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.en eaux troubles. | Sephir Ashran

Shimada Akio
Shimada AkioRyoshima
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.en eaux troubles. | Sephir Ashran EmptyDim 25 Déc - 20:04
L’heure est aux ténèbres. La nuit s’est accaparée Ryoshima, plus despotique qu’aucun homme, soulignant par son règne la froideur hivernale et les rues léchées de neige de cette soirée pourtant paisible. Sinon les esseulés ou les chats errants, personne ne traîne dehors, et la clarté de la lune ne s’offre qu’aux quelques audacieux qui ont osé braver les températures pour s’aventurer jusqu’à la taverne la plus proche ou tout autre ancêtre d’izakaya comme il en existe encore peu dans la Cité. À dire vrai, Akio aurait bien aimé ne pas être de ceux-là. Si on lui avait posé la question, il aurait répondu qu’au lieu de se geler les miches sur le chemin d’une auberge guère famée, il aurait préféré se tenir emmitouflé contre le petit poêle de sa chambre à coucher, à l’étage d’un modeste atelier qu’il avait réussi à louer grâce aux bénéfices de ses dernières commandes — la propriétaire, qui avait eu un mal fou à trouver intéressé pour ce qui ressemblait davantage à une ruelle minuscule clôturée par quatre murs qu’à une habitation en bonne et due forme, lui avait même proposé de le lui échanger contre une peinture, pour peu qu’elle fût assez grande pour faire le tour de la pièce principale. Akio hésitait. Posséder un pied-à-terre en ville, lorsqu’il devait poser son barda de peintre itinérant, relevait d’une perspective plus que confortable, mais n’était-ce pas un risque d’attirer l’attention sur sa tanière à secrets ? 

En tout cas, malgré ses tergiversations, il était soulagé de se dire que son art pouvait lui offrir d’autres avantages que la curiosité ou l’estime des aristocrates qu’il cherchait à espionner. Sa cible du moment ne lui inspirait par ailleurs ni l’une ni l’autre — Keisabe Sōkichi, petit arriviste en puissance, que les fiançailles avec la jeune cousine d’un nobliard assuraient d’obtenir une entrée à la cour impériale. Certes fort peu intéressant vu de l’extérieur, en comparaison d’avec de vieux loups déjà installés depuis plusieurs années, sauf que son orgueil de parvenu le rendait avide de se mettre au diapason des dernières tendances artistiques que ses aînés plébiscitaient, sans trop s’y connaître lui-même. Et plutôt que de se tourner vers les artistes traditionnels dont les fresques ornaient déjà les traverses du palais ou les murs des chambres seigneuriales, il visait des peintres plus modestes, plus contemporains, plus invisibles. Comme Akio, en somme, à qui il avait notamment commandé un portrait à l’intention de sa promise. Ce nouveau client, peu regardant sur l’art du fait de son ignorance, représentait donc une ouverture facile dans le rempart social des dirigeants de l’Île, quand sa langue trop pendue le transformait en précieuse mine d’informations. Il avait toutefois un défaut de taille... celui-là même qui forçait Akio à sortir ce soir : il était anxieux. Si anxieux que, malgré son peu d’importance aux yeux des autres nobles, il était persuadé qu’il avivait les soupçons et la défiance des uns et des autres, au point de souhaiter s’entourer de quelques gens d’armes capables de dissuader d’éventuels délateurs de s’approcher de lui. Ce qui, fort malencontreusement, déplaisait beaucoup aux ambitions d’Akio qui y voyait en retour un obstacle supplémentaire sur sa route.

Il avait ainsi décidé de constater de ses propres sens s’il devait s’inquiéter à son tour de cette résolution imprévue. D’autant que, si ses oreilles avaient écouté aux bonnes portes — sans nul doute —, un groupe de mercenaires était apparu en ville depuis peu et s’était acoquiné avec l’individu en question. Et le poisson-clown de se protéger derrière cette meute d’anémones. Le faux-peintre devait-il se méfier de ces soudards ? C’était à cette fin qu’il s’était rendu dans cette gargote populaire, laquelle était appréciée pour ses alcools importés des quatre coins de Terreciel, par cette nuit d’encre et de frimas. Avant de sortir, il avait enfilé un épais haori vert sombre par-dessus une longue tunique de vieux lin, un pantalon ample au brun humble, de courtes bottines fourrées qui le rehaussait de quelques centimètres, et avait passé en travers de son torse la lanière d’une petite besace où il avait rangé quelques feuilles vierges, son étui à graphite, un chiffon, une bourse de pauvre et un carnet de poèmes écrits par un obscur auteur de Tolenca, vendu deux sous et par dépit par un boutiquier du quartier des antiquaires.
Depuis l’extérieur de l’établissement, Akio entendait déjà les éclats de voix des futurs poivrots de la soirée. Il souleva les tissus au-dessus de la porte d’entrée, posa sa main sur le battant, prit une grande respiration.
Se glisser dans son rôle comme on glisse dans un lac, au milieu des anémones.
À choisir, il aurait préféré dormir.
Sephir Ashran
Sephir Ashran
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.en eaux troubles. | Sephir Ashran EmptyDim 8 Jan - 10:10
C'est la première fois que Sephir met les pieds à Ryoshima, et elle commence déjà à se demander si la mission qui leur a été confiée est vraiment une bonne idée.

L'architecture est différente des rustiques masures et des solides bâtiments en pierre dont elle a l'habitude. La fragilité apparente des demeures la met mal à l'aise. Les façades extérieures, riches et arrogantes, dissimulent avec brio des murs de la finesse du papier. Sephir pense qu'un simple coup de coude suffirait à les briser. Elle est bien contente que la taverne où son groupe a décidé de passer la soirée a été construite en bon bois. Elle peut y poser son dos en observant ses camarades goûter les plaisirs d'un saké bien relevé. De couleur transparente comme de l'eau, le liquide lui a brûlé le gosier, et elle attend avec impatience que les effets de l'alcool se dissipent pour qu'elle puisse aller se promener.
Les gens ici sont différents. Snobs. Policés. C'est la première fois qu'un peuple la fait se sentir trop grande, trop gourde, trop peu civilisée. Elle en a vu, pourtant, des cultures différentes, mais ceux-là se gorgent du sentiment de leur propre supériorité. La boisson délie les langues et les manières, certains et certaines de ses camarades tentent de se rapprocher des autochtones, mais s'ils étaient tous sobres, rien de tout cela ne serait arrivé. Sephir soupire. La mission qui leur a été confiée n'a même rien d'engageant. Le groupe doit assurer la protection d'un marchand, d'un savant, ou d'un homme politique, peu importe, un gros bonnet, qui pense être au centre du monde. Que le danger qui le menace soit imaginaire ou bien réel, peu importe, du moment qu'il paie bien. Et quelle paie. Sephir comprend que ses camarades n'aient pas hésité un seul instant à signer le contrat, elle aussi trouve l'offre très alléchante. Mais à quel prix ?

L'un des vétérans de son groupe explique avec force détails grivois  comment il a réussi à mettre dans son lit la belle damoiselle qui a rejeté tant de nobles jeunes hommes - une histoire proprement dégoûtante, pour qui l'écoute attentivement, quand Sephir décide de se lever. Au même moment, la porte d'entrée s'ouvre, apportant un délicieux courant d'air sur ses joues bouillantes. Une femme de petite taille se tient dans l'encadrement de la porte, belle et grâcieuse, comme tous les habitants du bloc. Sephir ne sait pas si elle doit la prendre en grippe pour sa beauté, ou si une partie d'elle la trouve attirante. Si ses sens n'avaient pas été émoussés par le saké, Sephir aurait pu trouver sa présence incongrue. La femme a un beau maintien, et une délicatesse dans les gestes que seules les dames oisives qui ne travaillent jamais peuvent acquérir. Dans son hébétement, Sephir la trouve simplement jolie.
Sephir chancelle encore un peu. Elle a les jambes engourdies d'être restée trop longtemps assise. Elle trouve ce territoire trop complexe et a envie de prendre l'air. Mais même son corps semble lui dire de rester un peu. Elle détourne son attention du vétéran, dont les propos deviennent proprement scandaleux, et observe un peu trop fixement la jeune dame qui vient de rentrer.
Shimada Akio
Shimada AkioRyoshima
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.en eaux troubles. | Sephir Ashran EmptyJeu 12 Jan - 12:59
Nul ne paraît remarquer son entrée. Ni le serveur alourdi par le poids d’un plateau de huit bières, ni le cuisinier concentré sur ses lamelles de cœurs de lotus marinés, ni la poignée d’autochtones venus dîner dans la bonne humeur ou encore, et plus essentiel, la bande de gais pochtrons qu’il est venu pister. Oh, certes, sitôt qu’il esquisse un mouvement vers le comptoir où subsistent deux tabourets libres, quelques regards ne peuvent s’interdire de glisser sur lui, par réflexe plus que par envie, une belette vient de se glisser dans le terrier des renards alors les plus oisifs d’entre eux la scrutent des chevilles à la frange — en voilà une bestiole bien étrange !, songent-ils, furtifs, dans cette atmosphère liquoreuse à la chaleur toute tactile. En retour Akio laisse fureter ses yeux çà et là tandis que ses tympans récoltent, ainsi que les brins de riz fauchés à l’été, des gerbes de conversations entamées ; les voix les plus posées, indigènes, reviennent sur les déboires d’une journée de travail, quand les accents étrangers, où naviguent idiomes jhareelais et kymarais, ont l’esclaffe plus facile. À en juger par ce mélange de tonalités, les convictions d’Akio se renforcent. Il n’a maintenant qu’à s’installer dans un coin et s’abreuver à la source d’informations en attendant, peut-être plus tard, une ouverture encore plus propice... à moins que ? Là, à quatorze heures, près de la grande tablée de goupils — une renarde aux prunelles de béryl le dévisage. Elle ne semble pas le reconnaître, et c’est réciproque, mais il flotte sur son minois de sylve un intérêt des plus sincères. L’espion détourne le regard avec cette pudeur typique des Ryoshimais : ce n’est guère le moment de se faire remarquer, quelle qu’en soit la raison. S’apprêtait-elle à sortir ? À première vue, elle appartiendrait au groupe de mercenaires, sans que son rôle ne se lise sur ses traits sévères, ciselés à la serpe douce. Cependant, il est logique de penser qu’il existe des sentinelles, rattachées à chaque clan stipendié, capables de ne pas relâcher leur attention dans des circonstances telles, et cette demoiselle saurait d’instinct remplir ces critères de garde-fou.

Pour l’instant, Akio décide de ne pas en faire grand cas. Il est fort peu probable que l’on se méfie de lui pour sa simple présence, son apparence policée servant de garantie pour les tenanciers de l’auberge ; il est ici invisible, aussi invisible que le lui autorisent les instincts des autres clients. Il se déplace alors vers le comptoir, saluant une fois devant le cuisinier libéré de sa découpe, avant de retirer sa veste et de la placer sur ses genoux lorsqu’il s’assied sur l’un des tabourets vides qu’il avait repérés précédemment. Venir en taverne en solitaire et ne pas boire, c’est bien trop suspect — espion ou non. Et quitte à boire, autant se faire plaisir : ce sera sa récompense personnelle ce soir, pour avoir abandonné ses pinceaux.
« Excusez-moi, une liqueur d’abricot... »
Sa langue sonne fragile malgré lui, sûrement en comparaison du rustaud joyeux qui met l’ambiance non loin, or l’homme derrière le meuble ne relève pas et acquiesce sans interrompre ses gestes, lui déposant pour patienter une coupelle de radis saumuré. Akio remercie de la tête, l’esprit déjà enfui au fond du terrier où festoient les renards. D’ici, il entend sans mal l’histoire du clairon aux gros bras, cette conquête sordide qui n’en finit plus de détails, si mal qu’il se dit qu’à défaut de les espionner, il ferait presque mieux de les livrer aux autorités pour atteinte à la pudeur ou quelque autre motif de grivoiserie excessive. Mais ce n’est pas son rôle. Le sien est de ramasser le plus d’informations utiles sur sa proie et ses gardes-du-corps, rien d’autre, ce pour quoi il est devenu ce soir modeste secrétaire de prêteur sur gages, le genre de travail passe-partout qui n’intéresse personne si on pose la question, qui ne requiert aucun collègue de beuverie et qui justifie une attitude effacée, quasi méfiante, terne, dont il s’est enrobé afin de mener à bien sa mission. Une mission ordinaire, se répète-t-il. Tout à fait dans ses cordes.
Si ce n’est cette silhouette brune dans son champ de vision, à la seconde où, sous couvert de saisir ses baguettes et grignoter une tranche de légume, il jette à nouveau un regard dans sa direction. 
Sephir Ashran
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.en eaux troubles. | Sephir Ashran EmptyDim 29 Jan - 10:21
Un rire gras à quelques dizaines de centimètres de sa tête attire l'attention de Sephir : elle détourne le regard de la nouvelle venue en pensant qu'un de ses camarades se moque délibérement d'elle, mais ce n'est que le vétéran qui s'amuse de ses exploits faciles. Il a complètement oublié la présence de sa cadette qui projette une ombre douce sur ses cheveux ; à vrai dire, il ne parle plus que pour lui-même, et ne se préoccupe pas de savoir si quelqu'un l'écoute. Sephir sait bien qu'il se comporte ainsi avec tout le monde lorsqu'il a bu, mais elle se sent subitement vexée que personne de son groupe ne s'intéresse vraiment à ce qu'elle fait de ses soirées.
Le temps de reprendre contenance, la jeune femme qu'elle observait quelques secondes auparavant s'est prestemment glissée vers le comptoir, où elle a pris place avec une élégance irritante. La voie vers la sortie est libre, mais la curiosité retient un instant Sephir. Que peut donc bien boire une dame de bonne naissance ? La taverne possède-t-elle des liqueurs qui puissent ravir un palais délicat ? Sephir espère la voir commander une bière ou un tord-boyaux comme ses camarades en raffole, mais le verre que la dame reçoit contient un liquide d'une tendre nuance d'orange. Sephir est dépitée, et s'en veut de l'être. C'est la deuxième fois en quelques minutes que ses attentes sont déçues, or elle se pensait mieux armée pour affronter la réalité.
La soirée lui réserve cependant quelques belles surprises, puisque la dame glisse un regard discret dans sa direction. Si elle ne l'avait pas observée avec tant d'attention, Sephir aurait assurément manqué cette marque de curiosité. Mais elle les voit, ces yeux timides qui se posent sur elle avec l'impression de la jauger. Sephir s'enflamme. Elle doit tirer au clair cette sensation désagréable qui lui comprime la poitrine.
D'un pas décidé et, elle l'espère, droit, elle s'avance vers la jeune femme. Sephir n'est pas douée pour les approches civilisées, son ton est un peu trop rude lorsqu'elle demande, en toute sincérité : « Vous attendez quelqu'un ? Vous avez pas l'air d'être le genre de gens à traîner dans ce type de trou. » Comme un reproche, plus que comme une agression. À croire qu'elle veut lui faire peur pour l'inciter à partir, et ainsi se protéger.
Shimada Akio
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.en eaux troubles. | Sephir Ashran EmptyDim 5 Fév - 15:22
L’hameçon s’est accroché avec une facilité déconcertante et cependant rien n’est joué d’avance. C’est qu’il ne s’attendait pas vraiment — espérait, tout du moins — à ce que cette grande brune le dévisage avec tant d’insistance, sans honte aucune ; a-t-il de l’encre sur le bout du nez, la tunique ouverte ou bien lui rappelle-t-il un mort ? Il l’ignore. Seul son intérêt importe. Pourtant il suffit que dans la seconde la perche se dérobe un peu trop, qu’elle néglige cette œillade éphémère au profit d’une autre conversation plus animée et Akio se retrouvera bec dans l’eau, relégué au rang de curiosité dont il n’est pas la peine de s’approcher, auquel cas la prise d’initiative lui reviendra. Pas qu’il n’en soit pas capable, bien sûr que si, mais c’est là un coup plus brutal, plus visible aussi, à l’instar d’un plongeon sonore qui fait se retourner toutes les têtes et s’envoler les oiseaux les plus craintifs. Pas vraiment l’idéal quand on doit se faire discret.
Le radis est acide sur sa langue. Il a le goût des adieux involontaires, d’une entaille, la saveur d’une raillerie. La liqueur agit dessus comme un baume et, ensemble, le peintre trouve qu’ils s’accordent à merveille avec l’aura de cette damoiselle quand elle s’avance vers lui. Dans sa prunelle brille une flamme courroucée, même s’il ne saurait en expliquer les raisons, pas plus que la sévérité de son ton. Mais oui, quelque part entre la saumure et le sirop, c’est tout à fait cela.

Étrange comme ces quelques mots mettent aussitôt à mal l’identité qu’il avait revêtue en franchissant le seuil. S’il s’en tenait à son rôle, Akio aurait joué les indignés ou bien les pleutres, il aurait contesté d’un mais enfin, que voulez-vous dire ? presque geignard, masque grognon d’un salarié sans histoire qui veut qu’on lui fiche la paix. Peut-être aurait-il dû choisir autre chose, c’est vrai. Car il y a dans cette adresse une méprise qu’il remarque sur-le-champ, et pour cause : on ne s’étonnerait jamais qu’un homme boive seul dans une taverne, même sous le regard d’un étranger. Il n’y a bien que les femmes qui, dans une société traditionaliste et arriérée comme celle de Ryoshima, n’ont pas le droit de vivre solitaire sans attirer la curiosité ou la défiance d’autrui. Et cela le ferait presque rire, Akio, s’il n’avait eu subitement l’envie d’entrer dans ce jeu juste un instant, juste pour savoir jusqu’où elle peut l’acculer, jusqu’où il peut la duper. Quoiqu’il n’ait pas à feindre la surprise lorsqu’il répond :
« Non, personne..? » Puis ses paupières de se plisser délicatement, le timbre plus feutré. « Et de quel genre de gens faut-il avoir l’air pour traîner ici ? Fruste et truculent, comme votre comparse ? » D’une œillade, il désigne le mercenaire ivre qui amasse à lui tout seul les trois quarts des décibels de l’établissement, avant de revenir à son interlocutrice. « Cela n’a pas l’air d’être votre cas non plus... sans vouloir vous offenser. » Ce n’est pas qu’il la jauge, non. Il se contente de l’observer, le regard droit, un soupçon bravache, impuni.
Allez savoir si sa politesse le sauvera encore une fois.
Sephir Ashran
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.en eaux troubles. | Sephir Ashran EmptyDim 2 Avr - 18:21
De près, le visage de la jeune femme paraît plus anguleux, et ses yeux brillent d'une vivacité créative que Sephir ne s'attendait pas à voir. Qu'elle ne soit pas une jeune fille effarouchée n'est pas pour l'étonner, en revanche, la tonalité de la voix, plus grave que prévue, prend Sephir au dépourvu alors même que la mercenaire comprend qu'elle s'est trompée. Même s'il a la mâchoire fine, il lui serait difficile de masquer sa pomme d'Adam sans faire l'effort de correctement châler son cou. Et pourtant, il ressemble plus à une femme que la plupart des femmes de son entourage. Il a cette délicatesse, cette grâce, que Sephir n'a jusque là retrouvé que chez les femmes du monde.
La surprise l'étreint quelques secondes, laissant le jeune homme lui retourner la question qu'elle vient de lui poser. Il s'exprime avec assurance, et avec des mots compliqués. Sephir n'a pas la moindre idée de ce que les mots frustre et truculent veulent dire, et elle serait bien sûr incapable de les répéter. Elle a compris que ce ne sont pas des compliments, pas vraiment, mais elle n'arrive pas à savoir s'ils sont censés s'appliquer à elle aussi ou non, même s'il lui a pourtant dit que ce n'est pas le cas. Il ne lui a fallu que quelques mots inconnus pour complètement l'embrouiller. Sephir a le sentiment d'être tombée sur un adversaire trop fort pour elle.
Elle regrette déjà sa curiosité. Il ne l'intéresse plus tellement, ce blanc-bec, mais elle ne peut pas reculer - elle ne recule jamais. Elle doit trouver autre chose à répondre, et perd encore un temps précieux, qu'elle comble d'un |i]hein ? euh...[/i] maladroit qui n'aura pas échappé au perspicace. Mais Sephir a compris une chose, elle retrouve un brin d'assurance et pose rudement le coude sur le comptoir pour bien lui faire face : « Non mais moi, j'ai l'habitude de traîner dans des coins comme ça ! Je me défilais pas ! J'allais juste... prendre l'air... et je cherchais... »
Merde. Elle ne peut pas décidément pas lui dire qu'elle cherchait à l'aborder. Il est vraiment mignon, ce garçon. Dans d'autres circonstances, il lui plairait quand même. Cependant, Sephir sait que si le sujet doit être abordé, elle ne pourra s'en empêcher de lui avouer qu'elle le trouve attirant. Ce qui lui pose un gros problème, car il l'énerve en même temps. Sephir se râcle vivement la gorge, et préfère esquiver : « Enfin, bref. Vous m'aviez l'air un peu paumé, ici, donc je me demandais ce qui pouvait vous amener par là. »
Voilà. Très bien, Sephir. Très beau rattrapage. Et qui ne s'éloigne que très peu de la vérité : si elle avait un peu moins bu, Sephir aurait sans doute trouvé la présence du jeune homme intriguante, et elle aurait sans doute cherché à enquêter. Elle ne ment pas, Sephir, elle sait que c'est ce qu'elle ressent au fond d'elle - elle s'est juste égarée un instant, la faute à un regard qu'elle a mal interprété.
Shimada Akio
Shimada AkioRyoshima
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.en eaux troubles. | Sephir Ashran EmptyMar 18 Avr - 18:55
Il l’a surprise, à première vue. Le temps qu’elle prend à répondre, avec sa langue trébuchant d’incertitude, suffit à trahir l’inconfort qui la traverse et que, s’il est honnête, il ne s’attendait pas non plus à découvrir chez une mercenaire étrangère. C’est que sa précédente approche semblait pleine d’assurance, du moins aux trois-quarts a minima, ou bien n’était-ce qu’un effet d’optique induit par sa taille et qui n’aura pas survécu à la proximité physique ? Dieux seuls savent. Et lui mentirait s’il niait avoir sursauté en réaction à sa brusquerie, laquelle perdit de sa verve sitôt qu’elle se déclina en mots. Mademoiselle a l’habitude, voyez-vous cela ! Mais il la croit sur parole puisqu’il ne peut, à l’inverse, prétendre être coutumier de ces endroits autrement que parce qu’il est espion avant d’être amateur d’alcool, et qu’aucun lieu n’est plus propice à la récolte d’informations qu’une taverne sans prétention. Quant à confirmer qu’elle ne se défilait pas pour de vrai ou s’il s’agit d’un aveu de faiblesse détourné, bien maladroitement formulé, le peintre ne parierait guère ; doit-il soupçonner qu’elle manque de confiance en elle ou bien qu’elle lui cache quelque chose ? Comme souvent, la seconde option lui paraît davantage amusante, d’autant que la manière qu’elle a de couper court à ses propres explications interpelle l’esprit d’Akio plus promptement que n’importe quel appeau. Alors oui, que cherchait-elle donc ? Lui qui venait dans l’espoir d’attraper un de ces épineux rémoras, il se retrouvait maintenant à vouloir mordre dans l’appât suggéré.

Il la laisse finir sans toucher à sa coupelle de liqueur. En un sens, il comprend qu’elle s’est souciée de lui — est-ce toujours le cas à présent que sa méprise a été révélée ? — et il ne peut empêcher le monde de s’arrondir un brin à ces mots ; à défaut de se montrer bavarde vis-à-vis d’elle-même, elle est honnête envers lui. Une qualité qu’il apprécie d’ailleurs chez les mercenaires, en ce qu’ils recourent rarement au mensonge. Le mutisme se veut une meilleure couverture.
« Oh, c’est... qu’ils ont d’excellentes liqueurs ici, lance-t-il d’abord, presque ingénu, ses phalanges dansant autour de sa boisson. Voilà qui n’est pas vrai, mais pas si faux non plus. Et... pomé ? Comme, eh, perdu ? » Les limites de son alryonais s’arrêtent là où patauge son accent, juste derrière l’entaille de son sourire. Peut-être que rire de lui-même devrait conforter un soupçon son interlocutrice. « Peut-être ou... j’espérais trouver quelqu’un de curieux avec qui passer mon temps. »
Difficile de savoir s’il a inversé les termes « intéressant » et « curieux » à dessein ; lui-même n’en est pas certain. Puis, paraissant soudain prendre conscience qu’il a manqué de courtoisie ou le départ de la prochaine caravelle, le peintre se redresse, se décale d’un quart de fesse sur son tabouret en direction de la jeune femme, sans se départir de son élégante nonchalance. Et reprend :
« Mais vous vouliez sortir prendre l’air, c’est cela ? Ou préféreriez-vous boire un verre ensemble ? »
Sephir Ashran
Sephir Ashran
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.en eaux troubles. | Sephir Ashran EmptyDim 23 Avr - 19:12
Heureusement pour son amour propre, Sephir a pu se calmer un peu en se remettant en tête les réflexes qu'elle aurait dû avoir. Elle a besoin de garder l'esprit clair pour ne pas tomber dans les pièges que lui tend le jeune homme. Il semble lui donner les réponses qu'elle désire entendre plutôt que la vérité. Voilà qui donne la chair de poule.
Sephir ne peut pas prétendre qu'elle s'y connaît en liqueurs. Elle est donc obligée de le croire lorsqu'il affirme que la taverne en propose d'excellentes. Elle n'a pas un vocabulaire très étoffé, donc elle ne peut pas proposer d'autres synonymes que celui qu'il suggère. Elle se contente d'acquiescer la tête, un brin charmée par l'accent distingué avec lequel il prononce maladroitement des mots d'argot. Elle a du mal à ne pas s'empêcher de rougir lorsqu'il laisse entendre qu'il recherche une compagnie. Les joues de Sephir brûlent déjà à cause de l'alcool et de la gêne, mais elle a l'impression qu'elles irradient de la chaleur à présent. Elle commence à bégayer à voix basse des mots qui ne veulent rien dire, témoins d'un trouble qui se refuse à partir.
Dans sa délicatesse, le jeune homme a peut-être remarqué son malaise, car il lui propose, entre autres, de sortir prendre l'air, ce qui était son intention initiale. Elle se sent soulagée et attrape la perche comme une bouée : « oui, avec plaisir, j'ai la tête qui tourne, j'ai trop bu. » À nouveau, Sephir ne ment pas, et elle se donne une bonne excuse, même si cela doit affecter négativement l'image qu'il se fait d'elle. Mais la mercenaire ne se fait pas d'illusion : il doit déjà s'être fait une piètre opinion d'elle, et lui accorde la même attention qu'à un jouet amusant.
Sephir décide de prendre les devants, puisqu'elle est la plus proche de la porte. Malheureusement pour elle, en se retournant, elle se cogne la hanche contre une chaise vide qui avait été mal rangée. Elle n'a pas vraiment mal, en revanche, elle est très contrariée qu'un objet aussi insignifiant lui ait ainsi bloqué la course. Avec un fait chier retentissant, elle repousse violemment la chaise sur le côté, non sans produire un frottement sonore plutôt désagréable, qui révèle au grand jour son caractère irritable. Un obstacle en moins sur sa route. Elle refuse de se retourner ou de regarder la réaction de son compagnon. Elle ne veut pas voir de sourire narquois sur son joli petit visage.
Au lieu de cela, elle avance d'un pas décidé vers la porte, qu'elle ouvre avec la même énergie dont elle vient de faire preuve.
Shimada Akio
Shimada AkioRyoshima
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.en eaux troubles. | Sephir Ashran EmptyLun 26 Juin - 16:44
Les mercenaires ne croient qu’en deux choses, avait coutume de dire Maître Zane, avec cet air narquois de celui qui sait de quoi il parle, l’argent et eux-mêmes. Pour l’un, nous ne leur ressemblons en rien, car nous agissons pour des idéaux qui n’ont pas de prix ; pour l’autre, ils sont nos jumeaux. De cette phrase, le jeune Akio avait nourri un distant sentiment de camaraderie avec ces femmes et ces hommes avec qui il n’avait jamais vraiment eu à traiter, faute de les trouver fiables. Lui qui n’avait qu’une bourse à moitié vide à leur offrir, ou bien une confiance fantoche tissée de louvoiements et de pieux mensonges, se contentait de les savoir existants, ce qui en un sens était déjà bien assez. Quant au reste, il se disait que les opportunités futures lui permettraient un jour de revoir ses préjugés ou, au contraire, de les entériner. Il ne s’attendait juste pas à ce que ce jour soit une nuit.

L’étrangère a la tête qui tourne — sans doute l’unique raison pour laquelle elle osa lui adresser la parole, d’ailleurs — et l’autochtone ne peut s’empêcher de trouver cela étrange, un aveu de vulnérabilité, innocemment prononcé comme si elle n’avait rien à craindre de lui ; s’il y a là défi latent, il ne le relèvera pas en étant sobre. Il est vrai, de toute manière, qu’il n’est pas du genre menaçant, ça non. En un contre un, physique, elle le mettrait à terre en dépit des quelques techniques enseignées par Maître Zane, et dans le cas où ses confrères rappliqueraient, oh, n’y pensons pas, seule la fuite le sauvera.
L’étrangère a la tête qui tourne et le pas maladroit, pourtant Akio réprime son réflexe de tendre le bras pour la rattraper à l’instant où elle percute le mobilier, à demi-effarouché par ce subit accès de violence. Voilà qui est certain, pas de un contre un. Sa main reste en suspens tandis qu’elle s’écarte et qu’il jette son regard en biais vers le reste de la troupe, nullement perturbée par l’agitation à l’exception, peut-être, d’un individu à la chevelure quasi aussi longue que la sienne. Peu de temps pour réfléchir. La proie s’éloigne, c’est maintenant ou jamais. Alors, saisissant sa coupelle entamée, il se la vide d’un coup sec dans le gosier — comme un goût de remords — et la repose sur le comptoir avec un léger signe des doigts pour indiquer qu’il reviendra payer. L’aubergiste ne dit rien ; cela se voit sur son visage qu’avec lui, il vaut mieux tenir ses promesses. Pourtant Akio a déjà filé, s’est déjà faufilé d’un seul élan dans l’embrasure de la porte, à l’instar d’une feuille emportée par le vent, sans essayer de la retenir. Il s’y glisse dans l’ombre étirée de la mercenaire que le proche réverbère a peint sur les pavés de la rue, ce trait immense qui englobe sa propre ombre au moment où il la rejoint, un pas en retrait, quiet.

Le froid qui s’insinue contre son col l’oblige à en relever les pans, mais son haori ne se prête guère à jouer les écharpes et, sitôt ses mains retombées, le tissu en fait de même. Lorsqu’il est seul, il a l’habitude d’utiliser ses cheveux afin de protéger son cou, sauf que les circonstances actuelles l’en empêchent sans quoi il passerait pour un pitre, et la mercenaire de le planter sur place, alors soit, il endurera l’hiver comme un idiot. Puis, remarquant dès lors que sa comparse du moment n’a pas relancé la conversation, il s’y hasarde d’un ton anodin, dépourvu de sous-entendu. Simplement curieux, pour commencer :
« Eh... donc, comment trouvez-vous Ryoshima ? D’ordinaire les touristes viennent plutôt durant la saison des fleurs ou pour les couleurs de l’automne... mais sous la neige, c’est autre chose. »
Sephir Ashran
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.en eaux troubles. | Sephir Ashran EmptyDim 6 Aoû - 11:45
Le contraste entre l'air libre de l'extérieur et celui de confiné de l'intérieur n'est sans doute pas aussi prononcé que le perçoit Sephir, mais son corps échauffé par l'alcool et la honte croit entrer brusquement dans un nuage de glace. Le souffle brumeux qui s'échappe de ses lèvres ne fait que renforcer cette impression. Impossible de réprimer les tremblements de ses muscles qui luttent pour maintenir leur souplesse. Avec un peu plus de volonté, elle aurait sans doute pu forcer ses bras à suivre la courbe de son buste, mais la douleur à l'intérieur de sa tête ne s'apaise pas, bien au contraire, et c'est par réflexe qu'elle ramène les bras vers elle.
Ses compagnons ne s'inquiéteront pas pour elle. Ils ont l'habitude qu'elle s'échappe à leur surveillance pendant quelques heures. À l'aube, elle finit toujours par les retrouver. Ils se moquent parfois d'elle en lui disant qu'elle a le sens de loyauté d'un chien bien obéissant qui retrouve toujours la main de celui qui le nourrit. Sephir hausse toujours les épaules. Pourquoi serait-elle offensée d'être comparée à un animal aussi noble ?
Elle n'a pas le temps de se ressaisir ou de présenter un visage plus amenant : elle a bien entendu une deuxième personne la suivre hors de la taverne, mais pas de pas qui s'éloignent d'elle. La deuxième personne se tient toujours derrière elle et finit par lui demander si elle apprécie Ryoshima sous la neige. « Pourquoi vous m'avez suivie ? » demande avec méfiance Sephir, qui a déjà oublié que c'était lui qui lui avait proposé de sortir en premier lieu. Bouger sa mâchoire transforme l'os de son front en une sorte de caisse de résonance contre laquelle vient s'écraser violemment son cerveau. Elle grogne légèrement et porte la main à la tête. Comment fait-on pour empêcher le truc mou qui se balade à l'intérieur de gigoter dans tous les sens ? Le corps humain est vraiment mal fait : ce truc aurait du être attaché plutôt que mouvant. Sephir a déjà entendu dire que ce "cerveau" peut être gelé quand on mange de la glace. Idée ridicule et farfelue, a-t-elle toujours pensé, mais en cet instant, elle se dit que ce n'est peut-être pas si improbable que cela.
Elle respire quelques instants encore, le temps de trouver le bon rythme qui lui permettra de supporter la douleur, puis elle laisse échapper d'un ton radouci. « Ça me revient, laissez tomber. C'est vous que je devais suivre, par l'inverse. Ryoshima, vous m'avez dit ? C'est un beau lieu. » Sephir n'a pas beaucoup plus de mots pour exprimer ce qu'elle ressent. Quelque chose est beau ou moche, bien ou mauvais, gentil ou méchant. Les nuances ne lui échappent pas, mais elle ne sait pas les formuler.
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.en eaux troubles. | Sephir Ashran EmptySam 23 Sep - 16:04
Les gens qu’il rencontre sont comme les peintures qu’il réalise ; parfois, il sait d’avance quels pigments utiliser, quels pinceaux, et pour quel résultat. Et parfois, jusqu’à la dernière seconde l’œuvre demeure un mystère. Cette femme-là n’est pas très sophistiquée, a priori, elle respire en rouge clair et parle d’ocre quand ses manières ont la franchise des classes modestes, celles qui ne connaîtront sûrement jamais le goût des hirondelles laquées du palais impérial et qui s’en portent cependant très bien, celles qui ne craignent pas d’avoir les cheveux sales et qui savent dormir à la belle étoile. Il ne redoute rien d’elle, même si en tant que mercenaire elle devrait être capable de lui enfoncer une dague dans les côtes si nécessaire — sauf qu’il sait parfaitement comment ne pas rendre cet acte nécessaire — mais, est-ce la froideur de la nuit ou la vapeur d’abricot dans sa gorge, il l’ignore, le mystère est toujours là au bout de son crayon.
Elle daigne toutefois lui répondre, d’une façon à laquelle il ne s’attend guère. Avait-il oublié de préciser qu’il quitterait l’établissement avec elle ? Pas que cela lui ait semblé utile... L’espace d’une seconde il se demande si elle tente une plaisanterie ou si elle pense vraiment ce qu’elle dit, car de ses intentions dépendra sa propre réplique, et garde le silence faute de vouloir s’y risquer ; à la voir se prendre ainsi le crâne, il est en effet facile de déduire que cette promenade glaciale était de loin la meilleure initiative à s’offrir pour qu’elle décante son ivresse, même si elle le regrette peut-être un peu, sur le coup.
« Ne vous forcez pas », glisse-t-il d’un ton bas, précautionneux, comme s’il craignait que sa voix puisse soudain lui causer une nouvelle douleur.
Si cet opportuniste de Keisabe avait vent de l’attitude des mercenaires qu’il engage, chercherait-il à rompre leur contrat ? Pour sûr cela dégagerait le chemin et Akio aurait cet écueil en moins dont se soucier, mais il est de notoriété publique que ce genre de soudards fonctionne plus volontiers à l’eau de vie qu’au petit lait, alors l’argument peinerait à convaincre. Surtout qu’elle se trouve ici en dehors de ses heures de travail.

Son ton s’est poli au profit d’un compliment que le peintre relève d’un hochement de tête. S’il est honnête, et par orgueil tout indigène, il considérerait d’ailleurs ce « beau lieu » avec déception, puisqu’il ose croire que la Cité mérite un brin plus qu’un adjectif aussi ordinaire, pourtant il a conscience qu’à l’aune du reste du monde, elle en a vu probablement bien plus que lui ; dommage qu’elle ne semble pas en mesure d’approfondir son jugement ou ne serait-ce que d’en proposer une comparaison avec ses expériences passées, lui en aurait été curieux. Après tout, il ne lui est pas donné de s’acoquiner avec des étrangers toutes les nuits.
« Eh, si vous avez le temps, ce serait un honneur que d’être votre guide ce soir. Même si je vous recommanderai de manger d’abord quelque chose... Le saké se fait souvent traître, pour qui en goûte la première fois. »
D’une foulée souple il l’a rejointe, tous deux éclairés par les lanternes alentour. En cas de faim, ils n’auront pas à chercher trop loin puisque la rue propose toutes sortes de petits restaurants étroits où s’entrechoquent tabourets et bruits de casseroles, tandis que le fumet des bouillons roule jusque dehors — rien qu’à l’odeur, la neige en fond.
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.en eaux troubles. | Sephir Ashran EmptySam 7 Oct - 14:39
Il est si proche.
En quelques instants, la distance entre eux s'est réduite à un seul pas. Sephir peut désormais admirer de près la couleur de terre de ses prunelles engageantes. D'ordinaire, elle se concentrerait plutôt sur le mouvement qui l'a amené à elle, la souplesse de ses muscles ou leur lourdeur, l'équilibre de ses pas ou leur tonnerre. Mais il doit avoir le pied léger, et ses réflexes à elle sont engourdis. Elle se sent comme une personne ordinaire surprise par la présence rapprochée d'une silhouette qu'elle a aperçu au loin. Faible. Et vulnérable.
C'est pourquoi, lorsqu'il propose innocemment de lui servir de guide, Sephir ne peut pas dire non. Elle pourrait le justifier de bien des manières. Si tous les citoyens de Ryoshima sont aussi alertes que cet homme si féminin, elle n'est sans doute pas en sécurité ici. Sans compter - et cette idée suffirait à la faire hurler de frustration si elle avait toute sa tête - qu'elle pense pouvoir lui faire confiance. Il est trop délicat pour paraître dangereux - et pourtant, il ne perd jamais la maîtrise de leur conversation. Il est trop attentionné pour lui vouloir du mal - et pourtant, il s'approche d'elle alors qu'elle est enivrée. Elle est une mercenaire chevronnée, et lui ne semble jamais avoir porté d'arme plus lourde que des baguettes - et pourtant, il est capable de tromper ses sens. Il suffirait d'y réfléchir au clair pour comprendre à quel point ce qu'elle fait est une mauvaise idée. Mais sa tête, dans laquelle danse joyeusement son cerveau malmenée, trouve au contraire la proposition intéressante. Son corps agit de lui-même, et Sephir se retrouve subitement accrochée au bras de son compagnon, prête à lui faire soutenir tout son poids. Après tout, n'est-ce pas ça, être son guide ? S'occuper d'elle quand elle n'est plus capable de le faire elle-même ? « Ok, allez-y, déclare Sephir en brandissant en l'air son bras libre, montrez-moi le chemin. » Je vous fais confiance. Un brin de méfiance la retient encore de se montrer trop transparente. Après tout, elle n'a jamais eu totalement confiance en quiconque. Un inconnu ne sera pas la première personne pour qui elle aura ces mots.
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.en eaux troubles. | Sephir Ashran EmptyDim 15 Oct - 12:42
D’habitude, de deux compères il est toujours le chat, par défaut ou par choix, mais pas cette fois. Car il y a chez cette dame d’un autre monde quelque chose de farouche, un derme plus frileux qu’il lui faut rassurer, c’est à lui de l’apprivoiser et non l’inverse — encore qu’elle s’y est déjà essayé à peine un instant plus tôt, lorsqu’elle l’aborda la première — et l’arôme abricot danse à l’intérieur de son estomac tandis qu’il se glisse près d’elle, à portée de ses griffes. Elle ne le chasse pas, pourtant, joviale souris qu’il semble être en comparaison. Au contraire même, elle se serre, agrippe son bras dessus-dessous, avec une telle franchise qu’il s’en trouve en retour stupéfait et, durant une fraction de seconde, quasi étourdi. A-t-il manqué un signal, franchi une frontière invisible sans s’en rendre compte ? C’est qu’en bon Ryoshimais les conventions sociales lui imposent la sobriété et une proximité des plus mesurées, ce qu’il s’est par ailleurs fait un plaisir de subvertir dans son art comme dans ses gestes, traduisant par les mouvements de son corps et de son esprit toutes sortes d’émotions qu’il lui serait défendu de laisser transparaître autrement qu’à la faveur d’une intimité établie de longue date. Sans doute est-ce la raison pour laquelle, aux yeux de ses congénères autant qu’à ceux d’un étranger conscient de cette distance propre à leur éducation, son comportement revêt volontiers la nuance de l’incorrection, d’une effronterie aussi inoffensive que périlleuse.
Et parfois, il oublie.
Oublie qu’autrui peut à son tour se faire l’écho de son attitude, l’interpréter comme une invite, y répondre avec cette même tactilité que ses pas insidieusement ont recherché — et s’en ébahir l’espace d’une parole.
Elle dit oui. Enfin, pas vraiment oui comme ça, le sien est beaucoup plus relâché, presque insolent, un ordre sans en être un, mais cela le fait sourire alors même que la sensation de cette chair qui l’attrape s’inscrit dans ses os et menace sa liberté. Un seul fond de liqueur ne serait suffisant pour lui amuïr son instinct, cependant l’odeur boisée que la mercenaire dégage, cette chaleur vague aux relents de cuir tend à estomper le danger au profit de l’agrément, aussi hoche-t-il la tête avec entrain, droit vers leur désastre.

« Bien ! Le temps d’attraper... oh, vous allez voir, c’est délicieux quand il fait froid..! »
Son museau aux aguets fouine d’un bout à l’autre de l’allée, puis s’arrête sur une bâtisse quelques foulées plus loin et presse gentiment sa camarade vers l’enseigne éclairée par d’énormes lanternes rouges qui ondulent au-dessus d’un gril en plein-air où une grand-mère aux bras nus retourne avec énergie de petites boulettes cuites par dizaines, à la chaîne, déposant celles qui ont fini de cuire dans des barquettes que son fils — ou son gendre ? — distribue aux clients de passage contre un sou. Et client de passage Akio se fait lorsqu’il échange en parfaite synchronisation une pièce tirée de sa besace contre un trio de ces en-cas couronnés de sauce fumée, d’herbes ciselées et d’un frisotis de mayonnaise légère, avant de le lever délicatement vers sa comparse.
«  Takoyaki, des beignets fourrés à la pieuvre. Prenez-en un — attention, c’est très.. brûle, eh —, ici c’est le meilleur de la cuisine de rue. »
Trop curieux de la réaction qu’elle offrira avec dégustation pour s’attarder sur sa faute, pour ne pas la dévisager à travers les mèches relâchées de sa frange.
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.en eaux troubles. | Sephir Ashran EmptySam 28 Oct - 18:33
Même un peu engourdie, Sephir se rend bien compte que la franche effronterie avec laquelle elle s'est emparée du bras de son nouveau guide a causé en ce dernier une profonde surprise, pour ne pas dire une certaine confusion. Sans vouloir interpréter les raisons de cette réaction presque réflexive, il est difficile de cacher le raidissement de son corps à une personne qui a décidé qu'elle allait s'y accrocher de toutes ses forces. Sephir peut ressentir le moindre balancement du corps, le moindre déséquilibre, même infime. Le galant homme semble figé un bref instant dans le temps, comme si le comportement de son invitée ne s'inscrivait pas dans la ligne de conduite habituelle des femmes de sa compagnie. La mercenaire ne peut que se féliciter de cette petite victoire sur un homme qui n'a eu de cesse de lui prouver que sa valeur dépassait de loin la sienne.
Ce n'est pas tellement par bonté d'âme qu'elle renonce à pousser son avantage. Sephir se refuse à gâcher un moment aussi doux. Elle qui a l'habitude d'explorer seule, et d'avancer sans but fixe dans les rues sombres de ses aventures, découvre avec délectation que ne pas se poser de questions est vraiment appréciable lorsqu'on ne tient pas bien l'alcool. En particulier lorsqu'elle peut déconcerter un inconnu aussi charmant. Elle en est au point où elle se risque à penser qu'il serait amusant de lui vomir dessus lorsque ses tripes viendront protester du traitement qu'elle leur inflige, quand inconscient du danger pour ses beaux habits, le délicat jeune homme a décidé d'une première destination pour eux. Ils n'ont pas beaucoup de chemin à faire, une simple rue à traverser. Sephir est d'abord assaillie par une odeur largement inconnue : en plus de celle d'un brasier se mêle un arôme vaguement gras et marin, recouvert d'une senteur d'herbes ou d'épices inconnues. Puis la chaleur lui arrive en plein visage. À manger ? Une aimable grand-mère et un homme plus jeune tiennent un stand modeste devant une demeure éclairée de rouge. Sephir ne se serait jamais figurée qu'un homme aussi raffiné que son guide puisse être intéressé par de la nourriture de rue - cela paraît presque incongru. Peu informée de la valeur monétaire de la pièce qu'il utilise pour payer, Sephir ne peut pas dire s'il s'est montrée généreux, ou si la somme dont il s'est séparé est dérisoire pour lui.
La transaction a été rapide, et c'est à peine si Sephir remarque qu'il balbutie. Il lui tend la barquette qu'il vient d'acheter en la présentant comme des takoyakis. La jeune femme répète le nom, incertaine de l'accent à utiliser. Les mots s'évaporent dans la rue comme la fumée qui s'échappent des boulettes bien rondes. « Je savais pas que vous mangiez dans la rue, commente-elle avant de souffler instinctivement sur la nourriture. Enfin, vous avez raison, c'est là qu'est ma place après tout. »
Elle se dit après coup qu'il n'aura pas peut-être pas envie de manger quelque chose sur lequel elle a soufflé, mais tant pis. Sephir ne lui adressait pas un reproche : elle pense que son guide l'a bien cernée, et qu'elle est plus à l'aise dans un milieu modeste que dans un restaurant chic. « Je vais tous les manger. » prévient-elle en lui adressant un regard de biais. Elle libère enfin son bras et avec sa brusquerie habituelle, gobe la première boulette.
Bon sang que c'est chaud ! Sephir mâche avidemment pour supporter la chaleur, avant d'avaler sans plus attendre le premier takoyaki. Elle n'a pas vraiment eu le temps d'apprécier toutes les saveurs, toutes les subtilités que lui doit être capable de repérer avec son palais bien exercé. Elle se contente d'énoncer son verdict en des termes simples et précis, comme à son habitude : « C'est bon. »
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.en eaux troubles. | Sephir Ashran EmptyMer 22 Nov - 20:29
Takoyakis. La simple façon qu’elle a de prononcer ce mot aussi ordinaire pour tout Ryoshimais est aux tympans d’Akio un souvenir bien plus réjouissant que tout ce qu’il a pu entendre depuis le début de la soirée — même s’il ne saurait expliquer pourquoi. Ce n’est pourtant pas qu’il y trouve un éclat de moquerie, non, puisque de son côté il se sentirait bien en peine d’accentuer correctement une phrase de jhareelais ou d’isvallien, mais peut-être est-ce là le signe qu’elle laisse percer un jour minuscule sur son écorce, une fissure infime sur la coquille de nacre de sa sévérité, et qu’à la faveur de ces quelques syllabes venues d’ailleurs elle se montre plus encline à l’accompagner sur son terrain. Plus qu’à cette étreinte décidément trop familière pour lui, c’est à cette dérisoire boulette de poulpe qu’il apprécie la mesure de la confiance qu’elle lui accorde en cet instant. Pourvu qu’elle aime. Oh, pourvu. Car il ne saurait guère compenser aussi aisément la déception que son dégoût provoquerait.
Elle ne mange pas tout de suite, néanmoins. S’étonne d’abord. Souffle ensuite. Et lui qui se retient de l’interrompre tout en haussant un sourcil circonspect, moins en raison de sa remarque sur la rue que pour cette curieuse coutume certes bienvenue face à ces deux braises savoureuses que sont les beignets qu’il lui a présentés.
« Ah-..? »
Son interrogation demeure suspendue entre eux, mise à mal par l’œillade qu’elle lui adresse. Comment cela, tous les manger ? Désigne-t-elle toujours les takoyakis alors que ses prunelles de jungle se sont fendues ainsi sous les ailes brunes de ses paupières ? L’espace d’un battement de cœur Akio hésite — sent la chaleur lui croquer le visage — et se traite d’imbécile à la seconde où la première boulette disparaît, engloutie par ce léopard aux doigts fins. L’observer se débattre avec la pâte brûlante, entre épreuve du feu et délice douloureux, lui arrache cependant un authentique sourire qui vient gommer son précédent émoi. Il l’a prévenue que c’était chaud, sauf qu’avec ce type d’en-cas la brûlure fait partie du jeu et il doit avouer qu’à celui-ci elle s’en tire avec les honneurs. Surtout qu’elle semble apprécier l’expérience, à en juger par sa conclusion.

« Hé, j’en suis ravi, s’enthousiasme-t-il sincèrement avant de saisir un des pics présents dans la barquette. Vous pouvez aussi les laisser refroidir un peu en les ouvrant ainsi ; cela vous évitera de vous brûler. » Pour illustration, il perfore le côté du deuxième beignet et remue doucement le bâtonnet de manière à former une cheminée miniature jusqu’au centre de la boulette, par laquelle un fin filet de fumée se met à s’échapper. « Voilà, attendez encore quelques secondes, ce sera parfait... » Ce qui peut paraître un art culinaire énoncé de cette manière n’est cependant que l’expression d’une habitude somme toute banale, à laquelle Shimada ne songe même plus quand il est amené à manger en solitaire, mais qui ici revêt presque l’apparence du secret et lui permet de redécouvrir ce détail insignifiant de sa culture. Pour un peu, il aurait eu envie d’oublier le goût du takoyaki exprès pour le ressentir de nouveau, ce soir, pour la première fois de sa vie.
Dans le silence qui pointe, parfum friture et camélia, le peintre entend alors sa curiosité frapper la porte de sa conscience — sa phrase inachevée qui réclame à être libérée, de sorte qu’il s’exécute en penchant d’un cran la tête :
« Y a-t-il besoin d’avoir sa place dans la rue pour aimer y manger ? La bonne nourriture, où qu’elle soit, et d’où que l’on vienne, est un plaisir à partager, ne croyez-vous pas ? »
Accent volontairement plus ingénu qu’il ne devrait, plus innocent que son opinion ne se le permettrait. S’il est sans doute présomptueux qu’elle lui livre un morceau d’elle-même sur ce sujet, au moins espère-t-il recueillir son approbation et, par conséquent, la conforter dans leur relation naissante.
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.en eaux troubles. | Sephir Ashran EmptyDim 10 Déc - 12:31
La saveur du takoyaki se dissipe plus rapidement dans sa bouche que la sensation de brûlure qui vient de conquérir ses papilles. La chaleur a anesthésié la langue de Sephir et couvre d'un goût pâteux les dernières traces de pieuvre. La jeune femme regrette son empressement : sa capacité à sentir les goûts en a pâti. Le sait-il, ce compagnon qui la regarde d'un sourire qui, pour une fois, n'a rien de furtif ni de contrôlé ? Il n'a pas l'air contrarié, comme si la scène à laquelle il vient d'assister l'a sincèrement amusé. Sa déception serait difficile à accepter, mais cette étonnante et rafraîchissante réaction est plus facile à interpréter. Sephir a l'impression qu'un peu de la distance qu'il pose entre lui et le monde s'effrite face à un énergumène aux manières aussi étranges (étrangères) que les siennes.
Preuve qu'il se libère de sa grâcieuse retenue, il n'hésite pas, malgré l'avertissement de Sephir, à se servir lui-même, alors même que le souffle aviné de la mercenaire s'est posé sur les boulettes. Sephir se persuade alors qu'il va manger à son tour un takoyaki brûlant. Cette pensée la fait frémir de joie. Elle se le représente déjà, les joues gonflées, le visage crispé dans un formidable effort pour conserver la face. Elle rêve de voir son assurance se fissurer, et son vrai visage se dévoiler. Mais ses espoirs s'envolent vite. Son jeune compagnon se fait professeur, et lui présente une méthode secrète pour refroidir l'intérieur des takoyakis avant de les manger. Impossible de cacher sa déception plus longtemps. Sephir fixe d'un air songeur la boulette délicatement coupée en deux - si elle avait dû reproduire ce geste, elle l'aurait probablement déchirée en deux. Elle ne se demande même pas s'il avait prévu qu'elle se jetterait sur le plat, ou s'il comptait dès le départ lui révéler sa technique, mais uniquement après l'avoir laissée se brûler. Le sentiment de ne pas être à la hauteur de cet homme occupe toutes ses pensées. Sephir commence à comprendre que la différence entre eux ne se mesure pas en connaissances ou en intelligence. Il y a quelque chose chez lui qui le place au-dessus de tous les autres, au-dessus même des normes de la nature, puisque en lui le féminin et le masculin sont si parfaitement mêlés qu'elle n'a pas su les distinguer au départ. C'est possible, ça, un être qui soit si supérieur aux autres, qu'il en arrive à écraser les autres alors qu'il cherche à les élever ?
Il se met à mon niveau. C'est une évidence. Il a beau dire que la bonne nourriture se trouve partout, et qu'il apprécie la compagnie des personnes les plus grossières, il peut se le permettre parce qu'il est au-dessus. Il a le choix. Il peut trouver le bon et le beau partout parce que ni le monde ni la nature ne lui a posé la moindre limite. Mais elle, elle n'a jamais eu d'autre choix que de se rebeller contre les limites qu'on lui posait.
« C'est quand même injuste, tout ça... » conclut Sephir en fixant la fumée s'échappant de la farce. « Je ne fais vraiment pas le poids face à vous. »
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.en eaux troubles. | Sephir Ashran EmptyMar 19 Déc - 14:12
Elle a l’air déçue — et lui un brin déconcerté.
La couleur défaitiste qu’il discerne dans les paroles de la mercenaire, là où il escomptait une certaine teinte de connivence, révèle une faille à laquelle il n’avait pas songé. En a-t-il trop fait ? A-t-il manqué un indice sur la tendance à se mésestimer de cette femme ou bien sur l’atmosphère de bataille dont elle semble avoir enveloppé leurs échanges ? À moins que quelque pensée chagrine n’ait traversé son esprit face au souvenir d’un repas à partager, en un lieu reculé au fond de sa mémoire auquel il n’aura jamais accès ? Une chose est sûre : si l’objectif était de lui être agréable, il est malheureusement évident que celui-ci n’a pas été atteint. Qu’à cela ne tienne, il n’est guère trop tard pour rattraper la bourde, mais de quelle façon ?
Par ailleurs, Akio ignore ce qu’elle entend véritablement par « ne pas faire le poids », puisque si l’on s’en tient à une interprétation littérale, ma foi, ils doivent être de corpulence plus ou moins égale, ce à quoi on peut certes rajouter en sa faveur la masse d’un takoyaki et peut-être un volume de bière équivalent à une pinte, pas davantage. Si elle parle connaissances, en revanche, il objectera qu’ici, c’est lui l’autochtone, et qu’il est par conséquent attendu qu’il sache plus de choses sur les coutumes de sa propre Cité — sans quoi il se poserait des questions. Quant à y déceler un autre message, plus subtil, visant ses manières ou son apparence physique, eh bien, il ne s’imagine pas que cela puisse compter aux yeux d’une personne dont le travail nécessite dans la plupart des cas de se transformer en un serviteur aveugle et obéissant. Cependant, se tromper fait partie du jeu et, si la partie se mène avec elle, pour une raison encore trop indéfinissable, il n’y serait pas opposé.

« ...Pourquoi ? »
Les chances qu’elle explicite sa pensée du fait de cette simple demande sont minces, mais cela vaut la peine de tenter. Il n’est même pas sûr de vouloir véritablement obtenir la réponse, car ce qui l’intéresse le plus est de dessiner, trait après trait, phrase après phrase, les limites qu’elle se pose et lui impose. Cartographier son espace mental, quitte à s’y égarer.
« Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour... hm... » Réparer l’injustice ? S’excuser ? Perdre du poids ? « ...ah, je sais ! La prochaine étape, c’est vous qui choisissez. Un endroit, une activité, un objet, si cela vous plaît nous y allons et je vous fais découvrir, d’accord ? Ce peut être n’importe quoi, tant que cela vous attire. »
Sans attendre la réaction de sa complice du soir, il se penche alors vers la barquette toujours dans sa main et, après avoir rabattu derrière son oreille une mèche qui menaçait de tremper dans la mayonnaise, pique le beignet ouvert et le hisse à sa bouche ; malgré la technique de refroidissement la boulette reste chaude et compacte, ce qui l’oblige à mâcher en relâchant de petits soupirs brûlants que sa manche tente en vain d’étouffer, tandis que son visage se pare de nouvelles rougeurs qui ne doivent rien au froid.
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.en eaux troubles. | Sephir Ashran EmptySam 4 Mai - 19:43
Elle n'aurait jamais dû prononcer ces mots.
Ils sont sortis tout seuls, brusquement, sans se soucier de ses intentions, révélant une blessure qu'elle n'a jusque là jamais soupçonnée. Elle se sait ignare, campagnarde, tout juste bonne à surveiller les arrières des autres. Lorsqu'on a un esprit aussi engourdi que le sien, on ne peut compter que sur son corps. Tout ce que Sephir a pu faire, c'est choisir la façon d'en faire commerce. En faire une arme et un outil au service de quelqu'un qui a les connaissances nécessaires pour s'en servir correctement. Il y a plus triste destin que le sien.
Et pourtant... ce pourquoi illustre parfaitement son problème. Elle a du mal à comprendre comment quelqu'un qui la dépasse tant en valeur cherche à creuser le fossé entre eux. C'est à lui qu'elle devrait demander pourquoi. Pourquoi cherche-t-il tant à créer un pont entre eux ? Si elle avait eu les bons mots, elle aurait pu formuler cette pensée-là. Mais elle n'y arrive pas. Elle se contente de bégayer un peu avant de se taire, définitivement vaincue.

La gêne, à présent, les rapproche tous les deux.
Elle, parce qu'elle ne sait ni lui tendre la main ni le rejeter comme il conviendrait, et que cet entre-deux la place dans une position inconfortable.
Lui, parce que ses faveurs ne rencontrent pas la reconnaissance qu'il serait en droit d'attendre.
Mais contrairement à elle, il essaie encore.
Il n'a toujours pas renoncé, même s'il a quelque peu perdu de sa superbe. C'est à elle qu'il demande de faire un choix. Un endroit, une activité, un objet. Tant de possibilités qui sont offertes à Sephir, sans qu'elle sache quoi en faire. Prendre des décisions pour elle-même, elle sait faire, mais lorsque quelqu'un d'autre vient se mêler à l'affaire, elle se sent perdue. Elle préfère recevoir des ordres plutôt que d'en donner. Mais elle ne peut pas lui refuser cette faveur-là. Elle le sent perturbé. Il n'est plus aussi digne que tout à l'heure. Une agréable nuance rouge vient teindre son visage gêné. Un soupçon de maladresse qui vient le rendre humain. C'était tout ce dont elle avait besoin pour prendre l'initiative et retrouver le contrôle d'elle-même. Tout à coup, Sephir se sent hardie. Elle saisit prestement, mais sans violence, la manche de son interlocuteur, et le regarde droit dans les yeux lorsqu'elle lui annonce ses intentions.

« En fait... c'est sur vous que je veux en savoir plus. Qui vous êtes. Ce que vous faîtes ici. Si vous pensez vraiment que je suis digne de votre attention... alors prouvez-le moi en me révélant qui vous êtes vraiment. »
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