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Bird in cage [Akio]

Ashikawa Takeo
Ashikawa TakeoRyoshima
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Bird in cage  [Akio] EmptyMar 14 Nov - 22:20
D’autant qu’il se souvenait, Takeo avait toujours aimé la résidence de villégiature impériale à Fujinokawa. De façon plus générale même, il avait toujours mieux aimé la colonie. La température était plus clémente ; les gens lui semblaient plus accueillants, plus détendus, moins perpétuellement sur leurs gardes qu’à Ryoshima-même. L’on n’était pas dans la capitale, pour sûr. Ou presque, songeait un Takeo presque désemparé, en admirant la délicate neige qui tombait sur la colonie. Comme de juste, dés qu’il allait quelque part, il fallait absolument qu’une partie de la cour impériale bouge avec lui ; c’était agaçant d’avoir l’impression d’être un simple poisson que des milliers d’oiseaux suivaient pour mieux se l’accaparer par la suite.  Cette impression de ne pouvoir respirer, d’avoir toujours des yeux attentifs qui l’observaient. Des yeux pas toujours amicaux, d’ailleurs.


Il l’avait bien encore vu l’autre jour. Il avait pensé pouvoir passer une soirée tranquille et amusante au théâtre en compagnie de Nehir ? Grossière erreur, une prise d’otages avait eu lieu, et il n’était pas assez stupide pour ne pas voir le lien de cause à effet. Jamais tranquille, pensa-t-il amèrement. Voilà une triste réalité du pouvoir ; en détenir suffisait à corrompre, à pourrir, le moindre de ses déplacements. Il ne pouvait plus être l’insouciant prince Takeo, s’il l’avait été un jour.

Takeo soupira.
N’y avait-il vraiment qu’au monastère qu’il avait été heureux. Il avait eu ses devoirs, mais paradoxalement il n’avait jamais aussi été libre. Libre de ne pas avoir à songer à comment administrer une Cité ; libre de ne pas avoir à songer à comment naviguer le lien rempli de serpents qu’était la Cour. Et ce nid de serpents, il l’avait lui-même emmené avec lui.  Cela le fatiguait, parfois, d’être Ashikawa Takeo.  Que n’aurait-il donné pour être une personne du commun..(Inconscient, sûrement, que sa vie aurait autrement plus compliquée s’il n’était pas né Ashikawa Takeo.)

Pour l’heure il attendait. C’était sans doute stupide et probablement incroyablement naïf de sa part, mais il avait envoyé une cordiale invitation à l’inconnu blessé au cours de cette soirée mouvementée. Il voulait s’excuser ; c’était à cause de lui que cette horreur était arrivée. Il avait été faible, et trop confiant. Et bien on ne l’y reprendrait plus. Plus jamais il n’irait nulle part sans un troupeau de gardes ; encore moins sans que ceux-ci n’aient entièrement fouillé le moindre lieu où il devait se trouver.  Il ne voulait plus revivre une telle situation.

Son incompétence chronique avait causé la blessure d’autrui ; cela il ne pourrait jamais se le pardonner. Il avait manqué à son devoir en tant qu’Empereur. Il était censé prendre soin de ses habitants, de sa Cité ; la preuve en était qu’il avait royalement échoué, sur toute la ligne. Etait-il trop tard pour abdiquer, comme il n’avait pas encore été officiellement intrônisé ? Comment savoir. Peut-être. Oui. Non. Il était si ignorant que cela en devenait frustré. Pourquoi fallait-il que l’étiquette ryoshimaise soit si compliqué..qu’il soit si stupide, qu’il n’arrive pas à en retenir la moitié. Il ressentait cruellement ses dix ans d’éloignement de Ryoshima. A part son envie de s’excuser perpétuellement, il ne devait pas rester grand-chose de ryoshimais chez lui, songea-t-il amèrement. Engoncé dans ses milliers de couches de vêtements, assis bien droit, il s’efforçait néanmoins de paraître aussi impérial que possible. Et enfin - l’on vint lui annoncer que son invité était arrivé.

L’attente était terminée, mais il ne savait s’il serait à la hauteur.

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Shimada Akio
Shimada AkioRyoshima
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Bird in cage  [Akio] EmptySam 18 Nov - 17:00
Lorsqu’il reçut la missive, Akio se sentit basculer dans le vide.
L’émotion, pour atroce qu’elle fût, lui donna l’espace d’une seconde l’incomparable sensation de voler, avant que ne se rappelât à lui la fatalité de sa chute, cette issue inexorable qui le verrait s’écraser sur les pavés gelés de Ryoshima au milieu d’une foule conspuante et prompte à limoger ce qu’il resterait de son corps. Car il ne pouvait exister aucune autre fin à cette histoire, si ? La mort ou l’exil — c’est ce que Zane lui avait toujours répété — même si l’exil peut s’achever à tout moment, quand on est espion.
Jusqu’à présent, c’est-à-dire depuis qu’il avait de nouveau pointé le bout de ses geta en ville, le spectre de sa sortie de scène ne l’avait pourtant guère hanté ; confiant en ses capacités comme en sa couverture, il avait tissé sa toile de renseignements avec une patience et une minutie qui l’autorisaient à dormir sur ses deux oreilles la nuit, ou tout du moins tant qu’il ne laissait pas une autre mécanicienne d’Alryon bricoler chez lui, et en tirait de fait une sérénité certaine. Mais être invité au palais impérial de villégiature, et ce à l’initiative de l’Empereur, relevait d’un niveau de difficulté bien plus élevé que tout ce à quoi il avait joué durant ces trois années. Nul droit à l’erreur, dorénavant. Enfin, encore moins que d’ordinaire. Nulle présomption d’erreur. Par ailleurs, il s’inquiétait moins de savoir comment aborder le jeune dirigeant, dont l’innocence et la douceur offraient une porte d’entrée plus large qu’elle ne l’aurait été chez son père, que de se faire intelligemment remarquer par toute la clique de servants, conseillers et dignitaires qui lui rôdait constamment autour, et dont l’opinion intervenait autant dans ses affaires que celle de l’impératrice régente.

Son premier réflexe une fois l’invitation en main fut de prévenir son maître à ce sujet, par le biais d’un message crypté qu’il transmit le soir même à l’un de ses relais, sur lequel il avait inscrit les glycines ont enfin fleuri, j’irai en cueillir pour le thé. Après quoi il se rendit aux bains publics pour en ressortir peigné, vêtu de frais et parfumé, changea le bandage à son bras, acheta un gâteau chiffon au yuzu qu’il fit emballer avec soin puis s’en alla frapper diligemment à la maison où travaillait Yosano, juste avant le début des festivités vespérales. Il y fut accueilli par la yarite, qui devina aussitôt qu’il avait un service à lui demander et ne s’interdit point de le faire poireauter pendant qu’elle dégustait sa pâtisserie — ce qui était plutôt bon signe quant à sa future approbation.
« ...Très bien, mais quitte à lui faire perdre son temps, tâchez de nous ramener de nouveaux clients..! Ils ont sûrement les poches bien remplies, là-bas » qu’elle maugréa, le gâteau déjà à moitié décimé devant elle.
De l’autre côté de la table, Akio simula un rire gêné pour mieux s’épargner un soupir.
« C’est qu’il s’agit de la demeure impériale, obasan, ce ne sont pas des gens du commun...
Et alors ? On peut être noble sans être prude, non !? Riche ou pauvre, un homme reste un homme. Puis vous n’allez pas prétendre que ma petite Mizuki n’est pas assez bien pour un de ces aristos, hum ? »
Un point et demi pour la vieille courtisane. Le peintre n’eut pas le cœur à argumenter davantage ; après tout, tant qu’elle consentait à lui prêter Yosano un après-midi pour l’accompagner chez l’Empereur, il ne chercherait pas à la contredire. De toute façon, sur ce dernier point, il en aurait été incapable sans faire preuve de la pire mauvaise foi possible.

Ce fut ainsi qu’au jour fixé par la lettre, peu avant la quatrième heure passée midi et après un bref voyage en caravelle, Akio se présenta avec son amie aux portes du palais de villégiature, tous deux vêtus selon leurs plus élégants atours — et bien que le tissu de leur kimono portât la trace d’une relative modicité, rien n’aurait pu laisser croire qu’ils venaient chacun d’une si basse extraction — en qualité d’invités. Le peintre, qui avait occupé les nycthémères précédents à préparer son entrevue, transportait dans une besace à son flanc plusieurs fac-similés de ses œuvres, un carnet de croquis, son matériel de dessin ainsi qu’un rouleau original noué d’une cordelette jade, tandis que sa compagne tenait dans le pli de son coude un petit panier de bambou dans lequel elle avait placé un cadeau emballé de tissu brodé.
Avec diligence, ils furent emmenés par les domestiques jusqu’à la pièce où l’Empereur attendait de les recevoir. Si Yosano en profitait pour admirer chaque centimètre de luxe sur les paravents et les fresques murales, Shimada gardait le regard fixe, rivé au dos du garde qui les précédait, chaque pas de plus en plus lourd à mesure qu’il se rapprochait de son hôte, de sa cible. De son ennemi. Douze ans pour en arriver là. Que c’était long. Terriblement court. Et qu’il était pénible de ressentir à la fois cette brûlure d’impatience et cette angoisse gelée au fond de ses entrailles, tandis qu’il traversait la coursive ! Tout commençait maintenant ; il ne devait pas échouer.
Mais quand enfin ils furent introduits dans la salle de réception, à la préciosité dépouillée, et qu’il vit l’Empereur assis sur l’estrade telle une poupée d’or et d’autorité, si rigide qu’il n’en paraissait plus humain, comme nimbé d’irréel, il s’étonna de ne plus rien ressentir en son âme qu’une vague limon de mépris, de déception lasse, sans trop savoir pour qui. Et se hâta de le noyer sous son rôle.


« Votre Majesté impériale, c’est un immense honneur que de nous tenir face à vous en ces lieux, avoua-t-il, candide, tout en s’inclinant au plus bas les bras le long du corps. Légèrement en retrait, yeux clos et mains devant les cuisses, Yosano l’imita avec respect. Je vous suis profondément reconnaissant pour votre gracieuse invitation et pour la considération que vous y témoignez à mon égard, et vous prie de bien vouloir accepter toutes mes excuses pour le souci que mon état a pu vous causer. »
Tu parles qu’il s’excusait — la douleur ressentie n’était sans doute rien en comparaison de celle qui avait dévoré son visage d’enfant, mais pour cette soirée au théâtre il était quitte. Il se redressa cependant un bref instant, scrupuleux dans le protocole, afin de poursuivre la présentation :
« Mon nom est Shimada Akio, et vous avez déjà rencontré mon égérie, Yosano Mizuki san. Et si le qualificatif avait avivé quelque rougeur sur les joues de sa confidente, il n’en vit rien du fait qu’il se courba derechef, toujours déférent. Nous sommes vos obligés, Votre Majesté. »
Ashikawa Takeo
Ashikawa TakeoRyoshima
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Bird in cage  [Akio] EmptyMer 22 Nov - 22:30
Pourquoi était-il si nerveux ? Takeo aurait bien eu du mal à se l’expliquer. Ce n’était pas comme s’il attendait une visite diplomatique d’un quelconque dirigeant ou ambassadeur ou quelque chose de ce tenant. Non. Il recevait juste..il ne savait même pas si c’était un de ses sujets. Juste une personne qui avait été blessée sous sa juridiction, il imaginait. Etait-ce donc, par conséquent, la culpabilité qui lui faisait craindre cette entrevue ? Il ne savait pas. Peut-être un peu.  Probablement qu’il redoutait de passer à nouveau pour un imbécile. Comme lors du festival..la première fois où il s’était mêlé aux gens du commun, qui s’était si mal passé à cause de feu Benicio Alvarez qui semblait avoir pris un malin plaisir à le mettre mal à l’aise. Ah..Cela paraissait si loin, et pourtant.. Et pourtant.. N’avait-il pas évolué depuis ? N’avait-il pas eu le courage de se sacrifier pour ce qu’il estimait juste ? Mais est-ce que c’était assez.. Est-ce qu’ainsi, il ne risquait pas d’attirer des attentions mal venues sur sa personne..

Comment savoir. Il savait juste que Mère lui passerait le savon du siècle, une fois qu’il serait rentré à Ryoshima ; parce que bien entendu, le récit de cette petite mésaventure allait se propager jusqu’à la Cité..Elle allait encore lui reprocher il ne savait quoi, d’avoir été imprudent, d’avoir mis sa vie en danger, sans doute ; et il ne pourrait que baisser la tête, et tenter de se défendre. Terrible de penser, aussi, que contrairement à d’autres il ne pourrait jamais faire appel à un sosie pour ses apparitions officielles. Il avait des traits..bien trop reconnaissables. Cette cicatrice qui lui rappelait en permanence qu’il avait failli perdre la vie ce jour-là ; qui lui avait fait regretter d’être encore de ce monde alors qu’il hurlait de douleur, et , plus tard, alors qu’il était dévoré par les démangeaisons de la cicatrisation. Pour un peu on lui aurait attaché les mains. C’était si loin, et si proche à la fois. Cet épisode fondateur de sa vie, il ne pourrait jamais l’oublier. Jamais. Il était condamné à s’en rappeler dés qu’il voyait son reflet. Son reflet... que le haïssait-il.

Mais voilà qu’on lui annonçait la venue de son invité. Il devait se concentrer, paraître aussi impérial que possible ; être digne de son nom. S’il le pouvait encore. En tout cas,il inclina la tête. Il aurait voulu s’incliner ; mais c’eut été l’occasion de faire s’étrangler la majorité des personnes présentes dans la salle.  

Mais il ne put retenir un léger mouvement de surprise en voyant la femme qui accompagnait son invité. Comment aurait-il pu oublier cette femme, cette femme qui lui avait offert des fleurs et avait prononcé des paroles si encourageante ? La soirée avait été animée, mais pas à ce point.

“C’est moi qui devrais vous demander des excuses.” Le pavé était lancé dans la mare, et tant pis s'il choquait la bonne société de Ryoshima. “C’est à cause de moi que vous avez été blessé. Fujinokawa étant une colonie de Ryoshima, tout ce qu’il s’y passe est de ma responsabilité.” Et peu importait tout ce que Nehir aurait pu dire à ce sujet. Cependant, il regrettait sa mauvaise maîtrise du ryoshimais, qu’il l’obligeait à utiliser des phrases beaucoup plus simples que celles qui auraient été adaptées pour son rang. Son rang, ricana-t-il en son for intérieur. Bouffon officiel de la cour de Ryoshima, voilà ce qu’il était. Une chose pitoyable dont on ne devait que se moquer, parce que réellement, il était risible.. ”J’espère que le guérisseur a pu vous prodiguer les soins appropriés.” Inutile de rêver, son invité ne pouvait pas être déjà guéri.

“Shimada-sensei. Bien entendu, votre nom ne m’est pas inconnu.” C’était un artiste qui possédait sa petite côte de popularité, là-bas en Ryoshima. “Et je me souviens  bien évidemment de Yosano-san, qui m’a transmis votre merveilleux présent.” Est-ce qu’en cet instant, il n’avait pu retenir un sourire timide ? Bien évidemment. Et tant pis si ce n’était pas impérial.

Quelle était la probabilité pour que la femme qui lui avait offert ce chrysanthème en bouton soit l’égérie de l’homme qui s’était fait blesser au théâtre ? Bien moindre, et pourtant.

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Shimada Akio
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Bird in cage  [Akio] EmptyVen 1 Déc - 18:58
Si faire des courbettes n’appartenait pas aux coutumes les plus intrinsèques de Ryoshima, Akio aurait pu y cultiver un ressentiment d’humiliation dès la deuxième. Le geste néanmoins était devenu tellement naturel qu’il l’exécutait sans colère ni dégoût, juste assez solennel pour pouvoir y dissimuler ses véritables pensées, et sentir en lui cet étrange mélange de mépris rance éclabousser des récifs d’un respect trop écorché pour ne pas s’y déchirer les paumes. Ce garçon trop jeune pour gouverner, de chair et de sang pourtant, disparaissait derrière tout ce qu’avait pu lui en dire Zane ; ce n’était même plus un être humain mais plutôt la somme de ses responsabilités, le conglomérat organique du passé de la Cité, le dernier nom sur cet arbre généalogique destiné à brûler — de sa main ? Lui n’avait jamais remarqué à quel point la forme d’un pinceau peut aussi imiter celle d’un flambeau. Dans son esprit mûri dans le rejet de l’impérialisme, Takeo Ashikawa n’existait pas : devant lui se tenait l’Empereur, l’homme à abattre, et qu’il eût un nom ou des sentiments n’apparaissait d’aucune importance dans sa mission. L’espion refusait de lui en prêter, car ç’aurait été ensuite la brèche par laquelle se serait infiltré le doute. Ce qu’il ne pouvait se permettre.
Et pourtant.

Et pourtant.
N’était-ce pas cette technique qu’il employait en ce moment, usant de la présence de Yosano comme d’une épingle à l’intérieur d’un verrou à débloquer ? Les sentiments. La meilleure des armes, la plus sous-estimée aussi. Par sa simple image silencieuse, placée délicate à côté de lui, la courtisane favorisait l’aisance du jeune souverain et donc son empathie à leur égard d’une façon si subtile, si inconsciente, que jamais toutes ses manipulations d’espion n’auraient été capables d’imiter. Était-elle ainsi en train de devenir un élément indispensable à sa mission ? Peut-être bien, malgré l’aversion que cette idée lui inspirait tant il avait espéré la tenir à l’écart de ces jeux criminels. À croire que la fatalité avait fini par les rattraper, trois ans plus tard — une fatalité en forme de sourire ; celui qui glissa gêné sur le visage de l’Empereur et celui que le peintre garda pour lui, trésor secret à l’attention de sa voisine dont l’œil gris n’osa rencontrer les siens.
« Que Sa Majesté connaisse mon nom m’honore, reprit-il alors en revenant vers sa cible, une main sur le cœur, et j’ose espérer que la simplicité de cette fleur n’efface rien de la sincérité avec laquelle elle a été offerte... cependant, permettez-moi l’irrévérence de partager le poids de votre responsabilité en assumant que ma blessure est le fruit d’une initiative malheureuse et qu’en aucun cas vous n’êtes la personne qui a tiré. Au contraire, sans votre démonstration de sang-froid et l’aplomb dont vous avez fait preuve face à cette sédition, l’issue aurait été autrement plus dramatique. »
À la périphérie de sa vision, il discerna l’infime acquiescement qu’effectua Yosano, même s’il devinait qu’au fond elle n’approuvait pas le fait d’appeler initiative malheureuse ce qu’elle-même considérait comme un acte de pure bravoure. S’ils n’avaient pas été en entretien officiel, elle l’aurait sûrement houspillé une nouvelle fois, il était prêt à parier. D’ailleurs, elle en profita pour avancer d’un pas — provoquant un frémissement timoré dans le rang de serviteurs plantés au bord de la pièce — et ajouter avec dévotion :
« Votre Majesté, c’est grâce à vous que Shimada san a pu bénéficier si vite d’excellents soins. C’est grâce à vous que sa blessure n’aura aucune répercussion sur son travail, alors... s’il vous plaît, ne vous excusez pas et regardez plutôt le résultat de votre bonté... »
Alentour on entendit un murmure inaudible, entre respiration déconcertée et accès de stupeur devant cette femme de rien qui osait s’approcher tête haute et donner des ordres au dirigeant, aussi humble fut sa voix. Quant à Akio, rattrapant in extremis son myocarde qui venait de trébucher à ses pieds, il rejoignit d’un même pas la ligne sur laquelle se tenait sa complice, avant de sortir de sa besace le rouleau parcheminé qu’il tendit des deux mains en direction de l’Empereur, le front bas.

Aussitôt, un serviteur sortit de son immobilité et se précipita pour lui prendre l’objet afin de le transmettre ensuite à son destinataire, non sans un maniérisme dont le peintre se serait bien passé. Vrai, il n’avait pas l’habitude que l’on traite ses œuvres de la sorte, à l’instar d’un papillon toxique, puisqu’il ne cherchait guère à sacraliser son art ; à l’inverse, il voulait rapprocher les gens de ses peintures et non pas les tenir hors de portée, manipulées comme des objets extraordinaires et lointains.
« Ce n’est que bien peu de chose..., convint-il néanmoins en observant de sous sa frange la réaction de son ennemi, et il est certain que mes réalisations sont encore indignes de votre rang... pour autant vos paroles, comme la conviction avec laquelle vous vous êtes dressé face au danger ce soir-là, n’ont pas quitté ma mémoire. C’est cette impression que j’ai souhaité retranscrire, et ainsi rendre hommage à votre courage. »
Si l’Empereur décidait de défaire le nœud de jade qui renfermait l’illustration, il y découvrirait, sertie sur un tissu de soie au beige pâle, une estampe longue de cent cinquante centimètres sur vingt représentant un pluvier au plumage clair volant au-dessus du tumulte des vagues, solitaire quoique vaillant contre l’adversité, surplombant le chaos liquide qui jamais n’éclaboussait ses rémiges. La houle, dont les profondeurs remuaient d’indigo sombre, était rehaussée par endroits d’écume blanche qui lui donnait une légèreté toute bouillonnante, quand l’oiseau en apparence trop frêle dominait l’espace d’un battement d’aile souple, tout à la fois fragile et valeureux.

l’inspiration de l’estampe en question ~:
Ashikawa Takeo
Ashikawa TakeoRyoshima
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Bird in cage  [Akio] EmptyVen 15 Déc - 18:56
Takeo savait, un peu trop bien, qu’il ne rentrait pas dans le moule de l’Empereur idéal. Tout d’abord, il manquait prodigieusement d’éducation politique. Prendre des décisions quand on n’avait pas la moindre idée des conséquences parfois dramatiques qu’elle pourrait entraîner, c’était un exercice auquel il n’était pas encore prêt. Ensuite, il manquait prodigieusement de connaissances sur sa propre Cité. Un comble. Il avait quitté Ryoshima si jeune, pour revenir dix années plus tard ; il n’avait plus en tête que quelques vagues repères culturelles, et une maîtrise imparfaite de la langue.  En plus de ça, il savait qu’il était incroyablement naïf. Sa vision du monde avait été teintée de notion d’oubli de soi, de croyance en l’absolue bonté de l’humain, au mépris des classes ; arrivé à la Cour, il se reprenait une bonne dose d’élitisme et d’hypocrisie. Et ce n’était là que les premiers défauts qu’il se trouvait ; s’il avait du continuer ainsi, il serait encore là à la fin de la journée. Le plus flagrant, cependant, restait ceci ; il n’avait aucune idée de comment se comporter, ou plutôt savait que la moindre de ses réactions était le contraire de ce qu’on attendait de lui. De ce qu’on attendrait de lui. En tant normal, un dirigeant comme lui devait se savoir au-dessus du peuple, estimer que tout lui était dû et que jamais ô grand jamais il n’aurait à s’excuser de quoi que ce soit.

Ce n’était pas le cas ici. Bien au contraire. Takeo ne savait pas pourquoi il se sentait si coupable de l’incident du théâtre, même alors qu’en toute objectivité, il ne s’était pas si mal terminé que cela. Il n’y avait eu qu’un blessé, qui se trouvait assis devant lui et visiblement en bonne voie pour sa convalescence du fait de son accès rapide à des soins.  Il se demandait…se demandait si tout cela n’était pas arrivé à cause de lui.  Comment savoir.Il savait aussi qu’il s’était senti si menacé dans sa légitimité, lorsque l’orateur avait proclamé son discours. Qu’il avait senti tous les problèmes qu’il devait résoudre, ou du moins essayer.  Tous ces problèmes relevaient de questions auxquelles il ne comprenait pas encore grand-chose. C’était si compliqué, de régner.

C’était encore plus compliqué lorsqu’on lui expliquait qu’il n’y était pour rien, alors que son coeur lui hurlait que si.

“Je n’ai fait que ce qui était de mon devoir envers mon peuple. J’ai déjà failli en ne pouvant assurer la sécurité complète du théâtre, le minimum était d’essayer de rattraper mes erreurs.” Toujours il se rappellerait ce moment de panique lorsque tout avait déraillé ; comment la bulle de bonne humeur créée par la pièce avait littéralement éclatée. “L’initiative malheureuse dont vous parlez, Shimada-sensei, est-ce une référence au tombé de rideau ? C’était dangereux, mais cela a eu son utilité.” Peut-être qu’un parallèle méritait d’être établi entre l’artiste et lui. Tous deux avaient pris des risques, mais qui s’étaient avérés payants.La différence était peut-être l’échelle de leur action..Et le fait que Shimada-sensei était inconnu du grand public.

Il ne se laissait pas atteindre par l'apparente grossièreté de Dame Yosano, cependant. Cela ne le dérangeait pas le moins du monde ; il avait vécu trop d’années au monastère pour avoir ne serait-ce qu’une fraction d’égo qui ferait qu’il s’offusque qu’on lui parle ainsi. Les autres gardes présents, si ; et si on leur avait posé la question, nulle doute qu’ils auraient qualifiés cette réplique de crime de lèse-majesté. Son quotidien, désormais, même s’il le haïssait.

“C’est votre bonté qui mériterait d’être honorée, Dame Yosano. Je vous remercie de ces mots” Ce fut là la seule phrase qu’il parvint à déclarer, le coeur bizarrement serré.  Est-ce que..est-ce que les mots de la jeune femme, quelqu’un du peuple, étaient ce dont il avait besoin pour commencer à croire que tout n’était pas de sa faute ? Qu’il devait se pardonner ? Ou encore, qu’il devait se féliciter de sa rapidité de réaction? Peut-être un mélange des trois, et Takeo cacha son trouble momentané en s’éventant.

En revanche, lorsqu’il déroula le rouleau que son serviteur lui tendit avec tout le protocole associé, il resta sans voix. Littéralement muet, la bouche ouverte comme une carpe koï. Il n’avait aucune prétention en peinture, n’y connaissait absolument rien ; tout ce qu’il savait, c’était qu’il trouvait cette oeuvre absolument magnifique. Cette noblesse de l’oiseau, la fougue de la houle..cela le transportait. C’était une représentation mille fois trop enjolivée de ce qu’il s’était réellement passé au théâtre.

“Shimada-sensei a autant de talents en peinture que de justesse pour ses présents. Soyez-en mille fois remercié. C’est une oeuvre splendide, qui trônera en bonne place dans mes quartiers.” Il savait qu’il jouait déjà avec le feu, aussi n’ajouta-t-il pas ce qu’il pensait en son for intérieur : qu’il ne méritait pas ce cadeau. Que le “courage” dont il avait fait preuve était possiblement teinté de stupidité, de naïveté, et surtout d’un manque de considération pour sa propre vie.

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Shimada Akio
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Bird in cage  [Akio] EmptyLun 18 Déc - 20:22
Pour l’ensemble des spectateurs la pièce de théâtre était achevée depuis des jours mais, aux yeux d’Akio, elle se poursuivait en ce moment précis et dans l’ignorance totale des acteurs fors que lui-même. De tous il était le plus faux, le plus illusoire, et avait néanmoins tant répété pour ce rôle qu’il en oublierait presque qu’il se trouvait sur les planches d’une machination dans laquelle il ne représentait qu’un pion comme un autre, un instrument — et que son libre-arbitre ne lui appartenait plus. Enfin, un esprit étranger à son histoire avait peut-être argué qu’il n’était pas trop tard, qu’il pouvait décider de son propre chef de participer à cette mascarade ou d’y mettre un terme, que sa culpabilité dépendait de son choix et qu’il lui était possible de retourner sur les sillons creusés de l’honnêteté. Sauf qu’il avait déjà décidé. Cent fois. Mille fois. À chaque seconde depuis qu’il avait troqué auprès de Zane la satisfaction de son estomac contre son obéissance, il avait choisi. Et s’il lui avait fallu un prétexte au commencement de leur relation, force est de constater que les mois passants il n’en avait plus eu besoin ; au-delà de la récompense, au-delà de la menace, il était resté parce qu’il le voulait. Comment dès lors bafouer sa propre volonté et changer de voie sans fouler au pied ce qui l’avait toujours guidé depuis ses onze ans ?
S’il se tenait là face à l’Empereur, c’est parce qu’il l’avait souhaité.
Et quand il l’écoutait parler de devoir, d’erreur ou de toute autre forme de responsabilité coupable, l’espion ne pouvait s’empêcher de soupirer intérieurement face au gouffre qui les séparait. Confier le trône à un enfant persuadé qu’il doit briller tout de suite et tout accomplir à la perfection dès la première seconde, quelle hérésie ! Quelle pression sans fondement ! Lui était bien placé pour reconnaître que les choses prenaient du temps pour s’épanouir — les œuvres d’art, certes, mais aussi les efforts, les relations, les talents, les âmes, tout — et que la volonté n’est rien sans la patience et le polissage des ans. C’en était presque rageant. Ne lui avait-on pourtant pas appris l’incommensurable puissance du temps, à ce trop jeune dirigeant, au monastère où il avait été envoyé toutes ces années ? À cette époque où lui patinait son masque sous lequel dissimuler sa traîtrise et sa subversion.

Immobile sur le tatami, Akio secoua la tête en pensée. Il s’agaçait tout seul — chose rare en dehors de son domaine de prédilection — et devinait sans mal la cause de ce bête accès de vexation : ce sentiment d’appartenir métaphoriquement à quelqu’un qu’il n’avait pas désigné lui-même lui faisait horreur. A fortiori quand le propriétaire en question incarnait son ennemi le plus absolu, dans son acception politique. Cela lui donnait juste envie de s’échapper comme lorsqu’il avait dix ans, les cheveux libres et les pieds sales, narguant l’autorité des matrones. Pourquoi alors se sentit-il suspendu à l’émotion qu’il était sur le point de faire naître chez l’Empereur, loin, très loin de toute considération d’ordre sociétal, pragmatique ou criminel ? Et pourquoi, en une fraction de seconde, eut-il l’impression qu’on lui empoignait le myocarde si violemment qu’il l’entendit s’affoler, doki doki, trop fort, beaucoup trop fort, doki doki dans l’attente du verdict, avec cet incendie naissant dans le creux de son ventre, prêt à embraser ses organes. Plus perçants qu’aucune lame, les mots qui suivirent boutèrent le feu dont les flammes lui croquèrent les joues.
Il ne put se l’interdire, pas plus qu’il n’aurait été capable de l’anticiper : la réaction de l’adolescent, sa critique sincère, son annonce quant à la place qu’il accorderait à l’estampe, tout cela fit rougir Akio si vite, les pommettes nuance pivoine, qu’il regretta de n’avoir pas sorti son éventail plus tôt pour camoufler son embarras. Tout à coup, et sans un seul avertissement, cette autorité qu’il avait appris à haïr s’était effacée derrière l’image d’un jeune homme innocent qui, de par ses signes d’admiration, partageait avec lui une joie pure face à la beauté de l’Art. En retour, l’espion disparaissait derrière le peintre, voire derrière ce même garçon qui n’avait besoin que d’un pinceau et d’un peu d’encre pour se sentir heureux, celui-là aussi qu’un simple compliment faisait rougir parce qu’il ne se jugeait ni digne ni méritant, et qu’une approbation même succincte lui conférait brusquement le droit d’exister, ne serait-ce que l’espace d’un regard.
« Il... » Sa langue trébucha tandis qu’il s’inclinait si bas que sa chevelure entière bascula par-dessus ses épaules en un timide torrent. « Il n’y a pas de mots pour décrire l’honneur que me fait Sa Majesté en acceptant cette modeste peinture. C’est moi qui vous remercie. »
Cette fois, il le pensait vraiment. C’est qu’il avait songé à un refus, à un désintérêt, à un accord de circonstances, dicté encore et toujours par cette politesse qui élevait l’hypocrisie au rang de sport national, à un hochement de tête lassé de tous ces personnages défilant pour lui offrir moult cadeaux en vue de s’assurer ses faveurs, mais pas à ça. Non, pas à ça. Après tout, Zane lui avait si peu parlé de sa cible en tant qu’individu singulier — en tant que Takeo — qu’il lui restait quasiment tout à découvrir.

À ses côtés, ayant remarqué ses rougeurs et la durée peu protocolaire de sa courbette, Yosano vint cacher une risette sous sa longue manche. La dernière fois qu’elle avait surpris son ami à se montrer aussi vulnérable, aussi sincère, remontait à bien longtemps maintenant, et en des circonstances qu’il vaut mieux ne pas relater en ces lieux, de sorte que le voir de nouveau entrouvrir le bastion de son cœur n’était pas sans la conforter sur la poursuite de cette entrevue. Ainsi que sur les futurs motifs de taquinerie dont elle saurait l’asséner.
« Si vous le permettez, Votre Majesté, j’ai là aussi une petite chose afin de vous remercier pour votre invitation. »
Joignant le geste à la parole, elle sortit de son panier de bambou une boîte en bois enveloppée dans un shikishi brodé de miscanthes, longue comme une main et haute d’un index, qu’elle tendit au domestique revenu se charger du transport. À présent qu’il s’était redressé, lavé de son émoi, Akio avisa d’un œil la précaution avec laquelle ce dernier dénoua le tissu avant de présenter des deux mains l’objet à son maître, lui laissant le soin de soulever le couvercle laqué. Le peintre était certain d’avoir déjà vu cette boîte, probablement empruntée dans les affaires de la yarite, mais Yosano avait tenu à garder son contenu secret jusqu’à la fin. Quand il l’avait interrogée à ce sujet, elle lui avait répondu — Moi aussi, je peux avoir mes secrets ! sur un ton mutin qu’il n’avait pas osé contester.
« Ils n’égaleront sans doute pas ceux du palais impérial, mais j’espère qu’ils vous plairont. Je tiens la recette de ma grand-mère, dont c’était la spécialité. »
Ouvrir la boîte révèlerait un assortiment de six nerikiri confectionnés à la main, partagés entre nuances vert doux et blanc crème ; trois d’entre eux, disposés en ligne interrompue au centre du plateau, avaient été moulés tels des bâtonnets un peu larges, à peine évasés aux extrémités, tandis que les trois autres, en forme de feuille lisse et allongée, avaient été répartis en quinconces le long de la tige. Ensemble, les gourmandises dessinaient un joli morceau de bambou, aussi adorable qu’appétissant. Par ailleurs, Akio savait que Yosano n’avait plus de grand-mère, ni même de parents, depuis que ceux-ci l’avaient vendue pour s’épargner une dot. Et sans même distinguer ce qui se trouvait à l’intérieur de la boîte, il trouvait que sa camarade se débrouillait beaucoup mieux que lui sur le terrain de la tendresse.
Pas qu’il en ait un jour douté, de toute manière.
Ashikawa Takeo
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Bird in cage  [Akio] EmptyMar 9 Jan - 22:17
Takeo était ému, tout simplement. Inutile de prétendre le contraire, encore moins d’essayer de dissimuler sa vive émotion ; il ne le pourrait pas. Pour une minute, juste une minute, il s’autorisait à être juste Takeo, l’adolescent paisible et un peu rêveur qu’il aurait voulu être, si la vie n’en avait pas décidé autrement ; s’il n’avait pas été éjecté de ce rêve paisible pour être plongé dans ce qu’il qualifierait volontiers de cauchemar ambulant. Et pourtant..et pourtant, ce cadeau lui offrait un rayon de lumière dans l’obscurité de son quotidien, un petit moment d’apaisement au milieu de la tempête de ses troubles. Juste un moment éphémère de beauté, à l’instar d’une floraison de cerisiers après un rude hiver. Mais il n’y avait pas que cela ; il y avait bien plus que cela. C’était un cadeau qu’on lui faisait à lui, c’est-à-dire la personne au monde qui le méritait ; pire encore, c’était un cadeau somptueux ! Qu’avait-il fait pour qu’on lui fasse un tel présent, cela il se le demandait. Il avait juste tenté de protéger son peuple. Rien de si extraordinaire, ou digne d’être célébré. Rien qui justifiait..cette oeuvre d’art, au sens le plus noble du terme. Il n’avait rien de l’oiseau qui affrontait noblement l’adversité ; il n’était qu’un vilain moineau au plumage détrempé, que l’on tentait de faire chanter alors qu’il en était tout bonnement incapable. En conséquence, lorsqu’il remercia l’artiste, ses mots ne parvinrent pas à exprimer la moitié de sa pensée, encore moins de sa gratitude.

Il regrettait tant de ne pas savoir parler ; il aurait tant voulu être plus éloquent.

Perdu dans ses pensées et son trouble, il ne vit pas que l’artiste eut lui aussi un moment de flottement ; il vit encore moins la rougeur sur ses joues. Comment aurait-il pu, alors que les siennes lui donnaient l’impression qu’on aurait pu faire cuire un oeuf dessus ? Qu’il se sentait bête, et stupide, et si peu éloquent que…Que rien du tout en réalité. Il n’était rien du tout, ne le serait jamais. Il n’était vraiment qu’un adolescent incapable de gérer ses émotions, encore loin d’être un homme. Encore loin d’avoir la gravité que son rang lui imposait. Encore maintenant, alors que Shimada-sensei s’inclinait face à lui- si bas que ses cheveux touchèrent le sol, il avait envie de lui crier d’arrêter. Qu’il ne le méritait pas vraiment ( et vraiment pas, ça c’était sûr), et que cela le gênait qu’on se comporte ainsi ; alors même que le protocole était parfaitement respecté. Le protocole le gênait. L’étiquette ryoshimaise était mille fois trop compliquée ; cela rendait la vie des natifs horriblement difficile. Il aimait encore moins que l’on se comporte avec lui..comme une carpette, en réalité. Il trouvait que Shimada-sensei s’humiliait beaucoup trop, pour pas grand-chose.

Il ne savait plus quoi répondre à l’artiste ; encore moins quoi dire de façon générale. Le peu d’éloquence qu’il avait ? Complètement tarie, disparue, éclatée comme une bulle de savon.

Seul règnait le silence.

Mais voilà que Dame Yosano prenait la parole. Douce, digne, attentionnée comme la première fois qu’il l’avait vue. Et comme la dernière fois (comme quelques minutes auparavant, en réalité), Takeo en resta muet.

“Dame Yosano, je vous remercie de votre cadeau qu’on ne pourrait pas faire plus attentionné. Vous vous êtes donnée bien du mal.” Un bambou, comme celui présent dans son prénom. “ Ces nerikiri sont absolument ravissants..”

Ravissants, et adorables, et il aurait bien dévoré le contenu de la boîte comme un malappris, et tant pis si cela ne respectait pas tellement l’étiquette.

"Je ne sais comment vous remercier pour vos présents." conclut-il, enfin, après un moment de silence. Il échangea un regard avec son domestique, qui revint avec une boîte remplie de vaisselle de belle qualité, une belle bourse remplie de pièces, avant de présenter le tout à son invité. "Tout ceci n'est vraiment pas grand-chose - un simple dédommagement pour votre acte d'héroïsme. Si j'avais su que Dame Yosano serait présente, je lui aurais fait préparer un autre présent. Je suis navré."[/color][/b]




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Shimada Akio
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Bird in cage  [Akio] EmptyLun 15 Jan - 21:02
Des nerikiri.
Yosano avait confectionné des nerikiri spécialement pour l’Empereur, alors que Shimada n’avait jamais, au grand jamais, eu l’occasion de goûter à de telles friandises durant les trois ans de leur relation. S’il avait été de nature ne serait-ce qu’un tantinet jaloux, il aurait ressenti pour sûr cette terrible morsure à l’arrière de la nuque, celle qui ne trompe guère sur son amertume, qui fait virer à l’aigre la moindre douceur — mais comment aurait-il pu lui reprocher ce favoritisme alors même qu’il l’avait partagée, et continuait encore de la partager, avec quelques dizaines d’hommes au sein de la Cité ? Le seul sentiment qui lui venait à l’instant, c’était ce lambeau de satisfaction qu’avait découpé le compliment d’Ashikawa sur la trame serrée de son encéphale. Pour sûr, on ne saurait accuser ce garçon de se montrer austère tant il apparaissait clairement qu’il était trop sincère, même pour son propre bien. Trop honnête, trop authentique. Une fleur translucide, une clochette de papier au milieu d’un râtelier d’armes et de boucliers. Si personne ne le piétinait par mégarde, il finirait flétri sous le poids de ses propres incertitudes.
Tandis que le peintre ruminait ces réflexions, sa compagne à son tour chercha un moyen de dissimuler le léger fard qui avait poudré ses joues suite au compliment de l’Empereur, et les mains sur son visage elle se détourna une seconde, minaudant d’une manière dont il l’avait souvent vu faire lorsque ses clients vantaient ses charmes auprès de la yarite. Cependant, le jeune dirigeant n’en resta pas là, et malgré ses dires quant à son ignorance en matière de cadeaux, il s’avéra que ses mains étaient loin d’être vides ; face à la préciosité de l’offrande, Akio ne sut ce qui lui causait le plus d’embarras, entre la perspective de devoir à son corps défendant accepter quelque chose de la part de son ennemi ou bien cette notion d’acte d’héroïsme qui lui seyait si mal — sa prime envie fut donc de feindre la maladresse et d’envoyer la vaisselle se renverser sur les tatamis, encore qu’il doutait que la céramique pût s’y briser sans une violente impulsion — mais, après une brève pensée, il songea qu’il serait préférable de s’épargner grâce à elle un ou deux mois de loyer ou bien de glaner quelques nuits avec Yosano, le tout aux frais de la cour impériale.
Merci le dédommagement.
« Votre Majesté, un tel cadeau est si généreux de votre part ; une seule de ces tasses est bien trop précieuse pour un simple peintre comme moi..., s’inclina-t-il derechef, le ton certes dénué de la même émotion qu’il avait eu en gratitude pour la réception de son œuvre, mais non moins respectueux. Permettez-moi toutefois d’estomper votre désagrément en le partageant avec Yosano san, si vous me l’autorisez. Nous pourrons ainsi considérer que vous n’avez pas manqué de la gratifier et que, à ce titre, nous vous sommes tous deux extrêmement reconnaissants. Enfin, si elle-même est d’accord à cette idée..? »
Tout en suggérant sa démarche, il s’était redressé en direction de sa voisine dont l’œil d’onyx scintilla d’étonnement avant de reprendre sa noirceur douceâtre, répondant avec complicité à ce vert indocile qu’elle redécouvrait une nouvelle fois. Il lui était si étrange, elle la femme restreinte, la courtisane résignée, d’être ici traitée comme une citoyenne à part entière, une dame respectable, l’autre moitié de ce héros qu’elle avait vu saigner, et de surcroît par l’une des personnes les plus influentes de ce bloc, que dit-elle, du monde ! Le sentiment avait ce quelque chose de grisant qu’à défaut de pouvoir mériter, elle ne voulait gâcher.

« Shimada san... »
Son émoi, de même que ses réticences, entravaient sa langue. Et parce que la décision en réalité ne dépendait pas d’elle, elle se retourna vers la seule personne capable de lui fournir le soutien nécessaire, avec un éclat de fierté au fond de la voix qui puisait dans ce caractère bravache qu’elle avait exposé naguère au théâtre :
« Il en sera comme Sa Majesté l’accepte. Car ma gratitude à son égard ne tient pas aux cadeaux que je pourrais en recevoir, mais au fait qu’elle me parle et me considère avec autant d’estime que j’en ai pour elle. »
Akio n’ajouta rien. Son regard seul s’attarda sur Yosano, sur la légère inclinaison de son buste, sur le voile de suie soyeuse qui menaçait de s’échapper de son épingle, sur la solidité absolue de ses jambes comme on le lui avait appris durant ses années immatures, sur l’élégance de son maquillage, sans ostentation, sur tous ces détails qui auraient fait d’elle une noble comme les autres si elle n’était pas née roturière, et sur toutes les raisons pour lesquelles, s’il n’était pas né lui-même dans le débarras d’une épicerie et promis au mensonge pour le restant de ses jours, il lui aurait déjà cent fois demandé de l’épouser.
Ashikawa Takeo
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Bird in cage  [Akio] EmptyJeu 22 Fév - 10:57
Takeo avait l’impression d’être le pire des grossiers personnages ; alors même que techniquement il n’y était pour rien. Il ne savait pas que son invité était le peintre Shimada Akio ; il savait encore moins qu’il allait amener Yosano-san avec lui. Avant aujourdh’ui, il savait juste qu’il existait un lien entre la dame et le peintre au nom duquel elle lui avait offert ces ravissants chrysanthèmes, le soir de l’inauguration au théâtre ; il avait soupçonné une proximité, mais pas un lien de muse à artiste. Quitte à radoter : comment aurait-il pu savoir que le héros du théâtre qui avait fait un tel tomber de rideaux était le peintre et que son égérie était la femme qui lui avait offert des fleurs ? Il ne l’aurait pas pu. Certainement, s’il avait posé plus de questions ; s’il avait fait réaliser une enquête ; mais encore choqué des évènements du théâtre, il n’y avait pas pensé. Enfin, il doutait que même dans son état normal, il l’aurait fait. Il n’aimait pas se mêler exagérément de la vie d’autrui. Cela aurait été..une violation, oui. Mais ce que d’aucuns auraient pu qualifier d’excès d’égard lui portait à présent préjudice. Il se retrouvait, stupide, devant Dame Yosano - oh, probablement qu’il la mettait mal à l’aise en voyant son artiste recevoir des cadeaux et pas elle et.. Vraiment, la situation n’avait pas d’issue.

“Votre acte a permis d’appréhender ces terroristes qui auraient pu faire bien plus de mal encore. Des vies ont été épargnées grâce à vous ; en comparaison, cette vaisselle n’est rien.” Qu’importait un peu d’argent dépensé pour acheter cette vaisselle, s’il n’y avait eu aucun blessé à part Shimada-sensei lui-même, et aucun mort ? Oh, cela lui faisait penser qu’il fallait qu’il dédommage aussi le directeur du théâtre, et le rassurer qu’il n’était pour rien dans cette affaire. Mais la réputation du théâtre..un tel évènement, n’était-ce pas de mauvais augure ?Question à laquelle il n’avait pas de réponse, et cela le frustrait. En tout cas, décida-t-il, offrir son soutien public au théâtre permettrait sans doute de limiter un peu les dégâts. C’était à double tranchant néanmoins. Soit son soutien officiel attirerait les gens, soit il passerait pour un irresponsable qui misait sur un théâtre qui était fini, après les évènements récents. Il préférait parier sur la première solution. Oh, il faudrait en parler à Mère, sans doute. Tant de choses à penser, si peu de temps, il ne s’en sortait pas !

Mais la réponse de l’artiste le laissa pantois, et son regard se dirigea vivement vers l’artiste.Voilà une solution qui réglait admirablement la situation ! Plus besoin de se tracasser, si Shimada-sensei proposait lui-même une façon de dissiper ce malaise - ce mal-être, même, qui l’envahissait.

“ Cette vaisselle vous appartient. Si à présent vous souhaitez l’offrir à Yosano-san, c’est votre volonté. Je n’ai aucune opinion à avoir sur ce sujet.” Façon élégante de noyer le poisson, sans doute ; mais surtout, il ne voulait pas être pris comme juge suprême d’une affaire aussi triviale - même si cela lui permettait fort heureusement de ne pas passer pour un crétin, ou pire, un butor. “Yosano-san, je vous remercie pour vos mots.” Il était étrangement ému, d’avoir une personne, une citoyenne de sa Cité même, qui ne voulait rien de lui - qui était juste heureuse qu’on lui parle poliment. “Mais..c’est une attitude qui ne devrait rien avoir d’exceptionnel.” Il sentit plus qu’il ne vit ses conseillers s’agiter. “ Devant les dieux, nous sommes tous égaux.” Et peu importait si l’on pensait que l’Empereur était d’une lignée divine. En ce qui le concernait, il ne se jugeait pas supérieur à qui que ce soit.



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Shimada Akio
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Bird in cage  [Akio] EmptySam 2 Mar - 12:51
Au fond de lui, et s’il pouvait se montrer honnête sur un point, Akio reconnaîtrait qu’il ne comprenait guère le comportement de l’Empereur. En une phrase, celui-ci était capable de louer à l’excès une modeste peinture ou de s’empourprer pour une fleur en bouton, mais dès qu’il s’agissait d’accepter un éloge à son attention, il se retranchait derrière une muraille de ces responsabilités ou de cet ersatz de sens commun comme pour se hâter d’affadir la réalité, de trouver un motif de démériter. Une attitude bien peu impérieuse, s’il en est, mais ô combien plus sensible, qui laissait entrevoir aux yeux de l’espion toute la domination maternelle qui pesait sur ces épaules si peu sûres d’elles. Vrai, si l’Impératrice régente avait pu régner officiellement et pérennement à la tête de la Cité-État, elle ne se serait sans doute pas encombrée de cet oisillon à l’aile corchée, cette tendre marionnette que les bourrasques font trembler depuis son perchoir. Était-ce que Shimada avait de la peine pour lui ? Peut-être. Pourquoi pas, plutôt. C’est qu’il était aisé de ne regarder qu’à travers le cœur de son maître et n’y voir que des ténèbres despotes et purulentes, la ruine du peuple sous les mains avides de ces nobles qui n’ont jamais connu la souillure, la véritable, et qui ne connaissent de l’humilité que le degré supérieur sous lequel il ne faut jamais tomber — la soumission. Pourtant il existait d’autres filtres, Akio le savait, d’autres perspectives. Et quand il écoutait le timbre clair de Yosano, sa première syllabe toujours un brin émue lorsqu’elle commençait à répondre, lorsqu’il l’admirait du coin de l’œil, rayonnante sous son voile de modestie, d’une élégance chaleureuse, confiante parce que libre et libre parce que confiante, il se demandait pourquoi lui ne possédait pas ce regard-là. Car il n’aurait pu dire que son amie était aveugle ou déjà conquise, non, ç’aurait été trop lui manquer de respect — ce n’est pas elle, la fautive —, mais lui-même ne portait-il pas depuis longtemps déjà un bandeau opaque sur les paupières ?
Après neuf années d’apprentissage et trois de maîtrise, il se trouvait enfin devant l’Empereur.
Et il ne savait rien.
Peut-être n’aurait-il pas dû emmener Yosano, en fin de compte. Peut-être aurait-il dû s’en tenir à une entrevue formelle, demander à rejoindre les peintres de la Cour impériale, espérer un accord ou négocier une autre place, certes moindre, mais efficace. Peut-être aurait-il dû conserver le cœur de Zane par-devant ses yeux et ne penser qu’aux ténèbres, oui, peut-être. Cela aurait été plus simple. Plus simple que d’entendre ce garçon encore humain, trop humain pour son rôle, remercier sa Muse comme on remercie quelqu’un d’estimable, d’égal, que de l’entendre en appeler aux dieux pour arbitres impartiaux de la loi des Hommes.

« Vous avez raison, Votre impériale Majesté. Divine est la sagesse de considérer à la même hauteur le roturier et le noble, la prêtresse et le forgeron, le soldat ou la courtisane… mais elle est vôtre aussi, vous qui nous accueillez ici devant vous en toute sincérité, sans indulgence ni égard distant envers notre condition. Puissiez-vous toujours porter la justesse de ce regard sur vos sujets. »
Durant toute la tirade de sa voisine, Akio n’avait osé ne serait-ce qu’ouvrir les yeux, par crainte de trahir en une infime oscillation l’agitation qui le parcourait ; lorsqu’il dévoila de nouveau ses iris couleur marais, Yosano était inclinée, l’extrémité des phalanges superposées sur le sol, la nuque basse quoique le visage serein, empreint de cette grâce de geisha qu’elle avait su préserver, défendue corps et âme contre la déchéance. À cette vision et à tout jamais, le peintre eut sa réponse.

Sa mission.
Ses règles.

Il attendit la réaction de l’Empereur tout en captant celles, bigarrées, de son entourage, attendit que Mizuki se relevât, attendit d’accrocher, l’espace d’un sourire à peine assumé, son attention sans qu’elle pût deviner ce qu’il avait derrière la tête. Oh, elle connaissait cet air-là, celui qu’elle n’avait pourtant jamais su déchiffrer et qui lui rappelait chaque fois que, quand bien même elle le fréquentait régulièrement depuis trois ans maintenant, il demeurait tant de choses qu’il ne lui avait jamais avouées. Ce qui la chagrinait un soupçon, d’ailleurs, même si elle respectait cela.
Alors, à son tour, il l’imita — se pencha en avant, mains sur les cuisses, posément, sans excès ni manières — et, de ce même ton délicat dont il usait si souvent pour camoufler l’ombre sous ses intentions, déclara :
« Votre Majesté, je vous prie d’excuser mon impolitesse alors que vous nous avez tant offert déjà… néanmoins, si vous m’y autorisez, j’aurais une requête à vous adresser. »
Ashikawa Takeo
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Bird in cage  [Akio] EmptyMar 19 Mar - 21:15
Dés qu’il prononça ces mots, ces mots dangereux, héritage de ses années au Monastère, Takeo sut qu’il avait cafouillé. Pas selon sa propre morale qui lui intimait de croire que tous les habitants de Terreciel étaient égaux, qu’un roi ne valait pas mieux que le plus pauvre des habitants d’une colonie - il était heureux de pouvoir ainsi vocaliser cette opinion. Mais selon les normes de Ryoshima..c’était honteux, impensable. La société était divisée en plusieurs groupes qui ne devaient pas se mélanger et étaient encore moins comparables, c’était un fait établi depuis la nuit des temps en Ryoshima. Chacun restait sagement à sa place. Mais non. Takeo n’y croyait pas. Ne pouvait pas y croire. Cela lui semblait trop arbitraire. Cela heurtait sa vision de l’humanité qu’il avait apprise au monastère. Il savait qu’il détonnait ; mais c’était la première fois qu’il se sentait comme s’il venait d’un autre monde, comme s’il était décalé, comme s’il vivait sur un autre plan de l’existence.  Jusque là on pouvait tolérer un jeune empereur peu sûr de lui (quoique), mais qu’il sorte des énormités pareilles, voilà qui allait faire des émules, et pas forcément dans le bon sens.

Et les mots de Dame Yosano n’allaient pas faire grand-chose pour améliorer la situation, songea Takeo avec une forme de fatalisme. Ils lui faisaient terriblement plaisir néanmoins, même s’il ne savait plus où se mettre. Qu’était-il censé dire devant de tels mots, si pleins de foi en lui ? L’espace d’un instant,il aurait voulu lui dire qu’elle faisait fausse route, qu’il ne méritait ni éloges ni encouragements, qu’il n’était qu’un adolescent idéaliste et perdu, pétri des doctrines apprises au monastère, qui ne savait pas trop ce qu’il faisait. Et que si ça continuait, il allait finir sur une mauvaise pente, et qu’il se rendrait impopulaire à la Cour et..Et puis rien au fond. Il fallait assumer. C’était peut-être de se rétracter et de regretter ouvertement qui était une preuve de faiblesse au fond.

Alors il inclina doucement la tête vers Yosano-san.

“Je vous remercie de vos mots encourageants.” Et davantage pleins de bon sens que ce qu’il entendait d’ordinaire dans les couloirs du palais, de cela il pouvait être sûr. Il songeait que c’était peut-être cela dont il avait besoin dans son conseil ; au lieu de gens englués dans leur protocole, leurs habitudes et leurs conceptions politiques inégalitaires, il aurait besoin de gens aussi sensés que Yosano-san. Malheureusement, cela semblait une espèce fort rare au sein de la cour impériale. Ce nid de serpents, pensa-t-il, férocement. Pour faire les paons afin de s’attirer ses faveurs il y avait du monde, mais pour améliorer la situation dans la Cité, il n’y avait plus un chat à l’horizon. D’ailleurs, peut-être qu’un chat aurait été plus utile que n’importe lequel des membres du Conseil de Ryoshima.  “J’ai à présent une dette envers vous - vous me rappelez ce qui est réellement important. Ces paroles que vous prononcez, je veux en faire le fondement de mon règne.” Ne jamais mépriser autrui à cause de sa naissance. Régner avec justice et impartialité. Améliorer le train de vie de ceux que d’aucuns considéraient comme la lie de la société ryoshimaise. Faire plus d’effort envers les colonies.

“Toute la colonie de Fujinokawa, non, la Cité entière de Ryoshima a une dette envers vous ; c’est grâce à votre tomber de rideau qu’une bonne partie des sbires de l’orateur a pu être appréhendée. Si c’est en mon pouvoir, j’accéderai à votre requête, Shimada-sensei.” Ou si cela ne heurtait pas ses convictions, mais cela, c’était sous-entendu. Il espérait avoir montré que la moralité était un principe fondateur de ses actions, et qu’il ne voulait pas y déroger.

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Bird in cage  [Akio] EmptyMer 27 Mar - 16:33
Yosano était meilleure que lui. Cela, il l’avait toujours su.
Sans avoir été formée aux méthodes de Zane, sans rien connaître même des affres de l’espionnage ou de tout autre versant obscur du pouvoir, sans avoir étudié ni la psychologie ni les ressorts pernicieux de la manipulation, elle était meilleure que lui. Et s’il en avait la conviction depuis longtemps déjà, c’est parce que bien avant de rencontrer l’Empereur et de constater sur lui les effets de sa compagne, il en avait été la première victime. Car Yosano incarnait ce qui se fait de mieux en Ryoshima, une efflorescence parfaite saisie juste avant que n’affleurent les primes stigmates de la décrépitude, un kimono dépourvu de plis ou d’accrocs, une gemme de lune polie à l’eau translucide d’un ruisseau. Elle était, à cet âge, à la cime de son existence, son âme radieuse pareille à un éclat de soleil contre une perle de rosée, et personne n’aurait pu se douter des années d’apprentissage nécessaires pour imiter le charme du naturel avec autant de raffinement. Même Akio s’étonnait parfois de lui trouver, en des circonstances qui n’en appelaient guère à la moindre élégance comme lorsqu’elle se débarbouillait les joues ou se limait les ongles des pieds, une vérité presque surhumaine — une beauté qu’il ne possèderait jamais, et pas seulement parce qu’il était homme ou immoral, vil espion ou sculpté d’obscurité. Aurait-il eu la grâce de naître aimé, de se façonner libre et de s’épanouir confiant qu’il n’aurait sans doute jamais atteint un tel degré de pureté. Car Yosano, plus encore qu’une femme et avant même de devenir geisha, était œuvre d’art par nature.
De celles devant qui l’Empereur lui-même courbe la nuque en remerciant.

Mizuki, gênée par l’aveu de cette dette qu’elle ne s’attendait pas à infliger à son impérial hôte, demeura silencieuse après cela, et bien que sa respiration n’en montrait rien son voisin devinait sans peine quelle chamade agitait son myocarde sous l’épaisseur de son vêtement. De son côté, Shimada s’interrogeait sur la faisabilité des propos du jeune homme, au-delà de leur sincérité qu’il ne cherchait déjà presque plus à remettre en question. Des paroles. Elles vont et viennent, intangibles, on les prononce et les rattrape, les proclame ou les renie, rien de plus facile. Mais les actes ? Comment s’y prendrait-il pour appliquer pareille politique au regard du système actuel, comment ferait-il pour colorer son règne à cette nuance nouvelle et probablement si décriée parmi ses conseillers empâtés de privilèges et de prétentions ? Suffit-il de volonté pour concilier deux camps irrémédiablement opposés par l’Ordre social ? L’artiste aurait envie de voir de quoi cet enfant sera capable, la manière dont il orientera les années à venir — mais le temps lui manque et, autour de son cou, le collet serre délicat, juste ce qu’il faut pour lui rappeler que ce n’est pas lui qui tient vraiment les rênes. Ainsi donc on peut être un sauveur pour une Cité entière et pourtant rester un outil, un chien docile aux mains d’un seul homme. Voilà pourquoi il n’aime pas ces bêtes ; elles lui sont trop semblables.

De nouveau Shimada s’inclina en vue de remercier l’Empereur pour sa permission. Ce n’était pas un accord de principe — il aurait fallu être fou pour approuver avant même de connaître les tenants et aboutissants de ladite demande — mais, déjà, le fait de l’autoriser à exprimer une requête constituait un bon présage quant à sa faveur. Que Ryoshima dans son ensemble lui fût redevable ne fit par ailleurs même pas ciller le peintre, pas plus qu’il ne trembla avant d’articuler ces mots, le regard rivé sur l’or qui miroitait dans l’œil du garçon.
« Sa Majesté impériale est d’une inégalable bonté à laquelle je rends grâce. Ma demande cependant ne me concerne pas en personne… » Il tourna lors le visage vers sa Muse dont les yeux s’écarquillèrent à peine, tandis qu’elle ne trahissait autre chose de sa stupéfaction qu’une inspiration bloquée dans sa poitrine. « …mais Yosano san ici présente. Voyez-vous, elle s’est élevée au-dessus de sa naissance modeste pour acquérir une éducation et une culture qui n’ont pas à rougir devant celles d’un clerc, et a en outre bénéficié d’une excellente formation dans les arts qui a fait d’elle une musicienne et une danseuse émérites. Si elle n’avait dû se retirer de la scène pour prendre en charge feue sa parente, il y a six ans de cela, sa renommée n’aurait eu de cesse de croître et elle serait à cette heure parmi les plus grandes joueuses de koto de notre majestueuse Cité. J’en suis convaincu. »
À ses côtés, Yosano étouffait presque. Enfin, elle aurait voulu étouffer, puisque sa figure basse revêtait le masque de l’humilité et de la sérénité, là où il n’y avait en elle qu’un torrent d’incrédulité et d’émoi ; jamais sûrement la coutume locale d’hurler en silence ne lui avait-elle mieux servi qu’en cet instant.
Et Akio qui poursuivait, insensible, faussement insensible au tourment qu’il lui infligeait.
« Ma demande est celle-ci, Votre Majesté : consentiriez-vous à lui accorder une audition en vue de rejoindre les artistes du Palais ? Il suffirait qu’elle renoue un temps avec l’instrument pour retrouver toute la dextérité de son jeu, et vous découvrirez alors que sa musique peut charmer les humains autant que les dieux. »
Sur ce point il n’avait pas à s’en convaincre, quand bien même il n’avait jamais eu le plaisir de l’écouter aux cordes d’un koto. En revanche, il savait qu’entre ses doigts, même le vieux shamisen mal accordé qu’elle possédait — don d’un excentrique client aujourd’hui marié — laissait certains soirs de pluie échapper de touchantes harmonies. Et si souvent avait-elle sous-entendu durant leurs entrevues combien lui manquait la pratique régulière… Une telle occasion ressemblait au miracle d’une vie. Le premier pas vers l’émancipation de son amie, vers la destinée dont elle rêvait, couplée à un accès direct à la Cour impériale.
Si l’Empereur l’accueillait parmi le cercle aussi restreint que prestigieux des gakunin, il ne s’agirait ni plus ni moins que d’un véritable coup de maître.
Ashikawa Takeo
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Bird in cage  [Akio] EmptyMar 16 Avr - 11:40
Trop gentil, trop naïf. C’était sans doute ce que ses conseillers et autres domestiques présents dans la salle devaient se dire en le voyant. Lui ne voyait pas le mal à accorder à Shimada-sensei l'autorisation de lui demander une faveur ; eux devaient être sur le point de s’étouffer devant tant d’audace de la part du peintre, parce qu’après tout, il était déjà invité au palais et s’entretenait devant l’altesse de ces lieux - n’était-ce pas une faveur suffisante, fallait-il qu’il pousse plus loin sa chance ? Pour eux, peu importait que le peintre s’incline à nouveau, il était déjà un parfait exemple d’arrogance. Mais pas pour lui. Parce que pour lui, Shimada-sensei était un héros, oui, parfaitement, au même titre que la troupe encore non-identifiée qui s’était glissée dans les coulisses. Le tomber de rideau avait contribué à la capture de plusieurs des arbalétriers, quand même ; ce n’était pas négligeable. En comparaison il n’avait pas l’impression d’en avoir tant fait. A tout casser, il avait été une..distraction. Oui, c’était cela, il avait servi à distraire la troupe de preneurs d’otage pendant que d’autres agissaient réellement. Lui..il ne savait que parler, pas agir, et cela le frustrait. Mais telle était sa destinée ; dans son rôle, il observerait d’autres agir pour lui ou en son nom. C’était déprimant.

Mais à présent Shimada-sensei reprenait la parole. Mais il n’alla pas directement droit au but, non ; Takeo eut droit à un long moment d’introduction de Yosano-san, de qui elle était, de ses talents qui allaient visiblement bien au-delà de la confection de nerikiri, fussent-ils en forme de bambou. La Dame semblait avoir vécu une vie incroyablement remuante, tragique, marquée par le renoncement de sa vocation ; il se sentit brutalement très proche d’elle, et il lui jeta un coup d'oeil, pensivement, avec compassion mais retenue. Il ne connaissait que trop bien son sentiment. Sa vraie vocation était d’aider autrui et de mener une vie paisible ; que n’aurait-il donné pour pouvoir travailler dans une ferme, à élever ses animaux et cultiver ses légumes. Au lieu de quoi..il était là dans cette pièce, vêtu d’un kimono, d’un hakama et de nombreuses épaisseurs de vestes qui devaient valoir plus que lui. Excellente question que sa valeur d’ailleurs. S’il était enlevé, à combien pourrait s’élever sa rançon ? Pas très cher il le craignait. Peut-être plus s’il portait les vêtements qu’il avait sur le dos, supposait-il.

Mais à la fin du discours de l’artiste, il était de nouveau hésitant. Il lui en demandait beaucoup, le sauveur de Ryoshima ; ne se rendait-il pas compte qu’en plaçant Yosano-san à la cour il verrait beaucoup moins sa Muse ? Et pourtant..une part de lui voulait aider la Dame ; quoi que soit sa vie actuelle, cela ne devait pas être très glorieux, comparée à cette destinée d’artiste dont elle avait été privée.

Son conseiller se pencha vers lui, à sa demande, et quelques mots furent échangés. Mais comment tourner cela de manière..polie ? impériale ? Il battit un peu de l'éventail pour donner le change.

“Vous comprendrez que je ne m’occupe pas directement de ces affaires.” Il avait d’autres choses à gérer par exemple : une Cité. S’il devait en plus s’occuper des moindres petits détails de la vie quotidienne…“Mais un message sera transmis au bureau compétent, et Yosano-san, vous pourrez leur faire parvenir un courrier lorsque vous vous sentirez prête.” Il ne pouvait pas dire mieux ; les choses ne dépendraient plus de lui à présent.

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