La vie de votre personnage« Tu fais ce qu’on te dit sans réfléchir, rien d’autre ».
Ce jour-là, Ashford comprit qu’il n’avait plus rien à faire ici. Il avait pourtant été le parfait soldat, suivant les ordres qu’ils pensaient. Mais au fur et à mesure, son travail ne correspondait plus à ses valeurs. Ça le bouffa tellement qu’il finit par se demander ce qu’il faisait là. Jusqu’à ce que la goutte fasse déborder le vase.
Plus qu’avoir le moral dans les chaussettes, il se sentit comme la pire des sous-merdes. On lui demandait de faire régner la loi, celle qui avait été votée là-haut, dans cet endroit où ils semblaient tous ne plus voir la réalité en face. Mais punir une gamine qui avait le malheur d’être née l’enfant de deux pirates ? Que ses parents prennent leur responsabilité, pourquoi pas, mais que l’enfant paie pour les crimes de ses parents ? Elle n’avait que huit ans, mais elle était fautive d’être née dans la mauvaise famille semble-t-il.
Ashford avait vu un couple se faire prendre. Des pirates venu faire de la contrebande d’après son supérieur juste bon à jeter en pâture aux charognards. Au début, Ashford n’avait pas cherché à savoir si c’était vrai ou pas. Les parents affichaient fièrement le fait d’être pirate. Mais surgit soudainement une enfant cherchant à le rejoindre par tous les moyens. Ashford l’attrapa sans mal, mais l’enfant se débattait de toutes ses forces. C’était l’enfant des pirates, elle avait à peine huit ans. Les fameux parents étaient totalement démunis en voyant leur fille ici, le désespoir nageait dans leurs yeux. Ils avaient cherché à la cacher, qu’elle ne se fasse pas prendre avec eux.
Ashford comprit que la femme était une déserteuse, issu d’une bonne famille, mais qui était tombée amoureuse de liberté, et d’un pirate, lui aussi éprit de cette même liberté. Ashford n’avait pas compris au départ pourquoi ils étaient revenus à Isvall en connaissant les risques, et surtout en amenant leur fille. Les parents furent jetés en prison et son supérieur lui ordonna de faire de même avec l’enfant. Il exécuta les ordres, mais le soir même, il retrouva les deux parents et demanda la raison : pourquoi avoir pris un tel risque ?
L’enfant était malade, tout simplement. Les pirates vivaient de liberté, mais une enfant malade n’avait pas beaucoup d’espoir loin de ce que les cinq cités pouvaient offrir. Ils étaient venu en sachant pouvoir être attrapés, mais avec l’espoir de trouver un traitement pour leur fille. La mère avait pris contact avec une connaissance pour réussir à rejoindre Isvall sans se faire repérer. Malheureusement, ça n’avait pas marché. Les parents suppliaient Ashford de sauver leur fille. Alors Ashford le fit.
Il prit l’enfant, la sortit de prison, et fuit la cité d’Isvall. Il ne regrettait pas son choix. Au début, il ne savait pas vraiment où amener l’enfant, alors il se décida à trouver une des îles monastères où il était sûr que leur neutralité l’aiderait, et surtout où la médecine serait équivalente à Isvall. Il demanda si l’enfant, orpheline, pourrait rester avec eux et être soignée. Heureusement, les habitants de l’île monastère étaient compatissants et l’enfant put acquérir des soins. Ashford resta auprès d’elle et fut heureux de voir qu’elle réagissait bien au traitement. Il ne fallut qu’une année pour qu’elle soit enfin guérie. Il lui proposa de la raccompagner là où elle avait toujours vécu, mais l’enfant lui expliqua que retrouver l’île pirate serait quasi impossible. Mais Ashford n’était pas du genre à se laisser abattre pour si peu.
Avec l’enfant auprès de lui, ils quittèrent l’île monastère pour parcourir les terres qui lui étaient inconnues à la recherche d’indice pour trouver l’île. Et tel un enfant, Ashford découvrait le monde d’un œil fasciné, mêlé d’un étrange sentiment de vulnérabilité. Il se sentait perdu, pour lui qui n’avait toujours vécu qu’auprès des Cinq Cités. Sa famille, la famille Sutton, avait été militaire depuis quelques générations et sa mère l’avait élevée pour suivre cette voie. Son père était décédé lors d’une intervention musclée quand il avait trois ans, et il ne s’en souvenait plus. Sa mère, d’origine noble, avait été un pilier pour maintenir la protection à Isvall, bien qu’elle ne fasse pas partie de l’armée. Elle se battait sur le plan politique et social pour la protection et l’ordre, et Ashford avait été élevée pour suivre ses pas, pensant la rendre fière et se rendre fier lui-même. Du moins, il s’en était convaincu.
Être militaire et faire régner l’ordre avait été un honneur à ses yeux, un honneur pour le combat qu’il menait pour la justice et un honneur à son nom. Si au début la raison pour laquelle il se battait était une fierté, les années passantes, il n’y croyait plus. Il essayait de se convaincre qu’il faisait sa part du combat, qu’il défendait ceux qui le méritaient et qui en avaient besoin. Mais au fur et à mesure, la tension grandissait, et la défense qu’il était supposée apporter se retournait contre ceux qui criaient à l’injustice. Qui trimait d’un dur labeur et qui le faisait savoir. Ce n’était plus de la protection, c’était de l’oppression. Ashford ne voulait pas blesser des civils en colère - à raison, mais défendre contre des malfrats et des pirates qui pillaient pour leur propre plaisir.
Il avait fait cela, pendant un temps, partir en mission contre les pirates ou autres mercenaires. Mais il se rendit vite compte que c’était un combat de surface, rien de ce qu’il faisait ne réglerait les problèmes de fond. D’autant que beaucoup de pirates se battaient simplement pour vivre de leur plein droit, eux aussi criaient à l’injustice. Les pirates n’étaient pas tous mauvais, et ne blessaient pas toujours les plus faibles. Ils étaient parfois simplement à la recherche d’une liberté impossible d'atteindre. Et il s’en rendit d’autant plus compte lorsqu’il quitta cette boucle infernale de la vie à Isvall. Lorsqu’il fit, pour la première fois, honte à son nom et à sa mère. Il ne pourrait plus jamais la regarder dans les yeux.
Toujours, il voyait les pirates comme des brigands sans foi ni loi, irrémédiables égoïstes qui ne vivaient que pour leur propre plaisir. Mais dans cette masse qu’il découvrit sur les différentes îles qu’il visita avec l’enfant, il vit toutes ses têtes qui vivaient de liberté et de joie. Et lorsqu’il croisa plusieurs pirates dans divers pub toujours plus glauques les uns que les autres, il ne trouva pas la tension malsaine dont on lui parlait, mais une bande de bon buveur, qui vivaient au jour le jour, s’amusant, plein d’espoir, pour un avenir qu’ils savaient ne dureraient jamais. Mais ce qu’Ashford retint surtout, c’était ce mot : vivre. Ils vivaient, et ils se sentaient véritablement vivants. De ce qu’ils lui disaient, étalés sur la table en mangeant presque leur vomi tellement ils avaient bu. Ils se savaient tout sur une embarcation bancale qui pouvait chavirer à la moindre tempête. Malgré tout, ils restaient là, tenant la barre contre vent et marrée. Parce que cette liberté qu’ils avaient acquise n’avait pas de prix, elle valait tout l’or du monde.
Ashford commença à envier cette vie d’insouciance, mais il comprit aussi vite que personne ne protégeait quiconque sur la fameuse cité pirate. En leur parlant, il apprit que les faibles ne survivaient jamais, puisque la cité pirate était isolée et n’avait pas grand-chose pour survivre. C’était aussi la loi du plus fort et quelqu’un qui ne savait pas se protéger lui-même mourrait à coup sûr. La raison pour laquelle deux parents pirates avaient tout misé pour sauver leur enfant malade, au risque de perdre leur liberté. Aussi, lorsque deux pirates prirent à partie l’enfant d’apparence faible, en espérant y trouver ici une source d’argent sûr pour s’acheter ce qu’ils avaient perdu en jeu, Ashford les stoppa avec aise en assénant à qui voulait l’entendre que l’enfant était désormais sous sa protection.
Mais sans le savoir, d’autres pirates avaient vu la scène. Et Ashford se retrouva prit dans le piège d’une femme pirate : elle prendrait l’enfant pour elle s’il n’était pas capable de la défendre. Elle lui faisait clairement du chantage, et Ashford se retrouva à stopper les attaques de plusieurs compagnons de voyage de la femme pirate. Des attaques qui n’en étaient pas vraiment, puisqu’elles étaient plus de l’ordre du jeu lorsqu’un pirate, seul, l’attaquait de front, sous les hourras d’autres comparses amusés. La femme pirate applaudissait même sa défaite : elle n’aura pas une fille de plus sous aile, semble-t-il.
Malgré lui, un tournoi se mit en place par le bouche à oreille et Ashford se retrouva acculé. Chaque pirate voulait tenter sa chance face à un Ashford qui fut pris au piège d’un jeu dont il ne faisait pas les règles. Alors, après un moment, il se décida à lui aussi tenir les paris. À quiconque serait capable de le battre, il mettrait sa force à leur service, mais s’ils perdaient, c’était eux qui se mettraient au service du sien. Et, au fil des combats, Ashford se retrouva à la tête d’un petit groupe de pirate plus joueurs que des malfrats à ses yeux. La femme pirate les rejoignit également, sans se battre, et promit de prendre soin de la petite fille. Les bougres vivaient pour s’amuser, alors Ashford allait leur donner de quoi jouer.
Ashford Sutton mourra ce jour-là.
Ashford Grimm, nouvellement capitaine pirate, naquit.