Le Deal du moment :
Réassort du coffret Pokémon 151 ...
Voir le deal

[Ryoshima] Une commande impromptue - Ft Akio Shimada

Aller à la page : 1, 2  Suivant
Alexander Galloway
Alexander GallowayIsvall
Messages : 165
Date d'inscription : 21/01/2023
Profil Académie Waverly
[Ryoshima] Une commande impromptue - Ft Akio Shimada EmptyDim 5 Nov - 15:57
Emmitouflé dans son épais manteau doublé de fourrure, Alexander ne ressentait pas le froid de l'hiver Ryoshimais. La neige s'était changée en eau boueuse dans la ruelle à force que les passants et les attelages la piétinent. Là était la différence avec les neiges d'Isvall, le pied de l'homme s'effaçait devant, la blancheur demeurait souveraine, poussant les habitants à se calfeutrer dans leurs demeures où les flammes leur apportaient chaleur et réconfort.

Sortant un papier de sa poche, le jeune homme consulta la note, vérifiant l'adresse qu'on lui avait donnée. En dépit des cours qu'il avait pris, il se méfiait des interprétations qu'il pouvait faire des kanjis ryoshimais. Comparant les écrits au nom de la rue, il se rassura avant de reprendre sa route.

Quelques jours s'étaient passés depuis l'incident du théâtre, un court laps de temps qui l'avait séparé de la famille York et le menait à présent sur les traces d'un peintre. En effet, la jeune fille qui avait fait cadeau d'une fleur à l'empereur avait mentionné un peintre et il était fort probable que ce dernier soit le jeune homme blessé lors des évènements du théâtre puis que la demoiselle l'accompagnait. Le mercenaire avait mené son enquête et avait fini par confirmer ce qu'il souhaitait vérifier. Au delà de cela, il avait obtenu l'adresse où résidait le peintre.

Ce dernier ne résidait pas à la cour même s'il y avait ses entrées. Le quartier était modeste sans être miteux. Alexander gravit les quelques marches menant à un appartement dans une demeure essentiellement constituée de bois puis toqua à la porte. L'endroit ne payait pas de mine, probablement était-ce une chambre louée par un propriétaire plus fortuné, peut-être un marchand ou un commerçant du quartier. Alexander réajusta son manteau et vérifia que la bouteille de saké qu'il apportait avec lui était dans un état correct.

"Bonjour," dit-il tandis qu'on lui ouvrait. "Suis-je bien chez le peintre Shimada Akio ?"
Shimada Akio
Shimada AkioRyoshima
Messages : 124
Date d'inscription : 19/11/2022
Profil Académie Waverly
[Ryoshima] Une commande impromptue - Ft Akio Shimada EmptyLun 13 Nov - 18:58
Depuis les événements de Fujinokawa, Akio n’avait quasiment pas dormi. Non qu’il fût sujet à une quelconque anxiété postérieure ni même à des réflexions enfiévrées sur l’identité des révolutionnaires — tout cela pouvait attendre encore un peu — mais c’est-à-dire que, foulant aux pieds les préconisations du médecin qui lui avait imposé, à raison, du repos à cause de sa blessure, il avait profité de ces journées de convalescence pour progresser sur la mission Glaukopis afin de pouvoir transmettre bientôt au grand amandier le fruit de ses avancées. Or, il avait pour ce faire dû préparer son retour à la boutique de maître Hideshi, envisager leur conversation ainsi que ses différents aboutissements, fabriquer les documents qui sauraient illustrer son propos et, surtout, déployer par anticipation les premiers fils d’une toile plus large, plus complexe, en apparence assez relâchée de façon à ne pas s’y prendre les pieds ni ceux de son complice, mais qui en temps voulu se refermerait en les laissant tous deux saufs. Y réfléchir lui avait ainsi pris autant de temps que de falsifier trois documents censés appâter le vieux marchand, ce à quoi s’étaient ajoutées les heures nécessaires à la lecture d’une monographie sur l’art kymarais et celles passées en tête-à-tête avec Hideshi, loin de sa charmante cerbère Chisato, à le brosser dans le sens du poil pour mieux obtenir ce qu’il escomptait : sa confiance. Puis, lorsqu’il fut certain que les graines de son plan avaient été profondément semées, il entreprit de rédiger son courrier à destination d’Arkimedes.

Le sommeil le cueillit sans vergogne, comme on arrache des pâquerettes.

À trop le fuir depuis presque une semaine, il s’était abattu de force sur la conscience du peintre ; assommé, le crayon entre ses doigts s’était interrompu au milieu de la troisième ligne et, à genoux sur le tatami devant sa table basse, dos au poêle toussotant, lui s’était assoupi la joue tranquille sur le papier, peu après avoir achevé un frugal déjeuner. Il dormit sans trêve, jusqu’à ce que la bûche mise à chauffer fut réduite en braises, braises arrivées sur leur déclin quand on frappa à la porte. Des frappes franches quoique polies, dépourvues de menace — ce qui n’empêcha guère Akio de se réveiller en sursaut, l’instinct affolé tel une perdrix que surprend un coup de fusil. Son prime réflexe fut de jeter aussitôt sa lettre entamée sous un tas de croquis non loin, sans même prendre le temps d’ouvrir complètement les yeux, avant de balayer l’espace à la recherche d’une preuve de son affaire en cours ; par chance autant que par scrupule, il avait veillé à ranger avant de s’attabler, de sorte qu’il ne trouva rien de compromettant à dissimuler sur-le-champ. Par ailleurs, nous n’étions pas le jour du loyer alors la personne derrière les portes coulissantes ne pouvait être son logeur, le facteur avait tendance à s’annoncer, et il était en outre certain de n’avoir prévu aucun rendez-vous, aussi un étonnement curieux estompa-t-il son inquiétude.
En ouvrant le battant, il retint in extremis un mouvement de recul.
Jamais l’espion ne se serait-il attendu à revoir cet homme-là. Et surtout pas sur le seuil de son logis. Bien qu’à l’époque il eut été trop loin de la scène pour entendre ce qui s’était échangé entre l’Empereur et celui qui se tenait à l’instant devant lui, il ne fallait pas être trop perspicace pour comprendre que sa présence en ce lieu était liée à cette soirée au théâtre, voire à l’intervention remarquée de Yosano. Quant à deviner le motif de son déplacement, eh bien...

« En effet, Monsieur, c’est moi-même. Et vous êtes..., commença-t-il d’une voix où perçait encore la rauqueur de sa somnolence, triturant sa cervelle pour tenter d’en extraire, en vain, le nom de cet éphèbe des neiges. Vous étiez au théâtre de Fujinokawa, ce me semble ? »
Il n’avait pas respiré qu’il ouvrit l’embrasure plus grand, ce qui le dévoila davantage sur le pas de la porte — lui et le col un brin lâche de son kimono vert sombre, les épis rebelles de sa chevelure et, sans doute, une trace d’encre sur le museau dont il ignorait l’existence — avant de poursuivre tout de go :
« Mais entrez, entrez je vous en prie, ne restez pas dans le froid..! Nous serons mieux à l’intérieur pour converser. Vous pouvez retirer vos chausses ici pendant que je ravive le feu. »
Il joignit la parole au geste en se décalant du passage : au-delà de la porte, un espace brut d’environ un mètre sur deux permettait de se défaire des souliers juste avant de grimper une haute marche menant à la pièce principale, composée d’un puzzle de six tatamis percé en son centre pour accueillir un petit poêle flanqué de la table de travail et bordée sur tous les deux murs opposés d’étagères de bambou croulant sous les piles de parchemins, les copies d’estampes, divers accessoires de peinture, quelques livres sur l’art des autres Cités, de vieux pots à thé devenus réceptacles à pigments ou à crayons, à charbon ou à résine, entre autres rouleaux de tissu, branchages secs pour références et fatras d’artiste bien peu adapté à la sobriété des intérieurs ryoshimais ordinaires.
Une antre mi-policée mi-débraillée dans laquelle Akio se fondait à la perfection.
Alexander Galloway
Alexander GallowayIsvall
Messages : 165
Date d'inscription : 21/01/2023
Profil Académie Waverly
[Ryoshima] Une commande impromptue - Ft Akio Shimada EmptySam 18 Nov - 12:48
Alors qu'on lui ouvrait, Alexander reconnu sans peine le jeune homme qui accompagnait la petite demoiselle à la fleur, bien que celui-ci afficha à présent une tenue plus décontractée. Le mercenaire sentit une pointe de soulagement, au moins ne s'était-il pas trompé d'adresse. La voix un peu empâtée et une tâche d'encre sur le nez, le peintre semblait malgré tout le remettre. Il y avait tellement de gens autour de l'empereur à ce moment là qu'Alexander ne put qu'apprécier la mémoire du jeune homme.

"C'est exact", répondit-il en s'inclinant à la mode Ryoshimaise. "Appelez moi Alexander, mon nom est plus simple en Alryonnais qu'en Isvallien. A propos du théâtre, comment vous portez-vous ? Votre blessure se remet-elle correctement ?"

Pas de nom, pas de confusion. De toute façon, aucun des deux n'en aurait besoin. Sur le visage du jeune homme, son intérêt ne semblait pas feint. Il s'inquiétait véritablement de l'état du peintre, ne risquait-il pas d'avoir des séquelles ? Quelles conséquences pour sa carrière ?

"Merci," dit-il chaleureusement en suivant l'invitation de son hôte pour entrer. "Je me suis permis de vous ramener une bouteille de saké, j'espère que vous l'apprécierez."

Il était de coutume à Ryoshima de devoir insister pour qu'un cadeau soit accepté. Alexander ne comprenait pas trop cette tradition mais s'il le fallait, il insisterait les trois fois nécessaires jusqu'à ce que la quatrième fonctionne. Les cours qu'il avait prit en commun avec Mlle Arondöttir devait bien servir à quelque chose.

Retirant ses bottes, il balaya l'endroit du regard, la pièce était à la fois simple et emplie de matériel d'artiste. Cet homme semblait vivre exclusivement à travers son art. Il avisa quelques livres sur l'art étranger et cela le satisfit amplement. Les salutations d'usage faites, il suivit son hôte, le laissant le guider à l'intérieur pour qu'il puisse plus amplement échanger. Au milieu de ce décor de papier et de tissu simple, Alexander avait le sentiment d'être un ours avec son épais manteau et sa tenue étrangère.
Shimada Akio
Shimada AkioRyoshima
Messages : 124
Date d'inscription : 19/11/2022
Profil Académie Waverly
[Ryoshima] Une commande impromptue - Ft Akio Shimada EmptySam 25 Nov - 19:46
Devait-il se méfier de cet homme ?
Il en appréciait les manières, certes, dont il reconnaissait le caractère élégant, un peu scolaire mais plein de bonne volonté qui relevait souvent de l’apanage des touristes férus de culture ryoshimaise, l’excitation en moins. Sa façon de s’exprimer, de poser calmement ses gestes et sa voix témoignait en outre d’une éducation soignée, et sûrement ne manquait-il pas de confiance en soi — pourtant Akio savait que l’on ne juge vraiment une arme qu’au sang qu’elle a fait couler et non au raffinement de sa lame, aussi fut-il surpris de ne lire aucun sous-entendu derrière sa sollicitude quant à sa blessure. Surtout de la part d’un étranger à qui il n’avait même pas adressé la parole jusqu’à ce jour.

« Oh, eh bien... Elle se remet, oui, je vous remercie, annonça-t-il avec un brin d’embarras, portant par réflexe son autre main par-dessus la manche qui dissimulait ses bandages. Par miracle aucune veine n’a été touchée et la plaie a été bien nettoyée ; ce n’est l’affaire que de quelques semaines. »
Il ne précisa cependant pas que ce délai concernait le port de charges lourdes et non de simples mouvements quotidiens, car son interlocuteur n’avait sûrement que faire de ce genre de détails quand lui-même trouvait qu’il avait déjà assez accaparé l’attention. Une attention qui se reporta vite sur la bouteille d’alcool que son invité lui présenta, laquelle entérina sa première impression : ce kouros était on-ne-peut-plus au fait des coutumes locales. Et son intention, à l’aune de la marque choisie, d’importance. Mais en quel honneur un Isvallien serait-il venu requérir les services d’un artiste si peu connu hors de ses frontières, et si loin de sa patrie d’origine ?
« Vous êtes bien trop aimable, Monsieur Alexander, je ne mérite pas une telle considération... Installez-vous plutôt, mettez-vous à l’aise, je vais préparer du thé. »
S’inclinant avec navrance pour souligner ce refus tout formaliste, Akio lui désigna aussitôt après un coussin rond au sol où s’asseoir, non loin du poêle dans lequel il jeta une nouvelle bûche avant de s’éloigner en vue de remplir une théière d’eau. Il profita d’ailleurs de tourner le dos à son hôte pour remettre rapidement en place quelques mèches qu’il savait avoir batifolé durant sa sieste. Puis, lorsqu’il revint poser la théière sur le chauffage, il avisa l’air de rien le contraste que créait naturellement Alexander avec le reste de l’environnement, pareil à une gemme brute posée dans un nid de brindilles, à un château de marbre sombre au milieu d’une rizière.

Cette image s’accrocha à sa conscience tandis qu’il retourna préparer un plateau à thé avec deux tasses céladon et une petite assiette de yokan, et elle continua d’illuminer les parois de son crâne jusqu’au moment où il revint disposer l’ensemble devant le jeune homme, tout en s’excusant diligemment de l’avoir fait attendre. Là, enfin, il se permit de s’agenouiller sur le second coussin tandis qu’à l’arrière de sa cervelle ne cessaient de se bousculer les raisons qui pousseraient un étranger à faire l’effort de chercher son adresse et de lui offrir du saké. Mais la plus plausible d’entre elles lui remuait l’estomac d’une drôle de manière.
« Bien, encore toutes mes excuses pour vous avoir fait patienter. Je suis maintenant tout à votre écoute. »

Oui, c’est ça.

À bien y réfléchir, il n’y avait véritablement que ce motif pour expliquer sa présence impromptue : il était venu lui demander s’il pouvait courtiser Yosano.
Alexander Galloway
Alexander GallowayIsvall
Messages : 165
Date d'inscription : 21/01/2023
Profil Académie Waverly
[Ryoshima] Une commande impromptue - Ft Akio Shimada EmptyMar 12 Déc - 18:21
Bien évidemment son hôte refusa poliment la bouteille de saké qu'il avait apportée. Cependant, il n'allait pas lâcher l'affaire et si le peintre continuait de refuser, il l'inviterait à boire cette même bouteille. à têtu, têtu et demi.

- Permettez moi d'insister, répondit-il. Je vous ai dérangé en venant à l'improviste, je vous prie d'accepter ce cadeau comme une excuse pour cette visite imprévue.

Il s'installa sur le coussin qu'on lui avait désigné tandis que le peintre s'en allait préparer le thé. La chaleur du poêle était agréable. Elle contrastait avec le froid de l'extérieur, créant une bulle de confort dans cet univers de papier et d'esquisses. Dans cet univers étranger, le jeune homme veillait à se tenir bien droit, à genoux comme ses cours d'étiquettes ryoshimaise le lui avait enseigné. Il avait pratiqué longuement avec Mademoiselle Arondöttir pendant leur voyage en caravelle et il était presque fier d'appliquer aujourd'hui ce qu'il avait apprit.

Il sourit aimablement au peintre quand ce dernier revint vers lui, plaçant le plateau chargé de la théière entre eux.

- Je vous en prie, ne vous excusez pas pour cela, répondit-il. Je suis navré de passer ainsi à l'improviste. Avant toute chose, permettez-moi cependant de prendre des nouvelles de la jeune femme qui vous accompagnait au théâtre. J'espère que les évènements ne l'ont pas heurtée et qu'elle se porte bien.

Alexander n'avait rien à voir avec les évènements récents, jamais il n'aurait pris un théâtre en otage pour passer ses idées mais il se sentait presque responsable. Ce qui aurait dû être un moment de liesse, de rêve et de plaisir, s'était mué en ouragan et pourquoi ? Simplement parce que la situation ne changeait pas assez vite. Cette jeune femme qui avait offert une fleur à l'empereur avait dû trembler pour le peintre qui se tenait en face de lui. C'était quelque chose qui pesait particulièrement à Alexander et le frustrait terriblement.
Shimada Akio
Shimada AkioRyoshima
Messages : 124
Date d'inscription : 19/11/2022
Profil Académie Waverly
[Ryoshima] Une commande impromptue - Ft Akio Shimada EmptySam 16 Déc - 14:42
Le temps que l’eau se mît à frémir sur le poêle, Akio avisa une nouvelle fois la bouteille d’alcool que l’étranger avait placée sur la table tel le symbole de sa détermination. Si celui-ci projetait véritablement de séduire Yosano, le peintre se demandait s’il n’était pas préférable de la lui apporter ensuite, un jour prochain lorsqu’il passerait au lupanar, plutôt que de la boire chez lui en compagnie de son hôte — ou même plus tard, n’en déplaise à sa future réputation. Cependant, il craignait de lui trouver une saveur rance, aigre, nullement due à la boisson en elle-même mais induite par l’amertume qu’il sentait poindre au fond de sa gorge à la seule pensée qu’un autre homme pût, sous prétexte de conter ouvertement fleurette à la courtisane, restreindre celle-ci quant à la relation qu’ils entretenaient tous deux depuis trois ans maintenant. Car face à un prétendant d’aussi bonne facture que ce charmant prince, et connaissant l’espoir secret que nourrissait son amie de quitter un jour ce bouge raffiné auquel elle avait déjà trop donné, comment pourrait-il s’y opposer sans éprouver cette honte qui accable les amants jaloux et les égoïstes ? Pour sûr il ne saurait se regarder dans une glace.
Un détail néanmoins l’intrigua en écoutant la préoccupation de son invité à l’égard de Yosano ; le nom de cette dernière ne fut guère réclamé. Humble politesse ou désintérêt latent ? Shimada n’aurait pu se prononcer tant il manquait d’indices sur les intentions de son interlocuteur, et à son appréhension se mêla inexorablement une touche de suspicion. Cet homme ne laissait pas traîner son œil n’importe où, à l’évidence, pour s’être souvenu que l’espion et la galante étaient ensemble au théâtre malgré le fait que celle-ci se fût approchée seule de l’Empereur, et avoir ensuite déduit l’identité de celui-là d’un simple regard. Une perspicacité révélatrice d’un esprit vif, sinon aiguisé. Ainsi donc, il n’avait pas affaire à un commun des mortels.

« Ah, en effet, Yosano san s’est bien remise, oui, acquiesça-t-il avec douceur. Il y a une expression pour cela, hm... "plus de frayeur que de mal", je crois ? Mais elle a assez de courage pour nous deux, en vérité, vous avez dû vous en rendre compte : elle n’est pas du genre à se laisser accabler... »
Bien qu’il détournât son regard sur la dernière phrase, les prunelles basses et pensives, ses mots s’articulaient solides, teintés d’une estime dont on décelait sans peine toute la profondeur. S’il avait pu clamer sachez d’ailleurs que vous ne lui arrivez pas à la cheville ! sans se montrer aussi frondeur et irrévérencieux — en plus de passer pour un ridicule —, il n’aurait pas réprimé son impulsion. Au lieu de cela, il se redressa pour recroiser l’opale ciselée qui lui faisait face puis hocher la tête en signe d’entente.
« Merci pour votre prévenance. Soyez assuré que je lui transmettrai vos paroles ; apprendre que quelqu’un se soucie de sa santé lui fera certainement plaisir. »
Vrai, n’avait-il pas été le premier à s’étonner, avec agrément, qu’un inconnu comme cet Alexander s’enquiert de sa blessure ? Sur ce point-là il ne se serait pas permis de jouer les hypocrites et, s’il lui était possible de provoquer la même grâce chez sa compagne, il ne la lui confisquerait pas pour un motif aussi puéril qu’un brin d’orgueil. Après tout, rien ne laissait croire que cet éphèbe représentait un effroyable parti — d’ailleurs, si le peintre se voulait naïf en s’arrêtant à l’apparence ou à ce bref échange de politesses, il aurait plutôt pensé tout l’inverse.

En parlant de politesses, il lui en restait quelques-unes à sortir de sa manche, histoire de cerner davantage le personnage. Mine de rien, son investigation ne faisait que commencer.
« Cela dit, je suis terriblement navré que vous ayez assisté à une telle scène, Monsieur Alexander. En tant qu’étranger, c’est une bien piètre manière de découvrir une Cité que d’être impliqué dans ce genre de... manifestation de dissidence. J’espère que cela n’aura pas terni votre séjour plus que de raison. »
Ah, le petit numéro de l’honnête citoyen choqué par les démonstrations de révolte ! Il en aurait roulé des yeux jusqu’à l’arrière du crâne, s’ils n’étaient pas déjà en train de feindre un trouble innocent. À voir si le sieur allait botter en touche ou assumerait un parti-pris qui en dirait long sur son caractère — et donc sur le degré de confiance qu’Akio daignerait lui offrir.
Alexander Galloway
Alexander GallowayIsvall
Messages : 165
Date d'inscription : 21/01/2023
Profil Académie Waverly
[Ryoshima] Une commande impromptue - Ft Akio Shimada EmptySam 16 Déc - 17:03
Alexander nota dans un coin de son esprit le nom de la demoiselle et accueillit la réponse par un discret sourire. D'ordinaire, il se serait montré plus franc, peut-être aurait-il laissé échapper un soupir de soulagement, montré que la nouvelle l'enchantait, ce qui était vrai. Le geste de cette petite inconnue, son courage face à l'empereur et ses gardes, tout cela l'avait charmé. De plus, elle ne le saurait jamais mais son courage lui avait apporté des réponses que milles questions n'auraient pas suffit à lui fournir. Pourtant, ici, il se contenta d'un léger acquiescement tout en retenue. Ce n'était pas son pays, pas sa culture, y sourire trop était malaisant pour ses interlocuteurs alors il s'adaptait.

"Vous m'en voyez soulagé," répondit-il en toute mesure. "En effet, le courage est une valeur admirable. Cela dit, permettez moi de vous signifiez que vous n'êtes pas en reste, la tombée du rideau a fourni une diversion remarquable."

Il n'avait pas directement vu le peintre à ce moment là mais plus tard, dans la cohue, l'évacuation des prisonniers et du blessé, il avait repéré le duo. Ses oreilles traînants au bons endroits lui avaient apporté le reste des informations nécessaires.

"Je vous remercie," reprit-il après que le jeune peintre lui ai promis de transmettre ses préoccupations.

Il hésita un court instant, marquant une légère pose, comme si son esprit s'attardait sur une idée avant de se remettre en marche.

"Pourriez-vous lui transmettre également une proposition de ma part pour vous deux ?" demanda-t-il. "Cette soirée aurait dû être l'occasion d'un divertissement, permettez moi de vous offrir les places pour une seconde représentation ou un autre évènement qui vous plairait à tous deux."

Un sourire aimable pour une offre peut-être bien trop généreuse mais il s'en moquait éperdument. Depuis les évènements, il bouillonnait de rage. Des innocents avaient été menacés, pris en otage, le rêve de jeunes gens avait été piétiné. Il n'y avait pas que des nobles, des riches et d'affreux dirigeants dans ce théâtre. Il y avait avant tout des gens, avec une vie plus ou moins rude, des idées probablement divergentes, seulement unis ce jour pour sortir de leur quotidien. Et Yosano-san en était l'exemple. Peu avant d'entrer dans les loges, il avait vu une fille du peuple braver des gardes pour honorer un empereur, un geste sincère, peut-être maladroit mais pur et personne sur l'ensemble des blocs n'avait le droit de toucher à cela. Il aurait aimé réparer. Pour tout ceux pour qui le spectacle avait été gâché, qui n'avaient même pas eu le frisson d'adrénaline et de victoire qu'avaient pu éprouver les soeurs York à ses côtés, qui avaient seulement subi. Alexander n'avait pas les moyens d'organiser une nouvelle représentation, ni d'inviter tout le monde mais il avait là devant lui une personne en lien avec cet évènement. Réparer pour deux personnes, c'était peut-être déjà bien non ?

Il leva une main pour signifier qu'il n'y avait aucun mal à son interlocuteur avant de lui répondre.

"Oh non, ne vous en faites pas, chaque nation connait ses problèmes, il ne me viendrait pas à l'esprit d'arrêter mon jugement après une escarmouche. De plus, les dissidences où qu'elles soient naissent pour une raison," poursuivit-il avec un léger haussement d'épaule. "L'objectif à avoir est d'en connaître la cause et agir en conséquence."

Après tout, il n'y avait pas de fumée sans feu. Aux dirigeants d'identifier le départ de l'incendie et de prendre les mesures nécessaire pour apaiser les flammes et la colère d'une population. En parlant de flammes, celle qui brillait dans l'oeil d'Alexander était d'un bleu intense, ardente et insatiable. Il prit une gorgée de thé, en savourant la saveur pendant une courte seconde puis reposa la tasse.

"Enfin, toutes mes excuses, je ne suis pas venu pour vous tracasser à propos des récents évènements, reprit-il avec un ton plus léger. En vérité, j'aimerais bénéficier de vos talents de peintre pour une oeuvre toute particulière."

L'oeil vif, il guetta la réaction de son interlocuteur. Les choses avançaient, restait à savoir si l'homme en face lui était l'artiste qu'il lui fallait.
Shimada Akio
Shimada AkioRyoshima
Messages : 124
Date d'inscription : 19/11/2022
Profil Académie Waverly
[Ryoshima] Une commande impromptue - Ft Akio Shimada EmptyMar 19 Déc - 11:58
Dans l’attente de la réponse de son vis-à-vis, l’esprit d’Akio revint à la proposition que celui-ci lui avait faite de le dédommager pour la soirée gâchée du théâtre. Et comment expliquer qu’il n’en saisissait ni les tenants ni les aboutissants ? Pourquoi un étranger, sans lien aucun avec l’institution, en aucun cas responsable de la moindre incartade et faisant au contraire montre d’une politesse à en pâmer les autochtones, se proposait-il ainsi de leur offrir une distraction ? Était-il si riche et si charitable pour répandre de la sorte sa compassion sur les petites gens ? La bouteille de saké et maintenant ça — c’est dire combien il la désirait, Yosano ! Sans même écarter le peintre de l’équation, en plus, preuve supplémentaire qu’il était décidément bon prince. Ou peu enclin à l’exclusivité.
Oh.
Serait-il possible qu’il se fût fourvoyé sur le véritable enjeu de cette rencontre ? Non non non. Son imagination menaçait de l’emporter beaucoup trop loin, il devait la brider, vite.

Heureusement pour lui, le sujet des révolutionnaires lui permit de chasser ses interprétations fantaisistes ; ainsi donc, le sieur avait opté pour la botte en touche, saupoudrée d’un relent de pragmatisme qui ne niait guère la possibilité d’un changement en amont, et non seulement une répression en aval. Intéressant. Révélateur d’une inclination politique que l’espion avait soupçonné, de surcroît. Bien. Il aurait le loisir de continuer à ferrer lentement au fil de la discussion — et hocha la tête en douceur afin de signifier qu’il avait entendu tout en s’abstenant d’approfondir quoi que ce fût.
« Rares sont les personnes capables de prendre rapidement un recul si lucide sur les incidents dans lesquels elles ont été impliquées. C’est tout à votre honneur, Monsieur Alexander. »
S’il avait su à l’instant que Shimada pouvait entretenir des affinités avec ces transfuges, qu’aurait été sa réaction ? Comment aurait-il agi en conséquence ? Il était presque tentant de l’apprendre ; la clémence ou la condamnation ? En portant un morceau de yokan à sa bouche, l'espion songea qu’à sa place, la réponse était déjà toute trouvée.

Il ne releva le regard pour croiser le brasier bleu qu’à l’instant où celui-ci se décida à lui révéler son objectif premier, dissipant par là même la brume de conjectures dans laquelle Akio s’était égaré depuis le début. Sur sa langue, l’arôme de la friandise aux haricots sembla tout à coup s’adoucir, aussi sucré qu’un bonbon au miel, tandis que son cerveau affichait en pensée les gigantesques lettres calligraphiées du mot I D I O T. Il en aurait soupiré de soulagement s’il n’avait pas déjà exprimé sur son visage la surprise la plus primesautière, la tête penchée avec curiosité et les prunelles luisantes d’attention, avivées par l’objet de sa prédilection.
« Eh... particulière ? »
Le genre de termes qui recèle autant de possibilités fantasques que d’intentions séditieuses. Au vu des quelques informations qu’il avait été en mesure de récolter de leurs premiers échanges, le peintre n’avait que l’embarras du choix sur le mobile de cette demande : un souvenir de Ryoshima à rapporter chez lui, un présent à offrir à une dame — sans alliance au doigt ou autour du cou, il en avait déduit que l’homme n’était pas marié —, un ancien ouvrage abîmé qu’il souhaitait restaurer ou faire reproduire, son propre portrait à l’encre dans un style purement vernaculaire ? Autre chose ? Allait-il devoir déployer des trésors d’inventivité pour mener à bien cette commande ou lui laisserait-on le champ libre pour explorer le sujet ? Malgré lui, il tressaillit d’intérêt et baissa le front pour contenir ses questions derrière un écran de déférence.
« Puisque vous vous êtes déplacé jusqu’ici, j’espère être à la hauteur de vos attentes... Il est vrai que je n’ai ni le talent ni la notoriété des grands artistes de la Cour comme Geshirohi sensei ou Teikuga sensei, mais si votre requête est réalisable, je ferai tout mon possible pour que vous en soyez satisfait. »
Alexander Galloway
Alexander GallowayIsvall
Messages : 165
Date d'inscription : 21/01/2023
Profil Académie Waverly
[Ryoshima] Une commande impromptue - Ft Akio Shimada EmptyDim 7 Jan - 17:21
Alexander accueillit le compliment d'un signe de tête. Il n'avait pas besoin d'en dire plus. Sa vie était faite de ces escarmouches. Les accrochages et les embuscades étaient presque son quotidien mais cela lui seul avait besoin de le savoir.

De toute manière, la conversation se portait à présent sur la raison de sa venue chez le peintre. En dépit de la réserve étudiée de ce dernier, il devina qu'il avait piqué son intérêt. Un mince sourire étira les lèvres d'Alexander.

"Votre intérêt pour ma demande m'honore," répondit-il.

Il tira de l'intérieur d'une poche de son veston un médaillon attaché à une fine chaîne d'argent. Ce n'était qu'un simple ovale fermé par un minuscule loquet qui cliqueta lorsque le jeune homme l'ouvrit du bout du doigt. Il tendit le bijou au peintre, révélant le portrait d'une femme à l'intérieur. Elle avait une trentaine ou une quarantaine d'années, les traits tirés par des années d'une vie qui ne l'avait pas épargnée mais son port demeurait grâcieux. Son regard brillait d'une touche de mélancolie que l'artiste avait su rendre. Sa tresse rappelait les couronnes que portaient les femmes d'Isvall.

Alexander posait un regard doux sur cet objet alors qu'il laissait son interlocuteur détailler l'oeuvre cachée à l'intérieur. Il se souvenait de ce jour où il avait réussi à convaincre sa mère de réaliser ce portrait. Il avait travaillé tout un été pour payer l'artiste et il l'avait emmenée sans qu'elle sache où elle allait pour lui faire la surprise. Il se souvenait de ses mains posées sur ses paupières, de l'instant où il les avait retirées et de son visage tandis qu'elle découvrait l'atelier.

"C'est malheureusement le seul portrait que j'ai à disposition et je n'ai pu le faire réaliser que tardivement," s'excusa-t-il. "Sauriez-vous vous inspirer de ce visage pour un tableau dans le style des maître alryonnais ? Et sauriez-vous le rajeunir ? Lui donner l'éclat de ses... vingt ans dirons nous ?"

Le mercenaire laissa l'artiste étudier l'oeuvre à loisir. Il préférait lui laisser le temps en espérant que ce peintre soit le bon.

"Si je puis ajouter une excentricité à ma requête," dit-il d'un ton doux. "Il sera nécessaire que ce tableau ne soit pas signé."

Pour épargner le peintre entre autre mais aussi pour que personne ne puisse remonter jusqu'à l'oeuvre et à son commanditaire. Affichant un calme étudié, Alexander attendait la réponse. Il ne restait à monsieur Shimada de voir s'il souhaitait pour quel sang la lame de l'étranger avait été forgée.
Shimada Akio
Shimada AkioRyoshima
Messages : 124
Date d'inscription : 19/11/2022
Profil Académie Waverly
[Ryoshima] Une commande impromptue - Ft Akio Shimada EmptyLun 8 Jan - 21:04
Sa démonstration d’humilité ne sembla guère déranger son invité, dont l’expression satisfaite continuait d’éclairer le visage d’un charme discret. Que celui-ci n’ait pas rebroussé chemin jusqu’à présent confortait Akio dans l’idée qu’il n’était pas venu ici par hasard, ou tout du moins sans connaître un minimum les usages des artistes de la Cité, et qu’il avait écarté d’emblée les plus réputés de ses maîtres — probablement par modestie davantage que par souci pécuniaire, sachant l’exigence toute spécifique de sa requête. Sans doute un peintre de moins grande envergure, plus souple dans son art comme dans son jugement, lui apparaissait une alternative judicieuse au refus dédaigneux qu’il aurait pu récolter de la part des pontes de la profession. Et avec trois zéros en moins sur la facture, aussi.
En vérité, peu importait à Shimada la raison pragmatique ou même sentimentale de cette demande ; l’aspect artistique demeurait la première de ses réflexions. Car à découvrir le portrait miniature que lui tendit Alexander, il fut bien en peine d’y trouver la moindre résonance avec le style ryoshimais, de près comme de loin, et ce malgré le fait qu’il pouvait apprécier toute la finesse de cette petite peinture, pensée comme un bijou autant dans son écrin final que dans sa réalisation, d’une préciosité infinie. Cela, couplé à la tendresse qui couvait dans l’œil d’azur de son vis-à-vis, donna à l’espion un indice quasi immédiat quant à la relation entretenue entre les deux étrangers et l’identité de cette femme aux traits élégants. Il continua de l’étudier avec attention, penché au-dessus de son thé, tout en écoutant son futur client lui exposer plus en détails l’objet de sa commande, sans laisser paraître lui-même ce qu’il en pensait. Pourtant, il en aurait eu, des choses à dire ! De loin était-elle la plus étrange des requêtes qu’on eût pu lui adresser — excentrique, oui, le terme correspondait parfaitement — jusque dans l’absence de signature, telle une précaution saugrenue ou un intransigeant caprice. Certes, il existait en ce monde des personnes capables de reconnaître, grâce à une acuité exceptionnelle, l’origine d’une toile quelle qu’elle fût, mais encore fallait-il que son nom soit connu au-delà des frontières de Ryoshima, en pays alryonnais, et cela, il en doutait fortement. Ainsi donc il comprenait mieux la présence d’Alexander dans son logis : au-delà d’un quelconque attrait pour son travail de peintre autochtone, il souhaitait rendre l’œuvre la moins identifiable possible, brouillant autant que faire se peut les pistes autour de sa création.
Ah.
Akio sentit un crochet de fer lui hameçonner l’encéphale — il était pris.

« C’est une magnifique peinture qui doit beaucoup à la beauté de son modèle, complimenta-t-il pendant qu’il reprenait position, copiant par empathie la douceur de ton du jeune homme. Est-ce votre mère ? »
Simple déduction ; une blondeur identique, un âge plus prononcé, ce regard plein d’affection. Il se serait fourvoyé qu’il en aurait été le premier surpris. Et s’empara de sa tasse pour en prendre une gorgée avant de poursuivre, une fois la réponse obtenue :
« Hm... Vous l’aurez deviné, l’art ryoshimais ne partage guère de similitudes flagrantes avec celui d’Alryon, tant dans ses techniques de prédilection que dans ses motifs et les différentes écoles qui y sont liées. Pour parfectionner le style des maîtres alryonnais dont vous parlez, il faudrait en probable, disons, dix ans d’apprentissage auprès d’un peintre de renom..? » Il laissa volontairement un silence suspendu, concerné, avant de le briser d’un sourire en coin. « ...Enfin, cela n’est valable que pour les élèves rigoureux et dociles qui ne jurent que par l’art de Shiratsuki ou les modèles classiques de l’école Tōsei. Quand on a la chance d’apprendre sans règles, toute influence est un monde à explorer. Oh, attendez voir... »

Ce disant, Akio se remit debout afin de se rapprocher des étagères où il entassait son matériel et ses ouvrages d’art glanés chez des bouquinistes depuis son retour à la capitale. Son index oscilla entre plusieurs livres étrangers, pour beaucoup des recueils d’œuvres couvrant les 150 ans après Dislocation, d’autres étant davantage portés sur la pluralité des pratiques artistiques. Entre les pages, de nombreux feuillets volants attestaient les exercices que le peintre s’était appliqué à réaliser afin de capter l’essence des différentes techniques, parfois très éloignées de l’encre sur papier de riz qu’il affectionnait cependant sincèrement. Il en découlait des mille-feuilles composés pour moitié d’esquisses et brouillons et pour l’autre des véritables pages du livre en question.
« Ah, ce doit être là-dedans... »
L’ouvrage, épais de presque trois centimètres, débordait de papiers dont certains s’échappèrent au sol alors que le peintre revenait s’asseoir près de la table basse, sur laquelle il se mit à feuilleter bientôt ces trois ans d’archives — avant cela, avant son retour en ville, il n’existait plus rien de ses travaux sinon quelques brouillons rescapés entre les mains de va-nu-pieds et de paysans croisés en chemin, peut-être détruits ou perdus depuis — nulle trace de son passé. Au chapitre « Traits et portraits », il retrouva, jaugea puis tira quelques-uns des résultats les plus appropriés, qu’il étala ensuite aux yeux d’Alexander.
« Voici ce qui pourrait s’approcher le plus de votre souhait... bien entendu, en y ajoutant de la couleur sur une véritable toile, cela va de soi : ceux-là ne sont qu’au charbon. Mais dans le style pur alryonnais, c’est ce que j’ai de plus égal... heu, équival..? à vous présenter. »
Les œuvres ainsi dévoilées, pour toutes modestes qu’elles fussent, représentaient des jeunes femmes indigènes croquées dans différentes postures, souvent en repos ou indifférentes à l’artiste qui les admirait ; sur la plupart des feuilles on pouvait reconnaître Yosano grâce à la blancheur de son œil invalide que, bien qu’elle tentât de le dissimuler sous sa chevelure, Akio prenait un plaisir délicat à mettre en valeur, entre autres détails de sa figure de nacre. Certaines avaient d’ailleurs été rehaussées de touches de pastel a posteriori, mais sans jamais donner une sensation d’achevé. À l’évidence, toutes ces filles étaient collègues, et l’éventail de représentations en disait long sur les occupations du peintre lorsqu’il se rendait dans cette maison de courtisanes — de loin le meilleur repaire pour y dessiner des modèles vivants. À se replonger lui-même dans ces croquis, il en éprouva un curieux émoi qu’il mit sur le compte de l’incident au théâtre.
Vrai, à quand remontait la dernière nuit passée à dessiner Mizuki ?


Spoiler:
Alexander Galloway
Alexander GallowayIsvall
Messages : 165
Date d'inscription : 21/01/2023
Profil Académie Waverly
[Ryoshima] Une commande impromptue - Ft Akio Shimada EmptyVen 12 Jan - 17:59
Le peintre examina longuement le médaillon et l'oeuvre qu'il renfermait. Alexander devinait que son attention n'était pas feinte. On n'était plus sur l'intérêt poli de ces gens qui lisaient scrupuleusement une carte de visite quand on la leur remettait, mais sur une observation toute professionnelle. Cela plu au jeune homme et ce d'autant plus que ces demandes n'avaient pas fait sauter maître Shimada au plafond. Il accueillit le compliment concernant le portrait d'un léger sourire.

"En effet,"
répondit-il avec une certaine douceur tout en reprenant le médaillon.

Le bijou se referma avec un cliquètement discret dans le creux de sa paume tel un secret chéri que l'on ramenait à soi. Alexander calquait son attitude sur celle du peintre, la délicatesse de ce dernier dictant sa propre délicatesse.

Il écouta attentivement monsieur Shimada tandis que ce dernier lui exposait les difficultés d'une telle réalisation, attendant patiemment le "mais". Comment savait-il qu'il arriverait ? Une intuition ou plutôt une observation. L'intérêt quant à sa requête, l'acceptation radicale de sa demande de ne pas signer l'oeuvre. N'importe quel artiste aurait relevé ou refusé purement et simplement, il était prêt à se confronter à ce genre de réaction et voilà qu'elle ne venait pas.

Et la nuance vint. Dans un sourire en coin, dans une très légère étincelle dans le regard, dans la délicatesse des mots choisis avec autant de soins que les fleurs d'un bouquet. Un mince sourire étira en retour les lèvres d'Alexander alors qu'il comprenait.

L'artiste se leva alors pour fouiller dans ses archives. Alexander en profita pour achever sa tasse de thé qu'il reposa sur le plateau au moment où son interlocuteur revenait pour lui présenter différents croquis. Avec un intérêt non feint, le jeune homme les étudia. Un demi sourire plana sur ses lèvres alors qu'il reconnaissait la demoiselle du théâtre. Le crayonné était élégant et racontait une myriade d'histoires. Chacune des femmes représentées était un récit. Dans une délicate et poétique narration, le crayon esquissait ces héroïnes sortant d'un quotidien difficile pour se changer en muses. L'inachevé rendait plus vivantes encore ces esquisses. Elles n'avaient rien des tableaux de maître simplement parce qu'elles n'étaient pas figées dans le temps et la peinture. Les lignes fuyaient, s'entremêlaient, invitant au souvenir ou à l'imagination, replongeant dans ce moment où la pose avait pris fin, où le mouvement était revenu et que la muse était redevenue femme.

"C'est absolument parfait,"
répondit Alexander.

Et il était sincère. Il y avait une touchante vérité dans ces croquis et quelque soit l'objectif de ce tableau, il n'envisageait pas une seconde qu'il ne soit pas un hommage à une femme exceptionnelle.

"Si je puis me permettre une dernière requête et si vous acceptez ma demande, bien évidemment," reprit-il en restituant les feuillets à leur auteur. "N'en faites pas le tableau d'une noble ou d'une princesse, qu'elle ait le visage du peuple, d'une servante qu'on ne voit jamais. Je sais que vous saurez lui donner la véritable noblesse qui lui sied."

Celle du coeur, celle de l'esprit, celle qu'avaient tout ces gens qui travaillaient chaque jour, qui se dévouaient pour des causes qui les dépassaient. Celle d'une mère capable de sacrifier sa vie pour son enfant à naître. La noblesse de ceux qui apporteraient le changement un jour.
Shimada Akio
Shimada AkioRyoshima
Messages : 124
Date d'inscription : 19/11/2022
Profil Académie Waverly
[Ryoshima] Une commande impromptue - Ft Akio Shimada EmptyMar 16 Jan - 21:07
Le verdict d’Alexander, pour bref qu’il fût, suffit à Shimada. Lui ne recherchait ni les effusions flatteuses ni les dithyrambes, surtout face à de modestes croquis — il aurait eu l’impression que l’on exagérait, d’une fausseté. Absolument parfait, de la part de quelqu’un qui ne connaissait sans doute pas grand-chose de l’art sinon sa propre perception des belles choses, voilà qui lui convenait en soi, il n’avait besoin de rien de plus. Rien, contrairement à son vis-à-vis qui, non satisfait d’être à l’origine d’une légère rougeur sur les pommettes de l’artiste, s’octroya une ultime exigence qui manqua de faire sourire ce dernier ; ne venait-il pas de présenter pour modèle des belles de nuit esquissées dans ce qu’elles avaient de plus trivial, de plus vulgaire au sens premier, pour en révéler des grâces qu’aucun sang bleu ne saurait jamais leur prodiguer ? Dommage que son orgueil inexistant ne lui eût permis de souligner qu’il était à l’évidence le plus qualifié de Ryoshima pour répondre à cette dernière exigence. Tandis qu’il levait la main pour récupérer les feuilles qu’Alexander lui rendait, il se fendit néanmoins d’un trait littéraire, comme pour donner raison aux expectatives de son dorénavant — presque, à quelques détails près — client :
« Un poète a dit un jour : "Aucune femme n’est invisible, à qui sait les admirer." Même si j’ajouterai que cela est valable pour n’importe qui : cette noblesse dont vous parlez, la seule qui vaille vraiment, est celle de l’âme, et quand on sait la reconnaître... »
La pression de ses doigts sur le papier s’accentua imperceptiblement, juste avant qu’il ne range la liasse à son précédent emplacement, tout en agitant la tête avec embarras.
« ...Eh, je digresse, veuillez m’excuser... » Puis referma l’ouvrage et y plaça les deux mains croisées en évidence, tel le plateau sur lequel tout allait à présent se jouer. Quand il cessa enfin de remuer, son regard ne se troublait plus à l’évocation de lointains souvenirs, ses joues avaient repris leur teinte polie et sa voix, jusqu’à présent volontiers badine, s’était posée comme une pierre dans le lit d’un ruisseau. « J’ai bien entendu votre requête et, si vous croyez que je suis le peintre qu’il vous faut pour la réaliser, je consens à toutes vos exigences afin de vous satisfaire du mieux que je puisse. » Alors, sans frisson ni gêne, il leva les trois doigts de sa main dextre. « J’y joins cependant trois conditions en retour, une pour chacune des vôtres.»
Dès qu’il sentit qu’il avait l’attention d’Alexander, et non pas son refus radical et immédiat, il replia l’annulaire. Primo.
« Puisqu’il ne semble exister aucune autre référence que la petite peinture que vous possédez, il me faudra la conserver jusqu’à ce que je termine le portrait. Loin de moi l’envie de vous en priver, soyez-en certain, et je vous jure que j’en prendrai soin comme si j’étais vous, mais elle me sera indispensable... »
Il avait commencé par la plus évidente des interrogations, afin de mettre son interlocuteur en confiance. Pour sûr, s’il ne l’avait pas réclamée à ce moment, celui-ci lui aurait sûrement confié le bijou sur le seuil de la porte, ou un peu auparavant, tant l’idée tombait sous le sens qu’on n’attend pas d’un artiste qu’il dresse le portrait criant de vérité d’un inconnu tout en se trouvant dépourvu de modèle.
Alexander Galloway
Alexander GallowayIsvall
Messages : 165
Date d'inscription : 21/01/2023
Profil Académie Waverly
[Ryoshima] Une commande impromptue - Ft Akio Shimada EmptyVen 19 Jan - 10:37
Lorsqu'on était mercenaire, lorsqu'on se confrontait au danger chaque jour, il était nécessaire d'apprendre à lire l'instant présent. Celui où la victime devient un adversaire, celui où le client décide de vous faire taire, celui où le peintre propose un marché. L'oeil d'Alexander s'alluma.

L'homme doux dont les mots étaient un flot de politesse venait de changer, révélant une tranquille assurance. Sa voix était posée, ses mots calculés. Il plaçait ses pions sur le jeu de leur échange. Comme c'était singulier... Il était venu embaucher un peintre, à présent la discussion virait au pacte d'un de ces contes isvalliens que sa mère lui narrait le soir avant de dormir. Devait-il s'en étonner ? Pour agir comme le peintre avait agi avec sa compagne au théâtre, il fallait être quelqu'un de singulier. Alexander aimait les personnes singulières.

"Je vous écoute," répondit-il.

La première demande était une évidence. Le jeune homme devina sans peine qu'elle avait pour but de ne pas le rebuter et surtout de ne pas essuyer un refus immédiat. Le peintre était un homme prudent, c'était intéressant.

Alexander récupéra le médaillon qu'il venait de ranger. Sa main le pressa un court instant comme pour lui dire au revoir. Cela faisait partie du jeu. Il le posa entre eux deux, bien en évidence.

"Il ne me serait pas venu à l'idée de ne pas vous le confier," répondit-il sans lâcher son interlocuteur du regard. "Quelles sont les deux autres conditions ?"
Shimada Akio
Shimada AkioRyoshima
Messages : 124
Date d'inscription : 19/11/2022
Profil Académie Waverly
[Ryoshima] Une commande impromptue - Ft Akio Shimada EmptyLun 22 Jan - 21:30
Alexander avait donné son accord, sans même paraître hésiter ; l’instant qu’il prit pour refermer ses phalanges sur le pendentif ne trahissait ni méfiance ni regret, seulement une bribe de cette tendresse qu’il avait naguère exposée. Cela ne constituait pas une victoire en soi, plutôt une évidence partagée entre deux individus qui testaient leur entente comme on teste la température d’un bassin. Se jeter à l’eau tout de go n’était valable que pour les irréfléchis et les imbus — ce qu’ils n’étaient ni l’un ni l’autre.
Les prunelles d’Akio dévalèrent sur le reflet métallique de l’objet, cet écrin raffiné que l’on identifiait tout de suite comme exotique dans cette contrée qui jure d’abord par le bois laqué et la corne. Mais il n’y toucha pas. Il ne fit même pas mine de vouloir la rapprocher, car il laissait à son invité le droit de la reprendre en signe de refus, si jamais les deux autres conditions venaient à lui déplaire. La seconde, d’ailleurs, vint éclore entre eux tandis que le peintre repliait son majeur, reprenant avec la même douceur minérale :
« Votre confiance m’est aussi précieuse que ce bijou, Monsieur Alexander. Nous n’avons cependant pas encore évoqué la rémunération pour cette œuvre, eh bien, comme vous disiez, particulière. » Loin de lui l’idée de lui reprocher ses exigences, au contraire ; il ne faisait que souligner, par itération, la propre singularité de cette commande, à la hauteur de ce qui allait suivre. « Plusieurs choses me laissent à penser que vous n’êtes pas le moins fortuné de mes clients et, au regard de votre bonté lorsque vous m’avez proposé un dédommagement un peu plus tôt pour Yosano san et moi-même, j’ose croire que vous serez tout à fait capable d’y mettre le prix si le résultat le vaut. Néanmoins, l’argent ne m’intéresse que peu, sans quoi je serais devenu commerçant... »
Il eut un haussement d’épaules amusé rien qu’à se visualiser en marchand de n’importe quoi — sa boutique aurait fait faillite en trois jours à peine, faute d’être rentable, et il aurait mis clef sous le seuil pour retourner à ses dessins de rue.
« Considérez cette peinture comme un service rendu... en échange d’un autre service. Un qui ne vous engagera qu’une seule et unique fois : je n’en userai pas davantage. Et dans la mesure de ce que vous êtes capable, cela va de soi. Mais si à une date future, et pour quelque raison que ce soit, il me faut trouver de l’aide... j’aimerais pouvoir compter sur vous. »
Qu’importe la véritable identité de ce sieur des neiges, noble ou non, riche ou pas — un allié de plus, ne serait-ce que pour régler une broutille, est toujours appréciable. Et si l’allure impeccable de cet homme s’accordait à la solidité de sa parole, contracter un serment auprès de lui aurait probablement son utilité, à l’avenir.
Alexander Galloway
Alexander GallowayIsvall
Messages : 165
Date d'inscription : 21/01/2023
Profil Académie Waverly
[Ryoshima] Une commande impromptue - Ft Akio Shimada EmptyMar 23 Jan - 16:07
La seconde condition fut énoncée sur le même ton. Une seconde pièce posée sur le plateau, particulièrement intéressante. Alexander l'examina attentivement.

La clause était juste. Il la soupesa un bref instant dans son esprit. Il n'en était pas à ce que pourrait lui demander le peintre. Une aide financière ? Un contact ? Une protection ? Autant de choses qu'il pourrait se débrouiller pour fournir. L'avantage de son métier en quelque sorte. Toutefois, il ne prenait pas cette demande à la légère. Un peintre ordinaire aurait donné son prix et accepté la commande ou l'aurait refusée. Maître Shimada n'était pas un peintre ordinaire et il tardait presque à Alexander de découvrir en quoi.

"Un oeil pour un oeil," répondit-il songeur.

Son regard vint chercher celui du peintre avec cette même sincère confiance qu'il savait afficher.

"J'accepte cette contrepartie en échange de ma requête," s'engagea-t-il. "Vous pourrez comptez sur moi et j'agirai dans la mesure de mes moyens et à votre discrétion."

Parole contre parole mais une promesse était une promesse. Si le peintre se tenait à la sienne, lui tiendrait son engagement. Il laissa un instant les mots résonner entre eux puis reprit sans se départir de son sourire.

"Et votre troisième condition ?"
Shimada Akio
Shimada AkioRyoshima
Messages : 124
Date d'inscription : 19/11/2022
Profil Académie Waverly
[Ryoshima] Une commande impromptue - Ft Akio Shimada EmptyJeu 25 Jan - 13:46
À la liste non-exhaustive — et d’ores et déjà étonnamment longue — des qualités de cet Alexander, Akio se vit rajouter une touche d’humour dont la subtilité dénotait un esprit coutumier des joutes verbales, ou tout du moins rompu à l’exercice des réparties fines et acérées. Si sa carrure en disait d’ailleurs beaucoup sur sa condition physique, force est de constater que l’intelligence ne lui faisait pas défaut, et qu’il prît le temps de la réflexion avant d’accepter ce marché était de loin préférable à un accord immédiat et aveugle aux conséquences. Après tout, nonobstant sa posture actuelle de donneur d’exigences, le peintre savait qu’il ne se trouvait pas en position dominante : ce fils attentionné était des plus capables de couper court à l’échange et d’aller voir un autre artiste, comme il en existait des centaines à travers le bloc, moins regardant, plus docile.  Moins épineux. Au-delà de ça, Shimada devait se contenter d’une parole donnée, un serment oral qui n’engageait qu’eux-même, dans le secret de cette masure en bordure du centre historique, quand rien hormis son ressenti ne lui promettait que son vis-à-vis honorerait cette dette en temps voulu. Il l’espérait simplement. Dans leur intérêt à tous les deux.

Toutefois, cette deuxième requête gagnée lors de cette partie presque amicale lui mettait du baume au cœur et il s’empressa de noyer son sourire derrière ses paupières closes en signe de reconnaissance.

« Ma troisième condition... » qu’il répéta en repliant l’index avant de reposer la main entière sur la table, ce qui pouvait donner la fausse impression qu’il en cherchait encore la teneur alors qu’il l’avait dénichée bien plus tôt. « ...est d’obtenir une réponse à mon interrogation. Voyez-vous, le fait de demander à un peintre de ne pas signer son œuvre peut être apparenté à une forme d’affront, car aux yeux du monde on le destitue de sa propre création, du fruit de son travail auquel il a consacré temps et âme. Les seules raisons qui pousseraient un client à exiger cela sont soit une bêtise des plus arrogantes... ce dont je ne vous crois pas affligé, bien au contraire... soit une intention protectrice. Et si je peux me montrer honnête sur ce point, que vous teniez à effacer mon existence ne me dérange pas vraiment. Là n’est pas le souci. » Ou, tourné autrement : Cela m’arrange, si vous voulez tout savoir — l’habitude, vous comprenez. « Mais dans le cas où la paternité de cette toile me mettrait en danger d’une quelconque façon, ou que son véritable destinataire constituerait une menace de quelque nature, il m’est préférable d’en connaître l’identité. »

Sur le même modèle que la thématique des révolutionnaires du théâtre Fujinokawa ; allait-il louvoyer et éluder la réponse sous couvert de cette fameuse protection à propos de laquelle Akio espérait ne pas s’être trompé, ou bien ce secret-là ne valait-il finalement pas tant de mystère ?
Alexander Galloway
Alexander GallowayIsvall
Messages : 165
Date d'inscription : 21/01/2023
Profil Académie Waverly
[Ryoshima] Une commande impromptue - Ft Akio Shimada EmptyJeu 25 Jan - 14:53
Une nouvelle flamme s'alluma dans l'oeil d'Alexander. Le bleu de son iris crépitait intensément. Ce n'était ni pas un brasier de fureur, ni une flambée d'offuscation. C'était un embrasement exalté, la couleur de l'adrénaline qui dansait dans son regard. Le lionceau d'Isvall fit un instant surface, pointant le bout de son museau sous le masque de l'excentrique commanditaire.

Au fond de lui, une certaine Astrance York lui répétait d'être discret, de procéder pas à pas. Il chérissait cette voix et la trouvait de bon conseil la plupart du temps. L'aînée des York avait toujours raison quand il s'agissait de naviguer dans les hautes sphères mais ici, dans une masure de bois et de papier, sur un bloc étranger, la raison de la noblesse avait-elle encore son poids ?

Le peintre avait saisi bien des choses à lui tout seul. Alexander appréciait la vivacité d'esprit et la respectait profondément. Du bout des doigts, le jeune homme reprit le médaillon pour l'élever entre eux, son regard s'égarant un court instant sur la finesse de la chaîne. Si petite, si délicate et pourtant si semblable à celle qu'il accrocherait à la conscience de l'artiste s'il s'ouvrait à lui. Son oeil revint se river dans ceux d'Akio et un sourire étira ses lèvres.

"La vérité est dangereuse, maître Shimada," ronronna-t-il.

Dans cette seconde figée, les engrenages de son esprit tournaient à toute vitesse. La balance penchait d'un côté et l'autre, cherchant son équilibre. Donner un nom ou se taire ? Se lever et partir ou bien plonger un peu plus dans cette oeuvre qu'ils peignaient à deux ? Quelles couleurs prendraient-elles ? Le bleu du rejet, le jaune de l'incertitude, le mauve des secrets ou bien l'écarlate du sang ? Quel nom donnerait-on à ce tableau ? L'étranger et le ryoshimais ? Le lion et le renard ? Serait-ce une fable ou une légende ? Une tragédie peut-être ? Les gens s'interrogeront probablement dessus plus tard, allant de leurs théories sans se douter que la seule vérité se trouve dans la tête des artistes.

Dans un geste mesuré, Alexander reposa le médaillon entre eux. Il énonça les mots lentement, sans heurt. Et ces derniers résonnèrent avec la clarté et la gravité des cloches d'un temple.

"Son Altesse Royale Nathaniel Blackwood d'Alryon."
Shimada Akio
Shimada AkioRyoshima
Messages : 124
Date d'inscription : 19/11/2022
Profil Académie Waverly
[Ryoshima] Une commande impromptue - Ft Akio Shimada EmptyVen 26 Jan - 13:10
Si Akio n’était pas l’inoffensif peintre qu’il prétendait être, Alexander n’était pas non plus de ces anodins mécènes pour qui l’art est par essence détaché de toute contingence militante, sociale, politique. La question trahit son arrière-pensée — elle éclaira quelque chose que le Ryoshimais pressentait sans pouvoir mettre le doigt dessus, une ombre au tableau qui venait en une fraction de seconde de s’embraser, bleu flamme dans l’œil de l’Isvallien. Faisant oublier à Shimada, dans ce même temps, la tension de leur échange au profit d’une réflexion tout artistique sur la meilleure manière de reproduire en peinture une telle nuance d’azur. L’indigo est trop sombre, le céruléum parfois trop vert ou trop dense. Il faudrait pouvoir extraire le pigment à même le cœur d’un glacier puis le raffiner au brasier d’une forge pour obtenir ce bleu-là, ce pur iris de larimar. Cet éclat songeur prit cependant fin lorsque Alexander pencha le buste pour reprendre le médaillon en silence, et face à ce geste éloquent Akio sentit une aiguille de déception se ficher entre ses côtes ; était-ce donc ici que s’interrompait leur discussion ? Avait-il franchi cette ligne à ne dépasser sous aucun prétexte, celle que ce fils s’était promis de taire envers et contre tout ? Il existait pourtant d’autres voies possibles — le mensonge, le camouflage, l’omission — mais lui, trop intègre sûrement pour s’adonner à ces fourbes mesquineries, préférait repartir sans céder plutôt que de dévoiler ce secret-là. Enfin...
Il aurait pu, repartir. Il n’en fit rien. Et cette gemme ardente de revenir briller sur la rétine du peintre, si intense qu’elle y laisserait sa marque. Vrai, ce ne furent pas les paroles proférées à cet instant qui eurent raison de la tenue rigide d’Akio. Ce ne furent pas davantage l’alliance terrible entre ce sourire fin et l’accent inquiétant dont il enveloppa ses dires, mêlant complicité et péril en une harmonie subtile. Ce ne fut pas non plus, déposé là comme un compliment, ce titre de « maître » qui teintait un brin dissonant, trop respectueux soudain, et qu’il ne pensait guère mériter. Non. S’il baissa le regard dans un battement de cils, s’il détourna son visage en une oscillation docile, ce fut uniquement pour échapper à la brûlure.

La vérité est dangereuse, s’il savait ! La vérité est une oiran scellée — tous la convoitent en lui prêtant mille vertus, mais peu ont la grâce de l’apercevoir. Qu’elle soit dangereuse n’est qu’un de ses nombreux charmes, sans quoi elle serait insipide. Elle est un serpent prêt à planter ses crocs, une déesse inaccessible que les jaloux traiteraient de vaurienne, une fleur sauvage dans un jardin de roses éclatantes. Peu importe ce qu’elle est : Shimada a cessé depuis longtemps de la redouter.
Le tintement de médaillon sur le bois de la table lui fit relever la tête. Il n’eut pas le temps de s’en étonner, alors qu’il songeait déjà à tirer un trait sur cette commande, que sa troisième condition fut exaucée. Il fut d’ailleurs si sonné par la révélation qu’il scruta Alexander sans laisser paraître aucun reste de cette gêne qui l’avait étreint juste avant, à la recherche d’un signe traduisant une plaisanterie ou un nouveau jeu d’esprit. Il ne décela rien. Rien que la beauté venimeuse d’une silhouette divine alanguie à sa fenêtre, la blancheur d’une pâquerette.
« Son Altesse... » répéta-t-il, avec une lenteur ébahie, tandis que son cerveau compulsait nerveusement les pièces du puzzle en sa possession. Un tableau pour le souverain d’Alryon. Un portrait de femme, de mère.  Ascendance populaire. Rajeunie d’autant d’années, à la louche, qu’en compte ce sieur face à lui. Artiste inconnu, offrande anonyme. Message caché. Oh.
Oh.
La figure d’Akio s’en referma aussitôt. Il en profita pour esquisser une énième courbette, ayant retrouvé son attitude impassible, tout en ponctuant :
« Je n’ai rien entendu, vous ne m’avez rien dit. Et, bien évidemment, cette entrevue n’a jamais eue lieu. »
Mais quand il redressa le front, il flottait sur ses lèvres un sourire ambigu, tel un trait d’encre estompé.
« Je crois que nous avons un accord, denka. »


Spoiler:
Alexander Galloway
Alexander GallowayIsvall
Messages : 165
Date d'inscription : 21/01/2023
Profil Académie Waverly
[Ryoshima] Une commande impromptue - Ft Akio Shimada EmptyLun 29 Jan - 14:19
Les jours s'étaient égrenés dans une valse de flocons, se muant en semaines. Le temps d'un vol à Fujikonawa, de retrouvailles avec un nouvel ami pour explorer des ruines oubliées, d'un retour en la douce présence de mademoiselle Aröndottir, les jours s'étaient mués en semaines. Pourtant, comme toute valse, le temps s'achevait sur un même chemin, dans une même ruelle, à une même porte.

Alors qu'il frappait de nouveau, il tardait à Alexander de revoir l'artiste et d'admirer son travail. Son coeur battait sourdement dans sa poitrine et il avait le sentiment de devoir s'arrêter pour le bercer comme un enfant en espérant qu'il se calme. Le passé et le présent s'entremêlaient tandis que son poing heurtait doucement le bois.

Des flocons parsemaient la fourrure de son manteau de voyage. D'autres s'étaient probablement égarés dans ses cheveux. Le jour déclinait au dehors et les allumeurs de lampions passaient pour rendre la nuit un peu moins sombre. Les différences entre passé et présent étaient là. Dans l'heure, dans l'absence de note pour lui indiquer le chemin, dans le petit coffret de namagashi rapportés de Fujikonawa qu'il avait en main. Un sourire étira ses lèvres alors que la porte s'ouvrait.

"Bonsoir," salua-t-il son hôte. "Suis-je toujours bien chez le peintre Shimada Akio ?"
Shimada Akio
Shimada AkioRyoshima
Messages : 124
Date d'inscription : 19/11/2022
Profil Académie Waverly
[Ryoshima] Une commande impromptue - Ft Akio Shimada EmptyMar 30 Jan - 14:22
Trois semaines s’étaient envolées comme fumerolles dans l’air glacé. Sans même s’annoncer, la nouvelle année avait chassé la précédente et s’était proclamée reine depuis dix jours déjà qu’Akio n’avait pas encore arraché les feuilles sur le calendrier, plongé qu’il était dans ses travaux officiels et ses recherches officieuses, ses peintures licites et ses activités illégales. Mais il avait terminé à temps, cette fois. Le vernis appliqué avait eu le loisir de sécher convenablement — merci Églantine pour le poêle — et l’œuvre n’attendait dorénavant que son commanditaire pour être appréciée autrement que par l’œil de son artiste. Au-delà de l’intention, au-delà du secret dont cette commande était nimbée, le peintre s’était senti happé par le défi que représentait cette toile si éloignée de ses habitudes artistiques et, aussi désireux de satisfaire Alexander que de se surpasser lui-même, il s’était consacré à sa création plus que de raisonnable au point d’en sauter des repas ou d’oublier de visiter Yosano. L’effort en valait néanmoins le résultat ; à présent, il avait hâte de recevoir son client comme rarement auparavant.

Une fois recraché hors de cette parenthèse par le constat qu’il avait achevé le tableau, et qu’il lui fallait maintenant attendre la venue de l’étranger, il avait passé la journée dans une curieuse plénitude agitée qu’il avait tenté de tromper par tous les moyens possibles — cuisine, ménage, hygiène, tout y était passé sans pour autant effacer l’impatience qui l’étreignait. Puis, au crépuscule tombant, les coups francs sur la porte. Il se redressa d’un bond. Autour de lui, sur les tatamis où il s’était étalé ventre à terre afin d’y compulser sans mobile des motifs aléatoires, les feuilles noircies formaient des vagues à la lueur de sa lanterne. Après avoir épousseté son kimono d’intérieur et s’être assuré que sa natte relâchée n’avait pas perdu ses attaches en cours d’après-midi, il posa une main sur son torse à l’endroit où son myocarde s’était soudain affolé, prenant une seconde pour inspirer profondément et s’éviter une malencontreuse maladresse due à son excitation. Il n’attendait pas n’importe qui, après tout. Il ne devait pas se montrer trop enthousiaste. Sa propre émotion le déstabilisait.

Le froissement de la porte qui ouvrit avec délicatesse lui parut interminable. Derrière, c’était le même homme qu’au mois précédent. Le même château de marbre sombre, le même léopard des neiges. Son œil unique luisait toujours avec le même éclat de glace incandescente, et malgré la pénombre environnante qu’un lampion teintait de rutilance, Akio devina l’étincelle amusée que la salutation y fit naître.
« En effet, Monsieur, c’est toujours moi-même, répondit-il avec complicité, et vous... étiez attendu. »
Il termina d’ouvrir le passage avec, cette fois, un soupçon de déférence supplémentaire induite par son rang royal, quelques centimètres de plus dans l’inclinaison, subtils et éloquents. Quelque part, Shimada se raccrochait à cela pour s’interdire un élan mal-à-propos ; en un sens, il ne voulait pas laisser penser à l’Alryonnais que le secret entre eux avait modifié sa perception de lui, pourtant c’était le cas, aussi inconsciemment fût-il. Ce soir il se tenait face au denka venu récupérer son dû et, nonobstant la fébrilité que lui causaient les circonstances, il se refusait à ne pas lui témoigner ce respect-là, accru.
« Je vous en prie, entrez, mettez-vous à l’aise..! Il fait encore froid ce soir, vous devez être glacé. Je vais préparer du thé. »
Simple déduction, avec ces flocons nichés dans les mèches.
Alexander Galloway
Alexander GallowayIsvall
Messages : 165
Date d'inscription : 21/01/2023
Profil Académie Waverly
[Ryoshima] Une commande impromptue - Ft Akio Shimada EmptyMer 7 Fév - 15:18
Le sourire qui flottait sur les lèvres d'Alexander s'étira alors que le peintre lui répondait et lui ouvrait la porte de sa demeure en s'inclinant. Une révérence un peu plus poussée que la précédente, un très léger changement dans son ton. Il n'avait jamais demandé à être traité ainsi, il ne s'était jamais interrogé sur la façon dont les gens devaient le traiter et pourtant... Ce menu détail dans l'attitude de maître Shimada faisait naître une étrange chaleur au creux de sa poitrine.

L'intérieur était le même que dans son souvenir à quelques détails près. Le poêle n'était-il pas un peu différent par rapport à la dernière fois ? Alors que le peintre s'empressait d'aller mettre l'eau à chauffer, Alexander retira ses bottes et s'installa sur les tatamis. La chaleur à l'intérieur était plaisante, l'on en oubliait la nuit au dehors et la neige.

"Votre blessure s'est-elle totalement remise ?" s'enquit-il poliment.

Le peintre s'affairait pour préparer le thé et ramener le plateau avec le nécessaire entre eux. Alexander attendit que leurs regards se croisent de nouveau pour mettre en évidence le coffret qu'il avait apporté avec lui.

"Je me suis permis de vous rapporter un souvenir de Fujikonawa," énonça-t-il poliment. "J'espère que cela vous plaira."

Son oeil couvait le peintre. Allait-on de nouveau rentrer dans le jeu des refus par politesse ou bien se lancerait-on dans une nouvelle manche ? Le passé se répèterait-il dans la valse des flocons ou la bourrasque les emporterait-elle vers le présent ?
Shimada Akio
Shimada AkioRyoshima
Messages : 124
Date d'inscription : 19/11/2022
Profil Académie Waverly
[Ryoshima] Une commande impromptue - Ft Akio Shimada EmptyLun 19 Fév - 23:25
Les gestes autant que les paroles se répétaient quoique avec une modulation certaine, troublés ainsi qu’un reflet dessiné à la surface d’un lac, similaires et distincts à la fois, familiers et neufs. Emporté par ses impératifs d’hôte — aussi imparfait fût-il — Akio s’empressa de ramasser ses feuillets d’encre pour les fourrer négligemment entre deux étagères, après quoi il s’éclipsa dans la cuisine afin de récupérer le nécessaire tandis qu’il entendait, dans la pièce principale, le murmure des bottes et le crissement doux de la paille foulée par ce fauve tranquille. Les mouvements, de même que les bruits et les odeurs, avaient beau être teintés de connaissance, encore qu’ils ne s’étaient éprouvés qu’une unique fois, ils contenaient une sensation que le peindre cherchait à définir tout en manipulant la théière et ses boîtes à thé, une impression diffuse qu’il sentait déposée sur ses épaules à l’instar d’une pelisse de soie, légère et bienvenue, mais à laquelle il s’étonnait de ne trouver qu’un nom, si évident et si incongru du fait même de cette évidence, qu’en d’autres circonstances il n’aurait osé appeler confiance.

En revenant déposer la théière pleine sur le poêle, il attrapa au vol une interrogation qui le fit acquiescer docilement en guise de prime réaction, après quoi il retroussa un soupçon sa large manche en vue de révéler la double cicatrice encore rougie, bien que refermée avec soin, qui ornerait dorénavant son membre ; la tache d’épiderme recomposé y était si fraîche, si lisse, qu’elle luisait d’un éclat timide lorsqu’il en changeait l’orientation, tel un chas vernissé.
« Totalement, oui, voyez. Je ne sens presque plus aucun tiraillage. » Puis il la recouvrit de nouveau tout en poursuivant son affairement : « Que vous vous en soyez rappelé, c’est... »
Tout à son honneur, selon l’expression ? Pas vraiment — nulle question de dignité, ici. Mais fort aimable, comme le dirait une femme, sans doute. Sauf qu’à cette pensée, Shimada éprouva un insolite élan de gêne qu’il imputa au contexte davantage qu’à l’échange, et se hâta de le chasser en disposant deux tasses sur la table basse qui ne tarderait pas à les séparer. Ou, à défaut d’y parvenir, se hâta de l’associer au second cadeau rapporté par ce sieur décidément bien trop aimable pour un étranger.
« ...c’est tellement attentionné de votre part. »
S’il laissa le compliment lui échapper à dessein ou non, il décida de ne pas y prêter intérêt lui-même au risque de s’éhonter déjà bien plus que nécessaire. À la vision de l’écrin élégant, dont les couleurs gourmandes trahissaient la teneur de son contenu, il en oublia par ailleurs de se prêter à la cérémonie des politesses en refusant d’abord. Tant pis. Trop tard. Il avait même rosi par agrément, alors, en toute honnêteté, mille fois trop tard pour tout le reste.
« Un immense merci à vous ; cela accompagnera le thé à merveille. Est-ce qu’il s’agit de leurs célèbres mochis d’armoise ? J’espère que vous ne vous êtes pas donné trop de peine pour les obtenir... »
Inutile de préciser que si ce type de wagashi lui sautait à la mémoire, c’était parce que, le jour de la visite à l’Empereur en compagnie de Yosano, dans le palais de villégiature de Fujinokawa, celle-ci avait demandé à en acheter pour ses collègues sur le chemin du retour et, de la boîte de sept qu’elle avait choisie, en avait tendu un à son ami en lui précisant que cela lui porterait chance jusqu’à leurs retrouvailles. Et lui, comme victime d’une superstition ridicule, n’avait pu se résoudre à le manger.

« Ah, à mon tour de vous offrir..! »
Joignant l’exclamative à l’impatience, il s’en retourna vers le fond de la pièce, près de ses étagères encombrées, au coin desquelles il s’empara avec précaution d’un rectangle de toile de lin de presqu’un mètre sur une soixantaine de centimètres, encadré de bois naturel, sans fioritures, dont la nuance claire s’accordait avec le sujet représenté en son cœur ; le tableau avait été placé face contre le mur afin de n’attirer aucun œil curieux et, conservant ce principe, Akio en maintint le recto secret jusqu’à le transmettre avec une courbette renouvelée à son désormais propriétaire, laissant entre ses mains s’opérer la révélation.
« Je vous en prie », lâcha-t-il dans un souffle de ryoshimais déférent.
Son myocarde pulsait si fort sous son kimono qu’il crut qu’on pouvait l’entendre depuis la rue ; le vacarme à ses tempes l’empêchait presque d’écouter les mille autres frémissements du monde alentour. Il n’osa guère se redresser tant qu’il n’en obtiendrait pas l’aval — de peur, quelque part, de lire la déception dans le regard d’Alexander.
Le portrait avait été réalisé dans l’absolu respect de ses contraintes et de ses libertés. Vêtue d’un de ces uniformes domestiques d’Alryon volontairement rehaussé, par touches sur son châle lilas ou l’ourlet de ses manches, de légers motifs typiques des traditions isvalliennes, la femme ne dévisageait pas directement le spectateur mais avait à peine tourné le cou comme pour se dérober à un regard aisément malvenu, imposant, ses mèches blondes captant la lumière qui la nimbait de tous côtés. On eût dit que les soleils se levaient dans son dos pour l’illuminer pendant qu’elle, humble et toute à sa beauté sans ostentation, authentique et sereine, se réchauffait à cet éclat lointain. Ses yeux d’azur, perdus dans le vague, rêvaient à d’autres paysages et sa mise, ponctuée de ce qu’il fallait d’harassement et de simplicité, évoquait son quotidien autant ses origines modestes. Pourtant, elle aurait été reine qu’elle n’aurait pas été peinte avec plus de soin et d’élégance, avec plus de noblesse, car ce pinceau-là l’avait traitée pour sûr comme telle. Comme qui de droit.
Alexander Galloway
Alexander GallowayIsvall
Messages : 165
Date d'inscription : 21/01/2023
Profil Académie Waverly
[Ryoshima] Une commande impromptue - Ft Akio Shimada EmptyVen 15 Mar - 17:19
Le peintre retroussa sa manche pour dévoiler sa cicatrice. Un geste si rapide et si naturel qu'il en surprit Alexander. Loin de montrer son étonnement mais acceptant cette délicate marque de confiance avec plaisir, le jeune homme y répondit par un sourire. Once contemplant le moineau venu s'aventurer à son ombre sans craindre le danger de ses pattes.

"Sur Isvall, une première blessure de guerre se doit d'être célébrée comme il se doit," répondit-il. "Trinquons y un jour."

Un léger rose venu rehausser les pommettes du peintre et ses remerciements, l'oeil d'Alexander s'alluma d'une étincelle nouvelle, une nuance de plaisir et de satisfaction dans la glace de son regard.

"Ceux-là même," acquiesça-t-il. "Une amie et sa petite les ayant particulièrement apprécié, ils me semblaient être une valeur sûre."

La neige virevoltait au dehors, les flammes crépitaient doucement dans le poêle, sa chaleur créant une bulle de confort dans cette nuit d'hiver. Dans ce cocon chaleureux, une fleur semblait s'épanouir, ouvrant timidement un ou deux pétales, dévoilant de nouvelles nuances de couleur. Des mots un peu plus spontanés, une attitude certes respectueuse mais légèrement différente, peut-être plus sincère. Les chaînes du secret connectaient elles plus qu'elles n'entravaient ? Y avait-il un motif ultérieur ou bien était l'oeuvre de cette dangereuse fleur que l'on appelait vérité et qui ne poussait qu'en de rares endroits.

Avec une impatience non feinte, le peintre se releva pour aller chercher une toile soigneusement encadrée et tournée vers le mur pour ne pas attirer le regard. Mélange de déférence et de crainte, nouvelles nuances sur la palette d'émotions que montrait le peintre mais Alexander ne put s'y attarder, pas alors que ses mains se saisissait avec une infinie douceur du cadre délicatement poli. Ses doigts effleurèrent le bois alors que l'aube naissait sous ses yeux, nimbant un visage chéri de sa lumière. La brise matinale souffla dans ces mèches blondes où s'accrochaient parfois des feuilles lorsqu'elle jardinait dans le petit lopin de terre qu'ils avaient autrefois. L'ombre et la lumière se mêlaient dans ces traits qu'il avait connu au fil des années, les rides s'en étaient effacées, la maladie s'était envolée de cette poitrine. L'enfant retrouvait un visage, celui de ses premiers jours, de ses premiers mois. Le sourire de ses premiers pas, l'étincelle d'un regard à ses premiers mots.

Un sourire ému se dessina sur les lèvres d'Alexander et une étrange lueur s'alluma dans son regard, à la fois douce et ténue.

"Vous allez me faire regretter de devoir me séparer de cette oeuvre, maître Shimada," murmura-t-il.

Déposant le tableau près de lui avec autant de déférence que le peintre avait montré, il s'inclina ensuite devant ce dernier.

"Vous avez toute ma gratitude," le remercia-t-il d'une voix feutrée.

Dans la chaleur de ce cocon, une nouvelle nuance fleurit, bouton délicat et un peu timide, plus complexe et fragile qu'un flocon égaré. Une couleur subtile prenant le nom de reconnaissance.
Shimada Akio
Shimada AkioRyoshima
Messages : 124
Date d'inscription : 19/11/2022
Profil Académie Waverly
[Ryoshima] Une commande impromptue - Ft Akio Shimada EmptyMar 19 Mar - 20:33
Une éternité d’espérance s’écoula entre deux respirations. Toujours courbé en révérence, Akio ne distinguait rien des émotions directes qu’était en train d’éprouver son commanditaire à la vision du tableau, mais il captait dans cet infime silence, dans la suspension des paroles comme si la vie elle-même s’interrompait afin de donner toute sa place au sentiment, qu’il n’avait sans doute pas trop mal réussi ce défi. Par sa contemplation muette, Alexander soufflait sur les flammèches allumées une à une dans le cœur du peintre, diffusant une chaleur que celui-ci avait appris à étouffer durant sa formation d’espion et qu’il ne s’autorisait plus à ressentir qu’en de rarissimes occasions, à la faveur de son art ou d’une aimable caresse, quand le compliment enfin délivré par l’étranger n’y ressemblait que trop. Il n’eut même pas besoin de trouver un qualificatif — par respect peut-être, ou parce qu’il jugeait tout usage d’adjectif galvaudé ? — ; ses futurs regrets suffisaient, et à la seconde où l’artiste se redressa ce fut pour découvrir que son client l’avait imité avec une sincérité palpable, compacte, qui le secoua malgré lui.
Que ressent-on face au portrait recréé de sa propre mère ? Lui ne pouvait guère le comprendre, faute de posséder la moindre image de cette femme à qui il devait la vie, faute de cultiver la moindre affection à son égard aussi, ne pouvant même pas s’accrocher aux souvenirs communs pour la faire réapparaître sur sa rétine. Seuls ses derniers mots avaient conservé une quelconque texture, au détriment de son visage, ces mots qui l’avaient prié de ne plus exister afin qu’elle soit en mesure de s’inventer une neuve destinée, l’utérus rincé de cet enfant, non, de cet accident, immaculé de nouveau, capable d’accueillir d’autres fruits d’amour bien plus désirés cette fois.
À sa génitrice, sa reconnaissance à jamais éventrée.

« La gratitude est mienne, Denka sama. »
Le titre roula au bord de ses lèvres, en chuta ainsi qu’une gouttelette d’or. Après tout, c’était lui le premier qui lui avait fait confiance en lui commandant cette toile, en lui abandonnant si longtemps ce pendentif où s’ouvrageait l’ultime trace qu’il détenait d’elle ; ironie que de le transmettre à quelqu’un qui ne saurait qu’à peine l’admirer sans l’interpréter d’abord comme un affront ! S’il allait dû le peindre pour Alexander seul, et savoir que le portrait ornerait sa chambre ou son bureau, il n’y aurait pas mis moins de minutie, moins d’ardeur, et le résultat n’aurait pas été plus radieux.
« En vérité — que ce terme résonnait distinctement, au fond de leur mémoire —, reprit-il du même ton révérencieux, cette œuvre n’est pas orpheline… »
Laissant l’écho de son allusion s’évaporer entre eux, il s’en retourna à petits pas fugaces vers les étagères, où il récupéra le médaillon qui trônait à part sur un carré de tissu, puis tira une grande chemise de papier qu’il revint présenter sur la table basse et sous l’œil de l’Isvallien, non sans lui avoir rendu son dû en premier lieu.

Les uns après les autres, il sortit du recueil tous les croquis réalisés aux fins du portrait durant ces dernières semaines. Du plus enlevé au plus abouti, du plus esquissé au plus prononcé, il les étala sur le meuble non par éclat d’ostentation mais parce qu’il espérait de ce fait montrer à son client qu’en fin de conte, il n’y avait peut-être pas tant perdu au change. On y comptait en effet les recherches initiales, composées de quelques traits déliants afin de prendre en main les traits spécifiques du sujet, guettant l’authentique courbe d’une joue ou le volume des cheveux, puis venaient les expérimentations au fusain, la quête de la posture la plus adaptée, la plus significative, là où des valeurs d’ombre naissaient la profondeur des regards et leur douceur, en tout une dizaine de feuillets de toutes les tailles où la couleur s’immisçait parfois comme par mégarde, diffuse, incertaine. Dans un coin de l’un de ces brouillons, on put même apercevoir, tel un gribouillis délassé qu’un sursaut d’ennui ou de rêverie aurait dicté, le profil de la panthère des neiges, cache-œil visible, identifiable sur-le-champ, qu’Akio s’empressa de recouvrir d’une nouvelle page avec l’espoir que ce brusque accès d’embarras ne fût pas éventé. Sa voix, en tout cas, n’en laissait rien paraître.
« Tout ceci vous revient. Ou plutôt, je vous prie de bien vouloir les accepter. J’espère qu’ils compenseront à leur manière la séparation d’avec la toile finale. » Il eut un haussement d’épaules nonchalant, presque complice. « Après tout, je n’ai rien entendu, vous ne m’avez rien dit... »
Et la théière de s’agiter doucement, signe que l’eau frémissait.
Alexander Galloway
Alexander GallowayIsvall
Messages : 165
Date d'inscription : 21/01/2023
Profil Académie Waverly
[Ryoshima] Une commande impromptue - Ft Akio Shimada EmptyMar 16 Avr - 11:00
Une goutte d'or, perle de rosée égarée sur l'échine du fauve des neiges, un mot qui roulait avec la délicatesse d'une bulle d'orfèvrerie. Alexander en savoura le contact sur sa pelisse. Un premier mot, celui qu'un père lui avait refusé au même titre que son existence. Le jeune homme recueillit la perle avec un soin infini, s'étonnant de son chatoiement de feu. Il l'aima. Non parce qu'il en tirait un quelconque orgueil, non parce qu'il estimait que cela lui revenait de droit mais parce que ce premier mot avait été prononcé avec sincérité et respect. Au premier titre qu'on lui donnait, une élégante connivence nuancée de respect, presque une bénédiction ou un doux présage.

Une étincelle intriguée s'alluma dans le bleu de son oeil alors qu'il se redressait, suivant les paroles du peintre. Il ne l'interrogea pas plus, le laissant aller chercher les feuillets et le médaillon. Le second revint dans sa main, frais contact contre sa peau, le chaînon coulant le long de son poignet avec une fluidité serpentine, tandis que les premiers se dévoilaient entre eux. Une danse dans un tracé au fusain, les dessins se suivaient, liés par les lignes de croquis, envolés ou aboutis, à peine esquisse, ombre d'un regard, vivants tout simplement entre les pages. L'oeuvre finale était une aube, le travail pour y mener était une vie, une histoire qui s'écrivait au crayon, s'ébauchait dans un essai de teinte, se déroulait dans le secret des pages. Dans un coin de page, son regard capta une esquisse différente, rêverie égarée que le peintre masqua élégamment d'un autre feuillet. Alexander ne s'en offusqua pas, il faisait après tout partie des lignes de cette histoire.

Un doux sourire mi complice, mi touché étira ses lèvres.

"Je chérirai ce qui n'a pas existé," répondit-il doucement.

La décision était prise dès que les mots étaient tombés, il ferait relier ces feuillets afin de n'en égarer aucune page.

Le frémissement de la théière rompit le charme de l'instant. Le peintre se leva pour aller la récupérer et les servir tous deux. Alexander souleva le délicat loquet du coffret, l'ouvrant face tournée vers l'artiste pour dévoiler les délicates oeuvres florales ; parmi les fleurs de sucre juste écloses deux petits billets de papier. Entre le vert citronné et le rose pastel, une promesse tenue.

"Il semblerait que je prenne quartier à Ryoshima," annonça-t-il en récupérant la tasse de thé, feignant l'indifférence concernant ce qui se trouvait dans la boîte.

La tasse de terre cuite était délicieusement brûlante entre ses doigts et sa chaleur résonnait avec celle qui irradiait dans sa poitrine.

"Me feriez-vous l'honneur de peindre pour moi ? Ma demeure aura besoin d'estampes et de toiles pour l'égayer un peu. Je ne saurais formuler une telle requête auprès de quelqu'un d'autre."

Des mots glissés dans le ronronnement bienveillant d'un fauve, leur sens s'entremêlant avec la subtilité des arabesques du miel tombant sur le miel. Un lieu, un endroit où le trouver, la promesse qu'il ne disparaîtrait pas, emporté par un tourbillon de neige à l'instant où il franchirait cette porte. Une commande officielle, une explication si d'aucun s'interrogeait au pourquoi le peintre avait reçu la visite d'un étranger. Protection.
Contenu sponsorisé
Profil Académie Waverly
[Ryoshima] Une commande impromptue - Ft Akio Shimada Empty