[Fujinokawa] In the eye of the huricanne, there is quiet [Feat Takeo]

Samira et Dalal avaient retrouvé leur maîtresse le plus vite possible, et elles lui avaient remis le masque laissé dans la fuite de la tête de l'opération. Nehir n'avait pas attendu pour réagir, elle mitrailla ses ordres consciente que la rapidité serait clef pour la suite des évènements.

-Vous allez me trouver immédiatement à qui appartient ce poinçon, je veux tout savoir sur lui, ses proches et ses employés. Je veux avoir une liste de ses fournisseurs et de ses acheteurs. Et ce sans délais. Samira, va faire chercher Badiah et Chirine, je ne vais pas tarder à avoir besoin de leurs services.

Elle revient ensuite aux côtés de Takeo, même si pour le moment elle tenait bien le rôle, Nehir sentait bien qu'elle se maintenait sur du temps emprunté. Et l'heure de payer l'addition approchait à grand pas. La princesse allait avoir besoin de se poser, certainement de craquer un peu, et ce n'était pas des choses qu'elle pouvait faire maintenant, pas en public. Elle se l'interdisait. Et Nehir soupçonnait que Takeo se trouvait dans une situation similaire

-Takeo, je crois qu'il est nécessaire que nous trouvions un endroit au calme où reprendre un peu de notre contenance.

L’adrénaline du moment retombée, Takeo se trouvait sans voix. Sans forces aussi. Il avait vécu un moment ô combien intense ; il en subissait à présent le contre-coup terrible. Et pourtant, ce n’était pas faute d’essayer de retrouver une contenance ou le contrôle de la situation ; mais tout bêtement, il se sentait faible et n’avait qu’une seule envie. Rentrer. Et puis, honnêtement : Nehir avait la situation sous contrôle, prenant les rênes de cette affaire avec une admirable efficacité. Pour un peu il l’aurait enviée, sauf qu’il n’était pas d’un naturel envieux ;  alors il ne pouvait que ressentir le fardeau de sa propre inutilité.

“Je suis désolé que tu aies à gérer la situation comme ça..” souffla le jeune homme, d’une voix absolument pas impériale. Inutile d’essayer de paraître un dirigeant fort ; pour le moment il n’était qu’un adolescent perdu, sous le choc de l’expérience passablement traumatisante qu’il avait vécu.  C’était bien beau d’avoir voulu jouer les agneaux sacrificiels ; maintenant c’était tout juste s’il avait la force de mettre un pied devant l’autre. “Je suis désolé que tout se soit passé comme ça..Je ne voulais mettre personne en danger ..” C’était sans doute un signe que son règne n’avait pas l’approbation des Cieux, inutile d’aller bien loin. Un tel incident à sa seconde apparition publique loin de Ryoshima, il y avait de quoi se poser des questions.

“Rentrons au palais.”  ne put-il qu’ajouter, alors que ses gardes reprenaient place autour de lui. Il ne pouvait rien dire par le trajet ; trop occupé à essayer de se composer un visage neutre. Son peuple ne pouvait le voir dans un état de détresse émotionnelle. Il devait être fort. Pour eux.  Faire semblant, une fois de plus, comme il faisait semblant d’être un dirigeant compétent. Quel menteur, quel acteur. C’était lui qui aurait du finir sur les planches du théâtre, avec en plus des fils pour le manipuler. Lui la marionnette, la victime du destin qui l’avait arraché cruellement au seul endroit paisible qu’il avait connu.

Mais même au palais, alors que les domestiques s’affairaient pour apporter thé et douceurs dans la salle de réunion, le jeune homme ne pouvait se détendre. Même après qu’on lui ait apporté des vestes d’intérieur bien chaudes.  Il regardait le sol comme s’il aurait voulu se perdre dans l’interstice minuscule séparant chaque tatami, se cacher dans un trou de souris et ne plus en sortir.

“Je ne sais pas quoi dire, Nehir.”  Il gardait la tête basse, plein de honte. “J’ai..j’ai failli à mon devoir et mis la population de la colonie en danger. Des gens auraient pu mourir, à cause de mon incompétence !”

Les termes étaient dits ; le jeune homme finissait par craquer, après avoir tenté si longtemps de faire bonne figure.

Le coeur de Nehir se serra devant la culpabilité et les remords de Takeo. Ce n'était pas un poids qu'il avait à porter, il n'était pas responsable des évènements de ce soir. La princesse posa sa main sur le bras de l'empereur avec douceur.

-Tu n'y es pour rien, Takeo. Ce n'est pas toi qui a pointé une arbalète sur le public.

Elle aurait voulu le serrer fort dans ses bras, le rassurer avec tous les mots qu'elle avait jusqu'à enfin qu'il se sente en sécurité. Jusqu'à ce qu'il comprenne que ce n'était pas sa faute, qu'il n'avait pas à se reprocher la terreur et le chaos.

Mais ils étaient en public, ce n'aurait pas été un cadeau que de l'offrir ainsi aussi vulnérable à la vue de tous et toutes. Nehir en avait conscience, aussi hocha-t-elle simplement la tête en signe d'approbation. Une fois dans la sécurité et l'intimité des murs du palais pourraient-ils vraiment faire tomber les masques.

Une fois qu'ils furent seuls dans la salle de réunion, Nehir ayant accepté avec un remerciment les vestes d'intérieures apportées. Elle commençait à sentir cruellement le froid, surtout maintenant que l'adrénaline s'était complètement évaporée et que la fatigue s'installait sur ses épaules.

La princesse s'était installée aux côtés de Takeo, faisant fi du protocole et de la bienséance qui auraient demandé qu'en de telles circonstances, et avec l'espace disponible, une distance respectueuse soit maintenue entre eux deux. Cela rendit son geste beaucoup plus simple et fluide. Elle pris Takeo dans ses bras et le serra fort.

-Tu n'y es pour rien. Absolument pour rien. Oh, Takeo tu as voulu protéger tout le monde. Tu as fait tout ce qu'un souverain se doit de faire. Si des gens ont faillis mourir aujourd'hui, c'est parce qu'une bande de malades les a tenus en joue avec des arbalètes.

Et que le véritable responsable de cette mascarade attende qu'elle lui mette la main dessus… Oh, il allait regretter le jour où il avait vu le jour. Elle y veillerait personnellement

Nehir ne comprenait pas. C’était la seule chose que Takeo pouvait se dire, alors qu’il l’enlaçait en retour -brièvement. Cela faisait si longtemps qu’il n’avait pas été enlacé- que quelqu’un  n’avait pas témoigné d’affection physique à son égard-, il n’était plus habitué.Cela lui faisait étrange, comme une sensation qu’on envahissait son intimité..et pourtant..Et pourtant..et pourtant c’était réconfortant ? Ca lui donnait l’impression d’être en sécurité, ça lui donnait l’impression que quelqu’un se préoccupait de lui ? Et pourtantça lui rappelait sa vulnérabilité, son impuissance ; son inutilité chronique. A Ryoshima l’on ne montre guère ses vraies émotions pour ne pas perdre la face, lui avait-on appris.  Et bien là,c’était officiel, il avait perdu la face.

N’était-il qu’un enfant stupide et inutile.

“Si. J’aurais du..faire fouiller le bâtiment.”  Et ainsi, peut-être aurait-on pu interpeller le groupe de terroristes bien avant qu’ils aient commis leurs méfaits. Personne n’aurait été en danger, personne n’aurait été blessé. “Et qui dit qu’ils ne sont pas venus à cause de moi? Qu’ils savaient que je serai logiquement là, et qu’ils voulaient profiter de l’occasion ?”   Tant de possibilités dans son jeune esprit torturé par la culpabilité. Il voulait être un empereur fort, un empereur digne, un empereur qui n’aurait pas besoin qu’on coure à sa rescousse..il était fort loin du compte. Il n’était même pas vraiment un empereur. Il était la marionnette qui portait ce titre..la ridicule poupée qu’il fallait protéger. Un enfant qui jouait avec les vêtements trop grands de ses ancêtres.

“Mes ancêtres auraient si honte de moi.”  Et tant pis si plus tôt, il avait eu l’impression de leur faire honneur en distrayant involontairement le preneur d’otages, prêt à se sacrifier pour les spectateurs. “Je n’ai rien fait de très concret. Les héros qui sont passés par les coulisses en revanche..” Eux avaient pris tous les risques. Il se demandait s’il serait un jour possible de les retrouver, et de les récompenser. “Et encore j’ai eu de la chance..”  Presque inconsciemment il toucha la cicatrice, près de son oeil. “Ceux-là semblaient d’humeur à discuter. Tous ne le sont pas. “  Comme ceux qui avaient tenté de brûler le château de Ryoshima. Ceux qui avaient causé des douleurs indicibles au jeune Takeo ; ceux qui lui avaient fait avoir des cauchemars à base de feu et de chair brûlée pendant des années. Même encore maintenant, quand revenait la période où l’incendie était arrivé, il sentait comme un malaise.

Pouvait-on faire plus pathétique ? Il ne savait pas.

Nehir aurait dû se douter que ses mots, aussi vrais soient-ils, ne toucheraient pas facilement Takeo. Elle avait déjà une vision assez complète du personnage pour se douter de cette conclusion. Comme elle aurait voulu se tromper.

Elle secoua la tête, déterminée à ne pas laisser la culpabilité de Takeo l'emporter. Après tout, la seconde princesse de Jhareel était une vraie tête de mule, et elle détestait perdre.

-La fouille aurait été une bonne idée, si nous avions eu des raisons de suspecter qu'une action pareille aurait lieu. Takeo, nous sommes habitués à ce que l'on cherche à s'en prendre à nos vies.

Iels avaient leurs cicatrices pour en témoigner, celles qui marquaient leurs visages respectifs et qu'iels avaient tout les deux reçus bien trop jeunes.

-Mais nous le sommes moins à ce qu'on prenne un peuple en otage pour y parvenir. Personne n'avait prévu que cela puisse arriver, je n'ai pas pensé que cela puisse arriver. J'ai autant été prise par surprise que toi.

Nehir était une adepte des jeux d'échecs politiques, elle avait été formée depuis sa tendre enfance à être une joueuse du jeu des trônes. Même en étant la troisième enfant du couple royal de son Bloc, avant même sa naissance on l'avait destiné à porter une couronne. Et elle en tirait une fierté féroce, à laquelle répondait en écho son enthousiasme à y jouer. Ce n'était pas une chose aisée pour elle que d'admettre avoir été prise de court. De s'être retrouvée prise dans un changement soudain du plateau. Mais c'était la vérité.

Et elle soupçonnait que la vérité était ce qu'il fallait à son ami. Qu'importe qu'il la voit, elle la princesse et future reine, dans une position de vulnérabilité et de faiblesse. Après tout il s'ouvrait bien à elle, et ce ne devait pas être plus simple pour Takeo.

-Je n'ai pas plus envisagé que toi une fouille du bâtiment. Et je me demande si, même dans l'hypothèse où nous aurions fait assez preuve de paranoïa pour cela, nous les aurions trouvés à temps. Il n'y a actuellement aucune indication de quand iels sont entrés dans le théâtre. Iels ont trés bien pu entrer durant ou après l'entracte. Qui nous dit qu'iels n'étaient pas dissimulés parmis les spectateur.ices ?

Les scénarios étaient infinis, et il était toujours plus facile de refaire l'histoire une fois la tempête passée. Ce qui ne changeait pas le fait que la tempête s'était invitée dans leurs vies.

-Tu n'as mis personne en danger, Takeo. Si ça n'avait pas été toi à ce moment là, ça aurait quelqu'un d'autre à un autre moment. Sa Majesté ta mère, son Altesse ta soeur. Par le dieu des Mers, n'importe quel membre de la haute aristocratie des Cinq aurait pu convenir pour leur mascarade ! Iels ont saisis une occasion, mais iels l'aurait prise quel qu'elle soit.

Elle commençait à s'énerver, pas contre Takeo, jamais contre Takeo. Pour canaliser cela, la princesse entreprit de commencer à leur servir chacun une tasse de thé. Iels avaient bien besoin d'une boisson chaude réconforte, et il paraissait que cela adoucissait les mœurs. ou bien était-ce la musique ? Qu'importe, il faudrait que le thé fasse l'affaire.

-Takeo, tes ancêtres n'ont aucune raison d'être honteux de toi. Tu as fais preuve d'une grande bravoure, inconsidérée certes mais pas le moins admirable. Et personne n'a été blessé grâce à toi, qui sait ce qui se serait passé si tu n'étais intervenu ? Nous avons tous et toutes eu de la chance ce soir.

Doucement elle prit les mains de son ami. Elle reconnaissait l'émotion, la portée, de son geste en elle. Ses propres cicatrices, même si moins impressionnantes, étaient le même rappel pour elle. La vie est fragile. La vie peut nous être si facilement enlever. Il existe des êtres en ce monde qui ne reculeront devant rien pour vous la prendre et vous humilier dans le même temps.

C'était un moment cauchemardesque de leurs vies, quelque chose de gravé dans leurs chairs tendres et qui les suivraient certainement encore bien après leurs morts.

-Ce qui est fait est fait, Takeo. Et je considère que nous avons remporté une victoire durant cette manche. Qu'importe qu'elle nous vienne de la chance ou pas. Si les Cieux nous sourient il faut accepter leur providence. Ce qui compte désormais, c'est comment nous allons jouer nos prochains coups. La véritable honte, la vraie faiblesse serait de déclarer forfait maintenant, devant ces gens. Je peux endurer bien des choses, mais ça c'est hors de question.

ll ne serait pas dit que la Princesse Balafrée baisserait les armes après cet affront. Elle allait rendre coup pour coup, et bien plus encore.

Takeo se faisait l’effet de s’enfoncer dans un marais sans fond, comme il en existait sur certains blocs.  Sa culpabilité d’avoir entraîné les spectateurs dans cet enfer d’un côté, son sentiment d’inadéquation permanente par rapport à son rôle de l’autre, tout cela contribuait à l’entraîner inexorablement vers des zones de sa conscience qu’il aurait préféré oublier. La partie ô combien fragile de son être, fragile comme le plus délicat des objets en verre ou en porcelaine. Takeo n’était pas fort mentalement, il le savait. Il avait toujours eu ses démons personnels, depuis sa plus tendre enfance ; ils n’avaient fait que se multiplier depuis ce moment maudit où on l’avait tiré du monastère un beau matin, pour lui annoncer que Père était mort, qu’il était désormais prince héritier.  Il avait eu l’impression de se noyer, et ne s’était jamais complètement départi de ce sentiment.

Les mots de Nehir, aussi encourageants et rassurants soient-ils, n’y changeraient rien. Il aurait voulu lui dire d’arrêter, de cesser de gaspiller sa salive, parce qu’un côté tête de mule insoupçonné de sa personnalité ne voulait pas croire ce qu’elle disait. Comment pouvait-il lui expliquer que Fujinokawa étant sa colonie, il ressentait une immense culpabilité et surtout, une immense responsabilité vis-à-vis de tout ce qui pouvait s’y passer ? Qu’il prenait les choses mille fois trop à coeur ? Qu’il se sentait terriblement comme une déception ? Serait-il un jour le genre de personne que ses ancêtres pourraient regarder sans avoir honte ? Comment savoir ?


“Ce n’était pas à toi d’y penser..” De nouveau, cette extrême lassitude dans sa voix. Takeo était épuisé. On le serait à moins, sans doute, mais.. “C’était à moi. C’est ma colonie. Je suis responsable. Ma honte est immense.” Son côté ryoshimais n’avait pas été totalement disparu après ses années au monastère. Ce besoin de prendre la responsabilité de tout, pour ne pas mettre son interlocutrice dans l’embarras. Ce besoin de s’excuser pour tout - il était à deux doigts de demander pardon d’exister, parce que sans lui, rien ne serait arrivé au théâtre.  “Mais l’on ne m’y reprendra plus..” Oh, les mesures de sécurité seraient renforcées  partout où Mère et Yukiko iraient. Peut-être là où il irait aussi, pour ne pas que le drame du théâtre se reproduise.  “Je ferai beaucoup plus attention à l’avenir.”Une fois mais pas deux.  


“Et il y a bien une personne de blessée, hélas..j’ai dépêché des gardes pour l’emmener voir un guérisseur mais..” Long soupir. “J’aurais préféré que rien de tout cela n’arrive...”   Il n’avait pas conscience, qu’en tant qu’Empereur, il aurait été en droit d’exiger n’importe quoi de n’importe lequel de ses sujets - que par conséquent, qu’un de ses sujets (peut-être ?) soit blessé en tentant indirectement de lui venir en aide  soit tout à fait normal. Jamais. Jamais. Il aurait préféré prendre mille carreaux d’arbalète à la place.

“Mais j’ai fait ce que je devais. Il n’y aucun éloge à faire, c’était mon devoir d’intervenir. Je n’allais pas laisser mon peuple se faire menacer par un tel groupe.” Le regard du jeune homme se posa sur son thé, dont il prit une gorgée. Il n’avait pas aimé voir Nehir le servir. Il n’aimait pas voir quiconque le servir. Personne n’était inférieur à lui. Au contraire… “Je n’arrête pas de repenser à ce que cet homme a dit.” avoua-t-il, finalement. “Je..Je me suis senti coupable d’être là, dans ce théâtre, alors que des gens souffrent. Je..” Sa voix était devenue bien étouffée, comme s’il n’osait pas dire ses pensées à haute voix. “Je..me suis demandé beaucoup de choses. Sur les colonies, sur ma future façon de gouverner. Sur ma légitimité. Tant que je n’aurais pas de réponses à ces questions…” Tant que je n’aurais pas de réponse à ces questions, je me sentirai encore coupable. Quel type d’empereur voulait-il être ? La notion même d’empire était-elle juste ? Comment savoir.

Le jeune Empereur était encore plongé dans son marasme émotionnel. Quoi de plus compréhensible ? Il avait été attaqué personnellement, d'une manière extrêmement personnelle. Leurs identités étaient intrinsèquement liées à la couronne sur leurs têtes. Attaquer l'une c'était attaquer l'autre du même coup. N'importe qui dans leur position aurait été affecté par la chose. Alors, avec le passif et les blessures encore à vif du jeune homme…

-Le bilan est loin d'être horrible. Un seul blessé dans une situation de terrorisme, Takeo on peut parler de miracle.

En toute honnêteté, Nehir Syed n'aurait pas été surprise que la soirée se termine dans un bain de sang. Il y avait tant de façon dont la situation et les événements auraient pu dégénérer. Tant de perspectives d'horreurs et de drames. Et il n'y avait pas eu un mort, pas un seul, même du côté des preneurs.ses d'otage. Non, les divinités avaient été particulièrement clémentes, d'une manière ou d'une autre.

-Il y aurait pu y avoir des morts, beaucoup de morts. Et cela n'aurait pas joué en notre faveur. Pour le moment nous avons l'avantage d'avoir cela de notre côté, et tu as clairement montré que tu te souciais de ton peuple. Le mot va circuler, il ne sera même pas nécessaire de trop l'encourager. Nous ne pouvons pas changer ce qui est arrivé et nous lamenter dessus ne mènera à rien.

Nehir prit à son tour la tasse de thé dans ses mains, la porcelaine chaude contre sa peau la fit frissonner un peu. C'était bon de sentir cette chaleur, de se sentir vivante. Elle avait eu peur, elle s'était vue mourir. Elle avait vu le public, les innocents, les oubliés, ceux qui vivent sans rien demander mourir. Elle avait vu Takeo exécuter d'un carreau dans la poitrine ou la tête, tombant les bras ouverts après s'être offert en cible.

La soirée n'avait pas été agréable pour elle non plus. Mais elle savait qu'elle ne pouvait pas s'attarder dessus, pas maintenant et certainement jamais. Sinon elle serait perdue. Elle n'en avait pas le droit, c'était le prix pour naître avec une couronne destinée à son front.

Mais elle restait humaine, de chair et de sang.

-Peut-être y a-t-il du vrai et du légitime dans ce qu'il a dit, reconnu la princesse. Mais nous ne pouvons pas nous permettre de donner l'impression que nous plions devant leurs actions.

Le moindre signe de faiblesse déclencherait la tombée de milliers de dominos. Des empires s'étaient écroulés pour moins que ça.

-Je ne peux pas te donner de réponses à tes question, Takeo. Il est clair que nos systèmes ont d'immenses failles. Nos Cités sont grandes et belles, mais elles ne se sont pas construites seules et nos jardins ne fleurissent pas qu'avec de l'eau. Je mentirai si je disais que je ne sais pas que nos trônes sont couverts de sang.

Bien sûr qu'elle le savait. Nehir n'était pas assez naïve pour se leurrer, un empire, une puissance telle que celles des Cinq n'était pas toute blanche, elle n'avait pas la pureté des nuages immaculés du firmament. Elle était bien plus proche des nuages d'orages.

-Nous sommes les dépositaires de ce pouvoir, acquis à un prix. Nous n'y sommes pour rien, mais le perdre, y renoncer, ne me paraît pas la solution. Nous avons la chance d'avoir ce que beaucoup n'auront jamais. Nous avons le pouvoir entre nos mains, et cela veut dire que nous pouvons changer les choses. Je n'entend pas laisser le monde comme je l'ai trouvé, Takeo. Je veux que le jour où je pousserai mon dernier souffle chacun sache que Terreciel a été transformé par ma volonté.

Nehir ne comprenait pas. Ne pourrait pas comprendre. Constat amer, tout aussi amer que le thé matcha qu’il dégustait. Peut-être qu’elle réfléchissait mieux que lui, de cela il était quasi certain ; elle avait l’éducation pour. Elle, on l’avait éduqué comme la princesse qu’elle devait être. Lui…Lui..lui on avait commencé à l’éduquer comme un prince, puis il avait été éduqué comme un moine la majeure partie de sa vie. Si tout s’était passé comme il l’aurait désiré, il serait encore au monastère, à couler des jours heureux passés à copier des livres et soigner autrui. Ignorant du monde peut-être mais au moins, ses journées auraient été paisibles, et productives. Il avait passé une belle vie, morale. Droite. Au lieu de quoi..il avait été jeté dans un nid de serpents.

Et il s’y noyait. Il se noyait dans son incompétence, dans cette impression d’être inadéquat quoiqu’il faisait , dés qu’il pointait le bout de son nez en dehors du château - en dehors de sa chambre en réalité -. Que serait-ce lorsqu’il occuperait réellement le trône ? LE pire s’annonçait. Il avait beau passer des heures à lire et s’instruire, il ne savait rien.  Rien.  Des fois il aurait voulu repartir dare-dare au monastère, parce que les responsabilités qui s’accumulaient le terrifiaient. Avec raison. Ce soir pour la première fois, il avait compris ce que signifier régner, protéger son peuple, et il se rendait bien compte qu’il n’était pas au niveau. Il ne pouvait pas. Il s’était mis en danger pour rien, sûr qu’il allait y passer et certain que c’était le bon choix ; mais maintenant qu’il avait survécu..

La culpabilité le taraudait.

“Une personne blessée, c’est déjà beaucoup trop. En ce qui me concerne, c’est un échec.” Un échec, oui, un zéro pointé. Comme lui. “Ou alors le mot va circuler que l’empereur de Ryoshima n’est qu’un enfant inconscient qui risque sa vie pour rien et qui en plus n’a aucune réponse aux problématiques de son règne.”  Il y avait tellement d’amertume dans sa voix. Parce qu’il était stupide, parce qu’il était sûr de ne pas réussir à prendre soin de son peuple, encore moins de pouvoir régler toutes les questions brûlantes de Ryoshima. Lorsqu’il s’était fait interpeller, il s’était senti si stupide. Il..avait bien senti qu’il ne savait pas. Qu’il n’avait pas les idées claires. Comment aurait-il pu les avoir ? Il ne connaissait rien de la politique, ni des colonies. Seulement une vague théorie, insuffisante..

“Je ne plie pas devant leurs exigences. C’était facile de faire des beaux discours devant eux, mais maintenant que nous sommes ici..”
Maintenant il se posait trop de questions. Et c’était sous la pression de son titre qu’il pliait. Contrairement au bambou, un jour il allait casser. “Suis-je seulement capable de résoudre les problèmes de Ryoshima, je me le demande.”  Voix éteinte.“C’est facile à dire pour toi, Nehir. C'est facile d'avoir des ambitions à ta place.  Moi, je ne voulais pas devenir empereur. J’étais déjà un problème pour tout le monde lorsque je n’étais que prince, et on m’a expédié dans un monastère.  Et voilà que maintenant, on me fait ressortir dans le monde pour diriger une Cité à laquelle je ne connais rien."
Et enfin, un soupir. “Tout ce que je voulais, c’était de mener une vie tranquille.” Aveu terrible, mais pourtant vrai. Et à présent, la vie tranquille, il pouvait faire une croix dessus.

Le jeune empereur continuait de s'enfoncer dans les marécages de sa culpabilité, de son auto-apitoiement sur sa situation aussi. Ce n'était pas bon du tout, il allait finir par s'y noyer totalement, se laisser figer dans ces sables mouvants et devenir une statue creuse, l'ombre de lui même. Et Nehir était face à un choix.

Il pourrait y avoir des avantages à garder Takeo dans cet état… Vulnérable émotionnellement, peu assuré comme un caneton au sortir de l'oeuf qui découvre le monde, à la recherche d'une échappatoire de quelque chose, quelqu'un, pour lui retirer le poids de sa situation. La princesse ne doutait pas que cela faisait les affaires de bien des personnes au sein de la cour impériale. Cela pourrait faire les siennes aussi. C'était son esprit de stratège qui parlait, elle savait que si elle jouait les bonnes cartes, avait les bons mots et les bons gestes elle pourrait se glisser dans l'oreille de l'Empereur. Il serait alors si facile de guider sa main sur le plateau de jeu des Cités, de le faire jouer en faveur de Jhareel et d'Alryon, de lui faire servir ses intérêts à elle. Un vrai jeu d'enfant, beaucoup élevés dans les fastes et les intrigues des cours n'hésiterait pas à le faire. Nehir en était tout à fait capable.

Mais elle s'y refusait. Certes, Ashikawa Takeo serait une pièce de choix à avoir dans sa manche, certainement l'une des plus belles qu'elle n'aurait jamais mais… Mais c'était son ami. Elle voulait avoir un allié à ses côtés, pas une marionnette. Et après ce qu'elle avait vu ce soir, ce serait un gâchis immonde de faire du jeune Empereur un simple fantoche, il y avait un véritable potentiel chez lui. Et sans doute que son côté hors-normes était ce qu'il fallait à sa nation. En un souffle la décision de la princesse était prise. Elle ne trahirait pas son ami.

Et il lui fallait une bonne dose de réalité. Un bon rappel à l'ordre.

-Nous ne faisons que rarement ce qu'on l'on veut dans la vie. Nous sommes tous et toutes esclaves des circonstances, Takeo. Que l'on soit roi ou miséreux, nous jouons tous avec les cartes que l'on nous a mises en main à la naissance.

Elle se rappelait quand son père le Calife leur donnait cette leçon durant les chaudes soirées de Jhareel. Être né avec une couronne sur le front n'était pas synonyme de liberté et d'insouciance, pas sur tout.

-Crois-tu vraiment que j'ai eu un choix dans ma situation ? Par le bâton de marche du Dieu des Mers, Takeo, j'ai été fiancée quand je n'étais encore qu'un bébé ! Mon destin a été tracé pour moi, je n'ai jamais eu l'occasion de savoir ce que je voulais comme vie.

On l'avait modelée, préparée sans cesse depuis l'instant où elle avait ouvert les yeux. pour la première fois. Depuis le moment où elle avait reçu son nom.

-J'ai fais et je fais ce qu'il faut pour survivre, pour que ma famille et mon peuple survivent. Il n'y a pas que nos petites personnes et nos désirs égoïstes dans l'histoire, nous servons quelque chose de plus grand. Alors, oui, j'ai été mieux préparé que toi pour le jeu des Cités. Oui, ta situation est injuste et tu devrais pouvoir vivre ta vie comme tu l'entends. Dans le meilleur des mondes nous n'aurions pas cette conversation.

Certainement ne seraient-ils même pas présents.

-Tu dis ne rien connaître à ta Cité, et bien apprends ! Les problèmes ne vont pas s'évanouir dans la nature simplement parce que tu cherches à te repentir de fautes dont tu n'es pas coupable. Les oeufs sont cassés, Takeo, il ne sert à rien de pleurer sur les coquilles pour tenter de les recoller. Maintenant il faut se décider de quoi en faire pour ne pas les perdre. Tu ne réussiras certainement pas une omelette du premier coup, mais si tu n'essaies pas tu n'apprendras jamais.

Elle poussa un soupir, elle aurait préféré pour Takeo qu'il puisse vivre sa vie en paix sans ce poids auquel personne ne l'avait préparé. On avait fait une terrible erreur en laissant le jeune prince partir ainsi loin de la Cour sans personne pour s'assurer qu'il ne tourne pas complètement en moine. C'était un grand déservice qu'on lui avait rendu. Le sort n'avait cessé de jouer les pires tours au jeune homme.

-Je suis navrée, Takeo, mais tu n'auras jamais ta vie tranquille. Mais tu peux toujours essayer de t'en construire une qui te plaira, une dont tu pourras être fier. Je pense sincèrement que tu peux faire une incroyable différence pour Ryoshima, en bien. Et je suis prête à t'accorder tout mon soutien pour ça, Takeo. Mais ne compte pas sur moi pour te laisser te complaire dans ton auto-apitoiement.

Elle marqua une pause, prenant le temps de boire un peu de son temps elle s'était peut-être un peu trop emportée… Mais elle avait choisi de ne pas rester les bras croisés après tout.

-Si tu as peur des histoires que l'on pourrait répandre sur cette nuit, la solution est simple. Raconte les en premier, choisis le narratif que tu veux tisser autour de ta personne. Laisse les machines de la propagande tourner après. Honnêtement ce ne sera pas trop difficile pour eux d'en tirer un récit à ton avantage.

Un changement de sujet serait peut-être bienvenu.

Il aurait du se taire. Triste constat que Takeo se faisait, à peine eût-il prononcé sa dernière phrase. Un Ryoshimais ne s’épanchait jamais sur ses états d’âme, on lui avait répété ; mais comme un idiot, il avait ignoré cette loi universelle..et devenait aussi expansif qu’un alryonais soûl. Personne n’avait besoin de connaître ainsi les tréfonds de son coeur. Personne. Il était temps de devenir l’empereur qu’il aurait du être ; comme son père, immuable comme la montagne, et avec autant d’expression. Mais une part de lui ne pouvait pas. SImplement pas. Il avait vécu trop d’années au monastère, lieu neutre par excellence ; on lui avait trop appris à vocaliser ses troubles, et voilà le résultat. Encore une fois il embêtait son monde. Il embêtait Nehir. Il la mettait en colère, même. Il n’était pas un politicien chevronné, mais il pouvait le sentir ; cela exsudait par tous les pores de la jeune femme.

“Peut-être vaut-il mieux ne pas avoir le choix depuis sa naissance. J’aurais mille fois préféré être à ta place.” Ton sec. “J’ai cru que j’allais pouvoir mener une vie simple et heureuse, je me trompais ; on me l’a arrachée. C’est trop facile de me faire revenir, après m’avoir jeté dehors comme un cabot.” Le ton montait. Un sentiment bien inconnu s’emparait de lui : la colère, qui brûlait ses veines comme un poison. “Et au bout de dix ans, on se rappelle que j’existe ! Tu trouves ça normal ?” C’était là la première fois que Takeo pouvait enfin dire ce qu’il avait sur le cœur. Qu'enfin il pouvait déverser toute sa bile sur sa situation, et que par les dieux cela lui faisait du bien. “Mais j’étudie, Nehir,je ne fais que ça, je ne passe pas mon temps à planter des daikon ! Je passe des heures à essayer de rattraper mon retard ! J’ai des bleus partout à force de m’entraîner au sabre, des ampoules à la main à force de copier des milliers de caractères ryoshimais, je n’arrive pas à dormir la nuit tellement les dates et notions tournent dans mon cerveau et malgré cela..Malgré cela..” Il en aurait rugi, oui, comme un lion. “Et malgré cela n’est toujours pas assez ! On me fait comprendre que je ne suis pas la moitié de l’homme qu’était mon père ! Que je ne suis pas assez perceptif, que je m’exprime mal parce que j’ai perdu l’essentiel de ma langue natale au monastère où l’on m’a abandonné !” Les yeux du jeune homme commençaient à s’emplir de larmes. “Et tout ça pour quoi ? "

Question qui resta en suspens pendant quelques secondes - à Nehir de répondre, si elle le pouvait. “Tout ça pour me retrouver comme un idiot dés qu’un terroriste me remet en question et menace ceux que je suis censé diriger ! Alors je te pose la question : quelle est ma légitimité à me retrouver sur ce trône ? Je me le demande. La seule chose qui me retient, c’est que je ne veux pas que ma petite sœur se retrouve à régner après ma défection. Ca n’en vaut pas la peine.”

Il était fatigué. Si fatigué.

“Ils peuvent bien raconter ce qu’ils veulent sur mon compte. Je ne suis plus à ça près. J’entends les bruits de couloir du palais, merci bien.” Il les avait déjà entendus à l’époque, les commentaires qu’on faisait sur le jeune prince Takeo…alors ceux sur l’empereur-qui-n’était-pas-encore-officiellement-empereur..hein. Le moinillon, tout ça, tout ça.Le milieu de la cour impériale était tout sauf tendre - et il en faisait les frais. Grande soeur, ça aurait du être toi à ma place.

“..tu crois vraiment qu’un jour je pourrais faire une différence ? Que je ne suis pas un cas désespéré ?” Mots chuchotés, voix à peine audible - comme s’il n’osait même pas exprimer ce vain souhait.

La tension montait, et la colère longtemps refoulée de Takeo remontait à la surface. C'était autant l'enfant blessé que le jeune adulte perdu qui s'exprimaient. Et Nehir sentait sa propre colère rejoindre celle de Takeo. Elle n'était pas dirigée contre lui, mais contre ceux et celles qui l'ébranlaient ainsi. Elle était enragée contre les courtisans et leurs langues de vipère. Enragée contre les parents de Takeo qui avaient failli leur enfant encore et encore.

Elle était en colère qu'on ait blessé sans répit le jeune homme au point de le faire ainsi douter de lui.

Doucement elle lui pris la main, la serrant avec une certaine tendresse.

-Takeo, tu n'es pas un cas désespéré. Je pense que tu deviendras un excellent souverain, différent de ton père mais ce n'est pas forcément une mauvaise chose. Je pense que tu peux changer les choses en profondeur. Ce que j'ai vu aujourd'hui a terminé de m'en convaincre.

Ce n’était pas habituel que Takeo élève ainsi la voix. Non, d’habitude, il parlait avec une certaine douceur ; sa voix, si elle restait audible, n’était néanmoins jamais forte. En certaines occasions, il devait l’affermir, se faire passer pour beaucoup plus sûr de lui qu’il ne l’était réellement, parce qu’il y avait un protocole à respecter, et qu’un empereur hésitant risquait de faire un peu...désordre, pour tourner les choses poliment. Mais ce soir les choses avaient changé. Les vannes avaient sauté ; il parlait, parlait, parlait, et tout ce ressentiment, toute cette rancœur datant d’il y a dix ans, tout cela sortait avec véhémence. C’était comme le barrage de son éducation moniale avait explosé ; et enfin, derrière la personne habituellement d’humeur égale - le masque- , une vraie personne s’exprimait. Une personne qui pouvait exprimer de la colère.

En toute honnêteté cela l’effrayait un peu, cette part de lui que Takeo ne connaissait pas du tout jusqu’alors. Tout ce fiel qu’il exprimait, ce n’était pas lui.. n’est-ce-pas ? Pouvait-il vraiment être aussi mesquin ?Aussi ingrat ? Aussi impétueux ? Au moins à cet instant on ne pouvait nier la filiation avec son père, homme impulsif s’il en était ! Et pourtant cette colère avait un coût ; celui de le laisser épuisé une fois qu’il eut fini de cracher tout son venin. Il était redevenu Takeo, celui qui manquait de confiance en lui,. Celui qui n’était ni le fils de son père, ni celui de sa mère. Celui qui était un être étrange, incompréhensible, même pour lui ; celui qui ne fonctionnait pas selon les normes de Ryoshima mais qui se languissait de celles du monastère;

La main de Nehir sur la sienne était d’une chaleur presque réconfortante, et pourtant.

“Je ne sais pas, Nehir.”  chuchota-t-il. “Différent ça c’est sûr. Nos caractères s’opposent trop. J’ai été trop marqué par mon passage au monastère. Et pourtant..”  Et pourtant quoi ? il se trouvait incapable de répondre. Et pourtant il aurait voulu avoir ne serait-ce qu’un centième de l’assurance paternelle. “J’ai peur que ce soir ne soit qu’une action exceptionnelle. Je ne sais pas si je retrouverai ce courage. Je..suis trop gentil, trop paisible.” Impossible de savoir tant qu’il n’était pas dans une situation délicate, supposait-il.

“Merci.” ajouta-t-il enfin.“Pour tout.”  Merci pour mon peuple, merci de t’être interposée, merci de m’avoir écouté, merci de m’avoir rassuré.

Et derrière tous ces mercis, une phrase qu’il n’osa pas prononcer. Je suis désolé.