peut-être quelques motifs floraux. Le vêtement, rembourré, l’épaississait, lui faisant gagner plusieurs tailles. D’ailleurs, son maquillage et des prothèses dans ses joues avaient permis de donner un effet plus rond à son visage. Elle avait poussé l’astuce jusqu’à rembourrer également le bas de ses jambes, ses chevilles: si jamais elles venaient à dépasser un peu au cours de sa marche ou en s’asseyant, leur finesse risquait de la trahir. L’attention se portait tout naturellement sur son corsage où brillait une petite broche représentant coquelicots et muguet.
Elle lui sourit, tout en ôtant ses gants calmement.

“Veronica Jones. Enchantée de rencontrer un opposant avec tant d’élégance, monsieur …?” interrogea-t-elle.

D’un regard, elle détailla le salon dans lequel ils se trouvaient. Des tentures ouvragées et une cheminée crépitantes donnaient au lieu une ambiance intime que venaient compléter des fauteuils de velours. Elle nota un livre abandonné, très certainement pas son mystérieux interlocuteur, et dont elle ne parvint pas à déchiffrer le titre. Très rapidement, elle revint vers lui, le regardant sans tenter de se dérober, feignant une assurance un peu inquiète derrière cette façade tranquille.

Galant, le jeune homme l’invita à s’asseoir, ce qu’elle fit en lui rendant son sourire alors qu’il s’installait face à elle. Assis face à elle, il lui laissait tout le loisir de le regarder de manière bien plus franche qu’elle ne l’aurait fait sous sa véritable identité. Au vu de ses manières, de sa mise, il faisait partie de la bonne société, mais elle était encore incapable de dire à quel point. Elle en était d’autant plus incapable qu’il ne lui semblait pas déguisé, et s’il ne lui donnait aucun nom de famille, il était tout de même facilement reconnaissable. S’il faisait réellement partie de la bonne société, avancerait-il là à visage découvert ? Ou bien avait-il une stratégie miroir à la sienne ? Restant sur ses gardes, elle laissa frémir ses narines à l'odeur du jasmin qui aromatisait le thé. De nouveau, cela lui arracha un fin sourire, et un regard quelque peu complice vers son interlocuteur alors qu’elle remerciait le serveur qui s’éclipsa.

“Le plaisir était tout à fait partagé, Alexander. Je n’aurais jamais imaginé trouver pamphlet si disruptif dans une gazette alryonnaise.” Elle attrapa la tasse, faisant en sorte de ne pas la tenir comme une noble le ferait, et souffla légèrement dessus, ce que jamais quelqu’un de son rang n’aurait fait (et elle le savait). “Êtes-vous convaincu de ce que vous avancez dans vos écrits ? Ce sont des opinions dangereuses …”

De cette manière, elle tentait de tester un peu le terrain tout en allant droit au but. Était-il un réel opposant, ou bien un simple écrivaillon qui tentait de faire réagir ? Ou pire, un allié tentant de débusquer des soutiens … ou des opposants ?
Violet prit une gorgée de thé en attendant la réponse du jeune homme, ne daignant pas toucher aux macarons. Pas encore … Puisqu'elle n'était pas embarrassée de la lourde étiquette, elle se permettait quelques entorses à la politesse, et un discours plus franc, sans ronds de jambes.

Lui-même, de son oeil valide, la détaillait. Elle ne s’en offusqua pas: c’était plus franc que ses interactions habituelles avec les hommes, mais cela lui convenait. Après tout, les nobles attendaient simplement qu’elle ne les voie pas pour la regarder ainsi.
Il avait manifestement de l’humour et sa remarque fit pétiller le regard de Violet. Elle suivait avec attention les mariages; ou plutôt, sa famille suivait avec attention les mariages. C’était un immense jeu de pouvoir, et les alliances matrimoniales faisant partie des plus puissantes … Et c’était bien évidemment ce qui avait motivé son adoption.
Il admit, cependant, être convaincu de ce qu’il affirmait. La jeune femme hocha légèrement la tête, buvant toujours son thé. Leurs regards se croisèrent, et, contrairement à ce qu’elle aurait fait en tant que Violet Jenkins, elle ne détourna pas le regard. Une petite bourgeoise révolutionnaire n’avait pas à détourner les yeux poliment, et elle ne se fit pas prier.

“Vous aurais-je poussé dans vos retranchements littéraires Alexander ?” s’amusa-t-elle à sa remarque. “Peut-être n’imaginiez-vous pas avoir une réponse ?”

Un fin sourire étira ses lèvres, lui donnant un air un peu mutin, certainement accentué par le soulèvement de ses pommettes rondes que cela occasionnait. Elle posa ensuite sa tasse, très calmement, et appuya son dos contre le dossier de sa chaise.

“Je dois admettre que le choix d’un tel endroit pour nous retrouver m’a surprise. Je n’imaginais pas un tel contestataire fréquenter des endroits si chics … Enfin, cela me permet de le découvrir !” osa-t-elle plaisanter, sans mentionner son costume sur mesure (il aurait sans doute été étrange qu’elle le remarque). “Quant à ma position sur ces sujets …”

Elle prit un instant de pause, parcourant la pièce du regard, comme pour s’assurer qu’ils étaient seuls.

“... J’espère ne pas vous décevoir en vous apprenant que nos opinions se rejoignent, Alexander.” avoua-t-elle sur le ton de la confidence. “Je n’ai pris ce rôle du contre que pour voir jusqu’où vous iriez, intriguée de trouver de tels propos dans une gazette d’Alryon. Rares sont ceux qui ont ainsi le courage de clamer leurs positions …” conclut-elle dans un sourire, sans plus le quitter du regard cette fois-ci.

Hochant doucement la tête à chacune des réponses du jeune homme tout en savourant son thé, elle ne boudait pas son plaisir. Elle était contente, tout d’abord, de se retrouver face à quelqu’un d’environ son âge, et, de manière assez probable, assez proche de son milieu social. Il y avait là quelque chose d’un peu enivrant, comme si elle découvrait l’envers du décor de manière inattendue. Elle appréciait sa manière directe de lui répondre, pourtant pleine d’humour. Il était assez manifeste que leurs esprits suivaient des cheminements semblables, et cela plaisait à la jeune fille, peu habituée à rencontrer de tels énergumènes. A la mention du choix du lieu, elle eut un rire:

“Je vais vous confier quelque chose: vous auriez proposé une localisation extérieure, je ne serais pas venue, exactement pour la raison que vous venez d’évoquer.” glissa-t-elle sur le ton de la confidence. “Il y avait un risque de guet-appens non négligeable, d’autant plus au vu de ma condition de femme.” précisa-t-elle, sincère.

Lorsqu’il lui dit qu’elle dépassait toutes ses espérances, le rose qui lui monta aux joues fut, lui, tout à fait naturel. Bien peu habituée à des compliments d’une telle franchise, et encore moins de la part d’un homme, il n’était pas exagéré de dire que cela la chamboulait quelque peu. Elle se reprit vite pourtant, après avoir fugacement détourné le regard, elle lui renvoya un sourire plein d’aplomb, sous-entendant que lui ne s’était peut-être pas encore montré à la hauteur de ce qu’elle espérait. Pourtant il ne la lâchait pas du regard alors qu’il se rencognait dans son divan, et elle devait bien admettre que ce n’était pas désagréable.

La proposition qui suivit, cependant, la désarçonna. Surprise, et amusée aussi de trouver quelqu’un avec vraiment le même type de raisonnement qu’elle, elle posa sa tasse de thé, et sourit, des étincelles dans les yeux, avant de retrouver le regard d’Alexander, qu’elle soutint, en silence, quelques instants.
Elle pesait le pour et le contre de sa proposition. Ce que cela pouvait impliquer pour elle, et son activité. Comment prendre part à ce projet, sans dévoiler sa véritable identité ni risquer de se faire pincer par sa famille. Pourtant, c’était tentant. Extrêmement tentant.

“Vous savez parler aux demoiselles, Alexander.” finit-elle par lui dire. “Ainsi donc, vous croyez vraiment à l’idée d’un changement par le militantisme, par la politique, par le peuple et par les lois … Votre proposition me flatte, je vous l’assure. Elle m’amuse également, car je constate que nous avions chacun un but tout à fait semblable en venant ici.” reprit-elle, avant de ménager une petite pause pour mieux continuer. “Menez-vous vos actions seul, voire avec quelques alliés, Alexander, ou faites-vous partie d’un groupe plus organisé ? Car c’est mon cas, et c’est là ce que je venais vous proposer …” glissa-t-elle avec un sourire.

Les réactions du jeune homme face à elle la surprirent un peu; il semblait tout à fait peiné de l’état de fait terrible qu'était l’inégalité fondamentale entre les sexes, et c’était fort rare chez un homme. L’intérêt de Violet s’aiguisa un peu plus, et peu à peu, elle le voyait devenir plus tranchant qu’un rasoir. Se penchant vers elle en lui parlant de ses alliés, il lui montra son intérêt. Les yeux toujours fixés dans le sien, elle imita sa posture, si bien qu’ils se trouvèrent soudain à une distance fort peu protocolaire.

“Eh bien, Alexander, disons que ces alliés et ces amis pourraient apporter bien plus que vous ne l’imaginez si vous étiez intéressés par l’idée de … disons rallier une équipe qui aurait fort besoin d’esprits aussi affutés que le vôtre.”

La voix de Violet avait un ton de confidence; elle parlait bas, mais distinctement et l’on entendait encore son timbre.

“Je ne veux point trop vous en dire, mais il existe de nombreuses personnes que le système actuel, fondé sur une hiérarchie arbitraire, et l’exploitation des uns par les autres, ne satisfait pas. Et parmi cet ensemble, certains ont fini par se trouver, se croiser, se retrouver, et se sont associés. D’associations en associations, cette compagnie a grandi avec toujours à cœur ce but commun: faire de Terreciel un monde meilleur, débarrassé de l'oppression qu’exercent sur nous les nobles, le travail et la colonisation de manière générale. Je ne veux pas vous faire imaginer ce qui n’existe pas: nulle armée ici, mais quelques actions coordonnées et beaucoup de renseignements. Je ne vous cacherai pas non plus que nombre d’entre nous opérons dans le plus grand secret, et ne nous connaissons pas les uns les autres; d’ailleurs pour ce que j’en sais, nous ne sommes sans doute pas tous parfaitement d’accord sur les actions exactes à mener. C’est imparfait, évidemment, mais cela ne demande qu’à grandir et s’améliorer pour proposer un avenir plus dégagé à ceux qui n’ont aujourd’hui que bien peu de perspectives.” S’interrompant un instant afin de lui laisser le temps de digérer cette masse fort soudaine d’informations, elle en profita pour lui sourire doucement. “Je suis cependant persuadée que vous pourriez vous y épanouir et y exercer vos idées exaltantes de manière fort efficace.” ajouta-t-elle.

Sans bouger, elle guettait à présent sa réaction, attendant sa réponse.

Evidemment, Violet prenait un risque. Lui parler de manière aussi frontale était dangereux: pour peu qu’il mente, lui aussi (pourrait-elle lui en vouloir ?), il pouvait se révéler très ennuyeux. Cependant, elle n’avait pas la sensation d’être face à quelqu’un qui allait tenter de l’entourlouper. Ou en tous cas, pas ainsi. Elle voyait dans son regard qu’il était intéressé, et il lui confirma cela avant de reprendre sa place dans le divan, croisant les jambes.
Evidemment, il voulait plus d'informations; à vrai dire cela ne la surprenait pas vraiment. Il aurait fallu être une sacrée tête rûlée, un peu idiot ou une taupe pour accepter ainsi de but en blanc et ce n’était vraiemnt, vraiment pas le genre de personnes qu’elle souhaitait recruter. En se redressant également, elle lui sourit, et reprit sa tasse de thé au jasmin, pour en boire quelques gorgées.
Il avait quelque chose qui lui plaisait dans son attitude, sa manière de poser ses questions, son charisme un peu magnétique. Elle sentait en lui un certain potentiel, et n’avait aucune envie de le laisser filer, persuadée qu’il serait un atout de choix dans leur manche. Il ne restait plus qu’à le convaincre d’accepter de rejoindre le paquet de cartes …

“C’est très raisonnable, et je n’en attendais pas moins de vous.” dit-elle dans un sourire. “Je ne peux rien vous révéler de grande ampleur, vous vous en doutez, pour ma sécurité comme celle de mon groupe. Je ne suis moi-même que membre de cette association, et je ne puis me gargariser de faire partie de ceux qui la dirigent. Je vous l’ai dit, nous ne nous connaissons pas tous, et il est tout à fait possible que moi-même j’aie vu passer certaines de nos actions dans des journaux sans savoir que nous en étions à l’origine. Après tout, nous ne sommes pas les seuls à vouloir la perte de ce système … Cependant, je puis vous assurer par exemple que l’incident du théâtre ryoshimais n’était pas de notre fait; nos actions ne portent pas sur le terrorisme, en tous cas pas s’il peut mettre en danger le peuple de Terreciel qui ne fait que subir cet ordre des choses.”

Elle sourit de nouveau, en reprenant un peu de thé.

“De ce que j’en sais, nous sommes actuellement bien plus versés dans des actions visant à … informer dirons-nous, afin d’éveiller les esprits et les ouvrir à la possibilité d’un changement. Avez-vous entendu parler des révélations autour de la corruption régnant dans plusieurs groupes parlementaires ? Eh bien … Disons que nous sommes pour beaucoup dans la fuite de ces informations.” affirma-t-elle très tranquillement. “Evidemment, me direz-vous, tout le monde sait qu’il y a de la corruption ! Oui, mais jusque-là, ce n’étaient que des rumeurs, sans preuves. C’est, il me semble, une des premières fois que de telles soupçons sont corroborés par des faits si éclatants, même si les concernés tentent de se dédouaner.”

Elle reposa sa tasse.

“Cela vous convainc-t-il ?” demanda-t-elle finalement, sur un ton doux et posé.

Face à elle, Alexander réfléchissait et lorsqu’il parla, ce fut pour une nouvelle salve de questions alors que son oeil unique la jaugeait. Violet se permit de lui sourire.

“Vous vous en doutez, Alexander, je ne peux tout vous révéler ainsi, mais je vais faire de mon mieux pour répondre à vos questions.”

Un instant, elle hésita à demander de quoi écrire, afin de schématiser ce qu'elle s’apprêtait à lui expliquer, puis renonça immédiatement. C’était trop dangereux: un papier, même brûlé, pouvait être intercepté, et son écriture pouvait être reconnaissable, même falsifiée. Tant pis, il devrait se contenter d’une métaphore.

“Nous sommes, individuellement, des feuilles. Chacune de ces feuilles se rattache à une ramille. Ces ramilles sont reliées à un rameau, lui-même dépendant d’une branche. Tout cet appareil se raccorde au tronc, qui lui insuffle sa force. C’est ainsi que nous nous organisons, Alexander, comme un arbre. Nous avons des groupes, attachés à de plus grands ensembles, eux-mêmes rattachés à d’autres ensembles plus globaux formant un tout certes protéiforme mais uni.”

Elle lui sourit de nouveau, avant de reprendre sa tasse.

“Pardonnez ma métaphore bucolique, mais il me semble que c’est là le plus simple pour expliquer ce que nous sommes. De la même manière, chaque feuille sait que les autres existent, mais ne les connaît pas de manière personnelle. Pour nous, c’est aussi une manière d’assurer notre propre sécurité si un jour nous venions à être découverts. Mais ne vous en faites pas, nous avons des signes de reconnaissance et des moyens de communication qui nous permettent de nous coordonner ! Quant à la question de la hiérarchie … Chaque sous-ensemble va décider d’un coordinateur, et ces coordinateurs associés décideront du chef du sous-ensemble dont ils dépendent. C’est ainsi que nous fonctionnons, et c’est ce qui nous permet d’agir ensemble.”

Violet se permit d’émettre un soupir.

“Evidemment, je ne peux vous promettre que vous serez d’accord avec chaque personne du réseau que vous pourriez être amené à croiser: ce serait illusoire. Mais je peux vous assurer que nous sommes tous unis par un idéal commun, et que nos méthodes sont discutées en communauté. A l’heure où je vous parle, je n’ai jamais eu écho du moindre projet mettant en danger le peuple de Terreciel. Je ne veux pas vous mentir, Alexander: il est possible que cela arrive. Mais le jour où cela arrivera, nous pourrons en discuter, et le refuser.”

La jeune femme arrivait à la fin de sa tasse de thé, et se demandait bien si par ses paroles elle parveindrait à rallier à sa cause son interlocuteur. Elle espérait également que la personne du réseau qui les attendait, dehors, n’avait pas trop froid, ne serait pas partie …

Tout dans son ton, son attitude suggérait l’intérêt d’Alexander pour les propositions de “Veronica”. Elle sentait bien, pourtant, que quelque chose le retenait; d’ailleurs, il le lui exposa rapidement. Son calme, sa manière de peser ses mots étaient séduisants et laissaient à penser qu’il avait un projet plus large qu’il ne voulait bien le dire. Lorsqu’il lui proposa une collaboration commune, elle haussa légèrement les surprises, son visage s’emplissant d’une surprise non feinte. Puis, elle sourit, amusée.

“Un petit problème avec l'engagement, Alexander ?” se permit-elle de le taquiner, l’oeil un peu rieur. Puis reprenant son sérieux, elle poursuivit: “Votre proposition me semble honnête autant qu’intéressante. Cependant, je ne peux l’accepter; ce n’est pas mon rôle. Mais, si vous le souhaitez, vous pouvez poursuivre cet entretien, ailleurs. Mon groupe sait que je vous rencontre ce soir, et pour notre sécurité, il y a quelqu’un non loin. Si cela vous convient, nous pouvons sortir, et je vous confie à cette personne qui vous mènera là où vous pourrez obtenir une réponse.”

La jeune fille avait l’étonnante impression de se retrouver dans la même configuration que celle du jeu des mariages: la proposition, intéressante, ne pouvait être acceptée par celle concernée mais devait passer par les autorités compétentes. Est-ce que tout devait fonctionner ainsi ?
Il y avait face à elle un immense jeu d’échecs, où chacun, avec des méthodes différentes, se jaugeait. Si elle y était habituée, Violet ne s’était pas attendue à devenir recruteuse pour son mouvement, et n’était pas encore rodée à l’exercice. Au fond d’elle, elle sentait bien qu’elle aurait aimé percer à jour les secrets d’Alexander, qui tanta était qu’il avait donné son vrai nom, et espérait le revoir pour arriver à ses fins. Elle espérait donc que sa proposition serait acceptée …

Sa réponse la fit sourire: ils avaient manifestement la même manière d’aborder les choses, avec la même malice, le même humour. Il était assez rafraichissant pour Violet de pouvoir ainsi échanger de petites passes d’armes, sans se soucier de sa propre image. Le déguisement lui permettait un certain nombre de libertés, l’éloignant de son statut tellement encombrant.
Alexander accepta sa proposition sans rechigner, et très vite, le serveur vint leur rendre leurs manteaux. Une fois que le serveur eut fini de l’aider à enfiler son vêtement et qu’elle eut remis son chapeau orné d’une abeille sur le ruban, son interlocuteur de la soirée la laissa galamment le guider. Elle passa près de lui dans un sourire, et ainsi, ils descendirent les escaliers, traversèrent la première salle de l’établissement, et en passèrent la porte, se retrouvant dehors. Là, un vent froid les cueillit, et Violet retint un frisson en resserrant sur elle son habit. Marchant tranquillement avec Alexander, elle repéra rapidement un mouvement dans une rue adjacente, dont émergea une jeune fille qui leur fit un signe de tête en avançant vers eux.
Immédiatement Violet reconnut sa soeur, et en quelques gestes très discrets qui faisaient partie de leur langage propre à elles deux, elle lui fit comprendre qu’elle portait un faux nom et que le jeune homme ne les avait pas encore rejointes. Voir Rosalie, immanquablement, lui réchauffait le coeur, et elle avait tout le mal du monde à ne pas lui saisir les mains, la serrer contre elle, et échanger avec la tendresse rude qui les caractérisait.

“Alexander, je vous laisse entre de bonnes mains.” glissa-t-elle. “Monsieur a une proposition à nous faire.” expliqua-t-elle sommairement, “Et je pense que celle-ci pourrait s’avérer intéressante. Je vous laisse en débattre. Monsieur, merci pour ces échanges, et cette rencontre. J’espère vous revoir dans notre organisation.” le salua-t-elle avec un sourire.

Puis après une brève révérence, elle s’en fut. S’enfonçant dans la nuit, elle héla un fiacre, et rentra chez elle, où après être repassée par les passages secrets du manoir, elle se démaquilla, ôta ses artifices, se coiffa, se changea, et alla se coucher. Tout ce temps, elle n’avait cessé de se demander si elle n’avait pas commis une erreur, si Alexander était réellement une bonne recrue pour eux. Ce jeune homme paraissait porté par des buts et des ambitions qu’il ne lui avait pas communiqués, et, qui peut-être, pouvaient entrer en contradiction avec celles de son groupe. Sachant pertinemment qu’elle ne pourrait avoir de réponse à cette question, elle espérait simplement avoir rapidement des nouvelles de Rosalie.

Rosalie était venu au rendez vous de sa soeur. Elle n'aimait pas vraiment que ce soit d'autres personnes qui la rencontre, surement un côté surprotectrice. Puis elle était sur le bloc autant en profiter pour l'apercevoir ne serait ce qu'une minute. Elle n'avait pas la moindre idée de quoi elle allait ressembler cette fois. Alors elle guettait toutes les femmes qui entraient et sortaient de l'établissement indiqué. Elle c'était positionné à l'angle d'une rue emmitouflée dans un grand manteau noir usé mais suffisamment chaud pour ne pas la laisser mourir de froid. Elle portait dans ses cheveux attaché en chignon son pic avec une abeille au bout. On entendait le bruit de ses bottes, elles aussi usées mais fourrées, sur le pavé de la rue.

Celà devait peut être faire une heure qu'elle faisait des aller retour dans la ruelle quand un couple se dirigea vers elle. Elle ne reconnu pas Violet au premier coup d'oeuil mais quelque chose dans la démarche lui fit dire que c'était bien elle. Celà fut confirmé lorsqu'elle signa dans leur langue à elles. Rosalie eu un sourire sa soeur était vraiment incroyable pour se déguiser. Elle résista à l'envie de la prendre dans ses bras et se concentra sur l'homme qui l'accompagnait. Elle n'était pas surprise de la jeunesse. Pour oser écrire ce qu'il avait écrit dans les journaux il fallait un esprit jeune et fougueux. Elle attendit que sa moitié d'âme parte pour prononcer ses premiers mots.

"Bonsoir Alexander, Si vous le voulez bien on va poursuivre dans un autre établissement pour ce soir. Ca sera mieux que de rester dans le froid"

Elle savait que sa façon de s'exprimer n'était pas aussi élégante que celle de Violet mais elle n'avait jamais naviguée dans les hautes sphères et il devrait faire avec. Elle allait l'emmener dans un pub non loin ou elle savait qu'il n'y aurait pas de souci d'écoute car c'est là qu'elle retrouvait souvent des personnes de l'organisation.

Elle marchait devant guidant leur peut être novelle recrue dans un pub avec moins de prestige et plus de bruit que là où il se trouvait avec sa soeur. Quand ils passèrent le pas de la porte elle hocha de la tête en direction du tenancier pour le saluer. Elle était l'une des seule femme présente dans l'établissement et celà ne la dérangeait pas le moins du monde. Quelques regards en biais quel foudroya du sien à leur passage. Ils s'installèrent à une table au fond de la pièce un peu à part ou le bruit semblait moins résonner.
Il lui proposa de lui offrir quelque chose à boire et Rosalie en fut surprise elle ne 'sy attendait pas. Elle lui sourit.

"Je prendrais la même chose que vous"

Elle espérait que ça le mettrai un petit peu en confiance suffisamment pour qu'il lui en dise plus sur cette fameuse proposition que Emilia avait évoqué. Elle le laissa aller passer commande puisqu'il avait proposé. Pendant son absence elle retira son manteau affichant une robe d'une simplicité affolante de la même couleur que ces yeux, sous laquelle elle avait enfilé un chemisier blanc laissant dépasser le col pour lui tenir chaud. Elle se savait bien moins élégante que sa première interlocutrice et elle espérait que ça ne gênerait pas cet Alexander. Si un simple changement de classe sociale le dérangeait il n'était clairement pas prêt à collaborer avec les rebelles. Aussi quand il revint elle lui servit un sourire un peu forcé.

"J'vous remercie... et j'vous écoute"

Elle n'y allait pas par quatre chemin elle n'avait pas vraiment de temps à perdre. De toute façon elle de savait pas faire autrement, elle ne savait ni manier les mots ni enrober ses phrases. Elle avait cependant un peu peur de le brusquer alors elle avait adoucit sa voix autant qu'elle le pouvait.

Rosalie imita son interlocuteur en levant son verre avant d'en boire une gorgée. Ainsi il avait opté pour du Rhum. Elle eu un petit sourire en coin elle aimait ça et c'était surement un des meilleur choix qu'il pouvait faire. Alors qu'il commença a expliquer ce qu'il avait en tête Elle grignota les petits salés qu'il avait gentiment apporté. Elle n'était ni déllicate ni brusque dans sa façon de bouger et d'emmener ses grignotages à sa bouche qu'elle gardait fermée tout de même.

Quand il eu finit elle marqua un silence. Elle ne savait pas très bien quoi lui répondre. Elle même ne croyais pas cette méthode réellement efficace si non ça ferait longtemps que les choses bougeraient. Elle était persuadée que les dirigeant des cinq se fichait éperdument de l'opinion publique mais voilà elle n'était pas seule et certainement pas la décisionnaire dans tout ça. elle n'était que le relais. Ainsi elle avait écouté mais bien que celà ne lui semblait ni pertinent ni efficace elle se permit de continuer la conversation.

"Avez vous une idée des... mmh... méthodes que vous voulez utiliser ?"

Elle avait choisi ses mots précautionneusement. Elle ne savait pas très bien à qui elle s'adressait et ne voulait pas se mettre a dos un puissant qui la reconnaitrait sans mal dans d'autres occasions. Elle voulait également en savoir un maximum pour pouvoir rapporter quelque chose d'autre que du blabla inutile de cette rencontre. Elle connaissait bien les rangs de la rébellion et tout le monde ne se rangeait pas de son avis alors si eux pouvait y trouver un intérêt il fallait qu'elle écoute bien pour enregistrer et recracher les proposition d'Alexander le plus justement possible. Elle repris une gorgée du rhum qui lui brulait doucement la gorge. Puis elle fit un léger sourire en plongeant son regard dans l'oeuil du blond qui lui faisait face.