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[Ryoshima]Une vulgaire lettre d'un marchand de Kymara [avec Akio Shimada]

Arkimedes Glaukopis
Arkimedes GlaukopisAlexandria
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[Ryoshima]Une vulgaire lettre d'un marchand de Kymara [avec Akio Shimada] EmptyVen 27 Jan - 19:19
C'était un hiver froid mais sec: tant mieux, Arkimedes n'avait jamais bien supporté l'humidité. Il ne supportait pas mieux le gel, mais celui-ci présentait au moins l'avantage de tuer les germes. Il était toujours possible de relativiser les situations désagréables, même si sa famille s'acharnait à lui prouver le contraire. Cela aurait dû être un séjour plaisant et facile, presque des vacances: le manuscrit que l'historien chassait avait déjà été découvert, sa mission se limitait à obtenir de l'emprunter pour qu'il soit copié à Alexandria. Une fois le livre récupéré, Arkimedes aurait pu ensuite passer quelques jours délicieux à profiter des sources chaudes, du thé de qualité supérieure et du talent des poètes Ryoshimais. Mais il fallait évidemment que son frère ait toujours un coup d'avance sur ses déplacements.

Ce qu'il lui réclamait n'était pas insurmontable, et n'entrait même pas vraiment en contradiction avec ses plans, mais la sollicitation à elle seule suffisait à lui gâcher son plaisir. A peine Arkimedes avait-t-il posé le pied sur le sol de Ryoshima qu'il avait découvert qu'une lettre l'attendait dans l'auberge où il avait ses habitudes quand il était dans les parages! En l'ouvrant, une fois sa monture à l'écurie et lui, installé dans sa chambre, il avait découvert que malgré son insignifiance, le message était codé. Hygremon y tenait, il chiffrait toute sa correspondance en remplaçant chaque lettre par la suivante dans l'ordre alphabétique. Le résultat était que ces lettres, écrites dans un affreux charabia, étaient immédiatement identifiables comme codées et presque aussi vite déchiffrées par quiconque avait un minimum de culture.

Arkimedes avait depuis très longtemps renoncé à expliquer à son frère que c'était parfaitement vain d'utiliser un tel système, en plus d'être suspect pour un homme censé être un respectable marchand aux modestes ambitions politiques. Tout gonflé de son orgueil, Hygremon était complètement incapable d'entendre raison sur ce point, malgré une certaine finesse dans beaucoup d'autres aspects. Cette situation, la lettre, le chiffrage approximatif, étaient une fois combinés, un concentré de tout ce qu'Arkimedes pouvait détester dans sa famille: la culture du secret pour le secret et la manie d'épier son prochain mises au service d'une ambition politique sans scrupules principalement motivée par une hubris dévorante. Après avoir longuement fulminé en silence, arpentant sa chambre de long en large malgré ses articulations douloureuses, l'historien finit par se résoudre à céder. Il n'était pas sûr de ce que sa famille pourrait lui faire en cas de refus d'obéissance caractérisé.

Réprimant soigneusement tout au fond de lui un frisson d'horreur, il enfila son manteau, son écharpe et ses gants. Il allait régler cela séance tenante, ainsi il pourrait reprendre le cours de son existence le plus rapidement possible. Avant de sortir, Arkimedes glissa la lettre de son frère dans son livre du moment, qu'il garda sous le bras. Il pourrait ainsi se référer à l'adresse où Hygremon l'envoyait et s'arrêter pour boire un thé en lisant quelques pages sur le chemin du retour. Traversant la cour puis l'entrée de l'auberge, l'historien salua son aimable hôtesse en inclinant la tête et sortit dans la rue. 

Il connaissait de nom la boutique où son frère l'envoyait: c'était la vitrine commerciale d'un marchand d'art qui exportait les toiles ryoshimaises à Kymara et la sculpture kymaraise à Ryoshima. D'après les explications lapidaires d'Hygremon, une rumeur disait que l'homme avait pour projet d'étendre son activité aux pigments et aux peintures. Cela empiéterait alors sur les affaires des Glaukopis, qui faisaient entre autres, commerce de divers produits de papeterie similaires. L'objectif était simple mais non moins pénible: se rendre dans la boutique et voir s'il y avait des indices concrets que le marchand d'art fomentait un tel projet. La fortune de la famille étant basée sur le vin et les fruits, la vacuité de cette tentative de sauvegarder une branche mineure d'une activité secondaire aurait presque plus faire sourire Arkimedes s'il s'en avait pas été l'instrument.

Car, en attendant, c'était lui qui parcourait les rues glaciales et bondées de la cité, le nez enfoui dans son écharpe avec la sensation que le vent allait le faire décoller du sol. Il était si engourdi qu'il fit presque dix pas avant de s'apercevoir qu'il avait fait tomber son livre, calé sous son bras pour qu'il puisse garder les mains dans les poches. Maudissant les dieux à mi-voix dans son kymarais maternel, l'historien tourna les talons pour ramasser l'ouvrage, tombé sur la tranche et gisant ouvert sur la chaussée, puis s'accroupi péniblement. Ses genoux grincèrent comme ceux d'un vieillard, et il manqua de perdre l'équilibre, gêné par son élégant mais trop ajusté manteau noir. Il épousseta soigneusement ses élégants vêtements de ville alyronais en se redressant, puis fit rapidement défiler les pages du livre avant de se figer d'horreur. La lettre de son frère manquait.
Shimada Akio
Shimada AkioRyoshima
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[Ryoshima]Une vulgaire lettre d'un marchand de Kymara [avec Akio Shimada] EmptyDim 29 Jan - 16:41
L’azur du ciel était glacial en cette tranquille matinée de décembre. Çà et là y cotonnaient de légers nuages, aussi duveteux que les amas de neige repoussés au pied des masures afin de dégager les allées de la Cité, tandis que de fines stalactites pendant des toits en rangées dentées avivaient chez Akio le souvenir de son adolescence, à l’époque où il observait les grands de l’orphelinat batailler entre eux grâce à ces piques éphémères. Jeux de mains, jeux de vilains !, sermonnaient alors les matrones en les chassant de la cour, certaines qu’un de ces jours quelqu’un finirait empalé, or l’avenir leur avait chaque fois donné tort puisque jamais aucun blessé n’avait été à déplorer. Lui, déjà peu enclin à ces violentes distractions, préférait observer les reflets du soleil lécher la glace jusqu’à la faire fondre, goutte après goutte, tel un tour d’alchimiste transformant l’eau en diamant, l’espace d’une seconde, avant que la gemme ne chute au sol sans un bruit. Le temps avait passé depuis, pourtant l’image lui revenait intacte sur le seuil de ce comptoir de poste d’où il était sorti, teintant l’éther d’une saveur familière. Il n’en fallut pas davantage pour lui donner envie de flâner en quête d’un nouveau sujet à peindre.
Le guichetier qui l’avait reçu l’avait salué d’un « Monsieur le peintre » qui l’avait amusé autant que conforté dans son personnage — peut-être à cause du long pinceau dont il avait épinglé son haut chignon, à moins que ce ne fussent les taches sur ses doigts qui l’avaient trahi au moment de tendre sa missive —, car cela signifiait que sa couverture se consolidait naturellement, sans qu’il eût à forcer le trait. Et quand bien même son courrier aurait été inspecté, par suspicion ou contrôle de routine, l’on n’aurait rien découvert qu’une histoire de commande, de nouveaux pigments et d’espoir artistique adressée à un « oncle » lointain résidant à l’extrême nord de Ryoshima. S’ils avaient su. S’ils avaient su que derrière ce jargon tout ordinaire se dissimulaient les dernières informations qu’Akio transmettait à son maître selon un code simple mais efficace : son client était sa cible, les dimensions de la toile mentionnée camouflaient une date de voyage et, par un jeu d’homophonies et de symboles, il avait glissé le lieu précis, le nom de son futur hôte ainsi que le motif de sa villégiature. Les renseignements s’arrêtaient là. Comme toujours, il ignorait ce qu’en ferait Zane et se gardait de s’interroger à ce propos. Un espion ne pose pas de question. Il obéit. Il n’a pas besoin de plus.

Mais pour la première fois, Akio avait omis d’inscrire un détail dans sa lettre. Un détail quant aux véritables intentions de ce prétendu mécène, naguère approché par l’entremise d’un second noblaillon ; non qu’il jugeait cette information dérisoire, au contraire ! Seulement, il la devinait utile pour plus tard et, surtout, pour quelqu’un d’autre que Zane. Est-ce que ce dernier considèrerait ce geste comme une trahison ? Pas s’il n’était pas au courant. Et qui d’autre que son unique disciple aurait pu l’en avertir ? Zane était un excellent espion, indéniablement, néanmoins son exil avait quelque peu érodé son influence, de sorte que son monopole s’effritait peu à peu au profit d’autres criminels d’une meilleure trempe. Akio en avait tout à fait conscience, comme il avait aussi conscience de ne pas être l’unique synancée de l’aquarium ; lui qui avait longtemps cru durant sa formation qu’il serait seul lâché dans un banc de harengs, il avait très vite compris à son arrivée en ville que de nombreuses murènes évoluaient dans les bas-fonds du renseignement, et qu’il devrait aussi composer avec ces prédateurs. Mais de là à trahir son propre maître...
L’idée ne l’avait pas effleuré jusqu’à la semaine dernière — depuis, il y avait réfléchi. 
Jour et nuit. 
Comment un espion peut-il prendre son indépendance ? Comment bâtir son propre réseau solidaire et renforcer sa propre influence ? Comment reconnaître les bons relais, les acheteurs honnêtes, tout en esquivant les écueils et les pièges de la dénonciation ? Si la confiance est la clef, comment s’assure-t-on de la conserver tout en préservant son secret ?
Autant d’interrogations qui l’avaient accompagné ces derniers jours, se faufilant subrepticement entre les lignes de son message. Un pas de côté. Un accroc sur la trame, le tout premier. Quant à savoir s’il s’agissait du dernier... Ne devait-il pas songer à son avenir ? Zane ne serait pas toujours derrière lui, du vieux de ses soixante ans — un jour, si ce n’est déjà aujourd’hui, Akio serait seul face à ses décisions. Seul face à ses crimes. Face à sa rédemption. 

Seul, comme il le fut devant cette enveloppe que le destin plaça sur sa route, au croisement d’une rue commerçante où une foule de pelisses et de kimonos d’hiver ondulait à la manière d’une marée de lemmings. Vu son apparence intacte, elle était sans doute tombée à peine quelques secondes plus tôt, mais de quelle poche ? Jeter un œil à la ronde ne l’aida guère à distinguer son éventuel propriétaire : en cette saison, toutes les silhouettes se ressemblaient, les nuques disparaissaient sous les écharpes et les manteaux avalaient les formes à l’unisson. Lui-même n’échappait pas à la règle, avec sa longue veste au vert terne et sa tunique brune que serrait une corde à peine plus claire, même si sa chevelure peu orthodoxe lui offrait une touche d’originalité à l’aune des autres hommes. Et s’il avait été n’importe lequel d’entre eux, il est probable qu’il n’aurait pas ramassé cette lettre — il l’aurait piétinée, esquivée, ignorée tout du moins, ce n’était qu’une lettre à un inconnu, pas son affaire. Sauf qu’il était espion en pleine réflexion, et par un réflexe tout professionnel, il s’accroupit, récupéra le papier comme si c’était le sien, puis inspecta le nom et l’adresse inscrits sur le recto : M. Glaukopis, chez...
Glaukopis. Un étranger, donc. Les consonances ne lui évoquaient rien de connu, en tout cas pas sur l’île, ce que confirma l’aspect du papier utilisé, bien plus épais que celui produit à base de riz à Ryoshima. Quant au contenu de la lettre en soi, il attendit de reculer sous l’auvent d’une boutique d’ombrelles pour y jeter un œil. La curiosité tua le chat, certes, mais l’on oublie souvent de dire qu’il l’avait bien cherché. Et, oh, qu’il n’eut aucun regret. Était-ce cela, le signe qu’Akio guettait sans l’espérer ? Sous son regard ravi dansait une suite de lettres indéchiffrables, merveille d’énigme pour les mystificateurs de son espèce, promesse d’un mystère croustillant à révéler à quiconque en aurait l’intérêt — une aubaine qu’il se ferait un plaisir de décortiquer une fois de retour dans sa chambre, à l’abri des inquisiteurs. D’autant qu’avec un peu de chance supplémentaire, le destinataire du courrier se trouvait encore dans les parages, de quoi glaner un contexte à cet envoi des plus cryptiques.

Après avoir glissé la lettre à l’intérieur de son vêtement, le peintre s’immergea de nouveau avec nonchalance dans le courant des passants, à la recherche d’un indice. Une personne à l’affût, en train de chercher au sol, voire une autre lettre ? Qui sait, il avait peut-être affaire à un véritable semeur d’enveloppes... Mais non. À la place, et sans trop d’effort, il se retrouva quelques foulées plus loin devant un homme habillé d’ombre, à la carrure fragile et aux doigts crayeux, qui tenait dans ses paumes un livre qu’il feuilletait sans paraître lire. L’endroit n’étant que peu approprié à une lecture paisible, Akio en déduisit qu’il cherchait dedans ce que lui-même possédait contre son cœur, et que les dieux avaient sûrement jeté toute leur fortune sur sa tête en ce jour. Monsieur Glaukopis, à n’en pas douter : un vrai mouton noir dans le troupeau des autochtones. Pas vraiment la carrure de l’espion émigré, cela dit, bien qu’il était le mieux placé pour savoir que l’habit ne fait pas le chanoine. Rencontrer un pair d’une autre cité l’emplissait d’appétence. Comment s’organisait-il en terrain inconnu ? Quelles méthodes utilisait-il pour se fondre parmi ses cibles en dépit de son apparence ? Travaillait-il à son compte ou pour quelque commanditaire régulier ?
Et parce qu’il le voulait tant, il s’arrêta juste à côté et leva la tête — ah, ces étrangers gigantesques... — avec l’attitude d’un modeste citoyen sans histoire :
« Excusez-moi..., articula-t-il en alryonais pour palier une possible incompréhension, êtes-vous perdu ? Ce quartier est un petit labyrinthe, il est facile pour les voyageurs de s’y égarer. Vous cherchez quelque chose ? »
Poli et innocent, toujours.
Arkimedes Glaukopis
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[Ryoshima]Une vulgaire lettre d'un marchand de Kymara [avec Akio Shimada] EmptyMar 31 Jan - 17:41
Réfléchir, vite, calmement. Arkimedes était incapable de fixer ses pensées plus de quelques secondes, son esprit était ballotté par la panique comme une feuille de papier par le vent: chaque fois qu'il touchait le sol, une nouvelle bourrasque l'emportait. Il ferma son livre d'un geste sec, le claquement étouffé des pages qui s'embrassaient sonna comme une explosion à ses oreilles mais l'aida à se reprendre. Il ferma les yeux une seconde, se coupant de la rue dont l'agitation alimentait le désordre de son esprit. Ce n'était qu'une feuille de papier, malgré la qualité du support et de l'encre utilisé par son frère, s'il ne la trouvait pas, elle serait bientôt piétinée dans la boue jusqu'à se déliter complètement.

Il rouvrit les yeux, plus calme. Il devait avoir perdu la lettre en faisant tomber son livre, elle ne pouvait pas être loin. Peut-être avait-elle été emportée sur quelques mètres par un manteau traînant au sol ou un courant d'air, mais en tout cas, sûrement pas hors de vue. Arkimedes par sa haute taille, avait un bon point de vue, ce n'était qu'une question de temps avant qu'il la repère. Il restait nauséeux: la lettre était toujours aussi évidemment codée, et faisait une référence explicite à un marchand bien connu de la cité. Un petit malin aurait vite fait de déchiffrer le courrier et de l'informer qu'Hygremon Glaukopis voulait mettre son nez dans ses affaires avec des intentions assez peu amicales.

De là, son frère comprendrait rapidement qu'Arkimedes avait fait une erreur et il pourrait bien décider de le punir. Affolé, l'historien s'efforçait de relativiser en espérant s'être rendu assez important pour qu'on ne lui fasse pas de mal. Il n'avait jamais prouvé que cette affreuse malade était un empoisonnement. Mais il était paralysé de terreur. Et puis quelqu'un s'approcha de lui. Arkimedes ne le remarqua pas tout de suite, tout à sa panique, jusqu'à ce qu'il s'adresse à lui. C'était un petit homme délicat, qu'il prit un instant pour une jeune fille à la faveur de la vêture androgyne des Ryoshimais et surtout de ses très longs cheveux retenu en chignon par un pinceau. Même avec ce détail insolite, il avait l'air de sortir tout droit d'une peinture ancienne. Il resta interdit plus longtemps qu'il ne l'aurait voulu et répondit finalement en alyronnais également:

"Oh... heu, non je vous remercie!" commença-t-il avant d'ajouter, ressentant le besoin de se justifier de son attitude étrange:"J'ai perdu... mon marque-page, c'était un cadeau, j'y tenais."

Il aurait pu être honnête mais quelque chose le perturbait avec ce jeune homme. Arkimedes lui trouvait l'air innocent, un peu trop, ou pas de la bonne manière. Il l'était à la façon d'un chat, joli et aimable, mais n'hésitant pas à pousser la vaisselle des étagères pour le plaisir de la voir tomber. Il avait déjà entendu parler de techniques similaires: quelqu'un s'approchait d'un voyageur pour lui parler et faire diversion pendant que ses complices lui faisaient les poches. L'historien ne savait pas si ce genre de technique existaient à Ryoshima, mais il préféra ne pas prendre de risque. Replaçant son livre sous son bras, il fourra ses deux mains dans ses poches pour en protéger le contenu aussi naturellement que possible. A tâtons, il ne semblait rien lui manquer qu'il n'ai déjà perdu.

Un peu gêné, Arkimedes se balança sur ses talons. Il voulait s'éloigner de cet étranger et de son étrange félinité mais ressentait aussi lourdement le besoin de retrouver cette lettre. Le malaise fut finalement suffisant pour qu'il priorise son envie de reprendre sa route, toutefois se rappelait du nom du marchand et de celui de la boutique, il avait perdu l'adresse en même temps que la lettre. A l'angoisse des conséquences qui s'abattraient sur lui si quelqu'un trouvait la missive, s'ajouta celle, beaucoup plus quotidienne d'avoir une conversation avec un inconnu.

"A bien y réfléchir, vous pouvez certainement m'aider en réalité."reprit Arkimedes, par devers lui."J'aimerais visiter la boutique de Sen Hideshi, je pense qu'il est bien connu des artistes comme vous."
Shimada Akio
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[Ryoshima]Une vulgaire lettre d'un marchand de Kymara [avec Akio Shimada] EmptyJeu 2 Fév - 11:04
Dans l’instant hébété qui avait figé les traits de son interlocuteur, Akio eut tout le loisir de le scruter plus avant afin d’étancher la vive curiosité qui se camouflait sous la douceur de son regard. C’est qu’en plus d’être potentiellement son confrère — allié ou ennemi peu importe, tous sont des loups dans la bergerie —, ce Glaukopis était étranger, lui conférant d’office un caractère exotique dont tout artiste un tant soit peu ouvert est friand. À en lire le grain de son épiderme, il lui aurait donné une belle trentaine d’années dans l’ombre, dans un monastère peut-être ou quelque autre institution close propice à préserver ses hôtes des feux du soleil, le genre d’endroit qui l’aurait fait lui-même pleurer d’ennui dans son enfance s’il n’avait pas eu une fenêtre par laquelle s’évader. Mais pour la défense de ce grand sieur, et avec sa carrure pour preuve, il n’avait pas l’air du gaillard prompt à escalader les murets afin de prendre la clef des champs et à revenir tanné ou ébouriffé de ses courses au seuil de la nuit. C’était plutôt tout l’inverse. Si Akio avait dû en faire le sujet d’une toile, selon un exercice de pensée qui l’amusait beaucoup chaque fois qu’il rencontrait de nouvelles personnes, il ne l’aurait certainement pas placé au centre. Ni de plain-pied. D’ailleurs, il ne l’aurait sans doute même pas amené dans la lumière, tel le modèle d’un portrait tout grandiloquent comme il avait déjà eu à en exécuter pour des nobles, non. Il l’aurait glissé là-bas, assis à un bureau visible par l’embrasure d’une porte, ou bien traversant lugubre entre deux voiles, au fond d’une pièce où s’agitent les convives d’une réception mondaine. N’est-ce pas là l’essence d’un espion, que d’évoluer près de ses proies sans jamais être soupçonné ?
Pourtant, un détail donnait tort aux conjectures du Ryoshimais, et ce détail l’intriguait d’autant plus qu’il mettait à mal sa croyance : Glaukopis se montrait fébrile. Pire, il n’essayait même pas de feindre l’assurance ou d’estomper son inquiétude qui suintait dans ses hésitations et les papillons marbrés de ses paupières. Il semblait, avec toute la sincérité du monde, soucieux de la perte de ce « marque-page » — si bien que, dans le cas où Akio n’aurait pas ramassé le véritable objet de ses craintes, il aurait pu avaler cette histoire comme un petit orvet. Un espion ne peut afficher ainsi ses émotions, songea-t-il, à moins que cela ne fasse partie de ses intentions ? Ah. Un doute s’insinua en lui à cette réflexion. Est-ce que perdre cette lettre faisait en vérité partie de son plan, et que par la justesse de son jeu, il venait de faire tomber le peintre dedans ? Tout ceci était-ce à dessein ? En un battement de cils, Akio reconsidéra son point de vue et la stratégie qui en découlait, pareil à ce pêcheur de palourdes qui remarque que la marée l’a isolé de la terre ferme. Poursuivre sa récolte ou revenir en lieu sûr, quitte à abandonner son panier ? Ce serait mal le connaître que d’imaginer qu’un peu d’eau autour des chevilles puisse le déranger.

« Je suis navré, il n’y avait rien sur mon trajet... Quelqu’un a dû le ramasser. »
Son timbre demeurait uni, cependant il y ajouta une légère inclinaison de son corps en signe d’excuse, avant de se redresser en écoutant la suite. Tiens donc. Y aurait-il dans cette lettre quelque manigance à l’encontre de ce vieux harpagon de Hideshi ? Ou bien Glaukopis avait-il affaires à causer avec, en toute complicité ? Une chose toutefois s’avérait : la curiosité d’Akio avait bondi sur ses genoux pour y planter ses griffes.
« Monsieur Hideshi, eh..., réfléchit-il une seconde, en effet, enfin, pour les peintres qui cherchent à exporter à Kymara. Il est le seul ici à proposer ces échanges, ce qui lui offre un certain... monopole, je présume. » Initiant un pas de côté, il ouvrit le bras d’un geste élégant. « Suivez-moi, nous allons couper par des rues plus calmes. »

Coutumier du flot discipliné que représentaient les citoyens de cette Cité, Akio n’aurait eu aucun mal à se faufiler de traverse vers une voie oblique, néanmoins cette fois il s’abstint d’imiter les anguilles pour que son comparse ne l’égare pas comme un second marque-page. Il prit soin de rester proche, aussi proche que l’autorisait la convenance jusqu’à ce qu’ils atteignent après une vingtaine de mètres une bifurcation plus pentue, plus étroite aussi, et conséquemment moins fréquentée, bordée de résidences modestes aux rez-de-chaussée ouverts sur des restaurants minuscules que l’heure n’avait pas encore remplis de clients ou des épiceries familiales en plein achalandage. Les ruelles qui suivirent furent du même acabit, tantôt désertes tantôt de guingois, à l’image de ce dédale commerçant où une chatte ne retrouverait pas ses petits. Un risque que n’avait pas à encourir Akio, quelque part : le sien était si grand qu’il le repérerait aisément. Et tandis qu’ils cheminaient, il décida de semer à l’aveugle de nouvelles graines.
« Est-ce la sculpture qui vous intéresse ? Vous verrez, la galerie de Monsieur Hideshi est une référence en la matière : ses artistes kymarais sont parmi les meilleurs. Bien que je craigne qu’il ne puisse rien faire pour votre perte. »
Arkimedes Glaukopis
Arkimedes GlaukopisAlexandria
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[Ryoshima]Une vulgaire lettre d'un marchand de Kymara [avec Akio Shimada] EmptyVen 3 Fév - 18:49
Evidemment, l'étrange chat errant n'avait repéré aucun marque-page, Arkimedes aurait été bien surpris de l'inverse. Pas de lettre non plus, comme il l'avait espéré, elle avait dû être enterrée dans la boue par les talons des passants. Et son petit mensonge avait prit: il n'avait jamais été doué pour ce genre d'exercice, peut-être que ce jeune artiste était aussi innocent qu'il en avait l'air. Restait quelque chose d'artificiel dans les manières de ce garçon, l'historien n'avait jamais su lire dans l'âme de ses semblables mais l'observation restait son cœur de métier.

On pouvait sans doute mettre cette ambiguïté sur le compte de la très stricte politesse ryoshimaise mais au moment où Arkimedes en arrivait à cet conclusion, l'étranger se mit en mouvement. Il bougeait comme un danseur, ou comme un guerrier. Ce n'était pas incompatible avec la profession de peintre, après tout l'art tenait une place de premier ordre à Ryoshima, mais il ne put s'empêcher de noter ce détail. D'autant que l'artiste tenait visiblement à l'accompagner, là où Arkimedes n'espérait que des instructions.

"Merci beaucoup, je vous suis très reconnaissant de m'accompagner." répondit l'historien sans conviction dans un ryoshimais tordu, en lui emboîtant malgré tout le pas.

Cela lui semblait déjà plus poli de laisser savoir à son guide qu'il parlait un peu de la langue locale, mais surtout plus prudent avant de le suivre dans les ruelles. Ainsi, Arkimedes avait clarifié en douceur le fait qu'il était un voyageur rôdé et pas un lapin de six semaines qu'on pouvait détrousser dans une impasse. Malgré son inquiétude latente, il s'efforça de profiter de cette promenade: dans les ruelles, c'était une Ryoshima plus quotidienne qu'il pouvait observer, des petits lambeaux de vies de gens ordinaires qui se jouaient dans les boutiques étroites et les rez-de-chaussées des maisons blotties les unes contre les autres. Il picorait ainsi des fragments d'existence sans jamais dévisager personne, le regard trop mobile pour importuner qui que ce soit.

Toutefois, son guide l'empêchait de se perdre trop dans sa contemplation. N'ayant toujours pas défini si tout ceci était du lard ou du cochon, Arkimedes restait mal à l'aise et en fut presque soulagé quand le peintre relança la conversation. Le silence social était parfois plus dur à supporter que les conversations.

"En réalité, mon frère me demande de m'y rendre pour lui faire réserver quelques unes des plus belles pièces d'art ryoshimais de monsieur Hideshi, puisque j'étais de passage dans la région de toute manière." expliqua-t-il, repassant à l'alyronais qu'il parlait mieux

L'idée venait de lui apparaître, ce serait une parfaite couverture quand il aurait à fouiner dans l'échoppe. Il caressa un instant l'idée réellement réserver quelques toiles au nom d'Hygremon, à régler à la réception évidemment, que son frère se sentirait obliger de payer pour préserver sa réputation. Mais non cela serait tendre le bâton pour se faire battre, alors qu'il n'était déjà pas certain de s'en tirer pour cette histoire de lettre égarée. Au moins, la rue autour d'eux semblait s'élargir: il semblait que les deux hommes sortaient du réseau de ruelles et Arkimedes n'avait toujours pas été détroussé. C'était au moins ça qui n'encombrait plus ses pensées, et il croyait même reconnaître au loin l'enseigne d'Hideshi.

Lui vint alors une question, après tout, à présent qu'il était avec un homme de la profession il pouvait peut-être obtenir une partie des réponses qu'il cherchait.

"Mais dites-moi, monsieur... Veuillez m'excuser je n'ai pas pensé à vous demander votre nom!" s'exclama-t-il avant de reprendre, embarrassé par son impolitesse et sans s’apercevoir qu'il en était encore plus indélicat, pour revenir sur sa question. "Avez vous déjà eu affaire avec Sen Hideshi? Est-ce un honnête homme?"
Shimada Akio
Shimada AkioRyoshima
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[Ryoshima]Une vulgaire lettre d'un marchand de Kymara [avec Akio Shimada] EmptySam 11 Fév - 22:45
Quelque chose lui plaisait chez ce Glaukopis. Il n’aurait su préciser quoi.
Était-ce sa stature détonante, étrange mélange de roseau et d’amandier, qui le laissait en imposer tout en menaçant de casser à chaque instant ? Était-ce l’audace tranquille de ces remerciements prononcés dans l’idiome indigène, un brin tâtonnants mais corrects, comme un effort pour rajouter à sa gratitude une authenticité à laquelle Akio ne s’attendait guère ? Ou bien sa sympathie tenait-elle à la manière si discrète qu’il avait d’embrasser son environnement sans jamais se montrer voyeur, cette curiosité du regard qui ne se voulait ni insistante ni déplacée, mais qui pourtant s’attardait sur tout ce qu’on lui présentait ? Ce n’était pas un touriste ordinaire, de ceux qui négligent les banalités pour se concentrer sur les attractions les plus réputées ou qui ne retiennent de leurs voyages que la nourriture et le patrimoine en traitant les autochtones en objets — lui semblait apprécier le trivial, se satisfaire du vulgaire au sens premier comme il l’aurait fait de ses propres pénates, sinon s’en accommoder autant que de l’extravagant. À ceci près qu’il n’était probablement pas un touriste tout court. Et peut-être était-ce en définitive la véritable raison pour laquelle il avait piqué l’intérêt du peintre : au fond, lui non plus ne ressemblait pas à son propre visage.

Akio accueillit ensuite la réponse à son interrogation par un hochement de tête entendu, comme destiné à lui-même. Le naturel avec lequel Glaukopis avait énoncé son mobile l’auréolait de fait d’un voile irréfutable que personne n’aurait osé soulever sans se rendre indiscret en retour, sinon trop suspicieux pour être animé de bonnes intentions. D’autant qu’en Ryoshimais quasi pure souche, la pudeur constituait un second épiderme dont il aurait été malvenu de se défausser si vite en présence d’un inconnu. Néanmoins, notre espion s’estimait déjà chanceux que l’autre lui répondît sans trop de réticences ; toute considération subversive mise de côté, la spontanéité d’une discussion demeurait en n’importe quel cas préférable à sa pénible asphyxie. Cela lui permit d’ailleurs de confirmer la provenance de ces deux correspondants — Kymara. Mais pour quel projet autrement plus vaste cette enveloppe contre son cœur se trouvait-elle donc si loin de son foyer ? Y aurait-il dedans quelque velléité d’ordre non-artistique, à l’instar d’un code au fusain que viendrait recouvrir la peinture sur cette toile vendue sous le manteau ? Le mystère demeurait intact, et la soif d’Akio inassouvie.

« Alors il ne devrait pas être déçu », commenta-t-il en connaisseur, tandis que le nom de Hideshi se dessinait pourpre sur ébène à une dizaine de mètres. Dix mètres, ce fut d’ailleurs ce qu’il lui fallut pour écouter et considérer la dernière question de son camarade, avant de tracer à main levée une fine risette sur sa figure tout en agitant le poignet d’un geste tout féminin :
« Vous êtes tout excusé ! Je manque moi-même à mes devoirs... Mon nom est Shimada Akio. Comme vous avez déjà pu le constater, je suis peintre. » Bien que l’usage de l’alryonais rendît ses propos un brin plus guindés, à cause de la grammaire scolaire qu’il avait apprise, son accent édulcorait l’ensemble à la manière d’une cuillère de miel dans un thé trop amer. « Honnête, hm... Certains de mes confrères lui ont proposé des toiles qu’il a toutes refusées, parce qu’elles ne convenaient pas selon lui au goût de sa clientèle. Avec trente ans de métier devant lui, il est difficile de le contredire, mais... » Une pause lui fut nécessaire pour réfléchir à son vocabulaire ; après tout, il n’avait pas pratiqué autant depuis des semaines, et encore moins à ce niveau de langue. Puisqu’ils arrivaient à la devanture de la boutique, lui s’arrêta juste un instant, non loin de la porte coulissante sur laquelle un long écriteau calligraphié indiquait : De Ryoshima à Kymara, par l’art il n’y a qu’un pas ! C’est qu’il pouvait presque entendre la voix du propriétaire, très — trop — fier de sa trouvaille, au point qu’il s’était mis à en ponctuer toutes ses transactions, en guise de conclusion.
« ...reprocherait-on à un maraîcher de vouloir vendre ses fruits, et pour ce faire de leur attribuer toutes les qualités du monde même si l’un d’eux est gâté ? S’il est honnête... eh bien, je vous répondrai qu’il est d’abord marchand. Et vieux. »
Malgré son ton sans excès, un sourire perça sous l’adjectif. Voilà qui suffisait, n’est-ce pas ? Chez lui, l’art ne s’exportait pas, cependant il consistait aussi à laisser aux autres le soin de répondre eux-mêmes à leur curiosité, sans jamais se mouiller. Qu’ils mésinterprètent ses paroles ne relevait pas de son fait : lui ne revendiquerait jamais rien d’aussi radical.
Une main sur le battant de bois, près d’ouvrir, il échangea alors un regard en biais avec l’étranger, où un souffle de connivence le disputait à une sorte d’avertissement à l’égard du comportement à adopter une fois à l’intérieur de l’antre aux merveilles. Ceci saupoudré d’une pincée d’expectative quant aux événements à venir. De sûr, il n’en perdrait pas une paillette.
« N’ayez crainte : il est un livre ouvert que referme aussitôt le moindre doute, mais vous... vous savez traiter les livres, je crois. Qui dois-je annoncer ? »
Arkimedes Glaukopis
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[Ryoshima]Une vulgaire lettre d'un marchand de Kymara [avec Akio Shimada] EmptyLun 13 Fév - 12:43
Arkimedes lisait assez mal le ryoshimais mais il n'y avait plus de doute, c'était bien l'enseigne de la boutique d'Hideshi qui se balançait à quelques dizaines de mètres de là. Il contint un soupir de soulagement qu'il maquilla en raclement de gorge: bientôt cette visite, cette lettre et cet étrange peintre qui venait de se présenter sous le nom d'Akio Shimada seraient de l'histoire ancienne. A lui les sources chaudes, la poésie, le thé et sa véritable mission: se faire prêter ce satané manuscrit ancien et le ramener à Alexandria. Il en était de plus en plus convaincu, la missive de son frère devait être tombée dans l'oubli en même temps qu'elle était tombée de son livre.

De plus, tout étrange qu'il soit, ce monsieur Shimada se révéla utile en lui apprenant que le marchand d'art avait refusé des toiles. De ce qu'il en savait, Sen Hideshi avait plutôt tendance à faire feu de tout bois: ce qui ne se vendait pas maintenant prenait souvent de la valeur avec le temps. Arkimedes se frotta machinalement le menton en réfléchissant: soit le marchand se trouvait en difficulté, soit il conservait des fonds pour lancer une nouvelle activité. L'un ou l'autre intéresserait son frère et il nota soigneusement l'information alors que les deux hommes arrivaient à hauteur de la boutique.

La porte coulissante était ornée d'un slogan calligraphié que l'historien, amateur de lettres, trouva du plus mauvais goût.

"Monsieur Shimada, je vous remercie pour votre aide et vos précieux consei..." commença-t-il, pour prendre congé.

Mais le peintre ne lui laissa pas le temps de finir, entamant une nouvelle métaphore au sujet des livres et réclamant son nom pour l'annoncer. Arkimedes fut submergé par une nouvelle bouffée d'angoisse, s'efforçant de ne pas la laisser transparaître sur son visage: il était censé s'y rendre incognito, entrer dans la boutique en s'annonçant sous le nom de Glaukopis serait comme porter une pancarte marquée "espion" autour du cou. Un habitué de Kymara tel que Sen Hideshi ne pouvait ne pas connaître le nom d'une illustre famille politicienne et marchande comme la sienne. Et pour ne rien arranger, Shimada lui semblait d'une suspecte perspicacité concernant son métier.

"Je suis historien, en effet, vous avez vu juste concernant les livres." répondit-il de la voix la plus posée possible, s'efforçant de gagner du temps. "Je collecte des textes et des manuscrits anciens pour la bibliothèque d'Alexandria. Quand à mon nom, je suis Kymaras... Anèr Kymaras."

Arkimedes eut immédiatement envie de se frapper la tête contre un des montants de bois du porche de la boutique. Dans la panique, il avait juste dit les deux premiers mots qui lui venait dans sa langue maternelle, ainsi, il venait de se présenter sous le pseudonyme d'Homme de Kymara. Il n'avait plus qu'à espérer que son guide ne connaissait pas la langue. Se reprenant, il ajouta, plus vite qu'il ne l'aurait voulu:

"Mais c'est inutile de m'annoncer, je vous remercie, il est inutile d'en faire toute une histoire! Et appelez moi par mon prénom, ne faisons pas de chichis."

Alors même que Shimada s’apprêtait à ouvrir la porte, Arkimedes prit les devants pour la faire coulisser et entrer le premier, priant pour que la politesse ryoshimaise interdise à son guide de poser plus de questions. Il ne pouvait pas prendre le risque que le marchand, qui lui parlait parfaitement kymarais, entende un pseudonyme aussi approximatif. Anèr pouvait passer pour un diminutif d'Andreios, "courageux", un prénom relativement courant, mais personne à Kymara ne s'appelait "de Kymara".

De toute manière, il n'y avait dans la boutique qu'une jeune femme, probablement une vendeuse, qui s'affairait avec des autorisations d'exportation et les salua brièvement mais poliment avant de retourner à ses occupations. Arkimedes fit mine de s'absorber dans la contemplation des œuvres exposées, antiquités kymaraises et toiles contemporaines ryoshimaises mêlées dans un ensemble élégant et savamment calculé. Il allait faire le tour de la boutique, regarder discrètement la paperasserie qui se massait sur le comptoir, prétendre que rien n'était au goût de son frère et repartir comme il était venu pour faire son rapport. Rien ne pouvait mal se passer.
Shimada Akio
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[Ryoshima]Une vulgaire lettre d'un marchand de Kymara [avec Akio Shimada] EmptySam 18 Fév - 17:06
Un historien, donc. Une couverture des mieux choisies, puisque hermétique à qui ne se montrerait pas assez intellectuel, cohérente avec un physique quelque peu cacochyme et justifiant des voyages de toutes sortes — comment cela, c’était là sa véritable profession ? Akio oscillait entre y croire et se laisser berner par cette tranquillité de ton, comme un aveu sincère, surtout que sa remarque sur les livres n’avait eu vocation qu’à rappeler avec un cynisme tout innocent dans quel état l’ouvrage que Glaukopis transportait s’était retrouvé négligé sur le pavé. Jamais ne s’était-il attendu à ce que cela fût pris au sens littéral, aussi se garda-t-il de revenir sur son intention originelle. Tant pis. Au moins une chose demeurait certaine : il avait affaire à un esprit scientifique qui mentait sur son nom. Ou bien. Le propriétaire de la lettre était quelqu’un d’autre, l’authentique Glaukopis n’avait rien à voir avec cette histoire et ce sieur avait dérobé la missive à un troisième lascar afin de lui damer le pion d’une manière ou d’une autre. Capillotracté ? Pas aux yeux d’un espion coutumier de ce genre de manigances. Cependant, cela représentait une somme de conjectures impossibles à vérifier en l’état, du moins sans mettre l’intéressé au pied du mur. Et sans pression de le faire, Akio imaginait mal comment y parvenir, car agir trop frontalement risquerait de braquer, voire d’affoler la rascasse au point qu’elle ne s’esquive en crabe.
Une rascasse du prétendu nom d’Anèr Kymaras.
Vraiment ? Porter le nom de son propre pays en patronyme ? Si encore il n’était pas aussi compliqué à prononcer correctement pour une langue si peu friande des fricatives, Anèr coulant liquide malgré lui si jamais il tentait de l’articuler — ce qu’il s’interdit de faire, plus par inconfort anticipé que par envie d’agréer à la sollicitation de son camarade. Anèr. Anèr... Dans quel recoin poussiéreux de ses leçons de kymarais ce mot-là avait préservé sa douce lueur ? Cela ne lui revenait guère, par malchance ; il en chercherait plus tard la signification. Peut-être alors aurait-il de quoi se permettre quelques chichis.

Laissant ainsi l’historien s’infiltrer le premier dans la boutique, Akio repéra tout de suite l’absence du maître de commerce, remplacé avantageusement par la silhouette de son assistante, laquelle mettait un point d’honneur à ce que son sérieux professionnel fut à la hauteur de son chignon. Il suffisait d’ailleurs de lire sa coiffure pour appréhender son caractère : sobre, tiré à quatre épingles d’acajou sans fioritures, d’une intransigeante modestie. Même le peigne qui retenait les petits cheveux au-dessus de sa nuque se confondait presque dans la noirceur des mèches, ton sur ton. À n’en pas douter, elle ne laisserait rien passer, rien transparaître. Loin de se concentrer sur les œuvres de ses confrères, Akio décrocha son éventail qui pendait à la cordelette de sa ceinture, puis l’ouvrit dans un froissement. Il abandonna Anèr-Glaukopis-Kymaras à sa contemplation en vue de se rapprocher aussitôt du comptoir, bâti assez bas pour qu’il puisse y poser les mains sans avoir à relever le coude. Un épais registre recensait les dernières transactions opérées par Hideshi, qu’elles fussent vente ou achat, selon deux colonnes distinctes. À côté, la demoiselle consignait l’inventaire du jour dans un plus petit carnet, s’assurant qu’il n’y ait pas de différences entre les deux listes de marchandises.

« Veuillez nous excuser pour le dérangement, Chisato-san, commença le peintre en ryoshimais, mais ce grand savant de Kymara souhaiterait acquérir vos plus belles toiles pour son frère... »
Il fit une pause, le temps que la jeune femme lui accordât toute son attention en relevant la tête. Au fond de ses prunelles noires, dans l’amande de son regard soulignée d’un trait de pinceau bleu, il devina l’éclat de méfiance qu’elle lui témoignait de prime abord, non parce qu’elle aurait déjà eu à composer avec l’énergumène, mais plutôt parce que tout autochtone portant les cheveux trop longs pour son sexe, promenant ses doigts sur son bureau et l’appelant sans autorisation par son prénom cochait déjà une ligne complète de son bingo du vous n’êtes pas le bienvenu en ces lieux. Malheureusement pour elle, son sens du service devait supplanter son radar interne, et la perspective de vendre quelques œuvres couvrait de vernis son embarras vis-à-vis d’Akio, qui reprit du même timbre nonchalant :
« ...quant à moi, j’aurais une petite question.
Je vous écoute » fit-elle, renonçant malgré elle à quitter sa place pour rejoindre ledit savant.
Le garçon se pencha légèrement, l’éventail ouvert contre sa joue, l’air de ne rien prétendre. Il n’essaya même pas de capter l’attention d’Anèr dont il entendait toujours les pas derrière lui, discret furet dans les allées de la boutique, avant d’expliciter sa pensée ; si son intuition était bonne, l’étranger aurait les oreilles qui traînent et lui n’aurait pas à hausser la voix pour provoquer une réaction. À l’inverse, il eut tendance à parler un cran plus bas, juste pour induire une atmosphère secrète propice à son mensonge cousu de fil blanc.
« Il y a quelque temps de cela, l’on m’a rapporté qu’un noble kymarais souhaitait ouvrir une galerie de peintures ryoshimaises en son pays et recherchait un partenaire commercial local, capable de lui fournir les meilleures qui soient... Or, il semblerait que cette initiative cache en réalité de toutes autres intentions. D’où mon interrogation. » Chisato haussa un sourcil, sceptique quoique concernée. « Avez-vous déjà marchandé avec un monsieur Glaukopis ? »
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[Ryoshima]Une vulgaire lettre d'un marchand de Kymara [avec Akio Shimada] EmptyDim 26 Fév - 17:53
Arkimedes fit mine de s'absorber dans une toile, un paysage kymarais peint à la manière des maîtres de Ryoshima, pour s'efforcer de faire le point. Rien dans la boutique ne laissait présager une diversification des activités d'Hideshi, mais ce n'était après tout qu'une vitrine. Il aurait fallu qu'il puisse fouiner dans un entrepôt ou mette son nez dans les documents de la jeune femme derrière le comptoir pour en savoir plus. Mais encore aurait-il fallu pour cela qu'il veuille bien faire ce travail sérieusement et jusqu'au bout. Même s'il avait eu l'intention de mener réellement cette mission à bien, ce qui n'avait été le cas à aucun moment, il s'était fait assez de frayeurs aujourd'hui pour ne pas prendre de risque supplémentaire.

Se tenant le menton dans une attitude contemplatrice, Arkimedes jeta un coup d’œil en biais à Akio avant de reporter le regard aussitôt sur le tableau. Le peintre, éventail à la main, semblait badiner avec la vendeuse, s'adressant à elle avec une familiarité surprenante au vu de la formalité de mise dans les relations professionnelles à Ryoshima. Essayait-il de flirter avec elle? Ou d'impressionner Arkimedes en montrant sa connaissance du milieu? L'historien n'avait toujours pas décidé ce qu'il pensait de ce jeune homme. Indéniablement, c'était un excentrique et il avait quelque chose de sympathique qui donnait envie de lui faire confiance.

Mais Arkimedes ne parvenait pas à s'y résoudre: même au pays de la politesse, Akio était trop serviable pour être honnête. De toute manière, le peintre allait très bientôt strictement appartenir au passé, il ne valait pas la peine de se forger une opinion ferme à son sujet. C'était la conclusion à laquelle il arrivait quand il entendit dans la conversation à mi-voix du peintre et de la vendeuse, le nom de Glaukopis. Ses épaules s'étaient crispées, et cela ne pouvait pas ne pas s'être vu mais il s'efforça d'avoir l'air le plus calme possible quand il tourna la tête. L'historien n'avait pas prêté attention au contexte dans lequel Akio avait prononcé son nom de famille, mais la coïncidence lui semblait trop grosse pour être anodine.

Désormais, il en était sûr, le petit peintre excentrique cachait quelque chose. Qu'il ai ramassé la lettre perdue par Arkimedes ou qu'il ai été envoyé sur ses traces par un quelconque ennemi de sa famille, Akio savait très bien à qui il avait affaire et depuis le moment où il l'avait abordé dans la rue un peu plus tôt. L'historien haussa les sourcils pour lui-même: à y repenser, c'était évident qu'il fallait vouloir être complaisant avec sa cible pour faire mine de gober un pseudonyme comme Anèr Kymaras. La vendeuse, elle, semblait de plus en plus contrariée par les familiarités et les questions intrusives d'Akio:

"Pardonnez-moi, mais je ne pense pas qu'il soit approprié que je vous entretienne des affaires de Hideshi-sama."

Quand à Arkimedes, il devait rapidement trouver un moyen de donner le change. D'une part, il préférait ne pas laisser voir au peintre qu'il avait saisi son manège: pour cela il était préférable de continuer à jouer Anèr Kymaras. De l'autre, il voulait trivialement éviter que la vendeuse se pique de le conseiller, sous peine de se sentir obligé d'acheter une toile, ce qui aurait lourdement pesé sur ses finances modestes. Soudainement inspiré, il répondit en ryoshimais, bien que la question ne lui ai pas été adressée, tout en s'avançant vers le tableau suivant:

"Je ne le conseillerais à personne. Les Glaukopis sont des crapules notoires."

Arkimedes avait réussi à énoncer sa remarque sur un ton relativement naturel et pour cause, il était absolument sincère dans l'opinion qu'il avait donné concernant l'illustre famille. De l'extérieur, il devait assez bien avoir réussi à jouer le fils Glaukopis prétendant être quelqu'un d'autre, mais n'osait pas pour autant se retourner pour jauger de son effet.
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[Ryoshima]Une vulgaire lettre d'un marchand de Kymara [avec Akio Shimada] EmptyJeu 2 Mar - 22:10
Du coin de l’œil, Akio avait guetté la réaction d’Anèr à la seconde où le patronyme de Glaukopis avait quitté sa gorge. Et il n’avait pas été déçu, tant par la contraction subite que le squelette de l’historien avait laissé deviner que par la maîtrise dont il faisait montre pour ne pas en dévoiler davantage, comme un accroc retenu dans le voile derrière lequel il se dissimulait. Si sa condition physique le lui avait permis, peut-être aurait-il pris la poudre d’escampette sans demander son reste afin d’emporter avec lui ses secrets et ses velléités — mais même bien portant, Akio doutait que son comparse fût le genre à exhiber son embarras de manière aussi ridicule ou ostentatoire. Après tout, ne lui avait-il pas menti avec un soin tout maladroit, par pure prudence, sans connaître les intentions du peintre à son sujet ?
La réplique de Chisato ne l’émut pas plus que cela. Qu’elle refusât de jouer le jeu ou gobât la rumeur ainsi qu’une couleuvre ne changeait pas grand-chose à l’équation : elle n’en était pas la cible. Il lui fit cependant cadeau d’une légère moue qui se voulait compréhensive plutôt que dépitée, à laquelle elle demeura insensible. Seule la remarque du jeune Kyramas fit naître une expression de surprise sur son visage fermé — moins pour l’usage du ryoshimais que pour l’insulte qui s’y nichait —, variante plus offusquée de l’étonnement qui redressa Akio ; lui ne se retourna vers le détracteur que pour mieux appuyer ses reins contre le comptoir, puis refermer son éventail tout en penchant la tête vers la vendeuse avec un air de connivence. Délicatement, quelques mèches vinrent lécher le bois dans son dos.
« Eh, voyez ? Faites confiance à un connaisseur. »
Elle hésita. En elle s’emmêlaient confusément son sens commercial, un élan de méfiance et un frisson d’angoisse à l’idée de mettre le pied dans un piège-à-loup dont elle ignorait tout, le type de magouilles obscures que son patron pourrait lui reprocher a posteriori. Quant à l’espion à ses côtés, il observait avec une curiosité toute féline déambuler le second homme dans la boutique, pareil à la pièce centrale d’un puzzle retourné face cachée, se demandant quel prochain coup pourrait en dévoiler un nouveau pan. Car il faisait bien peu de doutes à présent qu’il avait face à lui l’authentique propriétaire de la lettre, le crin hérissé par cette nomination qu’il n’avait su taire — quelle occasion trouverait-il donc pour monnayer la restitution de l’enveloppe ? Et à quelles conditions ? Quand ils se prendraient à la gorge sitôt sortis de chez Hideshi ? Si encore ils étaient l’un et l’autre de ces gens-là, aux poings plus bavards que la langue...

Chisato se décida enfin à faire un pas en vue de sortir de son comptoir ; puisque la compagnie de cet artiste gênant ne lui était d’aucun agrément, autant s’éloigner vers cet austère géant et se renseigner sur ses goûts en matière de peintures. Toutefois, elle fut interrompue dans son mouvement par ce même artiste qui, l’air de ne pas y toucher, choisit cet instant pour s’écarter du meuble et lui barrer la route, l’obligeant à s’immobiliser par civilité plus que par déférence.
« Excusez-moi... », commença-t-elle, aussi ferme que possible, pour imposer sa préséance.
Un signe discret d’Akio lui intima d’obtempérer, comme s’il s’apprêtait à débusquer quelque échassier farouche au bord d’un étang ou un nid de fauves tapi dans les hautes herbes, et elle lui jeta en retour un regard sombre bien qu’elle daignât se tenir en retrait, ce dont il la gratifia d’un bref sourire jeté par-dessus son épaule. Son attention se reporta ensuite sur cette silhouette aux mille visages qui feignait l’intérêt pour une estampe noyée du soleil de Kymara ; il s’en approcha d’un pas doux, tranquille, reprenant en alryonais :
« Alors, s’ils sont aussi vils que vous le dites... avez-vous eu affaire à eux par le passé, Anèr ? Ou bien les avez-vous peut-être rencontrés ? Au vu de leur sinistre réputation, et s’ils convoitent en effet l’art ryoshimais, il serait judicieux d’en informer les autorités, ne croyez-vous pas ? »
Son ton, tout en se gardant de virer badin, ne portait aucune trace de malice. Seuls ses iris, telles deux agates de chat, attendaient le prochain coup de ce jeu d’échecs invisible — une bataille amicale, dépourvue d’enjeux compétitifs, juste pour le plaisir de la joute.
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[Ryoshima]Une vulgaire lettre d'un marchand de Kymara [avec Akio Shimada] EmptyMar 7 Mar - 17:29
Arkimedes sentait le regard d'Akio sur sa nuque, sans oser se retourner, alors que le peintre faisait mine de reprendre son badinage avec la vendeuse. Et maintenant? Il était debout sur de la glace fine, le moindre mauvais pas pouvait être le dernier tant qu'il n'avait pas réussi à obliger le jeune homme à jouer franc jeu. Les intentions de ce dernier étaient un point cruciale: qu'Akio soit juste un curieux amusé par le jeu de l'intrigue ou un espion chargé d'intenter aux intérêts de sa famille changeait complètement les enjeux de cette petite comédie.

A bien y réfléchir, s'il avait réellement eut de mauvaises intentions, aurait-il dévoilé ce qu'il savait avec autant de désinvolture? C'était un bien faible argument, Arkimedes ne jugeait pas qu'il valait la peine de risquer une chute dans l'eau glacée. Il se déplaça à nouveau pour admirer une statue, se positionnant de manière à ce qu'elle soit entre lui et Akio. Juste à temps pour le voir approcher et se positionner à ses côtés. Étrange personnage qu'il était: l'historien n'était pas un maître dans l'art de lire les émotions sur les visages, mais il avait beau dévisager le peintre, il lui semblait définitivement amical mais son attitude sournoise contredisait cette apparence.

Voilà qu'il essayait de lui tirer les vers du nez concernant la famille Glaukopis. Evidemment, que ce soit par curiosité ou malveillance il ne pouvait pas se contenter de cette réponse sibylline. Mais soit, l'historien accepta intérieurement cette invitation à danser et lui sourit d'un air entendu. Le jeu lui semblait plus facile à mesure qu'il avançait, c'était comme fournir un effort physique après avoir échauffé ses muscles. Il trouva quelque chose à répondre presque du tac-au-tac:

"Non, je n'ai pas eu le malheur d'avoir affaire à eux, mais les bruits qui courent à leur sujet à Kymara sont assez précis."

Sur ces paroles, il tourna les talons pour retourner face au premier tableau. La pauvre vendeuse semblait dépitée d'assister à la scène, privée de sa potentielle vente et peut-être incapable de comprendre la conversation. Arkimedes était navré de lui imposer cela, il se promit de libérer les lieux aussi vite que possible.

"Mais même si cette rumeur sur le commerce d'art était vraie, les autorités ne trouveraient pas forcément quelque chose à y redire. Ce qui est amoral n'est pas forcément illégal, ils trouveront moyen d'être dans leur bon droit aux yeux de la loi. C'est un peu comme conserver par devers soi un objet qu'on a trouvé sans en informer personne, on ne peut pas vraiment vous le reprocher devant la justice."

Lui aussi pouvait jouer au jeu des sous-entendus après tout, mais cela n'empêchait pas l'historien de transpirer abondamment sous son manteau. Cela ne faisait que rendre la situation plus inconfortable, même s'il avait tacitement accepté la danse. Il paraissait de plus en plus évident à Arkimedes qu'il devait s'échapper et c'est dans cette urgence qu'il tenta un coup d'éclat:

"Et puis, c'est la loi de l'offre et de la demande, qu'y pouvons nous? J'ai bien entendu dire que monsieur Hideshi voulait se faire marchand de couleurs."
Shimada Akio
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[Ryoshima]Une vulgaire lettre d'un marchand de Kymara [avec Akio Shimada] EmptySam 11 Mar - 22:38
Quand l’historien se fendit d’une risette à son égard, Akio sentit une nouvelle étincelle de joie frétiller à l’arrière de son encéphale, à l’extrémité même de la mèche menant à la réserve de poudre qui n’attendait que d’exploser entre eux deux. Au milieu de ces statues à la mode kymaraise et de ces estampes vernissées, sous le regard ô combien dubitatif de Chisato, il avait l’impression de se transformer en détonateur vivant — une position qui aurait pu lui déplaire s’il n’en avait pas été l’unique initiateur. Ne pas être commandé par les objectifs de Maître Zane, ni restreint ni orienté par quiconque dans ses mouvements, voilà une situation inédite qui lui offrait un aperçu de cette liberté oubliée, vendue à l’aube de ses douze ans pour un repas chaud par jour et un toit durant la nuit. Il s’y était habitué, depuis, tellement habitué qu’éprouver de nouveau ce sentiment d’indépendance n’était pas sans le griser quelque peu : personne auprès de qui justifier ses approches, personne à qui envoyer un rapport cent fois codé, cent fois tordu afin qu’il ne tombât pas entre de fâcheuses mains, personne d’autre que lui pour poser des limites, tracer des frontières à ne pas dépasser, et surtout aucun risque de faire capoter quoi que ce soit pour un pas d’écart. Qui lui aurait glissé la corde au cou en ces circonstances ? Il ne se trouvait même pas du mauvais côté de la frontière, car tout ce qu’il pouvait craindre de cette rencontre était de se voir exclu du commerce d’art de monsieur Hideshi ou considéré comme persona non grata par une famille de « crapules notoires ». Autant dire que l’idée ne l’empêcherait guère de dormir ce soir.

Néanmoins, à écouter le demi-aveu de son confrère historien, mettre le nez dans les affaires des Glaukopis en valait peut-être la chandelle, ne serait-ce que pour son pesant de casseroles, et le peintre se nota mentalement d’étudier plus en profondeur ce sujet une fois qu’il aurait décrypté la lettre. En tout cas, la frilosité d’Anèr — à moins que ce ne fût une pique délibérée pour aviver sa curiosité, ce qui avait fonctionné — le conforta dans cette intention autant que la suite de son discours. Si l’homme de Kymara avait souhaité se montrer finaud dans son accusation, il ne l’aurait sans doute pas joué autrement ; de cette bravache subtile, Akio vit sa tour tomber sur le damier et, en dépit de son déguisement d’honnête artiste, il lui fallut en conséquence forcer un brin sur l’étonnement pour masquer le soupçon qui avait fermé sa figure.
« Ha, vous n’avez pas tort, reconnut-il, épaules remontées et yeux en l’air, surtout que l’art n’intéresse que trop peu nos gouverneurs qui le voient davantage comme un luxe innocent réservé à l’élite. »
Saurait-il leur donner raison, lui qui n’a jamais eu à traiter qu’avec des noblions en quête d’assise esthétique ? Les petites gens ne s’embarrassent pas de fresques ou de portraits, quand les guerriers les dénigrent le plus souvent et que les commerçants les traitent en produits mercantiles. Malgré l’appétence de quelques rares personnages, autant se rendre à l’évidence sans se montrer défaitiste : la peinture ne ravit qu’un public de niche.

Mais déjà Anèr-Glaukopis-Kymaras partageait cette résignation sur la ronde déroutante d’un monde capitaliste, assortie d’une remarque qui laissa le Shimada songeur. De prime abord, il n’imagina pas qu’elle pouvait receler le cœur du problème qui avait mené l’étranger à se rendre ici, même si le rapport lui semblait dissonant avec la recherche d’une toile pour son frère, si bien qu’il aurait été incapable de fournir un avis sans se retourner vers les concernés. Ce qu’il fit d’ailleurs, d’abord vers Chisato avec l’intention de lui traduire la rumeur avec insouciance, avant de se trouver distrait durant son pivot par le bruit de la porte que l’on ouvrait d’un geste franc. Découvrant qui entrait de la sorte comme en son palais, il se pencha vers l’arrière afin d’en informer son voisin dans un murmure que vint couvrir son éventail.
« Eh... là-dessus, vous n’avez qu’à interroger le maître des lieux que voici... »
Un maître des lieux qui s’avança aussitôt vers le plus grand de ses clients pendant que son assistante, brusquement rassérénée dans sa posture, le rejoignit avec soulagement en quelques pas rapides pour prendre place juste derrière lui, pareille à un rémora dans le sillage d’un rorqual. Elle se garda cependant de lui rapporter les dernières minutes après lui avoir souhaité un bon retour, préférant le silence de la soumission à l’inconvenance de la délation. Toutefois, son regard ne se gênait pas pour esquiver celui du peintre.
« Messieurs, messieurs, je vous prie de bien vouloir m’excuser pour cette absence ; soyez les bienvenus dans mon humble boutique. Avez-vous bien été reçus ? En quoi puis-je vous être utile ? »
Bien qu’il eût usé du pluriel solennel d’Alryon, les yeux de Hideshi s’adressaient avant tout au Kymarais, sa langue s’étant ourlée de velours à sa seule attention. Quant à Akio, il s’était incliné légèrement pour accompagner son salut formel, mains derrière le dos, en retrait, de manière à abandonner la conversation au principal intéressé — sa position favorite. De là où il se trouvait désormais, il pouvait savourer chaque seconde du malaise dont il apercevait serpenter les fines racines autour des chevilles de son acolyte, sans trop savoir s’il devait se tenir prêt à les arracher. Après tout, cette nouvelle intrusion n’était rien de plus que la continuité de l’exercice.
Arkimedes Glaukopis
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[Ryoshima]Une vulgaire lettre d'un marchand de Kymara [avec Akio Shimada] EmptyMar 14 Mar - 17:21
A nouveau, Akio se faisait badin, rebondissant sur la remarque d'Arkimedes au sujet du libre-échange. Il cru même déceler un réel dépit face au peu de considération pour l'art qu'avaient les gouvernants. Après tout, quelle que soit sa véritable occupation, on ne choisi pas une couverture de peintre sans avoir un minimum de goût pour le métier. Qui de la poule, qui de l’œuf, qui de l'artiste, qui de l'intriguant, était arrivé le premier? C'était une énigme de plus qui venait brouiller son appréciation de la véritable nature de l'être qui se cachait derrière le visage angélique d'Akio. En réalité, l'historien sentait apparaître en lui une réelle curiosité pour cet homme, et c'était assez rare pour être souligné.

Cet intérêt avait une base de déformation professionnelle bien sûr. Arkimedes avait l'impression de se tenir face à une inscription dans une langue inconnue qu'il aurait dû traduire seulement armé d'une grammaire pour débutants. Et il n'y avait évidemment rien au monde qui ne le stimulait plus que ce type de défi. Puisqu'il ne pouvait pas plus exiger d'une inscription qu'elle explique ce qu'elle était qu'il ne pouvait le faire auprès d'Akio, il ne lui restait plus qu'à décrypter. Mais définitivement, il semblait que c'était un jour où les émotions positives étaient vouées à être fugaces, puisqu'un nouveau venu fit irruption dans la boutique, que le peintre s'empressa de lui présenter comme le maître des lieux.

L'historien se sentit friser le malaise pour la énième fois ce jour-là. C'était pourtant l'homme qu'il s'attendait à voir à l'origine, mais c'était avant de s'enfoncer dans un jeu de chausse-trappes avec Akio et de sembler éminemment suspect auprès de la vendeuse par un malheureux effet de déshonneur par association. Arkimedes, suant plus que jamais, inclina raidement la tête dans une pitoyable parodie du gracieux salut ryoshimais. Il défit discrètement le col de son manteau qui commençait à l'étouffer, cherchant désespérément à retrouver sa composition alors qu'Akio s'esquivait, lui cédant le devant de la scène.

"Merci pour votre sollicitude." commença-t-il d'une voix qui s'étrangla un peu sur la fin de sa phrase. "Nous avons reçu un accueil délicieux et votre absence nous a donné le temps d'admirer votre superbe boutique."

Là encore, c'était une pauvre imitation de la politesse locale: il n'avait rien trouvé de mieux que de noyer Hideshi sous les compliments pour tenter de l'endormir. Arkimedes n'avait pas tellement besoin d'aller plus loin pour comprendre qu'il n'en était plus capable. Il allait s'effondrer comme un château de cartes s'il ne prenait pas très rapidement un moment pour souffler.

"Je... je souhaiterais acheter une oeuvre, ce serait un présent pour mon frère." bégaya-t-il. Il devait trouver une excuse pour sortir très vite, il lui semblait qu'il allait pleurer, ou vomir et il opta finalement pour une forme de sincérité: "Veuillez m'excuser un instant, je ne me sens pas bien."

D'un pas raide, Arkimedes se dirigea vers la porte, qu'il fit coulisser avant de sortir sans plus de formalité. L'air froid le frappa comme une gifle, mais il eut aussitôt l'esprit plus clair. Il s'était acheté un peu de temps. Bien sûr, il aurait juste pu s'en aller, mais c'était prendre le risque de partir en laissant définitivement une impression suspecte, alors qu'Akio connaissait sa véritable identité. Cela déclencherait à n'en pas douter un effet domino qui lui vaudrait les foudres de sa famille. Il avala péniblement sa salive: non il n'avait pas le choix, il devait aller jusqu'au bout.
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[Ryoshima]Une vulgaire lettre d'un marchand de Kymara [avec Akio Shimada] EmptyMer 15 Mar - 16:11
Comment son compère se dépatouillerait-il de ce nouveau croc-en-cerveau ? De là où il s’était retiré, Akio contemplait à présent, non sans un brin de goguenardise tout étouffé derrière la raideur de sa carrure d’innocent, le vaudeville qui se déployait sous ses yeux. Il est vrai qu’à quelques détails près, les personnages rassemblés ici pouvaient droit sortir d’une comédie burlesque d’Alryon ; le propriétaire nanti et avare, sa fille nubile qu’il essaie de marier au meilleur parti, le prétendant désargenté et confus, puis le bouffon de l’histoire qui rit sous cape de toute cette mascarade — sous éventail plutôt — avant de sauver son sympathique compagnon en mauvaise posture. Quoique. Le peintre avait décidé de ne pas intervenir pour l’instant, jugeant depuis les gradins la manière dont ce dernier s’imposerait ou se défilerait face au marchand d’art. Sa motivation était-elle réelle, en fin de compte ? Il n’eut besoin que de quelques secondes pour obtenir une réponse.
Cette fois, le malaise palpable de Glaukopis ne lui tira aucune satisfaction ni amusement. Le regard crocheté à la réaction des boutiquiers, Akio constata le pli de suspicion qui vint barrer le front de Chisato pendant que Hideshi s’enorgueillissait de ces compliments trop compassés pour paraître sincères à son assistante. Il faut dire qu’elle savait bien, elle, comment s’étaient déroulées les précédentes minutes, et combien le délice de son accueil ne valait véritablement pas grand-chose même si elle se serait défendue de contredire un client devant son patron. À l’inverse, elle considéra ce mensonge avec une gêne mêlée de gratitude, puisqu’il aurait tout aussi bien pu la fustiger pour n’avoir pas été à la hauteur de sa tâche ; cependant, dans le cas où le Kymarais aurait joué les goujats pour se sortir de sa propre impasse, Shimada se serait sans doute senti obligé de tempérer la situation et d’apaiser les esprits. Mais Anèr n’appartenait décidément pas à cette race d’humains trop fiers pour ne pas écraser les autres sitôt que leur était donnée l’opportunité, de sorte qu’il préféra la fuite à l’offense, la faiblesse à l’affront, et Akio de suivre des yeux sa silhouette malhabile quittant la scène sans se retourner. Deux pensées lui traversèrent dès lors la caboche. La première disait : Si tu ne le rattrapes pas, tu vas le perdre. Et la seconde faisait : Il est temps de tirer sa révérence avant de s’embourber encore plus...
Ce qu’il fit.

Hideshi interrogea son environnement en silence, en quête d’explications à ce surprenant comportement, mais Chisato ne put que secouer la tête, des plus interdites. Cédant à une courbette plus appuyée, Akio prit alors l’initiative de clore la discussion :
« Veuillez pardonner à ce monsieur, Hideshi-sama. Il est de constitution fragile et le froid de Ryoshima pèse durement sur ses nerfs. Permettez-lui de se reposer quelques jours avant de revenir vous voir, si son état s’améliore... en espérant que vous ne lui tiendrez pas rigueur pour ce contretemps. »
Le marchand lui décocha une moue déçue, mais se montra compréhensif.
« Très bien. Qu’il repasse donc : je ne manquerai pas de satisfaire à sa demande. Mais tout de même, voilà qui est fort fâcheux...
Cela va sans dire », renchérit le peintre sans même y croire une seconde. Loin de lui l’idée de partager les déboires mercantiles d’un pingre comme celui-là ! Il s’inclina derechef : « Toutes mes excuses pour le dérangement. Au revoir. »
C’est presque s’il aurait pu entendre le soupir de soulagement expiré par Chisato tandis qu’il s’éloignait à son tour vers la porte. Diable sait ce qu’elle s’empresserait de lui rapporter une fois qu’il aurait franchi le seuil, quels secrets choisirait-elle de préserver, quel costume lui taillerait-elle par revanche mesquine ? Il ne s’en offusquerait guère, pourtant ; toutes ses inquiétudes tendaient actuellement vers le fait de savoir si, oui ou non, son comparse avait filé à l’alryonaise durant cet instant de liberté, puis dans quel état il le retrouverait. Oh, s’il le haïssait, ce ne serait que juste rétribution, certes, mais il en ressentait d’avance une sorte de déception dont l’amertume contrariait son humeur.

Par chance, l’étranger n’avait pas disparu. Il se tenait toujours là devant la boutique, ce qui fit éclore un authentique étonnement sur le faciès d’Akio, bien vite estompé au profit d’un sérieux attendri.
« Est-ce que vous allez mieux ? », s’enquit-il en se rapprochant, mains dans le dos. « Ne vous forcez pas à y revenir aujourd’hui : j’ai arrangé les choses pour que vous y soyez bien accueilli. Quoi que vous ayez à y faire. »
Le ciel demeurait peint à gros traits d’azur glacé, les toitures scintillantes de neige. Quand il respirait, l’espion avait l’impression d’inspirer un glaçon jusque dans ses poumons, et cela lui donnait envie de courir gosier grand ouvert comme durant son enfance. Or, à la place il demeurait ici, sage, tête levée vers le grand corps malade qui aurait pu le maudire cent fois sans égratigner la finesse de son sourire.
« Ne serait-il pas temps d’avouer quels sont vos véritables objectifs... Monsieur Glaukopis ? »
Il marqua la pause par pur effet, mais aucun avertissement ni raillerie ne filtrait dans son ton composé. Il voulait savoir, juste savoir, quoiqu’il s’intéressait davantage à ce qu’il pourrait recueillir sur l’habitus de ce grand amandier que sur ses ambitions.
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[Ryoshima]Une vulgaire lettre d'un marchand de Kymara [avec Akio Shimada] EmptyMar 21 Mar - 16:14
Il s'était mis à neiger pendant qu'Arkimedes reprenait ses esprits. Le spectacle apaisant l'aida à se calmer, alors qu'il s'absorbait dans ce spectacle, s'efforçant de respirer aussi lentement que les flocons tombaient. Au bout d'un moment qui lui parût très long alors qu'il le savait très court, il étira lentement sa nuque crispée en courbant la tête. Il allait être temps d'y retourner, même s'il en avait envie comme d'une jambe cassée, et commença à composer mentalement son discours d'excuse. Autant profiter de ce moment pour regagner une longueur d'avance.

Toutefois, son esprit battait la campagne et revenait sans cesse à l'intrigante figure d'Akio. Avec qui jouait-il dans cette histoire? La question était obsédante, puisqu'elle changeait complètement sa perception de cette aventure et de son guide. S'il marchait pour Hideshi, l'historien s'était complètement laissé embobiner et aurait bientôt de gros problèmes avec sa famille. S'il était un agent du chaos agissant pour sa propre distraction comme il l'avait déjà envisagé, on pourrait bientôt rire de cette histoire. Et si au contraire, Akio représentait un troisième acteur qu'Arkimedes n'avait pas envisagé, le pire était à venir.

Le chuintement de la porte derrière lui le tira de ses projections. Le peintre l'avait finalement suivi dehors, réalisa-t-il, alors qu'il se plaçait à ses côtés, les mains dans le dos. Son premier ressenti fut d'être touché par la prévenance du jeune homme, le deuxième fut un retour de la méfiance: cela pouvait autant être la marque du remord d'un plaisantin que la ténacité de l'espion qui ne veut pas laisser filer son poisson.

"Oui, je vous remercie, pour votre sollicitude et pour m'avoir excusé auprès de monsieur Hideshi."

Arkimedes se surprit par sa propre apathie en entendant son nom dans la bouche d'Akio: son esprit avait épuisé sa capacité à l'angoisse pour aujourd'hui. Il se contenta de soupirer profondément, adressant un sourire fatigué au jeune homme, trente centimètres en contrebas. Cette nouvelle connivence ne suffit pas toutefois à complètement lui faire baisser sa garde et, un peu rasséréné, préféra jouer l'offensive, non sans dérision.

"Quelque chose me dit que vous avez une source de premier plan. Je me suis laissé dire qu'Hygremon Glaukopis est un pégase dans un atelier de céramique quand il s'agit de coder ses lettres, c'est à la portée du premier venu qui ramasserait son courrier dans la rue."

Il laissa échapper un petit rire sans joie, refermant le col de son manteau pour s'avancer d'un pas et laisser la neige lui tomber dessus, s'accompagnant d'un geste du bras pour inviter l'artiste à faire quelques pas avec lui. Se tournant à nouveau vers Akio, il haussa les épaules et ajouta:

"Il n'est qu'un riche marchand qui craint la concurrence. Mais qui sait faire pression sur son jeune frère qui pourtant ne demanderait pas mieux que d'être laissé en dehors de tout cela."

Cette dernière partie lui avait échappée, il semblait même à Arkimedes qu'il avait légèrement haussé le ton. Gêné, il se détourna pour faire mine de regarder passer un attelage, comme s'il vérifiait qu'il n'était pas dans le chemin. Cette fois, il en avait définitivement trop dit et sans garantie que son vis-à-vis serait aussi honnête qu'il l'avait été. L'historien était trop fatigué de cet imbroglio pour s'en soucier réellement, il ne ressentait que le soulagement de ne plus rien cacher lui-même. Toutefois, il aurait été dommage de ne pas essayer.

"Et vous, Shimada-san, pour qui marchez vous?"
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[Ryoshima]Une vulgaire lettre d'un marchand de Kymara [avec Akio Shimada] EmptyMar 21 Mar - 20:42
Ah, un sourire. On prend les petites victoires là où elles fleurissent, même s’il s’agit d’un champ de bataille ou d’un damier déserté de ses pièces. Puisqu’Anèr se trouvait encore capable de le regarder de ses prunelles fauve, Akio n’avait retiré aucune épingle de culpabilité de son myocarde, tout au plus une écharde de navrance à l’idée d’avoir gâché l’après-midi de cet inconnu qui ne le méritait sans doute pas. Pour sûr, celui-ci s’en souviendrait, de son séjour à Ryoshima, mais peut-être pas pour la chaleur de ses sources thermales ou le réconfort croustillant de ses tempura, non, car de doucereux ou d’agréable le peintre n’avait rien à lui offrir sur l’instant sinon l’éclat d’un rire à demi-étouffé derrière sa main en entendant la métaphore qui désignait l’aîné Glaukopis en action. D’ailleurs, ce n’était pas tant cette image tout à la fois sublime et grotesque qui amusait l’espion, mais davantage la subversion perspicace avec laquelle il fut invité à révéler l’identité de son indic’. Qui n’était autre que lui-même, bien entendu. Le fait qu’il mentionnât la lettre comme contexte prouvait cependant que l’autre en avait encore sous la caboche en dépit de son état de fatigue et qu’il n’était pas du genre à occulter des points de détails aussi éloquents — de son côté, la curiosité d’Akio à l’égard de ce message crypté s’en trouva passablement ternie, comme si en rabaisser la difficulté rabaissait d’autant l’intérêt du défi. Néanmoins, la brandir maintenant d’un air victorieux lui semblait encore trop précoce, trop évident. L’effet de surprise pouvait toujours servir d’une façon ou d’une autre ; il devait simplement attendre un moment plus propice à la révélation de ce joker.
D’ici là, il observa les quelques gestes du Kymarais, tâchant de lire dans ses mimiques l’empreinte de l’aversion que cet aîné lui inspirait. Il n’y décela nulle trace de jalousie, pourtant, mais une inexorable dichotomie que toute l’affection du monde n’aurait probablement pas suffi à estomper, ou si peu. Le définirait-il comme du mépris ? Il n’en était pas certain, contrairement au lien qu’il venait de tisser entre les précédentes questions de l’historien à l’encontre de Hideshi et cette « crainte » qu’il avait jetée sur l’encolure de ce canasson trop fiérot qui lui servait de frère. Ou de commanditaire, plutôt.

Il y eut un silence.
Akio, qui savait se faire confident selon les circonstances, n’eut pas le goût de le chasser. Les flocons entre eux dessinaient des points de suspension ; un seul pas était nécessaire pour poursuivre le dialogue ou, au contraire, l’interrompre. Tels quels, les renseignements qu’il avait récoltés se suffisaient et il n’avait qu’à y adjoindre un brin de recherche afin de remonter la piste de la famille Glaukopis — cependant, sans nul doute se heurterait-il très vite au problème de la véracité de ces informations : à Kymara où il n’avait jamais posé la semelle, personne ne s’en ferait le relais ni même le juge. Anèr, ou quel que soit son vrai prénom, demeurait donc une porte d’entrée, mieux, une passerelle vers la Cité montagnarde, comme il n’en rencontrerait plus. Restait à savoir de quel bois étaient composé ses planches mais, là-dessus, le peintre avait déjà sa petite idée.
L’appel qui suivit l’étonna moins par sa politesse que pour son invitation à la réciprocité. Et par réciprocité, il n’entendait à l’évidence pas tant un échange de connaissances que de l’honnêteté, une touche de confiance qui, posée ici, à cette seconde précise, avait le pouvoir de sceller bien plus de choses qu’il ne l’imaginait. Il aurait pu. Quitter son habit à son tour, se délester de sa peau, mettre ses côtes à nu et tout ce qu’elles recèlent d’invisible, d’innommable, oui il aurait pu. Cela l’aurait peut-être soulagé aussi, il l’ignorait, il n’avait jamais essayé. Parce qu’il ne pouvait pas. Un espion qui parle est un espion mort — et lui, bêtement, égoïstement, ne voulait pas mourir. Alors à la place, il balaya d’une première foulée les points de suspension, vint frôler d’une deuxième le grand amandier, puis le dépassa d’une troisième sans le lâcher du regard, en pivotant légèrement. Avant de lâcher, aussi innocent qu’une vipère assoupie :
« Moi ? Eh bien... pourquoi pas pour vous ? »
Son propre trait d’esprit entrouvrit ses lèvres en un sourire que le sérieux se hâta de recoudre.
« Si jouer les limiers pour votre frère ne vous sied guère, pourquoi gâcher votre temps et votre esprit pour ces manigances ? D’autres n’auront qu’à le faire à votre place. » Mains toujours derrière le dos, il se retenait de basculer sur ses voûtes plantaires tout en croisant ses phalanges. S’il avait tenu son éventail, il l’aurait sûrement agité en guise de second langage, sauf que s’éventer sous la neige risquait juste de lui jeter de la poudreuse aux yeux en un geste ridicule. Autant s’en passer. « Des messages codés, des chicaneries entre marchands... Il existe de meilleures méthodes pour des enjeux plus sensés, vous le savez, sans quoi vous ne seriez pas enclin à cela. » À la clandestinité, céda-t-il à l’ange discret qui traversait au-dessus d’eux. « Et j’ai le sentiment qu’il y a plus à faire entre vous et moi qu’entre ce pégase, tout autoritaire soit-il, et cette jeune taupe qu’il piétinerait sans égard à cause d’un faux-pas. Vous n’êtes pas d’accord ? »
Un conteur aurait pu en écrire une fable, d’ailleurs : Le Cheval, la Taupe et le Chat.
Ce dernier l’aurait adorée à coup sûr.
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[Ryoshima]Une vulgaire lettre d'un marchand de Kymara [avec Akio Shimada] EmptyLun 27 Mar - 13:45
Arkimedes avait l'impression d'avoir la tête dans du coton, mais pourtant il cru sentir un instant d'hésitation chez Akio. C'était une intuition aussi intangible qu'une variation dans l'intensité du vent, mais il en aurait mis sa main à couper. Il y avait donc un homme, derrière ce chat au masque de peintre, un véritable être humain. C'était maintenant certain: il n'était pas de ces froides machines qu'on trouvait souvent dans les rangs de ceux qui exercent le métier d'intriguant. L'historien en fut rassuré, il n'avait pas mis le doigt dans un engrenage infernal. Face à un être humain entier, on peut espérer de la compassion, voir de l'amitié.

Le vent avait reprit des forces, l'hésitation du peintre s'était dissipé et en trois pas légers il l'avait dépassé. Arkimedes lui emboîta le pas tranquillement: ses grandes jambes le dispensait généralement d'avoir à marcher vite. Il rendit son sourire à Akio, de bon cœur. Il s'était attendu à tout sauf à ce que les motivations de ce manège soit une opération promotionnelle pour les services d'espion du jeune peintre, même s'il soupçonnait que ce nouveau pas de danse soit de l'improvisation. Et son sourire s'élargit encore quand il s'entendit qualifier de taupe. Cet irrespect enfantin lui semblait rafraîchissant après les lourdes tracasseries désespérément adulte qui avaient occupées sa journée.

Il prit le temps de réfléchir avant de répondre: la question était complexe, aussi tentante que soit l'offre. Était-il vraiment prêt à ouvrir la porte sur les secrets de sa famille? On l'avait certes brimé, négligé et exploité, mais il y avait quelque chose d'un peu sacré dans les liens du sang qui retenait Arkimedes. De l'autre côté, même s'il n'avait jamais pu en avoir le cœur net, il y avait une possibilité pour que cette même famille ai déjà intenté à sa vie, ou au moins fait une tentative particulièrement violente pour le soumettre. Sur un plan purement détaché de toute considération émotionnelle, il serait soulagé de pouvoir déléguer ses corvées d'intrigues à quelqu'un d'autre.

Et s'il s'avérait qu'Akio était un traître... L'historien ne pouvait pas nier que le monde, Kymara en particulier, ne se porterait que mieux débarrassé de l'influence néfaste des Glaukopis.

"En clair, vous me proposez de vous déléguer les... commissions que ma famille me confie? J'ai pourtant des raisons de penser que les taupes ont autant à craindre des chats que des sabots des chevaux indifférents." relança-t-il non sans malice.

C'est en parlant qu'il réalisa qu'il ne s'agirait pas seulement de sous-traitance. En réalité, Arkimedes lui seul serait commanditaire dans ces petites transactions. Il ne savait pas grand chose des moyens que pouvait déployer Akio mais c'était un premier pas pour enfin jouer à armes égales contre sa famille. Et peut-être de gagner à terme une véritable et définitive tranquillité vis-à-vis de tout cela. C'était un jeu dangereux, mais qui pouvait rapporter gros, voir même réaliser son rêve d'une vie. L'historien hésita à jouer franc-jeu immédiatement, mais la supposé tentative de meurtre sur sa personne était un élément trop intime de son histoire personnelle pour qu'il la révèle d'entrée de jeu. Toutefois, il jugea qu'Akio avait droit de savoir dans quoi il mettait les pieds.

"Il faut que vous sachiez, tout de même, que ma famille est réellement dangereuse. Je ne doute pas de votre expérience, mais il ne s'agit pas d'un cheval qu'on dompte en le mettant face au soleil."
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[Ryoshima]Une vulgaire lettre d'un marchand de Kymara [avec Akio Shimada] EmptyMar 28 Mar - 17:38
Et s’il refusait ? S’il s’offusquait d’une telle invitation, arguant que les liens de sang sont plus précieux que la liberté et que rien ne saurait le détourner de sa fratrie, pas même le dédain dont il faisait les frais depuis de trop longues années ? Après tout, Akio n’y connaissait rien en famille puisque la sienne tenait en une phrase — ma mère m’a abandonné quand j’avais trois ans — et qu’il n’avait oncques vraiment compris comment naissent les diamants qui unissent certains parents et enfants, certains frères et sœurs, certains aïeux à leur descendance. Il aurait certes pu parier que, quelque part à Ryoshima, existait un plus jeune être, voire plusieurs, partageant ses gènes avec lui, mais lorsqu’il y songeait il ne ressentait qu’un gouffre d’indifférence, un désintérêt abyssal tapissé toutefois d’un léger écœurement, saveur aigre à l’arrière de la gorge, rance. Des étrangers enfantés par cette génitrice sans visage qui avait préféré goûter à la fortune plutôt que de garder son premier fils. Au moins, Akio pouvait être certain d’une chose à leur sujet : il n’en recevrait jamais de lettres.

À l’évidence, dans les circonstances actuelles, le peindre aurait pu arguer qu’en comparaison de ces piètres liens biologiques il appréciait mille fois mieux la placidité de ce grand amandier à l’ombre duquel il cheminait, et ce sans hésitation aucune. Qu’ils ne fussent pas encore attachés par un bourgeon d’amitié ou que leur histoire s’arrêtât ici sur un refus, il n’en démordrait pas. Une certitude qui suffisait de fait à ce qu’il reconnaisse que, oui, de son côté, peut-être s’était-il d’ores et déjà surpris à souhaiter voir pousser un nouveau sarment portant son nom le haut de cette écorce craquelée. Laissant à l’historien tout le loisir de réfléchir selon son allure, il sentit d’ailleurs la clarté authentique avec laquelle celui-ci voulut s’assurer de son offre, enjouement à l’appui, sans méfiance excessive, comme un indice supplémentaire de l’inclination qu’il lui accordait.

Anèr oscillait. Sur la corde raide qu’Akio lui tendait, il avait placé un pied pour en tester la résistance, pas encore convaincu de s’y lancer — compréhensible. Avisé, devrait-il dire. Imagé, de surcroît. Vrai que les taupes n’étaient jamais à l’abri d’un revers de griffe de la part d’un chat qu’elles auraient pensé ami, et s’il était honnête le félin en question ne chercherait pas à rassurer le fouisseur quant à une potentielle traîtrise. S’il était honnête. Mais il n’y avait bien que les marchands de la trempe de Hideshi pour ne pas l’être, n’est-ce pas ?
« Votre réserve fait honneur à votre intelligence », entama-t-il avec une estime non-feinte, avant de prendre en compte la mise en garde contre cette écurie entière de perfides purs-sangs. Raison de plus pour jeter un œil par la lucarne de la ferme, qu’il aurait pu répondre pour filer la métaphore, néanmoins il lui sembla que face au sérieux de cet aveu, il avait plus intérêt à s’y calquer qu’à y opposer quelque bravade qu’il pourrait regretter ensuite. Même si cet accent de souci dans l’avertissement de Glaukopis lui fit tout drôle, faute de s’y être attendu. Est-ce qu’il s’inquiétait pour lui, en tant que personne, qu’être à part entière ? Quelle adorable petite bête que cette taupe, décidément.
« Aucune de mes cibles n’est réputée pour être inoffensive, au contraire. Plus une bourrique est dangereuse et plus elle requiert patience et finesse pour en venir à bout : obtenir sa confiance d’abord ne sera qu’une méthode parmi d’autres pour la mettre à genoux. Cela dit... » Il marqua une pause, le temps de glisser d’un geste calculé une main à l’intérieur de sa tunique. « ...ce n’est pas le cas dans le cadre d’une alliance, car cette confiance devient la condition primordiale de toute opération. » Avec une nonchalance identique à celle dont il aurait usé avec son éventail, il sortit alors l’enveloppe ramassée qu’il tendit à son voisin de marche, conservant toutefois une prise dessus au cas où celui-ci aurait l’envie de la lui tirer aussi sec. Il chercha ensuite son regard dans le même temps, s’y accrocha en douceur pour guetter la rétraction, l’amertume ou l’antipathie qu’il espérait ne pas y déchiffrer. « Si un chat prévoit de se retourner contre la taupe qu’il sert, il ne peut plus espérer d’elle la confiance indispensable à leur stratégie contre tout cheval. Et comme leur réussite dépend des ordres qu’elle lui donnera... l’enjeu exige qu’il lui obéisse. »
Ses yeux se plissèrent subtilement à ces mots, accompagnant une amorce de risette. Or, devinant qu’un acte vaut mille discours, et par jeu autant que par défi, il ajouta peu après :
« Essayez voir ? »
Arkimedes Glaukopis
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[Ryoshima]Une vulgaire lettre d'un marchand de Kymara [avec Akio Shimada] EmptyMar 4 Avr - 17:22
Akio semblait serein face à l'ombre menaçante de la famille Glaukopis. Il avait une attitude experte, professionnelle: le peintre n'en était pas à son coup d'essai, comme l'historien l'avait supposé. Il aurait eut des scrupules à déposer son fardeau sur les épaules d'un amateur qui serait tombé dans la première abîme venue, entraîné par le poids de son chargement. Mais Akio avait visiblement le dos solide. Arkimedes n'osa pas poser de questions, les gens exerçant ce genre de profession tendaient à être quelque peu secrets, mais il opina en silence sans lever les yeux.

Il mit de ce fait un instant à voir ce que lui tendait le peintre. La lettre. L'historien était moins surprit de la trouver en sa possession que par le geste de bonne foi que sa restitution représentait. Arkimedes aurait pensé que le jeune homme aurait voulu la conserver comme garantie, même avant d'être certain qu'il l'avait ramassé.

"Gardez la. Ce sera une garantie que je ne..." répondit-il, suspendant sa phrase. Il commençait à peiner à filer la métaphore. "...que je ne suis pas en train de creuser un tunnel sous vos pattes? Enfin, vous avez saisi l'idée."

Ils arrivaient à un croisement qu'Arkimedes reconnut: sans passer par les ruelles comme ils l'avaient fait à l'aller, il devait prendre à droite pour remonter à son auberge. Il allait être temps pour lui de repartir de son côté, avec un nouvel allié et peut-être bientôt un nouvel ami. Il ralentit puis s'arrêta pour se donner le temps de donner les derniers détails à Akio et de prendre congé.

"Si vous voulez vraiment me soulager de cette corvée, les instructions sont dans la lettre. Il est possible que les affaires de ce monsieur Hideshi puissent intéresser ma famille, comme vous devez vous en douter." il hésita un moment, incertain de l'approche à avoir. "Ce n'est bien sûr pas un problème s'il venait à être mis au courant du moment qu'on ne peut pas remonter jusqu'à moi et que j'ai quelque chose à donner à mon frère."

Tout ce qui pouvait affaiblir un peu sa famille desserrait un peu le collet autour de sa gorge après tout. Rien de tel qu'un petit bras de fer entre marchands pour distraire Hygremon et l'empêcher de tourmenter son frère. Ce serait un tout, tout petit pas vers un assainissement considérable du système politique kymarais.

"Ah, et je suis Arkimedes." il ne s'aventura pas plus loin sur la piste glissante de son ridicule pseudonyme improvisé. "Glaukopis, vous vous en doutez. Vous pouvez m'écrire à la bibliothèque d'Alexandria, mes collègues me font suivre mon courrier quand je suis en déplacement."
Shimada Akio
Shimada AkioRyoshima
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[Ryoshima]Une vulgaire lettre d'un marchand de Kymara [avec Akio Shimada] EmptyMar 11 Avr - 21:37
Contre toute attente, Anèr se garda de récupérer son bien pour un motif qu’Akio n’aurait pas envisagé de prime abord. Que lui doive montrer patte blanche afin de convaincre son auditoire n’était qu’une des nombreuses itérations induites par sa posture d’espion, et de fait il avait l’habitude d’user de stratagèmes ou de jolis mots pour diluer la méfiance de ses interlocuteurs, mais venant de l’historien ? Il ne s’attendait pas à ce que celui-ci reconnaisse ouvertement, quoiqu’au travers d’une nouvelle image au phrasé plus maladroit, qu’il serait en mesure de le trahir nonobstant leur accord et que cette missive qui l’avait tant perturbé servirait dorénavant de gage de bonne foi. Car quel genre d’affidé abandonnerait ainsi à un inconnu de quelques heures la preuve qui le ferait tomber aux yeux bandés de la loi ? Un fou, sans nul doute. Mais un homme de confiance avant tout. Et dans le monde de Shimada, les deux souvent se valent.
« Très bien », glissa-t-il alors en ryoshimais de même que l’enveloppe à son emplacement initial. Son ton entendu dissimulait cependant un sentiment étrange auquel il ne donna pas encore de nom, faute d’en comprendre l’émergence ; lui aussi nécessitait d’être décortiqué puis décrypté, puisque sans s’y pencher plus avant le peintre pressentait déjà qu’il serait partie intégrante de cette entreprise, embrouillamini de nostalgie, d’impatience, d’appréhension mâtinée de culpabilité, d’amertume, d’espérance. Autant de nuances d’émotion que de touches de couleurs sur une toile vierge où apposer son pinceau sitôt qu’il serait rentré à son atelier.

Le timbre de Glaukopis lui aussi s’était alourdi tandis qu’il prononçait ses directives. Un timbre qu’Akio ne put s’empêcher de comparer à celui de Zane, bien qu’il ne l’eusse pas entendu depuis trois ans déjà, mais comment l’oublier ? Il suffisait d’évoquer son nom pour que lui revînt en mémoire cette rauquerie sur le point de flétrir, l’accent félonieux et cependant limpide d’une eau de roche qui se déversait en roulant ses galets de savoir comme autant de perles impures ; en une brassée de verve, le maître-espion donnait l’impression d’avoir toujours une longueur d’avance, toujours une botte secrète sous la langue, une malice cachée concoctée à partir de sa clairvoyance et de l’analyse finaude qu’il avait de chaque situation — loin encore, bien loin des timides éclats que son disciple faisait surgir au malheur d’une inoffensive victime. Mais Anèr, ou plutôt Arkimedes, ainsi qu’il venait officiellement de s’introduire, n’était pas, ne serait jamais, Zane. Et la relation qu’ils entretiendraient dans le secret de ce dernier n’avait pas vocation à ressembler à ce qu’Akio cultivait avec ce maître lointain dont l’ombre s’étirait jusque sous ses semelles, tel un infrangible rappel de cette présence à laquelle il ne pouvait échapper.
« Vous écrire et risquer d’être intercepté ? J’ai mieux que des mots à vous envoyer, vous verrez. Mais gageons que ces collègues n’égarent pas vos lettres comme vous égarez vos marque-pages... »
Sa fin de phrase sourit autant que ses prunelles. Peut-être suffirait-elle à dérider une dernière fois le faciès buriné par le labeur de ce fin sycomore ; si ce fut le cas toutefois, il ne put le constater de visu parce qu’il s’inclina selon les us de son pays, aussi ordinaire que n’importe quel quidam de n’importe quelle région de Ryoshima, et si quelque badaud de passage les avait surpris en train de se saluer de la sorte, il n’aurait à l’évidence pas pu imaginer que ces deux-là tenaient ensemble le futur bâton dans les roues de la carriole Glaukopis.
« Votre nom restera silencieux, Anèr, ajouta-t-il en se redressant dans un kymarais qui fourcha légèrement sur l’adjectif, faute de pratique, puis céda aussitôt la place à un alryonais qui, lui, ne lui rosirait pas les joues d’un ridicule tout amusé de sa coquille : Laissez-moi me charger de la mission de votre frère, à notre façon. Je vous communiquerai les avancées quand ce sera fait. Si d’ici là il vous interroge, dites que vous attendez la confirmation d’un de ses fournisseurs, car vous doutez de sa propre honnêteté. Étant marchand lui-même, votre frère devrait approuver votre suspicion. »
Il s’inclina de nouveau, presque par réflexe, afin de conclure son échange. Ces coutumes vernaculaires étaient décidément bien ancrées dans son pilote automatique — il oubliait même qu’il n’avait pas à exécuter tant de manières devant celui qu’il pouvait désormais qualifier de complice. Un mot qui, contrairement à toutes les fois précédentes, tintait différent, plus spontané. Plus chaleureux. De quoi faire fondre les flocons pris dans ses cheveux.

« À bientôt, Monsieur Glaukopis. Bon séjour à Ryoshima. »
Comme pour le contredire, les fleurs de neige qui chutaient jusque là en douceur s’intensifièrent et une moucheture glacée recouvrit bientôt le paysage où que l’on posa les yeux ; en réponse à cette pluie de petites souris blanches, les habitants daignèrent ouvrir leurs parapluies de papier, transformant l’avenue en champ de sombres camélias au milieu duquel la silhouette d’Akio se faufila jusqu’à disparaître, pas plus remarquable qu’un fétu emporté par le flot d’une rivière. Avec tout cela, il avait même oublié ce pour quoi il était sorti — ha, si ! Un sujet à peindre.
Voilà qui était tout trouvé.
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