L'ennui n'est plus une option. [Libre]

Le plan est simple à la base : faire le trajet depuis Jhareel jusqu'à Alryon pour y faire deux trois "courses". Rien de bien compliqué, de la routine même à ce stade là. Surtout durant cette partie du voyage, je n'ai encore rien de trop fâcheux dans mes affaires, c'est la seconde partie du voyage qui est la plus chaude en général.

Là on est plus dans un genre de congé sabbatique dans les limbes. Comprendre que la situation est pas horrible mais pas terrible pour autant. La raison de cette situation ? Ben déjà la bouffe est pas terrible. Et sur un bâteau y a pas grand chose d'autre à faire à part dormir et bouffer. Cela dit j'ai l'impression que c'est surtout un problème avec les passager.es qui ne sont pas en première. Pas que ce soit surprenant, mais ça veut juste dire qu'il y a certainement des denrées bien meilleures à choper dans les cuisines. Mais ça amène à l'autre problème : je me fais chier comme un rat mort.

On va espérer qu'une balade sur le pont aide à régler le problème. Cela dit j'ai quelques doutes. Je ne peux pas dire que l'air frais ne me fasse pas du bien. Sur une caravelle, près de la poupe, le visage contre le vent et les yeux fermés, j'aurais presque l'impression d'être vraiment un oiseau. L'impression de voler, et pas que les bonnes gens. Au moins pour ça, ça aurat valu le coup de mettre le nez dehors.

Je constate que je ne suis pas la seule à avoir voulu prendre l'air, mais dans la foule de pékins y'a une fille qui m'attire l'oeil. Elle paye pas trop de mine dans sa tenue toute simple et ses godasses qui ont clairement vues des jours meilleurs, mais y a un truc dans son attitude… Dans son port de tête peut-être aussi… Peut-être quelque chose à se mettre sous la dent.

Je la suis jusque dans la pièce principale, je me tiens un peu à l'écart d'abord, je ne pense pas qu'elle m'ait vu. Elle observe, peut-être à la recherche d'une activité. Un groupe de gars jouent aux dés dans un coin, un couple jouent de la musique et chante dans un autre, d'autres parlent devant une tasse de thé ou d'alcool. Moi je m'approche et tapote doucement l'épaule de la fille, je la salue d'un sourire, celui que j'ai de plus lumineux et désarmant.

-Une partie de carte ça te dit ?

Elle se décide vite, un hochement de tête et l'affaire est pliée. Elle sait ce qu'elle veut, tant mieux. Le monde est un encore plus méchant chausse-trappe pour les indécis.es. La fille choisit même notre table, la question plus là pour une politesse creuse qu'autre chose. Coup de bol, le meuble bancal avec ses deux chaises qui sont clairement plus vieilles de Mémé Malice me conviennent. Pas que je l'aurais montré autrement, pas directement du moins.

Je la suis avec un sourire, ce n'est pas bien compliqué de faire tenir ce masque. C'est un qui me sert le plus, les gens aiment avoir une jeune femme souriante et docile en face d'eux. Iels ont tendance à se mettre à l'aise et se détendre, ce qui n'est jamais pour me déplaire.

J'espérais bien qu'elle n'avait pas de jeu sur elle, plus simple pour moi de m'arranger avec la Fortune au besoin si j'utilise mon propre jeu. Cela dit rien n'est encore décidé.

-Oui, j'espérais bien trouver des partenaires de jeu en venant ici.

Je continue de lui sourire en sortant mon paquet de cartes de ma poche. C'est un tirage de qualité plus que moyenne, comprendre pas loin de médiocre, tout ce qu'il y a de plus banal. Des tirages à bas coût avec des gravures un peu démodées, et franchement grossières, une impression dégueulasse sur un papier juste assez épais pour tenir le coup mais c'est tout ce en quoi il brille. Bref, un tirage premier prix fourgué en masse à la populasse comme on en retrouve partout sur les marchés des Blocs. Je les aime bien parceque ça rend compliqué pour les gens en face de deviner d'où je pourrais bien venir, et aussi parce qu'on imagine difficilement comment je pourrais m'arranger avec des cartes pareilles. Elles n'ont rien de louche, elles sont juste le témoignage d'une origine sociale pas franchement friquée.

-Je t'aurais bien proposé une partie de Dutch mais à deux ce ne serait pas très marrant. Il y a un jeu que tu aimerais faire à la place ?

Je pose le jeu au milieu de notre petite table.

-J'avoue avoir un faible pour le memory.

C'est une habituée, ses mouvements machinaux sont précis et fluides. Elle sait comment s'y prendre avec des cartes. Je me demande si j'ai en face de moi une joueuse compulsive, ou bien une occasionnelle comme moi ? Après il y a toujours l'option qu'il s 'agit simplement de quelqu'un aimant les jeux de cartes, une amatrice enthousiaste de ce genre de divertissements. Je ne me décide jamais sur ça d'emblée. Il faut toujours s'attendre au pire chez les gens. On évite un tas de mauvaises surprises comme ça.

Je note en tous cas que si je décide de chercher à la plumer ou à me passer du jugement de la fortune, ce ne sera certainement pas quelque chose de facile. Risqué même.

Ah, mon nom. Bonne question ça.

-Carmen, je réponds automatiquement. Ravie de faire ta connaissance, Rosalie.

Je lui ai donné le même prénom que celui sous lequel j'ai embarqué. Mieux vaut s'en tenir à un seul le temps de la traversée. Carmen est un aussi bon nom qu'un autre, et pour tout le monde ici il conviendra parfaitement.

Une fois qu'elle a terminé de mélanger et couper le paquet, je récupère les cartes et commence à les disposer sur la table en un carré. Pour cette partie je ne vais pas tricher, mais bien jouer à la loyale. Enfin autant que j'en sois capable.

-Et qu'est ce qui t'amène en Alryon, Rosalie ?

Peut-être vient-elle visiter de la famille, son nom et son physique ne détonneraient pas trop. Ou bien est-ce juste pour chercher un ciel plus clément et un emploi, comme Carmen.

Rosalie regardait Carmen distribuer les cartes sur la table sans aborder une moue particulière. Elle ne souriait pas mais elle ne faisait pas la tête non plus juste elle attendait. Son visage pouvait paraitre un peu dur quand elle était comme ça mais il n'en était rien c'était juste son expression la plus naturelle. Puis Carmen lui posa une question. Elle ne s'y attendait pas et haussa les sourcils, le temps de réfléchir une réponse.

"Eh bien j'y vais dans l'espoir de trouver un peu de travail qui soit plus sympa que le dernier que j'ai eu sur Jhareel."

Elle marqua un temps d'arrêt pour lui servir un sourire avant de retrouver son visage sans expression.

"Et toi Carmen ? T'y vas pour quoi ? "

Elle avait tenté d'accrocher le regard de la jeune femme en lui posant la question puis était retournée aux cartes sur la table. Rosalie n'avait pas totalement confiance dans cette inconnue mais elle ne s'en méfiait pas pour autant. Après tout il n'y avait rien en jeu sur cette partie de carte si ce n'est de faire passer le temps.

"Tu veux commencer ou je commence ? "

Elle a pas l'air commode. Mais elle me répond sans trop rechigner, elle a peut-être juste une sale tête au repos. Je note que sa réponse est assez basse

-Oh moi, un peu les mêmes raisons. Mais j'ai déjà quelques pistes, j'ai de la famille déjà en Alryon et ma cousine m'a parlé d'un poste qui s'était libérée dans la maison où elle travaille. Il paraît que la paye est bonne et que la famille est correcte.

Cousine qui bien sûr n'existe absolument pas. Le poste oui par contre, juste ce n'est pas pour ça que je viens cette fois. Je l'ai pris pour un travail il y a quoi ? Deux ans ? Oui, ça doit être ça, deux ans.

La demi-vérité coule de mes lèvres avec aisance, des années de pratique. C'est devenu comme respirer pour moi.

-Je vais commencer alors.

C'est une fleur que je lui fait, pour le mémory, à moins d'avoir une chance de pendu (ou de tricher), la personne qui commence est assurée de perdre la main. Je soulève deux cartes, sans trop me soucier de choisir stratégiquement leurs positions. Dépareillées sans surprise. Roi de carreau et deux de pique.

-Ah, tant pis pour moi. A ton tour.

Rosalie aimait bien la voix de sa partenaire de jeu aussi ça en devenait facile de l'écouter. Elle ne la regardait pas pour autant se concentrant sur le jeu en face d'elles. Elle aimait jouait mais surtout elle n'aimait pas perdre. Alors elle essayait de retenir les cartes qu'avaient tiré son adversaire et leur emplacement pour l'instant c'était facile. Mais elle savait que sa mémoire n'était pas forcément sa plus grande force. Alors elle devait établir une stratégie. Elle commença par prendre les carte des deux coins les plus proches d'elle.

Dame de coeur à sa droite et huit de trèfles à sa gauche. Elle regarda brièvement la jeune femme en face d'elle avant de reretourner les cartes.

" C'est à toi."

Elle hésita un instant avant de se dire que même si ce n'était pas son point fort elle pouvait essayer de faire la conversation ça serait toujours un peu plus agréable que le silence.

"j'ai jamais travailler dans une maison en tant que domestique... j'dois pas avoir d'assez bonnes manières pour ça... Tout'façon j'préfères voir du monde défiler ça permet de pas trop s'ennuyer."

Un bruit de poing sur la table se fit entendre du côté des joueurs de dès. Ce qui fit sourire Rosalie.

"Y en a un qu'est pas content"

Elle ne s'était pas retournée pour voir qui avait eu cet excès de tempérament trop concentré à se répété les cartes qui avait été retournée pour essayer de les retenir.

Le jeu s'enchaîne tranquillement, pour le moment aucune de nous n'a le potentiel de faire de paires en se basant sur les cartes déjà découvertes. Un Roi rouge, une Reine rouge un huit noir et un deux rouge, c'est une suite de bric et de broc. Je note quand même mentalement leurs emplacements avant de soulever une nouvelle carte : sept de pic. Ah, pas de chance pour moi non plus, je ne sais pas où trouver sa paire. Je soulève une autre carte par dépit : Reine de carreaux. Et merde. Rosalie vient de gagner une paire pour le prochain tour.

Hum, pas du genre à travailler dans des maisons, donc. Intéressant.

-Tu préfères travailler en boutique ou en atelier, alors ?
Je lui demande avec une curiosité non feinte.

Je tourne la tête pour mieux voir d'où vient l'éclat de colère. Les gens colériques sur un bateau ce n'est jamais bon, pas si on veut un voyage tranquille. Mais les crises sont quasiment inévitables quand on passe de longues périodes de temps les uns sur les autres sans nul part où aller. Deux personnes sont en train de monter en ton et en agressivité, une histoire de tricherie soupçonnée si je comprends bien. Rien qui ne m'intéresse, pas mes affaires et si ça doit en venir aux mains c'est leur problème.

-Mauvais perdant, j'ai l'impression. A toi, Rosalie.

Rosalie eu un petit sourire en coin Elle retourna sa dame de coeur et la dame de carreau sans trop de difficulté vu qu'elles venaient toutes les deux d'être jouée. Elle récupéra les carte les posa en tas face visible de son côté de la table. Puis elle retourna à sa stratégie pour retenir les carte en commençant par le bord mais elle fit chou blanc. Une petite moue se dessina sur son visage avant qu'elle reprenne la conversation.

"Oui j'ai commencé par travailler dans une armurerie sur New Chresthill et d'puis j'ai enchainé les p'tits boulots un peu partout dans les cinq et leurs colonies... J'aime pas rester trop longtemps au même endroit..."

C'était la vérité à peine façonné pour pas la faire passer pour une sauvage qu'elle n'était pas. Souvent ce sont les petits boulots qui ne voulaient plus d'elle... Elle aurait pu retourner dans l'armurerie elle y était bien là bas mais c'était plus difficile pour elle de se rendre utile en restant au même endroit. Elle se demandait ce que devenait le vieil homme qui l'avait introduite à tout ça. Puis elle se rappela qu'une conversation se devait d'être alimenter pour perdurer.

"Et toi Carmen tu as toujours travaillé dans des maisons de nobles ?"

Elle s'était retenu de cracher le dernier mot avec mépris, mais avait marqué un tout petit temps avant de le prononcer.

Rosalie joue à ce jeu un peu comme on fait un puzzle : en commençant par les bords. Ce qui est une stratégie, elle a l'avantage de faciliter un peu la mémorisation. Mais ça la rend aussi prévisible. Elle va privilégier les bords au centre, je note soigneusement l'information dans un coin de mon crâne.

Armurerie sur New-Cresthill, hein… Intéressant, ce genre d'endroit n'est pas trop enthousiaste à accueillir des femmes. Pour Alryon les femmes n'ont pas les capacités nécessaires pour manier une arme. J'ai croisé plus d'hommes s'étant automutilés accidentellement avec leur arme que de femmes cependant. Pas que ce fait suffisse à faire réaliser toute la société qu'il s'agit d'un truc absolument stupide. Mais le plus intéressant dans l'histoire c'est que l'armurerie est à New-Cresthill. La colonie a des relents sulfureux et cela me surprendrait pas que la dite armurerie soit sous étroite surveillance. Histoire qu'il n'y ai pas trop d'erreurs d'inventaire. Je me demande si le départ de Rosalie a un rapport avec ce potentiel encadrement étroit. Je ne fais pas de commentaire, je me contente de retenir l'information. Tout comme le fait que comme moi, ma partenaire de jeu semble beaucoup voyager. Pas que je vais lui révéler cette information.

-Oh, je suis restée dans une famille bourgeoise pendant un moment. C'était mon premier emploi, j'y suis entrée parce que ma Mama y avait un poste de lingère. Après sa mort j'ai continué dans ce genre d'emploi, comme j'étais déjà formée aux attentes de ce genre de maisons. Mais oui, globalement j'ai toujours travaillé chez des nobles.

Enfin, ça et d'autres boulots selon ce qu'il fallait que je récupère ou glane de mon oreille. Pour le coup Carmen est une gentille fille qui fait le même travail que sa chère (et très morte) Mama, certainement comme sa grand-mère avant elle.

-Cela dit, toutes les familles ne se valent pas. Et je ne parle pas que de leur générosité sur les gages…

Je tends une perche, un peu curieuse de voir comment elle va être saisie, ou non.

Rosalie afficha un air désolé quand sa camarade de jeu évoqua la disparition de sa mère. Elle mit du temps à trouver les mots à dire dans ces circonstances à une personne que l'on ne connait pas. Elle décida de rester simple et de continuer à jouer.

"J'suis désolée pour ta mère."

Elle retourna deux cartes différentes. grimaça comme à chaque fois qu'elle perdait une manche. Puis rebondit sur la dernière phrase qu'avait prononcé la jeune femme.

" J'y connais pas grand chose en noblesse mais ouais parait qu'y a des hiérarchie dans ce monde là et ça m'échappe un peu... Mais tu faisais pt'être référence à autr' chose qu'ça ? "

Elle espérait quelque part qu'elle lui parlerait en mal de certaine famille ça ajouterait de l'eau à son moulin. Des raisons de plus de haïr ce monde là, ces gens là et leur façon de voir et vivre le monde. Cracher sur les puissants du monde ça faisait toujours un peu de bien au petites gentes en tout cas ça faisait toujours du bien à Rosalie Scott.