[Fujinokawa] Regarder la beauté de l'instant ~Pv Takeo

Depuis quelques temps, une partie des nobles de Ryoshima avait posé leurs valises sur l'île de Fujinokawa, dans l'optique de se détendre et de laisser le jeune empereur respirer un peu. J'ignorais ce qui avait pu le pousser à s'exiler ainsi, mais Urga et moi avions été conviées à ce voyage en tant que membre de la coure impériale. J'avais entendu que le climat ici était encore plus doux que celui de Ryoshima et effectivement ça ne manquait pas. Je n'avais jamais respirer avec autant de facilité qu'ici, je me sentais libre, légère, presque... invincible. Mais non loin de moi, j'entendais Urga marmonner dans sa barbe, qu'elle n'a pas bien sûr, Urga est une femme, mais l'expression fonctionne malgré tout puisqu'elle prend le même ton que mon père quand il bougonne. Ne comprenant pas précisément ce qu'elle dit, mais devinant qu'elle doit se plaindre de la "chaleur harassante de ce foutu pays" je décide de la taquiner :

- "Il fait particulièrement doux n'est-ce pas Urga ? "

La pauvre dame de compagnie en sueur se redresse et jette un oeil à sa jeune maîtresse et son air mutin. Si elle ne s'était pas occupée de cette gamine depuis sa plus tendre enfance, si elle ne la connaissait pas mieux que ça, si elle ne la considérais pas comme sa propre fille, cet air taquin lui bien valu une paire de claques pour faire rosir ses fesses autant que ses joues quand elle croisait l'empereur. Urga marmonna une réponse en tapant les oreillers pour les regonfler :

- "Madame a bien raison. Une douceur de soie faite météo. "

- "Oh ma bonne Urga, cesse de râler et de t'agiter, je sais bien que tu as trop chaud, mais si tu enlevais les vêtements d'Isvall pour enfiler des tenues Ryoshimaises tu te sentirais bien mieux ! "

Car s'il était une chose à souligner, c'était qu'Urga, depuis leur courte visite à Isvall quelques temps plus tôt, avait réadopter les vêtements traditionnels de leur pays natal, adapté à un climat presque polaire. Et qui, par la logique des choses, ne convenaient pas du tout au climat tempéré que l'on trouvait dans cette partie du monde. Grommelant de plus belles à propos des traditions et d'une certaine fierté patriotique, Urga consentit malgré tout à sortir de l'armoire, une tenue un peu plus légère, mais arborant malgré tout les couleur de leur pays.

- "Tu sais quoi ? Nous devrions aller boire du thé dans le jardin !"

- "Madame vous n'y pensez pas ? Par cette chaleur ? "

- "Allons, il ne fait pas si chaud et cela t'aidera à réguler ta température, c'est mon bouquin qui l'a dit ! Aller vient avec moi ! Enfile cette robe et on file ! "

Devant donc suivre sa déterminée maîtresse, Urga enfila donc une robe plus légère et, se sentant bien mieux, entreprit de suivre dame Silje a travers les corridors de la résidence jusqu'à un petit patio où les arbres en fleur invitait à un repos bien mérité. Silje vit l'empereur avant qu'Urga ne franchisse la porte et l'envoya chercher son livre.

Alors que la servante était partie, la jeune fille resta figée un moment sur le perron avant s'éclaircir la voix pour annoncer sa présence. Elle tenait deux tasses dans une main et Urga ne tarderait pas à revenir avec le plateau de thé et son livre.

L'Isvallaise fit la révérence devant l'empereur :

- "Votre altesse... Il est... rare de vous voir seul. Désirez vous un peu de thé ? Ma dame de compagnie va apporter un plateau."

Priant pour ne pas le déranger et pour qu'il ne trouve pas mon accent Ryoshimais trop étrange, j'attendis patiemment la réponse de cet homme qui faisait battre la chamade à mon coeur.

Takeo avait toujours apprécié la douceur de Fujinokawa, d’autant qu’il se souvenait. Il se rappelait qu’avant, le climat était plus doux, moins étouffant que sur le Bloc-Capitale ; que ses parents semblaient un peu plus détendus, plus enclins à pardonner une éventuelle inconduite de sa part ; qu’il riait plus en compagnie de ses deux soeurs, alors qu’il courait dans le jardin. Il se rappelait..il se rappelait qu’il se sentait presque comme une personne normale. Pour quelques instants chaque année, il pouvait être juste Takeo et non pas le Prince. Ce qui tombait d’autant mieux que d’autant qu’il se rappelle -mais il était possible que cela soit un effet de son imagination, son enfance était si loin -, il lui semblait que moins de nobles de cour étaient présents..et qu’eux-même étaient un peu plus amènes qu’à l’ordinaire. Une illusion,probablement.

Enfin, toujours était-il, il était bien content d’avoir quitté la capitale ; moins de monde, moins de regards sur lui, il ne pouvait pas s’en plaindre. Il commençait à accepter la réalité de l’attentat qui avait eu lieu, ou plutôt, se forçait à l’oublier, à continuer comme si de rien n’était. La vie continuait. se disait-il. Il resterait toujours aussi perdu, probablement, mais comme d’ordinaire il le cachait derrière ce masque d’impassibilité. Il ne pouvait se permettre d’exprimer ce trouble ; même s’il était novice en politique, il avait bien compris que la moindre marque de faiblesse lui serait fatale, qu’il serait mangé ; que les rumeurs pourraient si vite circuler à son encontre, et que cela pourrait si mal finir. Enfin, pas pour lui. Il aurait voulu mener une vie simple, au lieu de quoi, il se retrouvait propulsé à la tête de sa Cité, au poste le plus important et le plus en vue ; celui qui pardonnait le moins.

Cela le rendait fou, parfois, comme en ce moment. Il étouffait dans sa chambre, au milieu de ses paravents et autres somptueuses tentures qui valaient certainement plus que lui. Il aurait voulu aller en plein air, sentir la douceur de la terre contre ses mains. Avoir la simple joie de planter ses légumes, de les voir pousser et de pouvoir les récolter. Mais cela lui était interdit désormais. Rien ne l’empêchait, cependant, de profiter du petit pavillon de thé du palais de villégiature ; et c’est là qu’il se dirait, recueil de poèmes classiques caché dans les manches.

Mais tout ne se passa pas exactement comme prévu. Car il croisa quelqu’un sur son chemin ; quelqu’un dont, il devait l’avouer, il avait complètement oublié la présence à cause des..évènements récents. Dame Silje Aröndottir, dame de compagnie de sa chère petite soeur.

“Dame Aröndottir.” salua-t-il. “Cela serait un honneur de boire du thé en votre compagnie.”

Il n'allait pas refuser l'invitation de la dame de compagnie de sa soeur, après tout. Cela ne se faisait pas.

Silje s'installa et Urga revint très vite avec le thé. Elle jeta un oeil à l'empereur, s'inclina, mais ne lui adressa pas un mot. La gouvernante n'avait jamais vu d'un très bon oeil que Silje soit éprise d'un étranger et aurait préféré la voir avec un homme bien né de chez eux, qui lui achèterait une belle maison et lui ferait beaucoup d'enfants sans mettre une pression si forte sur ses frêles épaules. Pourtant, la jeune fille ne voyait pas la fonction en l'empereur, seulement ce jeune homme doux et juste qui se montrait toujours poli. Elle avait appris à l'aimer, y compris au travers du regard de la soeur de ce dernier.

- "Merci Urga, nous offrons une tasse de thé à sa majesté, mais ne allons éviter de lui prendre de son temps"

- "Comme vous voudrez madame."

Rougissant face à ma gouvernante qui s'était exprimée dans notre langue natale, je m'excusais auprès de l'empereur.

- "Je suis navrée votre majesté, Urga ne maîtrise pas encore très bien votre langue. Nous prenons des cours de conversation régulièrement pour nous améliorer."

- "Madame a raison. Je pas parler beaucoup."

Morte de honte, Silje servit une tasse de thé à Takeo avant de la lui tendre avec un petit sourire. Elle se sentait un peu de trop maintenant qu'Urga avait fait irruption et les fixait tous les deux, son tricot à la main. Bien sûr la gouvernante ne pouvait pas empêcher la jeune fille de parler à l'empereur, mais elle ne pouvait pas non plus les laisser seuls et faire fit de la bienséance. Aussi les surveillait-elle en tricotant.

Mal à l'aise, Silje plongea son regard dans sa tasse de thé et but une gorgée avant de se saisir de son livre. Un livre de science qui parlait de différentes fonction du corps humain, un livre particulièrement intéressant qu'elle peinait parfois à compris puisqu'il n'était pas écrit dans sa langue, mais qu'elle utilisait pour apprendre malgré tout.

- "Cela ne vous dérange pas si... ?"

Elle souleva le livre, comme pour indiqué qu'elle souhaitait lire et qu'elle laissait simplement la théière à disposition s'il voulait une autre tasse. Elle qui aurait aimé un rendez-vous, avec Urga qui leur jetait des regards noirs, c'était raté.

C’est avec une assurance qu’il était loin d’éprouver que Takeo s’installa à son retour devant la table du pavillon de thé. Il restait néanmoins le dos bien droit , comme l’incarnation de la figure qu’il était censé être ; mais intérieurement, c’était tout autre chose. C’était de la gêne qu’il ressentait, oui.Après tout, c’était sans doute la première fois qu’il se retrouvait face à face avec la Damoiselle. Il ne savait pas trop quoi lui raconter ; il se trouvait bête et emprunté, et regrettait de ne pas être une personne très éloquente. Il n’était pas sociable, il ne savait pas parler. D’autres que lui auraient su commencer une conversation, mettre tout le monde à l’aise ; mais pas lui. Lui..c’était comme s’il était engoncé dans la neige de ce mois de décembre. Il était gourd ; mais pas dégourdi pour un sou. On pourrait prétendre le contraire, et pourtant ; Takeo n’était pas un garçon très intelligent, ni charismatique. Son apparence frappa les esprits, mais pas pour la bonne raison.

Il baissa les yeux un instant, ne les relevant que lorsqu’Urga revint avec le thé ; et il salua la gouvernante poliment.

“Ne vous en faites pas, Dame Aröndottir. Le Ryoshimais n’est pas une langue simple.” Tellement compliquée que lui avait l’impression de ne plus savoir la parler, ou la lire. Il ne parlait correctement que l’alryonais -parce que c’était la langue commune que l’on parlait au monastère. C’était pitoyable, songeait-il. Il prenait des leçons, mais tant de choses lui échappaient encore. L’empereur qui ne parle même pas la langue de sa Cité, avait-on déjà vu plus ridicule ? En même temps, que pouvait-on attendre de plus de lui ? Il avait été chassé de Ryoshima. Rien n’étonnant qu’il en en perdît la langue. Et pourtant… Et pourtant ce n’était que le premier de ses manquements.

“Je vous remercie.” fit-il ensuite, alors que la jeune fille lui servait du thé, sous le regard de hibou de sa gouvernante. Il ne pouvait s’empêcher qu’il y avait quelque chose de bizarre dans ce geste. En tant qu’apprenti moine, auparavant, c’était à lui d’effectuer ce genre de tâche. Il devait être poli et amical envers les invités, et les traiter avec une grande hospitalité. Que maintenant, on le serve lui, voilà qui lui laissait un sale goût dans la bouche. Il n’en était pas digne. Personne ne devait s’abaisser pour le servir lui. Par les dieux, que c’était compliqué. Toutes ces émotions, c’était compliqué. Peut-être qu’il réfléchissait trop. Sûrement. Mais quand même. Il songeait que la vie était une drôle de farceuse, mais qu’il se serait volontiers passé de ce genre de mauvaises blagues.

Que n’aurait-il pas donné pour retourner au monastère, ou être un simple roturier. En fait, maintenant qu’il y songeait, être n’importe qui d’autre qu’Ashikawa Takeo lui semblait à cet instant une condition très enviable.

“Je vous en prie, faites.” Et il sortit son petit recueil de poèmes de sa manche, pour montrer qu’il était sorti pour lire un peu dehors aussi. “Que lisez-vous, si je peux vous le demander ?” Cet ouvrage lui paraissait sacrément épais, par rapport à ses propres lectures. Peut-être qu’il aurait du en avoir honte.