A l'aventure compagnons! Août 154 PV: Sephir Ashran

Elle ne déteste pas les nantis, non. Penser que Sephir serait capable de jalousie alors qu'elle a été élevée sans la notion de hiérarchie est une méprise. Elle sait reconnaître celles et ceux qui possèdent l'argent, le pouvoir, la connaissance, ou les trois à la fois. Elle sait également que, à moins de suivre scrupuleusement leurs ordres, il vaut mieux ne pas les contrarier. C'est son instinct de survie qui le lui dicte. C'est ainsi que fonctionne le monde, et elle ne voit pas de raison de haïr quiconque qui suit un fonctionnement naturel.
Du moment qu'ils ne viennent pas abuser de celles et ceux qui sont en dessous d'eux.
Mais cela n'est pas le cas du groupe d'étude que les mercenaires sont chargés d'accompagner. Sephir les a immédiatement classés dans la troisième catégorie, celles et ceux qui savent. Des trois, il s'agit du type qu'elle redoute et admire le plus à la fois. Sephir n'est que très peu éduquée : quelqu'un capable de lire et d'écrire avec la même facilité qu'elle respire ne peut qu'attirer son respect. Mais les secrets que ces gens conservent pour eux sont terrifiants. Ils sont capables de renverser l'ordre naturel des choses, sans avoir besoin de recourir à la force. Ils partagent quelque chose que Sephir ne peut pas comprendre, et contre laquelle elle est impuissante. Voilà ce qui l'effraie.
Le voyage a été tranquille, sans rebondissements particuliers. À force d'observer les scolastiques (ou peu importe le terme qu'ils utilisent pour se désigner), Sephir est un peu sortie de sa réserve. Elle ne les trouve pas si terrifiants que cela. Malgré leurs grandes connaissances, elle les trouve maladroits, naïfs et pas franchement débrouillards. Lâchez-les seuls en pleine nature, et ils se montreraient aussi efficaces qu'un bébé pleurnichard. Sephir trouve l'idée amusante, mais elle se garde bien de se moquer, car elle sait bien que ce futur hypothétique n'arrivera jamais. Alors que les possibilités de se retrouver dans une situation où ils utilisent leur science contre elle sont bien plus élevées. Sephir a fini par développer une forme d'affection pour ces jeunes gens et leur professeur si civilisés. Surtout celui aux membres de métal. Il n'aurait jamais dû survivre, encore moins se trouver à faire partie de cette expédition, et pourtant, il était là, et ne montrait pas plus de faiblesse que les autres.
À leur arrivée, à quelques heures du coucher du soleil, le bloc qu'ils vont inspecter s'étend devant eux, offert à leurs recherches. Le calme environnant lui rappelle vaguement la maison, mais une épaisse forêt de chênes et de pins leur cache la majorité de la vue. Le chef a peur que des pirates se dissimulent sous le couvert des arbres et profitent de la nuit pour attaquer. Leur vétéran lui souffle qu'il s'inquiète sans doute pour pas grand-chose, car le bloc a l'air abandonné. Il aime bien utiliser le masculin pour s'adresser au chef, même si, en réalité, personne ne sait s'il s'agit d'un homme ou d'une femme. Mais aux yeux de cet homme bourru, attaché aux valeurs tradtionnelles, une femme n'aurait pas le droit de lui donner des ordres.
Pendant le gros de la troupe part inspecter la lisière des arbres, le chef demande discrètement à Sephir de rester au campement et de veiller sur la sécurité des étudiants, sans doute afin de donner le change. Elle acquiese, et regarde ses amis s'éloigner avec des échanges de paroles frivoles. Aucun d'eux ne semble s'attendre à des pirates, et ils ne craignent pas les bêtes sauvages, car la plupart d'entre elles s'éloignent quand elles entendent leurs voix trop fortes. Sephir elle-même se sent détendue et décide de regarder si le campement est bien dressé. Immédiatement, elle décide de se préoccuper de l'étudiant handicapé. « Vous avez besoin d'aide pour quelque chose ? » demande-t-elle avec bienveillance.

Maintenant qu'elle s'est approchée, Sephir peut constater que la tâche à laquelle s'attèle le jeune homme n'est pas des plus compliquées, mais technique : il essaie de monter une tente, mais ne parvient pas à bien positionner son armature. De là où elle se trouve, elle remarque tout de suite le problème : le bras en métal n'est pas au bon endroit. Il paraît trop rigide, ce qui n'est guère surprenant, puisque ses prothèses métalliques manquent de souplesse. Sephir est franchement surprise qu'il soit parvenu jusque là. Elle a pu rencontrer bien des gens aux manières douces et policées qui n'auraient pas fait la moitié de son travail.
Le jeune homme a l'air passablement énervé, mais la mercenaire ne parvient pas à savoir contre qui exactement cette colère est dirigée - contre lui-même pour ses faiblesses, contre le matériel pour ne pas se plier aux exigences de ses pensées, ou contre elle parce qu'elle vient le déranger dans une position peu avantageuse. Décrypter avec précision les nuances des émotions d'une personne qu'elle vient à peine de rencontrer dépasse de loin le cadre de ses compétences. Sephir ne se sent pas agressée pour autant : elle a tant l'habitude des nobles condescendants qu'elle a appris à ne plus se préoccuper de leur mécontentement. Elle se contente de hocher la tête, et d'aller soutenir l'armature du côté gauche. Le poids qu'elle soutient semble soulager le jeune homme, du moins c'est l'impression qu'elle en a. Peut-être se persuade-t-elle seulement de sa propre utilité.

« Encore un petit effort, déclare-t-elle joyeusement, ça va bientôt être fixé ! »

Avec leurs efforts combinés, monter la tente devient bien plus aisé. Il ne leur faut que quelques minutes à peine pour la terminer et la consolider. Sephir observe d'un œil appréciatif leur travail : elle doit admettre que seule, elle ne pourrait jamais atteindre une telle stabilité. Aux yeux des autres, il ne s'agit que d'une tente, d'une tâche manuelle qui ne mérite pas qu'on y accorde encore de l'attention une fois terminée, mais aux yeux de Sephir, qui excelle précisément dans tout ce qui est manuel, son travail est une jolie réalisation qui mérite d'être admirée.
Pendant qu'ils terminent les finitions, le jeune étudiant, visiblement calmé, prend la peine de s'excuser. Sephir s'étonne d'une telle attitude, mais elle a appris à ne faire aucun commentaire sur les changements même brutaux de comportement de ses employeurs. Elle est malgré tout ravie : « Oh, ça ne faisait rien, vous savez ! J'ai l'habitude ! » Mais son ton joyeux montre à quel point cette marque d'attention compte pour elle.
Le travail accompli, Sephir est prête à s'éclipser si nécessaire, mais elle observe attentivement l'étudiant quelques secondes pour vérifier s'il a encore besoin d'elle. Elle se force d'être discrète, car elle ne voudrait pas qu'il se sente mal à cause d'elle. Son intuition est pourtant la bonne. La nouvelle tâche n'est pas bien difficile pour elle, mais pour quelqu'un qui n'a qu'un bras valide, elle est colossale. Il lui demande de l'aider avec ses sardines. « Oh, oui, donnez-moi ça ! dit-elle avant de s'exécuter en quelques secondes. Tenez ! J'espère qu'elles vont plairont ! » Sephir ne lâche pas son sourire bienveillant. Elle espère sincèrement que le jeune homme ne va pas la trouver collante ou pire, énervante. Mais elle s'inquiète quand même un peu pour lui. Si elle savait faire la conversation, elle aurait sans doute trouvé une façon de le mettre en valeur tout en lui proposant son aide, mais cela dépasse complètement l'étendue de ses capacités. Au lieu de cela, elle fonce dans le plat :

« Votre armure, là, sur le bras... elle a besoin d'être graissée ou quelque chose comme ça ? »

Un bras, pas une armure... cela paraît logique, puisque le jeune homme n'est pas un guerrier, mais Sephir n'a jusque là vu de prothèses que chez les personnes qui ont perdu un membre au combat. Moins perfectionnées que celle de l'étudiant, elles sont souvent construites pour privilégier l'offensive, plutôt que de leur faciliter leur quotidien. Heureusement pour Sephir, le jeune homme ne semble pas ennuyé par sa bourde, car le dysfonctionnement de son bras requiert toute son attention. Peut-être c'est l'heure pour moi de partir se dit Sephir, car il allait devoir réparer sa prothèse, un acte qui lui paraît un peu trop intime pour être partagé avec une inconnue.
Alors qu'elle s'apprête à se détourner, elle est interrompue dans sa lancée par une question toute innocente, à laquelle pourtant elle ne s'attendait pas le moins du monde. Son nom. Question qu'on ne pourrait qualifier d'incongrue, mais qui étonne dans le contexte. Quel étudiant aurait envie de nommer une mercenaire embauchée pour les protéger ? La plupart des gens préfèrent ignorer ce genre de détails, pour mettre de la distance, ou bien pour éviter de s'attacher. Sans doute ce jeune homme-là est-il encore un peu maladroit et ne maîtrise pas totalement les conventions sociales de sa classe. Ou alors Sephir se trompe totalement à son sujet. Il a cependant l'air mal à l'aise, même s'il s'exprime clairement.

« Je m'appelle Sephir. Sephir Ashran. Je viens d'un petit bloc ennuyeux du fond du trou de l'univers. Et vous ? »

D'hésitation, il n'y a guère. La mercenaire a passé l'âge de jouer aux mijaurées. La conscience aiguë de la place qu'elle occupe dans l'univers - au point qu'elle se sent obligée de préciser qu'elle ne vient de nulle part en particulier - ne l'empêche pas de saisir les opportunités qui se présentent à elle. S'il la laisse faire, elle l’assaillira de questions.